Régénération baptismale chez les Pères. — Doutes à ce sujet, relativement aux enfants, jusqu’à Thomas d’Aquin. — Vertu intrinsèque « opere operato » ou « opere operantis ». Textes sur lesquels s’appuie cette opinion. Vue inverse de celle des « Quakers ». Inspirée par les tendances panthéistes. Opposée à l’esprit du Christianisme. Démentie par l’expérience. — Le Baptême est-il de nécessité absolue ?
Quelle est l’efficacité du baptême ?
On vit se former de très bonne heure, et se répandre de plus en plus l’opinion que le baptême justifie et régénère par lui-même, qu’il ôte le péché et communique la vie de la grâce. On l’appela le sceau divin, l’illumination (φῶτισμος), la régénération, la nouvelle naissance (παλιγγενεσία), l’eau vivifiante, l’onction sainte, le salut, le vêtement d’immortalité, etc., etc. On n’exalta pas moins ce mystère après le Concile de Nicée ; on représentait généralement l’efficace du sang de Christ et la vertu du Saint-Esprit comme unies à l’eau mystique. Cette opinion s’étendit ou grandit encore dans la controverse pélagienne. Il fut universellement admis que le baptême efface entièrement le péché, avec ses suites, et donne à tous ceux qui le reçoivent la grâce opérante et coopérante. De là la doctrine catholique que ce rite sacré détruit la coulpe et la peine, et qu’il justifie opere operato, contenant en lui-même la grâce comme un vaisseau et l’infusant comme le feu fait la chaleur. Cette doctrine, admise de bonne heure pour les adultes, resta longtemps exposée à des doutes quant aux enfants. On ne contestait point que le baptême les purifiât du péché originel ; mais on demandait s’il leur communiquait le don de la justice qui consiste dans la charité et dans la foi. — A cette question, plusieurs répondaient négativement (ainsi Pierre Lombard). D’autres disaient que ce don supérieur leur était communiqué en puissance, ou en germe. Thomas d’Aquin enseigna qu’ils le recevaient comme les adultes. « Quia pueri, sicut adulti, in baptismo efficiuntur membra Christi, inde necesse est quod a capite recipiant o influxum gratiæ et virtutis. » Cette opinion fut confirmée par le Concile de Vienne (1311). Nous avons vu que ces croyances étaient tellement générales et enracinées au xvie siècle que l’Église anglicane et même l’Église luthérienne ne surent pas s’en affranchir complètement. Cependant l’opinion dominante des protestants a été que le baptême n’est, comme la Cène, que le signe, le gage, le sceau des grâces évangéliques.
Ceux qui lui croient une efficacité intrinsèque et propre, s’appuient ordinairement sur Marc 16.16 : « Celui qui aura cru et qui aura été baptisé sera sauvé, mais celui qui n’aura pas cru sera condamné. », sur Jean 3.5 : « Si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne etc. », et sur Tite 3.5 : « Il nous a sauvés… par le baptême de la régénération (διὰ λουτροῦ παλιγγενεσίας), et par le renouvellement du Saint Esprit. » — Dans le premier de ces textes le baptême est joint à la foi comme gage de l’introduction dans l’Église et dans la voie du salut, mais c’est sur la foi que porte essentiellement la promesse, selon la doctrine générale du Nouveau Testament ; et la dernière partie du passage le prouverait à elle seule. Le deuxième texte s’explique de la même manière ; le baptême d’eau y est joint au baptême d’esprit dont il est la figure, mais c’est sur le baptême d’Esprit ou sur la régénération que le Seigneur fonde l’entrée dans le Royaume des Cieux, comme le montre l’ensemble de son discours ; le fait externe n’est mentionné que comme une image connue du fait interne.
Ces passages n’ont de valeur que pour établir l’obligation générale, la nécessité ecclésiastique du baptême comme institution symbolique et divine. — Quant au troisième texte, il est douteux que l’expression sur laquelle on insiste, (λουτρον παλιγγενεσίας), désigne le baptême d’eau ; dans tous les cas le signe serait là pour la chose signifiée, d’après la loi commune du langage, ainsi que le démontre la phrase explicative ou complémentaire « le renouvellement du Saint-Esprit ».
L’opinion qui attache aux rites sacrés une efficacité intrinsèque mérite de nous arrêter un peu plus, car elle se relève au milieu de nous de divers côtés et en divers sens.
Nous pouvons dire d’emblée qu’elle est peu en harmonie avec la doctrine générale et l’essence même de l’Évangile. Le Nouveau Testament rapporte directement le salut à la foi et à la conversion, et la foi, la conversion, la création nouvelle à l’Esprit de Dieu ou à sa parole ; frappant à ses racines le formalisme pratique comme le formalisme dogmatique, il va droit aux dispositions intérieures et dépouille de toute efficacité propre les ordonnances et les observances les plus saintes. Les bénédictions attachées à la prière, par exemple, le sont non à l’acte, mais au sentiment qui l’inspire ou qu’il respire ; et ce qui est vrai de la prière, l’est certainement de tout le culte. Sans doute, le sacramentalisme protestant, quel qu’il soit, fait toujours profession de repousser l’opus operatum. Ainsi, la vertu salutaire du baptême, il la fait résider moins dans le rite lui-même que dans le rapport où il place avec l’Église mystique, corps de Christ, sanctuaire du Saint-Esprit, tabernacle de Dieu au milieu des hommes. Mais ce point de vue, outre qu’il est difficile de le justifier, a encore quelque chose de trop formel, et par conséquent de trop formaliste. Quand on regarde à l’esprit vital de l’Évangile, à son fond réel et essentiel, on ne peut croire que le don de Dieu en Jésus-Christ soit ainsi solidaire d’une institution et d’une pratique extérieure, toute vénérable qu’elle est. On sent là une erreur du même genre que celle qui lie les attributions et les vertus du ministère à l’imposition des mains ou à la succession apostolique.
Saint Pierre dit à peu près du baptême (1 Pierre 3.21) ce que saint Paul dit de la circoncision (Galates 5.6 ; 1Cor.7.19, etc. ) ; et, ce semble, à bon droit, car si le baptême symbolise la conversion, la circoncision avait le même sens (Deutéronome 30.6 ; Romains 2.28-29) ; si le baptême est le sceau de la promesse (Actes 10.47), la circoncision l’était aussi (Romains 4.16). Saint Paul fait tout à la fois de la circoncision et du baptême une figure de l’œuvre de Christ en nous. « C’est en lui, dit-il, que vous avez été circoncis, d’une circoncision faite sans main et qui consiste à dépouiller le corps des péchés de la chair, ce qui est la circoncision de Christ ; ayant été ensevelis avec lui par le baptême, dans lequel vous êtes aussi ressuscites avec lui » (Colossiens 2.11-12). Cette sorte d’identification des deux sacrements dit tout à elle seule, personne n’attribuant au premier les effets mystérieux qu’on cherche dans le second ; le symbolisme de l’un constate celui de l’autre. Par delà toutes les distinctions qu’on peut faire, le rapport établi par saint Paul reste significatif et décisif. Et puis l’expérience montre que les grâces évangéliques ne sont pas sous la dépendance qu’on suppose ; car elles font fréquemment défaut chez les baptisés et elles agissent en bien des cas chez les non-baptisés (Quakers, Baptistes). Je sais qu’on pare par divers moyens aux conséquences de ce fait ; mais il ne me paraît pas qu’on y échappe complètement.
Il en est un autre auquel on regarde trop peu. Jésus-Christ trouva le baptême établi (prosélytes, Jean-Baptiste) et considéré universellement comme un simple symbole de purification ou d’initiation. Tout indique qu’il lui laissa sa signification et sa fin convenues, en en étendant la portée. Il baptisait ou l’on baptisait en son nom (Jean 3.26 ; 4.1) ; lorsque l’œuvre de la rédemption n’étant pas accomplie, l’Esprit n’était pas encore (Jean 7.39), suivant une expression sur laquelle s’appuie l’opinion que nous avons devant nous, lorsque n’étaient pas ouvertes, par conséquent, ces sources de la grâce et de la vie où elle fait communiquer par le baptême chrétien. Eh bien ! il n’est dit nulle part que ce baptême différait essentiellement de celui qui suivit la constitution définitive de l’Église après la passion et l’ascension du Sauveur, ni que ceux qui l’avaient reçu aient dû recevoir l’autre et qu’aucun d’eux l’ait reçu en effet. A la Pentecôte, les seuls baptisés sont les convertis de ce jour. Or, si le vrai baptême chrétien tirait son efficacité interne de cette grande effusion du Saint-Esprit d’où naquit le Royaume de Dieu ici-bas, avec ses puissances restauratrices, avec ses saintes et célestes prérogatives, il semble que les anciens croyants, ceux du moins qui n’avaient point participé aux dons de ce jour, auraient dû être appelés ou recourir d’eux-mêmes à ce baptême nouveau, auquel serait suspendu le trésor des charismes spirituels. Mais non ; le premier leur suffit. Le seul baptême qui ait été renouvelé est celui de Jean, parce qu’il n’était que préparatoire (Actes 19.1-7).
C’est une donnée tout à la fois historique et dogmatique, qui mérite d’être notée. Elle prouve que si, lorsque tout fut accompli, le baptême prit, avec tout le reste, une signification plus profonde et plus haute, il n’en demeura pas moins ce qu’il était déjà, c’est-à-dire foncièrement symbolique. N’en ôtons rien de ce qu’y mettent les Livres, mais n’y ajoutons rien. Ne faisons ni du baptême ni de la Cène « des cérémonies vaines et sans effet » ; Dieu y est avec ses miséricordes, Jésus-Christ y est avec ses grâces ; mais n’en faisons pas non plus des énergies occultes, espèces de médiateurs dont dépendraient les dons divins. Tenons-nous à égale distance de ces théories extrêmes, dont les unes les évident jusqu’à les réduire à de pures formes, qu’elles feraient volontiers disparaître de l’Église, tandis que les autres les divinisent et les idolâtrent, par un réalisme plein d’illusions. Prenons-les tels que les fait la révélation, avec les bénédictions qu’ils nous portent comme avec les obligations qu’ils nous imposent ; mais ne dépassons pas l’attestation biblique sous prétexte d’en pénétrer ou d’en rehausser le mystère, car rien n’est sûr au delà de ce qu’elle donne formellement.
Dans ce fait divin du Royaume des Cieux reconquérant la Terre par les puissances rédemptrices émanées de l’incarnation, de la passion et de l’ascension du Seigneur, dans ce fait qui touche à l’éternel et à l’infini, il y a mille aspects qu’on peut exprimer par mille images, et chaque direction théologique relevant le côté auquel correspond son idée propre, il naît de là des conceptions différentes, toutes appuyées originairement sur un fond vrai, mais susceptibles de s’égarer en se développant, et en substituant au réel un pur idéal.
Le sacramentalisme, objet de ces remarques, est l’antipode du quakerisme. Quoique mystiques l’un et l’autre, ils le sont en sens inverse. L’erreur vient de ce qu’on s’attache trop exclusivement ici aux passages qui relèvent le signe, là à ceux qui l’abaissent, pour faire ressortir la chose signifiée. C’est la misère de l’esprit humain de ne pas savoir embrasser l’ensemble des faits ou des principes, d’exagérer en isolant et de fausser en exagérant.
La tendance réaliste a communément son origine dans la confusion des deux fins du baptême, ou de son effet subjectif et de son effet objectif. Comme il ouvre ipso facto l’Église visible, le Royaume des Cieux sur la terre, on en est venu à croire qu’il ouvre de la même manière l’Église invisible, le Ciel proprement dit ; oubliant que le baptême administré par l’homme à l’homme n’est jamais que le baptême d’eau. Toujours, le cœur naturel incline à remplacer le fond par la forme. Ainsi les Israélites ramenaient partout l’opus operatum (Voy. pour les sacrifices Esa. ch. 1 et 66, pour la circoncision Romains 2.28-29). C’est la disposition que les prophètes, le Seigneur, les apôtres leur ont le plus vivement reprochée. Elle s’est reproduite, sous d’autres apparences et dans d’autres conditions, au sein du Christianisme.
Mais aujourd’hui, il importe de le redire, la tendance réaliste dérive de causes plus hautes, et par cela même plus redoutables. Elle a sa racine ou sa raison principale dans les idées que sème de toutes parts l’idéalisme panthéistique des successeurs de Kant : idées, ici conscientes, là inconscientes, respirées, pour ainsi parler, dans l’atmosphère intellectuelle de l’époque et circulant comme des principes axiomatiques, que chacun étend ou restreint à son gré, mais dont presque tout le monde subit plus ou moins l’empire. Le réalisme sacramentel et le réalisme ecclésiastique, à la fois facteurs et produits l’un de l’autre, vont se greffer sur cette « humanisation du divin », formule magique qui a paru un moment tout expliquer. Sous ce prisme, à travers lequel tout s’envisage, on se représente l’Église comme un organisme que l’Esprit de Dieu ou l’Esprit de Christ se crée sur la terre, où le baptême incorpore et rend participant de la nature et de la vie divine. Ces vues, indéfinies mais attrayantes par la lumière qu’elles semblent jeter sur ces sujets mystérieux, par l’appui que leur prête l’esprit du temps, et par celui qu’elles croient trouver dans certaines expressions scripturaires, se rencontrent à peu près partout, à des degrés et en des sens divers. Le haut-supranaturalisme s’en pare ou s’en couvre aussi bien que le haut-rationalisme. Il est clair qu’elles ne valent qu’autant que la métaphysique dont elles dérivent. Or, cette métaphysique, qui perd son prestige dans le domaine de la philosophie, se maintiendrait-elle dans le domaine de la théologie, avec la lueur factice qu’elle paraît répandre sur les mystères chrétiens ?
Quoi qu’il en soit, on ne saurait trop surveiller ce nouveau sacramentalisme, dans lequel trempe la pensée du jour, et qui peut entraîner des conséquences sérieuses. S’il cherche à se faire un fort du caractère d’institution divine que nous avons vu ressortir de la notion scripturaire de l’Église, ce n’est qu’en outrepassant la donnée de la révélation et en la changeant par cela même. La distance est grande entre le fait biblique dans son indétermination, et ces hypothèses de l’immanence de Dieu, de l’incarnation continue de Christ, de l’effusion éternelle de son être et de sa vie dans la communauté chrétienne, où l’Esprit est en quelque sorte contenu comme dans un vase et d’où il s’épanche par le canal des sacrements. Encore une fois, du fait biblique à ces interprétations ou à ces images qu’on s’en forme, il y a loin et fort loin. Nous devons nous tenir au fait, sans plus ni moins, sans le rendre solidaire ni de la conception déistique, ni de la conception panthéistique, visiblement inspirées l’une et l’autre par des doctrines étrangères.
Un mot encore. Nous avons maintenu l’efficacité mystique du baptême ; nous avons parlé de grâces, de bénédictions spirituelles qui y sont attachées, en rejetant comme antiévangélique l’opinion socinienne. Si l’on nous demandait quelles peuvent être ces bénédictions et ces grâces en dehors d’un certain degré de sacramentalisme, nous répondrions par les promesses de l’institution, sans prétendre déterminer la manière dont elles se réalisent, la révélation ni l’observation ne donnant rien de positif à cet égard. Il en est du baptême des adultes comme de la Cène, où les opérations de l’Esprit, quoique positives et presque sensibles, nous demeurent cachées. Quant au baptême des enfants, nous ne comprenons pas quelle en peut être l’action. Mais comprenons-nous mieux la bénédiction de Jésus-Christ quand il leur imposait les mains, ou celles qu’attire la prière que nous faisons en leur faveur ? Et à cause de cela, nous abstenons-nous de cette intercession ou doutons-nous qu’elle soit exaucée par Celui qui l’a prescrite ?
Sur ces mystères du Royaume des Cieux, allons jusqu’où va la révélation et arrêtons-nous où elle s’arrête. Sachons laisser à Dieu quelques-uns de ses secrets. A cet égard, et à mille autres, la science, comme la piété, a besoin d’apprendre à marcher par la foi.
Le baptême est-il de nécessité absolue ?
Cette question dépend de la précédente. Si les grâces de la justification et de la régénération sont attachées au baptême, s’il en est le canal ou l’instrument, s’il les communique par une vertu qui lui soit propre, alors il est d’une nécessité absolue ; si au contraire il n’est que le signe, le sceau, le gage de ces grâces, alors il n’est nécessaire que d’une nécessité de précepte et de moyen, toute son importance vient de l’institution divine. Il est obligatoire pour l’Église ; mais comme on n’est pas sauvé par lui, on peut aussi être sauvé sans lui.
La croyance de la nécessité du baptême pour le salut s’étendit avec celle de son efficacité intrinsèque. On considéra ceux qui mouraient sans le recevoir comme restant sous la condamnation, ou du moins comme privés à jamais des félicités célestes ; seulement on apportait à cette doctrine des restrictions plus ou moins étendues, des exceptions plus ou moins nombreuses. On inventa les limbes des enfants ; on supposa que le martyre, ou baptême de sang, tenait la place du baptême d’eau ; on fit entrer en ligne de compte le cas d’impossibilité matérielle, etc., etc. La foi à la vertu salutaire de ce rite fut cause, tantôt qu’on regarda comme un crime de le retarder, tantôt qu’on le renvoya jusqu’à l’heure de la mort. La plupart de ces idées, avec la doctrine qui leur sert de base, sont restées dans l’Église romaine ; à peu près universellement tombées dans les Églises protestantes, elles s’y relèvent çà et là, avec une sorte de sacramentalisme et de traditionalisme mystique.