Après l’analyse détaillée que nous venons de faire, nous pouvons tracer assez distinctement les traits essentiels de la situation extérieure et morale qui a provoqué la composition de cet écrit.
Il n’y a aucune raison de supposer avec Néander que Timothée revint de Macédoine sans être parvenu à Corinthe, ou, avec Weiss, que l’apôtre le rappela de Macédoine parce l’arrivée des trois députés de Corinthe lui fit comprendre l’insuffisance des instructions qu’il lui avait données, ou enfin, avec Hofmann, que Timothée arriva bien à Corinthe, mais avant que la 1re aux Corinthiens y fut parvenue, ce qui ôtait toute valeur à sa mission. Nous croyons plutôt que, conformément à l’attente de Paul, 1 Corinthiens 16.11, Timothée revint de Corinthe à temps pour trouver encore à Éphèse les trois délégués et pour s’entretenir avec l’apôtre et avec eux de l’état des choses dans cette église à la suite de la lecture de notre première épître. Son rapport n’avait sans doute rien de tranquillisant ; car il détermina l’apôtre à revenir à son premier plan qui était d’aller directement à Corinthe. Dès ce moment, nous constatons les faits suivants :
- Séjour pénible à Corinthe, brusquement terminé, mais avec promesse de retour (été 57).
- Séjour en Macédoine et peut-être mission en Illyrie (Romains 15.19), mais sans nouvelles favorables de l’église de Corinthe.
- Retour à Éphèse, sans avoir repassé par Corinthe (automne 57).
- Envoi de Tite à Corinthe avec la lettre perdue et travail à Éphèse jusqu’au printemps 58, ce qui complète la τριετία d’Actes 20.31.
- Émeute de Démétrius et départ pour Troas.
- Rencontre de Tite en Macédoine et son nouvel envoi avec notre épître (été 58).
Ordinairement on fait rentrer tous les événements de cette période dans le cadre étroit des quelques mois qui séparèrent la Pentecôte de 57, où Paul quitta Éphèse (selon son plan 1 Corinthiens ch. 16), de la fin de l’automne de cette même année, où il arriva à Corinthe et y fit le séjour d’hiver de trois mois dont parle Actes 20.2-3). Voir Weiss, Sabatier (p. 149), etc. Mais, comme l’a bien montré Eylaul, il faut un temps beaucoup plus long pour rendre compte de toutes les circonstances constatées, en particulier des trois ans du séjour d’Éphèse. L’hiver que Paul a passé tranquillement à Corinthe ne peut avoir été que celui de 58-59.
l – Dans son intéressant programme : Zur Chronologie der Corintherbriefe, Landsberg, 1873, et plus tard dans d’autres écrits.
La 2e aux Corinthiens a donc été écrite en Macédoine dans le courant de l’été de l’an 58, et nos deux épîtres canoniques ont été séparées l’une de l’autre par un intervalle de plus d’une année.
Wieseler a pensé que notre seconde épître avait été composée en deux fois ; la première partie, ch. 1 à 6, avant l’arrivée de Tite ; la seconde, ch. 7 à 13, après que Paul avait entendu son rapport. Le passage 2.6-11 réfute cette hypothèse ; car il a été écrit, aussi bien que le ch. 7, sur le fondement des nouvelles rapportées par Tite. Ce qu’il y a de vrai dans cette manière de voir, c’est que les circonstances dans lesquelles se meut la pensée de l’apôtre et sur lesquelles il donne des explications dans les ch. 1 à 6, appartiennent à un temps qui avait précédé sa rencontre avec Tite.
Paul rappelle deux fois aux Corinthiens ce fait que l’œuvre de la collecte était déjà en voie de préparation chez eux depuis l’année précédente (8.10 et 9.2). Si c’était ici une date juive, il faudrait placer le commencement de l’année où il écrivait ces mots soit de mars à avril (année religieuse juive), soit de septembre à octobre (année civile juive). Mais il est plus probable qu’il pense ici à une année grecque, soit à l’année macédonienne qui commençait à l’équinoxe d’automne, soit plus naturellement encore à l’année attico-olympique qui commençait au solstice d’été. Si notre lettre a été écrite dans le courant, de juin 58, avant le solstice de cette année, il faut remonter jusqu’avant le solstice d’été de l’an 57 pour dater le commencement de la préparation de la collecte à Corinthe, ce qui convient parfaitement au but de l’apôtre qui est de blâmer la lenteur que les Corinthiens ont apportée à l’exécution de cette œuvre depuis si longtemps préparée.
La situation morale a, malgré certaines concessions faites par l’église, en général empiré depuis la première lettre, peut-être en partie par un effet de cette lettre même qui a exaspéré les agitateurs et indisposé contre l’apôtre une grande partie de l’église. L’orgueil de ces jeunes chrétiens, si fermement démasqué et censuré, s’est révolté et a rendu les cœurs accessibles à toutes les accusations et à toutes les calomnies semées par les meneurs contre le caractère de Paul. — Des quatre partis il n’en reste plus qu’un seul dans lequel s’est concentré tout le venin de la haine contre l’apôtre. D’après Eylau et Pfleidererm, ce serait celui de Pierre, ce qui est tout à fait invraisemblable et contraire au passage très clair 2 Corinthiens 10.7 : « Si quelqu’un se persuade d’être de Christ, » par où l’on voit que c’était le parti de Christ qui avait surnagé, après que les autres avaient laissé tomber leurs oppositions. Autour de ce noyau essentiellement hostile se groupaient les mécontents d’origine grecque dont Paul avait sévèrement réprimandé les habitudes immorales. Malgré la crise favorable qu’avaient provoquée la présence de Tite et la lettre dont il était chargé, cet état de l’église était demeuré jusqu’à un certain point le même jusqu’au moment où Paul écrivit notre seconde lettre. L’expression 2 Corinthiens 7.16 : « Je me réjouis de ce qu’en toutes choses je puis compter sur vous, » est un euphémisme résultant de la bonne impression qu’il avait reçue sur quelques points particuliers, une forme propre à les encourager, soit à activer la collecte, soit, en général, à ne pas rester au-dessous de son attente favorable.
m – Pfleiderer, parce qu’il n’envisage pas « ceux de Christ » comme un quatrième parti ; Eylau, parce qu’il envisage « ceux de Christ » de la même manière que Schenkel et que le parti judaïsant est formé selon lui par « ceux de Pierre. »