Nous avons du ive siècle, sur la pénitence, deux traités latins spéciaux : le De paenitentia de saint Ambroise, écrit vers 384, et le Libellus exhortatorius ad paenitentiam de saint Pacien, auquel on peut ajouter ses épîtres i et iii. Mais d’autres auteurs, saint Hilaire et saint Jérôme en particulier, s’en sont occupés, et l’on peut, en complétant ces divers documents l’un par l’autre, retrouver en partie du moins l’idée qu’on se faisait alors en Occident de la discipline pénitentielle.
Les rigoristes novatiens avaient nié la possibilité de faire pénitence au moins de certains péchés, et le droit de l’Église de les remettre. A l’un d’eux, Sympronianus, Pacien adresse ses lettres i et iii. Il y enseigne que l’on peut faire pénitence et obtenir son pardon (i, 5) ; que tous les péchés peuvent être remis (iii, 12) ; que ce pardon, les évêques ont le droit de le donner, parce qu’ils ont reçu le droit de lier et de délier (i, 6 ; iii, 7), non pas qu’ils le fassent comme auteurs premiers et en leur propre vertu, mais parce qu’ils agissent comme ministres de Dieu : « Solus hoc, inquies, Deus poterit. Verum est, sed et quod per sacerdotes suos facit, ipsius potestas est » (i, 6 ; iii, 7). Ce pouvoir n’est pas attaché à leur sainteté personnelle ; il découle tout entier ex apostolico iure (i, 7) ; et il est bien distinct du pouvoir de remettre les péchés dans le baptême (iii, 11).
Ces idées sont à peu près celles qu’a émises saint Ambroise. Lui aussi commence par établir contre les novatiens la possibilité et l’efficacité de la pénitence, le pouvoir des prêtres de remettre les péchés ; pouvoir qui n’est qu’emprunté, et dans l’exercice duquel ils ne sont que l’instrument de Dieu et de la Trinité : « Ecce quia per Spiritum sanctum peccata donantur. Homines autem in remissionem peccatorum ministerium suum exhibent, non ius alicuius potestatis exercent. Neque enim in suo, sed in Patris et Filii et Spiritus sancti nomine peccata dimittunt ».
Ces principes posés, comment doit se faire la pénitence ; par quels moyens peut-on obtenir le pardon de ses péchés ? Ici, saint Pacien distingue dans son Libellus entre les peccata et les crimina. Les crimina, qu’il appelle encore capitalia, mortalia, sont les trois fautes ad mortem, à savoir l’apostasie, le meurtre et la fornication, mais de plus, les fautes moindres qui y préparent ou s’y rapportent, comme le conseil de tuer, l’impudicité quelle qu’elle soit (4, 5). Or, les péchés ordinaires se guérissent par les bonnes œuvres contraires (4) ; mais, pour les crimina, qu’on se garde bien, avant d’en avoir fait pénitence, de s’approcher de l’eucharistie. La première mesure à prendre est de les confesser : « Desinite vulneratam tegere conscientiam » (6-8 ; cf. 2, 9).
Cette distinction, on le voit, est considérable, et elle limite singulièrement, malgré l’extension que l’auteur donne aux trois péchés mortels, l’objet de l’aveu du pénitent. Saint Ambroise se contente de distinguer entre les delicta leviora et les delicta graviora. La pénitence publique, qui ne se fait qu’une fois, a pour objet les seconds ; des péchés moindres et quotidiens on doit chaque jour faire pénitence. Comment ? Probablement en les rachetant par de bonnes œuvres : « bonis operibus saepe relevantur ».
Le premier acte de la pénitence officielle et publique est donc l’aveu, la confession des péchés. Saint Hilaire en parle souvent comme d’une chose nécessaire, comme du meilleur remède au morbi lethalium vitiorum ; il en donne la définition, et ajoute qu’elle inclut le ferme propos de ne plus retomber dans le péché : « Confessio peccati professio est desinendi » ; mais il ne dit pas à qui, ni comment elle se doit faire. Zénon ne fait que la mentionner, et saint Pacien n’est pas plus explicite. C’est dans saint Ambroise et saint Jérôme qu’il faut chercher des détails plus complets.
En maint endroit de ses écrits, l’évêque de Milan a parlé d’une façon générale de confession des péchés. Il a encore en vue cette confession à Dieu au De paenitentia, ii, 5, 53, 66. Mais au De paenitentia, ii, 91, il parle évidemment d’un aveu fait à un homme, et qui doit occasionner de la honte : « An quisquam ferat ut erubescas Deum rogare qui non erubescis rogare hominem ? Et pudeat te Deo supplicare quem non lates, cum te non pudeat peccata tua homini, quem lateas, confiteri ? » L’ensemble du texte du même traité, ii, 73, donne bien l’impression que cet homme qui reçoit l’aveu est l’évêque : « Ac primum da (Domine) ut condolere norim peccantibus affectu intimo… sed quoties-cumque peccatum alicuius lapsi exponitur, compatiar : nec superbe increpem, sed lugeam et defleam. » Sans doute le mot exponitur ne désigne pas nécessairement une confession proprement dite. On peut cependant l’éclairer par ce passage de la vie de saint Ambroise écrite par Paulin, son contemporain et, semble-t-il, son secrétaire : « Erat etiam (Ambrosius) gaudens cum gaudentibus, et flens cum flentibus ; siquidem quotiescumque illi aliquis, ob percipiendam paenitentiam, lapsus suos confessus esset, ita flebat, ut et illum flere compelleret ; videbatur enim sibi cum iacente iacere. Causas autem criminum quae illi confitebatur, nulli nisi Domino soli, apud quem intercedebat, loquebatur ; bonum relinquens exemplum posteris sacerdotibus, ut intercessores apud Deum magis sint quam accusatores apud homines ». Ce témoignage nous apprend trois choses : d’abord que l’évêque de Milan recevait lui-même la confession des pénitents ; puis que cette confession était détaillée ; enfin qu’elle était secrète. Saint Ambroise confirme lui-même ce dernier point quand il observe que plusieurs, après avoir demandé la pénitence par crainte des supplices futurs, « publicae supplicationis revocantur pudore ». Ils ont été effrayés, non par l’aveu nécessaire pour déterminer cette publica supplicatio, et qui devait être secret, mais par la publicité de l’expiation qui leur avait été imposée. D’autre part, Ambroise suppose que les « occulta crimina » sont aussi l’objet de la confession. Nous trouvons donc chez lui la confession détaillée et secrète des péchés plus graves même occultes faite à l’évêque, discipline milanaise du ive siècle qui prélude singulièrement à celle du moyen âge. Saint Jérôme en confirme l’existence surtout en ce qui concerne l’accusation détaillée faite aux évêques et aux prêtres. Il incombe au confesseur, « cum peccatorum audierit varietates », de décider qui doit être lié, et qui délié.
L’aveu des péchés était suivi de l’exomologèse ou pénitence proprement dite. Zénon ne fait que la signaler ; saint Pacien, saint Ambroise, saint Jérôme en donnent des descriptions qui rappellent celle de Tertullien. Le pénitent, se tenant hors de l’église, saisit les mains des pauvres, implore les veuves, se jette aux genoux des prêtres, pour demander les prières de la communauté ; il renonce aux relations du siècle, abrège son sommeil, l’interrompt par ses prières et par ses larmes, se couvre de cendres, en un mot vit comme s’il était mort au monde. Par ces œuvres, le pénitent paye réellement à Dieu la dette d’expiation et de satisfaction dont il est redevable : « Nemo pauper est qui Deo debet, nisi qui seipsum pauperem fecerit. Et si non habet quae vendat, habet quae solvat. » — « Oratio, lacrymae, ieiunia debitoris boni census est. » Malgré cela cependant, le pénitent ne doit pas croire que son pardon lui est dû tanquam ex debito. Il peut l’espérer seulement, car il ne l’a pas proprement mérité : « Aliud est enim mereri, aliud praesumere ».
Enfin le dernier acte de la pénitence était la réconciliation du pénitent, la « remissa peccatorum », « paenitentibus cura », qui se faisait solennellement à Rome le samedi saint par l’imposition de la main de l’évêque. Cette réconciliation avait pour effet de ramener dans le pécheur le Saint-Esprit qui s’en était éloigné, de rendre ce pécheur à la vie surnaturelle, de le réintégrer dans l’Église par l’admission à la communion. La sentence qui opérait ainsi la réconciliation était-elle purement déclaratoire, c’est-à-dire l’évêque déclarait-il simplement que, vu les dispositions du pénitent et les prières faites pour lui par l’Église, ses péchés lui étaient remis par Dieu, ou bien était-elle effective, c’est-à-dire l’évêque remettait-il lui-même les péchés du pénitent en vertu du pouvoir que Jésus-Christ lui avait donné ? Saint Jérôme, en un passage de son commentaire sur saint Matthieu.16.19, paraît regarder la sentence comme purement déclaratoire. Son texte cependant n’est pas décisif, et il y refuse surtout aux prêtres le pouvoir de juger arbitrairement, de lier l’innocent et de délier le coupable. Ailleurs il accorde bien que les clercs, en vertu du pouvoir des clefs, jugent, en quelque sorte, avant Dieu ; que la sentence de condamnation portée par les apôtres est corroborée par la sentence divine ; et généralement que tout ce qu’ils ont lié sur la terre est lié également dans les cieux. Saint Pacien, en tout cas, est très formel : les évêques remettent les péchés, sans doute en vertu d’un pouvoir à eux communiqué par Jésus-Christ et en tant que ses ministres, mais ils remettent cependant réellement les péchés et exercent un pouvoir et un droit, le ius apostolicum donné primitivement aux apôtres : « Quod ego facio non meo iure sed Domini… Quare sive baptizamus, sive ad paenitentiam cogimus, seu veniam paenitentibus relaxamus, Christo id auctore tractamus. » Le point précis que nous touchons constituait évidemment une nuance doctrinale sur laquelle l’attention des théologiens ne s’était pas encore portée.
L’usage de l’extrême-onction est attesté à Rome et dans l’exarchat de Ravenne, en 416, par la lettre xxv d’Innocent I à Decentius (n° 11). Le pape s’appuyant sur Jacq.5.24, déclare que non seulement les prêtres mais tous les fidèles malades peuvent être oints du chrême (oleo chrismatis) consacré par l’évêque. Les ministres ordinaires de cette onction sont les prêtres, mais l’évêque a aussi évidemment le droit de la donner. Quant aux pénitents, on ne la leur accorde point, parce que cette cérémonie est une sorte de sacrement (quia genus est sacramenti), et qu’on leur refuse en général les sacrements.
On sait par la lettre du pape Corneille à Fabius d’Antioche en 251, que, depuis longtemps au ive siècle, l’Église de Rome et en général les églises d’Occident comptaient huit degrés dans la hiérarchie ecclésiastique : les degrés d’évêque, de prêtre, de diacre, de sous-diacre, d’acolythe, de lecteur, d’exorciste et de portier, les cinq derniers étant au fond des dédoublements du diaconat. Mais l’Ambrosiaster se rendait compte que cette division rigoureuse des fonctions ne correspondait pas exactement avec ce qui s’était passé à l’origine de l’Église, et malgré son désir de la retrouver dans le texte d’Ephésiens.4.11-12, il convenait qu’il y fallait quelque bonne volonté. D’autre part, les papes Damase probablement, Sirice, Innocent et Zosime ont donné des règles précises pour l’admission aux ordres moindres et l’accès aux plus élevés. Entre autres règles, les clercs doivent ne s’être mariés qu’une fois, et avec une vierge. A partir du diaconat, ils doivent garder la chasteté. Sur la cérémonie de l’ordination des ministres inférieurs, nous ne trouvons rien ; celle des évêques, prêtres et diacres comprenait, nous le savons déjà, l’imposition des mains accompagnée d’une prière. On était d’ailleurs d’accord sur la supériorité iure divino du presbytérat sur le diaconat et de l’épiscopat sur le presbytérat. Relativement à ce dernier point cependant, saint Jérôme a soutenu une opinion différente. Se fondant sur les passages du Nouveau Testament qui identifient les épiscopes et les presbytres, et sur certains usages de l’église d’Alexandrie, il a pensé que les évêques étaient supérieurs aux simples prêtres « magis consuetudine quam dispositionis dominicae veritate », et que la nécessité seule de prévenir des schismes possibles avait provoqué la décision générale (in toto orbe decretum est) d’après laquelle un seul membre élu du presbyterium gouvernerait désormais et la communauté et ses anciens collègues. Il est bon d’observer que cette décision générale est inconnue, et que l’opinion de saint Jérôme est restée complètement isolée.
Contre les manichéens, les Pères latins du ive siècle enseignent la bonté morale du mariage. Ils permettent les secondes noces et même les troisièmes, mais ils leur sont généralement peu favorables. Zénon déclare que les secondes noces sont « prope sanae », et saint Jérôme ne les autorise qu’à cause du mal de l’incontinence. La bénédiction nuptiale n’était pas donnée aux veuves qui se remariaient.
Le mariage une fois conclu ne peut être dissous que par la mort du conjoint. C’est la discipline latine qui s’affirmera de plus en plus. On a cité à rencontre un texte de saint Hilaire dans son commentaire sur Matthieu.4.22 ; mais ce texte n’est certainement pas concluant. Le seul opposant ici est l’Ambrosiaster qui, suivant la coutume des Grecs, accorde au mari, s’il se sépare de sa femme pour cause d’adultère, le droit de se remarier, et refuse ce droit à la femme, au cas où elle se sépare de son mari même adultère ou apostat. Saint Ambroise, sans traiter spécialement le cas d’adultère, réprouve d’une manière absolue tout divorce, et regarde comme un adultère le mariage de la femme répudiée. Saint Jérôme est plus catégorique : l’adultère autorise la séparation, mais il n’autorise aucun des conjoints à contracter un nouveau mariage. Ni le mari ni la femme ne peuvent se remarier, et si cette dernière se remarie, celui qui l’épouse commet un adultère. Le pape Innocent donne la même solution.
En même temps qu’on voit se fortifier ainsi l’idée de l’indissolubilité du mariage, on voit aussi s’ébaucher le catalogue des empêchements qui le rendent illicite. On s’élève fort contre les mariages des chrétiens avec les infidèles et les hérétiques. Les moines et les vierges vouées à Dieu, qu’elles aient reçu ou non le voile, sont soumis à la pénitence s’ils se marient. Défense est faite d’épouser la fiancée d’un autre, d’épouser sa propre belle-sœur, sa tante, sa cousine germaine.