Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 2
Depuis la mort d'Hérode jusqu'au début de l'insurrection (4 av. J.-C. – 66 ap. J.-C.)

CHAPITRE 6
Archélaüs accusé devant Auguste par les ambassadeurs du peuple juif. Plaidoyers des Juifs et de Nicolas de Damas. Auguste partage le royaume d'Hérode entre ses trois fils ; diverses dispositions.

Archélaüs accusé devant Auguste par les ambassadeurs du peuple juif.

1.[1] Cependant Archélaüs eut à soutenir à Rome un nouveau procès contre les députés juifs qui, avant la révolte, étaient partis avec l'autorisation de Varus pour réclamer l'autonomie de leur nation. Il y avait cinquante députés présents, mais plus de huit mille des Juifs qui habitaient Rome faisaient cause commune avec eux. César réunit un Conseil, composé de magistrats Romains et de plusieurs de ses amis, dans le temple d'Apollon Palatin, édifice fondé par lui et décoré avec une merveilleuse somptuosité. La foule des Juifs se tenait près des députés ; en face d'eux, Archélaüs avec ses amis ; quant aux amis de ses parents, ils ne parurent ni d'un côté ni de l'autre, répugnant, par haine et par envie, à se joindre à Archélaüs, et d'autre part ayant honte que César les vit parmi ses accusateurs. Là se trouvait aussi Philippe, frère d'Archélaüs, que Varus, par bienveillance, avait envoyé, avec une escorte, avant tout pour soutenir Archélaüs, mais aussi pour recueillir une part[2] de l'héritage d'Hérode dans le cas ou César le partagerait entre tous ses descendants.

[1] Chapitre VI = Ant., XVII, 11 (§ 299-323). Voir aussi Nicolas fr. 5 (FHG. III, 354). Il y a un souvenir de l'ambassade juive contre Archélaüs dans une parabole de l'Évangile de Luc, XIX, 14 suiv.

[2] Josèphe ne mentionne pas l'ambassade des cités grecques, venues pour réclamer leur liberté (Nicolas, 5, 24). Nicolas donna le conseil à Archélaüs de ne pas combattre leur demande.

Plaidoyers des Juifs et de Nicolas de Damas.

2. Quand les accusateurs eurent obtenu la parole, ils commencèrent par énumérer toutes les injustices d'Hérode. « Ce n'était pas un roi qu'ils avaient supporté, mais le plus cruel tyran qui eût jamais existé. Beaucoup sont tombés sous ses coups, mais les survivants ont tant souffert qu'ils ont envié le sort des morts. Il a torturé non seulement les corps de ses sujets, mais des cités entières et pendant qu'il ruinait ses propres villes, il ornait de leurs dépouilles celles de l'étranger, offrant en sacrifice aux nations extérieures le sang de la Judée. Au lieu de l'ancienne prospérité, au lieu des lois des ancêtres, il a fait régner dans le peuple la misère et la dernière iniquité : pour tout dire, les malheurs qu'Hérode en peu d'années a infligés aux Juifs surpassent tous ceux que souffrirent leurs pères pendant tout le temps qui suivit le retour de Babylone et leur rapatriement sous le règne de Xerxès[3]. Pourtant, l'accoutumance du malheur les avait rendus si résignés qu'ils ont même consenti à subir volontairement l'hérédité de cette amère servitude : cet Archélaüs, fils d'un si rude tyran, ils l'ont spontanément proclamé roi ; après que son père eut rendu le dernier soupir, ils se sont unis à lui pour célébrer le deuil d'Hérode, ils l'ont félicité de son avènement. Mais lui, craignant apparemment d'être pris pour un bâtard d'Hérode, a préludé à son règne par le massacre de trois mille citoyens ; voilà le nombre des victimes qu'il a offertes à Dieu pour bénir son trône, voilà les cadavres qu'il a accumulés dans le Temple en un jour de fête ! Quoi de plus naturel si les survivants de pareils désastres font enfin front contre leur malheur et veulent être frappés en face, suivant la loi de la guerre. Ils demandent aux Romains de prendre en pitié les débris de la Judée, de ne pas jeter le reste de cette nation en proie aux cruels qui la déchirent, de rattacher leur pays à la Syrie et de le faire administrer par des gouverneurs particuliers ; les Juifs montreront alors que malgré les calomnies, qui les représentent à cette heure comme des factieux toujours en quête de bataille, ils savent obéir à des chefs équitables ». C'est par cette prière que les Juifs terminèrent leur réquisitoire. Alors Nicolas, se levant, réfuta les accusations dirigées contre la dynastie et rejeta la faute sur le caractère du peuple, impatient de toute autorité et indocile à ses rois. Il flétrit en même temps ceux des proches d'Archélaüs qui avaient pris rang parmi ses accusateurs.

[3] Il s'agit du second retour, sous Esdras, que Josèphe, on se le rappelle, place au temps de Xerxès (Ant., XI, 5).

Auguste partage le royaume d'Hérode entre ses trois fils ; diverses dispositions.

3. César, ayant écouté les deux partis, congédia le Conseil. Quelques jours plus tard, il rendit sa décision : il donna la moitié du royaume à Archélaüs avec le titre d'ethnarque, lui promettant de le faire roi s'il s'en montrait digne ; le reste du territoire fut partagé en deux tétrarchies, qu'il donna à deux autres fils d'Hérode, l'une à Philippe, l'autre à Antipas, qui avait disputé la couronne a Archélaüs. Antipas eut pour sa part la Pérée et la Galilée, avec un revenu de 200 talents. La Batanée, la Trachonitide, l'Auranitide et quelques parties du domaine de Zénodore[4] aux environs de Panias[5], avec un revenu de 100 talents, formèrent le lot de Philippe. L'ethnarchie d'Archélaüs comprenait toute l'Idumée et la Judée, plus le territoire de Samarie, dont le tribut fut allégé du quart, pour la récompenser de n'avoir pas pris part à l'insurrection. Les villes assujetties a Archélaüs furent la Tour de Straton, Sébasté, Joppé et Jérusalem ; quant aux villes grecques de Gaza, Gadara et Hippos, Auguste les détacha de sa principauté et les réunit à la Syrie. Le territoire donné à Archélaüs produisait un revenu de 400 talents[6]. Quant à Salomé, outre les biens que le roi lui avait légués par testament, elle fut déclarée maîtresse de Jamnia, d'Azotos et de Phasaëlis ; César lui fit aussi don du palais d'Ascalon : le tout produisait 60 talents de revenus ; toutefois, son apanage fut placé sous la dépendance de la principauté d'Archélaüs. Chacun des autres membres de la famille d'Hérode obtint ce que le testament lui attribuait. En outre César accorda aux deux filles encore vierges de ce roi[7] 500.000 drachmes d'argent et les unit aux fils de Phéroras. Après ce partage du patrimoine, il distribua entre les princes le présent qu'Hérode lui avait légué et qui montait à 1.000 talents[8], ne prélevant que quelques objets d'art assez modestes qu'il garda pour honorer la mémoire du défunt[9].

[4] Les mss. ont Ζήνωνος, mais cf. supra, I, 398 et Ant. XVII, 134. Le reste du territoire de Zénodore forma la principauté d'Abila dont le tétrarque Lysanias (II) est mentionné dans plusieurs textes (Luc, III, 1 ; CIG. 4521 etc.). Cf. Schürer, I, 719.

[5] Les mss. ont τὰ περὶ ιννανω (ou ιναν), la traduction latine innam vicum. La leçon ἴαμνιαν (mss. V. C) est une conjecture sans valeur. Iamnia fut donnée à Salomé (plus bas) et l'on ne saurait songer à une autre Iamnia dans la Haute-Galilée (Vita, c. 37 ; Bell. II, 573), et c'est probablement le district de Panias que l'évangile de Luc (III, 1) a en vue quand il mentionne l'Iturée parmi les possessions de Philippe. Ailleurs Josèphe ajoute à la liste de ses provinces la Gaulanitide (Ant., XVII, 189).

[6] 600 talents d'après Ant., 320.

[7] Sans doute Roxane et Salomé.

[8] 1.500 talents d'après Ant., 323. Mais le chiffre de Guerre paraît préférable. Hérode n'avait couché Auguste dans son testament que pour 1.000 talents (liv. I, XXXII, 7), et en avait légué 500 aux enfants et amis de l'empereur.

[9] Ainsi Auguste ratifia dans ses grandes lignes le dernier testament d'Hérode (liv. I, XXXIII, 8 et Ant., XVII, 81) ; le principal changement concernait le titre royal d'Archélaüs.

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