L’argumentation affirmative prouve la vérité, l’argumentation négative réfute l’erreur.
La réfutation, en général, ne suffit pas sans la preuve, et ne vaut pas la preuve. [Nous sommes plus portés à réfuter qu’à prouver, à détruire qu’à édifier. Cela est plus facile ; cela flatte davantage l’amour-propre ; cela est plus en rapport avec nos passions naturelles. Tout le monde est éloquent dans la colère ; peu de gens le sont dans l’amour et dans la paix. Pour la chaire, l’argumentation affirmative est d’une valeur incomparable. En morale et en religion, la certitude de la vérité est beaucoup plus importante que la réfutation de l’erreur. D’où naît la haine du mal dans l’âme chrétienne ? de l’affirmation du bien ; quiconque a fait la divine expérience de la grâce le sait. Cela doit se réaliser dans la prédication ; il ne suffit pas de faire vider le terrain à l’erreur, car la vie chrétienne n’est pas un vide, c’est un plein.] – Ce que dit Quintilien de la difficulté plus grande de la réfutation, Difficilius est defendere quam accusare, est vrai du plaidoyer, non du sermon. [Néanmoins il faut abonder dans la preuve ; quand on a prouvé, la réfutation est déjà bien avancée. La preuve doit absorber l’erreur. Même dans les conversations chrétiennes, il faut plus chercher à absorber l’erreur qu’à la réfuter, tâcher de vaincre sans être obligé de poursuivre les fugitifs. Rigoureusement, celui qui a prouvé a fini ; il n’est pas obligé de réfuter les objections. Il peut alléguer ce droit, summum jus, mais non s’en prévaloir. La lumière seule peut dévorer les ténèbres ; nous devons surmonter le mal par le bien. (Romains 20.21) – Oui ; mais nous devons condescendre aux faiblesses, aux nécessités de nos frères, qui sont aussi nos faiblesses et nos nécessités. Dieu, pour nous ramener à la vérité, a dû renverser en nous bien des idoles de notre cœur, de notre intelligence ; il a beaucoup détruit, beaucoup réfuté avant de prouver ; il nous a désabusés avant de nous montrer sa gloire ; beaucoup d’âmes sont arrivées au goût de la vérité par le dégoût des choses terrestres. Ce que Dieu a fait, nous devons le faire.] – La preuve a souvent besoin de la réfutation comme supplément, et même comme complément. [Il arrive souvent qu’une simple réfutation devient preuve dans l’âme de l’auditeur.] Il y a même des cas où la réfutation suffit sans la preuve, quand le sujet permet de la sous-entendre. On a très convenablement fait des discours tout en réfutationf.
f – C’est le cas du sermon de Massillon sur le Jeûne et de sa conférence sur le Zèle pour le salut des âmes. On trouverait aussi de beaux exemples dans Bourdaloue et dans Saurin.
Nous recommandons, avant tout, dans la réfutation une loyauté parfaite. [C’est une règle de morale, de prudence et d’art. La surprise et l’espèce d’effroi qu’on aura éprouvé en entendant l’objection se tournera en joie après la réfutation. La confiance en l’orateur en sera augmentée. Sous ce rapport, Saurin est un modèle. Il y a chez lui une bravoure dans l’exposé des objections, qui devait produire un très grand effetg.]
g – Voyez la première partie de son second Sermon sur le Renvoi de la conversion.
Après cela, il importe de bien déterminer le sens et l’étendue de l’objection. [Nous ne sommes pas aussi rigoureux envers nous-mêmes dans la chaire que nous devrions l’être. Nous sommes exposés à prendre au rabais certaines règles que les autres genres d’éloquence ne se permettent pas de transgresser. La chaire jouit d’un privilège aussi nuisible qu’avantageux : c’est qu’il n’y a pas de débats, pas de réplique possible ou admise, et, tels que nous sommes, nous en avons besoin. N’ayant pas de contradicteurs dans le temple, nous devons nous prescrire une rigueur d’autant plus grande dans notre argumentation. Saurin est un excellent modèle à cet égard. On pourrait même penser quelquefois qu’il pousse la rigueur jusqu’à l’excès.].
Dans tous les cas où cela paraît nécessaire, il faut diviser la difficulté. À l’ordinaire, la réfutation gagne à la division de l’objection. [Il est rare qu’une réponse unique puisse écraser d’un coup et directement toutes les parties de l’erreur. Des orateurs tels que Bourdaloue et Massillonh sont peut-être allés bien loin en cela ; mais lorsque ce procédé est employé avec mesure, la réfutation y gagne beaucoup. L’auditeur vous voit vainqueur plusieurs fois de suite ; il sent qu’il y avait plusieurs erreurs de l’autre côté et plusieurs vérités du vôtre. Si l’on fait abstraction du contradicteur qui existe dans les âmes, on sera toujours faible : il faut dans un sermon une discussion.]
h – Bourdaloue, Deuxième partie du sermon sur l’Aumône, et Massillon, sermon sur la Vérité d’un avenir.
Enfin, il faut savoir prendre l’offensive, et tourner, s’il se peut, l’objection en preuve. [La défensive prolongée nous affaiblit, et pour se défendre utilement, il faut attaquer. Les grands prédicateurs n’ont jamais manqué à cette règle. Dans l’erreur qu’on décompose ou attaque, on doit trouver les germes mêmes de la véritéi.
i – Voyez le sermon de Saurin sur l’Aumône et les Conférences de Massillon.