Le cardinal de Richelieu, qui avait écrit dans les loisirs de sa jeunesse une méthode de controverses, tenait à exécuter son plan de réunion. Il fit sonder là-dessus les pasteurs et les synodes provinciaux par son confident, le père Joseph, personnage mystérieux, émissaire intrigant, délié, actif ; et il fut secondé dans son œuvre par un certain Théophile de La Milletière, calviniste équivoque, écrivain de science médiocre, et ambitieux de se faire un nom en appuyant des desseins dont il ne comprenait pas la portée.
Entre les personnes qui se laissèrent prendre à ce projet, on comptait des habiles qui voulaient quitter sans déshonneur une religion peu agréable au pouvoir, des simples qui croyaient naïvement que le catholicisme voulait faire des concessions sérieuses, et de bonnes gens qui ramenaient tout à une question de charité. Au nombre de ces derniers se trouva pour quelque temps un homme de mérite, Petit, pasteur et professeur de théologie à Nîmes.
Cependant il parut bientôt que, sous le mot pompeux de réunion, il ne s’agissait pas d’autre chose que d’un acte de repentance de la part des calvinistes, et de gracieuse amnistie de la part des catholiques. Point de changement plus considérable que celui de quelques termes, qui choquaient l’oreille des disciples de Calvin. On aurait d’avance gagné certains pasteurs qui, pour la forme seraient venus discuter avec des docteurs catholiques en présence du roi, et ne leur auraient opposé aucune objection capitale. Ensuite, ils eussent demandé à être admis comme des pénitents, et l’Église romaine, en bonne mère, leur eût ouvert les bras. On aurait travaillé enfin à réunir un synode national tout peuplé de ces gens de facile composition, et une fois le projet de réunion officiellement adopté, la force matérielle se serait chargée d’y soumettre les récalcitrants, ou de les chasser du royaume.
Le plan était conçu avec habileté : seulement on n’y avait pas assez tenu compte des consciences fidèles et honnêtes. Il échoua. Les pasteurs se montrèrent entêtés, et, ce qui est remarquable, les laïques le furent encore davantage. Pas un seul synode provincial ne donna les mains au complot. Petit reconnut son erreur ; La Milletière fut excommunié, et se fit tout simplement catholique ; Richelieu avait d’autres affaires à suivre, et l’idée de la réunion fut abandonnée pour être reprise deux ou trois fois avant la révocation.
Le clergé employa un moyen différent pour abattre l’hérésie, savoir, des missionnaires, des controversistes ambulants, autrement nommés convertisseurs ou propagateurs de la foi. On en trouve à l’œuvre dès l’an 1630. Les uns étaient des moines, Capucins et Récollets, dont Fénelon dit quelque part qu’ils s’étaient attiré par leur ignorance et leur fanatique emportement le mépris universel. Les autres étaient des laïques de basse condition, cordonniers, rémouleurs, tailleurs, brocanteurs, petits marchands, qui, sans aucune étude, laissaient là leur métier pour se faire les champions de la foi catholique.
Ces vagabonds recevaient une somme convenue par tête de prosélyte, et le taux variait selon l’importance du converti. Ils avaient soin de se faire donner des certificats dûment légalisés de leurs conquêtes, afin de toucher leur argent. La fraude s’en mêla, comme on devait s’y attendre. Il y eut des misérables qui entraient dans la communion réformée tout exprès pour en sortir, ou feignaient d’en être pour abjurer, et qui partageaient ensuite avec leurs complices.
Les convertisseurs avaient appris par cœur un catalogue de subtilités ridicules et de grossières chicanes qu’ils débitaient à tout propos. La réfutation de ce qu’il y avait de moins ignoble dans cette polémique a été faite de main de maître par le pasteur Drelincourt, dans son Abrégé des controverses. Aussi l’appelait-on le fléau des propagateurs de la foi.
Un de leurs arguments favoris consistait à poser cette question : Croyez-vous que le roi soit idolâtre et damné ? Si l’on disait oui, ils en faisaient une grosse affaire qui pouvait avoir des suites fâcheuses, surtout pour ceux qui occupaient quelque office public. Si l’on disait non, ils demandaient pourquoi l’on se refusait à entrer dans une Église qui ouvrait la porte du salut ? Ou encore, s’ils rencontraient une vive résistance, ils poussaient leur interlocuteur à prononcer des parole ; irrévérencieuses pour la Vierge et les saints, et comme les lois punissaient alors ce qu’on qualifiait de blasphème, ils allaient dénoncer les coupables.
Ayant pour protecteurs les prêtres et les Jésuites, la plupart de ces convertisseurs étaient aussi insolents qu’illettrés. Ils couraient de ville en ville, frappant à la porte des consistoires et des synodes. Ils pénétraient même de force dans les maisons particulières, quelquefois à l’aide des juges du lieu, et entamaient une controverse en règle. Tant qu’on les invitait poliment à se retirer, ils tenaient bon. Que si, dans un moment d’humeur, on les jetait dehors, ils cherchaient à s’attirer quelque acte de violence devant témoins, sur la voie publique, et aussitôt déposaient leur plainte en justice.
Plusieurs portaient l’impudence au point d’interrompre les pasteurs en pleine assemblée, et de leur donner des démentis. Ces indignes excès les exposaient tout au plus à entendre des murmures et des paroles de blâme : on n’osait pas les châtier comme ils le méritaient. Si une assemblée, moins endurante que les autres, les poussait dans la rue, et qu’il en résultât quelque tumulte un peu considérable, on avait à craindre l’interdiction du service religieux, ou même l’emprisonnement du pasteur.
Ils élevaient aussi des tréteaux dans les carrefours ; et là, ces bateleurs d’un nouveau genre, ayant à côté d’eux des piles de gros livres dont ils n’avaient pas lu le premier mot, déblatéraient sur des points de controverse, parodiaient les ministres, et divertissaient ou soulevaient la populace par leurs vociférations.
Le plus fameux de ces convertisseurs fut un nommé Véron, ou père Véron. Il avait porté l’habit de Jésuite, et on lui donna la cure de Charenton pour qu’il importunât de plus près les réformés. Ce Véron assistait fréquemment aux sermons des pasteurs, et le service achevé, les réfutait sur une espèce de théâtre qu’il avait fait dresser à la porte de son église. Il fatigua par ses défis les plus savants docteurs de la Réforme. Le célèbre Bochart eut une fois la complaisance d’ouvrir avec lui une discussion en règle. Or, Véron lâcha pied avant que les questions qu’il avait mises lui-même sur le bureau fussent examinées, et les pasteurs finirent par ne lui opposer que le silence du mépris.
Toutes ces tentatives de conversions n’obtinrent, au reste, que fort peu de succès. Non seulement les hommes de quelque étude, mais les artisans, les femmes, les enfants mêmes de la communion réformée s’étaient aguerris aux matières de controverse, et confondaient aisément les soi-disant propagateurs de la foi. Aussi, après la mission pacifique vint la mission armée, la mission bottée, dont nous parlerons en son lieu.
De 1631 à 1645, il y eut trois synodes nationaux. La cour s’appliquait à les rendre de plus en plus rares, jusqu’à ce qu’elle pût en venir à les supprimer entièrement. La première de ces assemblées s’ouvrit à Charenton, le 1er septembre 1631. Le commissaire Galland y siégea sans difficulté. Pasteurs et laïques, tous avaient le cœur triste et l’attitude humble : ils se sentaient à la merci de leurs adversaires.
Le roi désigna les députés généraux dont la nomination lui serait agréable, et le synode obéit. Plus tard on ne voulut qu’un seul député général, qui fut même dispensé de la formalité des réélections. Cette haute charge se concentra dans la famille des marquis de Ruvigny, et les Églises demandèrent inutilement la permission d’y adjoindre un député général du tiers-état. L’esprit libéral de la Réforme ne convenait point à Louis XIV.
Le synode de Charenton se déclara contre les projets d’accommodement avec les catholiques ; mais il tendit une main fraternelle aux luthériens, qui, jusqu’alors, n’avaient pas été admis à la cène des calvinistes. « Parce que les Églises de la confession d’Augsbourg, dit-il, conviennent avec les autres Églises réformées dans les points fondamentaux de la véritable religion, et qu’il n’y a ni superstition ni idolâtrie dans leur culte, les fidèles de ladite confession qui, par un esprit d’amitié et de paix, se joindront à la communion de nos Églises dans ce royaume, pourront, sans faire aucune abjuration, être reçus à la table du Seigneur. »
Au cahier des griefs rédigé à Charenton, le roi ne voulut répondre qu’après la séparation du synode : « Afin, disait-il, de traiter avec ses sujets plus convenablement à sa dignité souveraine et à l’autorité sacrée de sa parole. On pouvait reconnaître ici le génie et l’accent de Richelieu.
Un autre synode national s’ouvrit au mois de mai 1637, dans la ville d’Alençon. M. de Saint-Marc, conseiller d’état et commissaire du roi, y parla d’un ton haut : « Je suis venu à votre synode pour vous faire savoir la volonté de Sa Majesté. Toute autorité est de Dieu, et par conséquent, sur ce fondement inébranlable, vous devez obéir. Outre que les bontés de Sa Majesté vous y obligent et les soins qu’il prend de vous, sa clémence et son pouvoir sont les supports les plus fermes que vous puissiez avoir. Je ne doute nullement que vous n’ayez fait réflexion plusieurs fois sur I’admirable providence de Dieu qui fait que l’autorité royale de Sa Majesté est votre conservation. » Le modérateur Basnage répondit à M. de Saint-Marc que les Églises n’avaient jamais eu la moindre pensée de se départir de la soumission à laquelle les obligeait la Parole de Dieu.
Le roi fit défendre aux pasteurs et aux anciens de correspondre de synode à synode, ou avec des corps ecclésiastiques étrangers ; et comme il était venu plusieurs lettres de Genève et de Hollande, on les remit toutes cachetées au commissaire qui, après en avoir pris connaissance, permit de les lire à l’assemblée. Ces lettres traitaient de quelques points de doctrine soulevés par Amyraut, professeur de l’académie de Saumur. Nous y reviendrons ailleurs.
Le synode s’occupa de l’esclavage des noirs, question peu agitée au dix-septième siècle, et qui n’excitait guère l’attention des assemblées du clergé catholique. S’il fut d’avis que la Parole de Dieu ne défend pas d’acheter et de garder des esclaves, il y posa du moins des conditions fort libérales pour l’époque : « Cette assemblée, confirmant le canon fait par le synode provincial de Normandie, exhorte les fidèles de ne pas abuser de cette liberté d’une manière qui soit contraire aux règles de la charité chrétienne, et de ne pas remettre ces infidèles au pouvoir des Barbares qui pourraient les traiter inhumainement, ou entre les mains de ceux qui sont cruels, mais de les donner à des chrétiens débonnaires, et qui soient en état d’avoir principalement soin de leurs âmes précieuses et immortelles, en tâchant de les instruire dans la religion chrétienne. »
Un troisième synode national se tint à Charenton à la fin de l’an 1644, peu après la mort du cardinal de Richelieu et de Louis XIII. Le commissaire du roi prit le singulier parti de se plaindre le premier des empiétements et usurpations des Églises réformées, pour empêcher celles-ci, apparemment, de réclamer trop haut contre les injustices dont elles avaient à souffrir. Il exposa ensuite les volontés du roi, entre lesquelles était l’ordre d’exclure du ministère évangélique ceux qui auraient fait leurs études à Genève, en Hollande et en Angleterre, parce que dans ces contrées dominait l’esprit républicain. C’était le temps des luttes de Cromwell et des puritains contre Charles Ier.
Sur le rapport de quelques députés des provinces maritimes, il fut question des indépendants venus d’Angleterre, et qui s’étaient établis en France. On leur reprochait d’enseigner que chaque troupeau doit se gouverner par lui-même, sans avoir égard à l’autorité des colloques et des synodes. L’assemblée, considérant cette opinion comme préjudiciable aux intérêts de l’Église de Dieu et à ceux de l’Etat, enjoignit aux provinces maritimes d’empêcher que le mal ne s’enracinât dans le royaume.