Stromates

LIVRE SECOND

CHAPITRE XVI

Comment il faut interpréter les passages des saintes écritures qui attribuent à Dieu des passions humaines.

Ici encore se récrient les accusateurs, en soutenant que la tristesse et la joie sont des passions de l’âme. Ils définissent la joie, au transport de l’âme d’accord avec la raison ; l’exultation, la joie que font éprouver le beau et l’honnête ; et la miséricorde, la tristesse qu’inspiré le spectacle d’une infortune non méritée.

« Toute impression qui se rapproche de celle-là, ajoutent-ils, est une modification et une secousse de l’âme. »

Pour nous, entraînés par ces définitions, nous ne cessons d’interpréter, selon la chair, les saintes Écritures, et nous inférons de nos passions, que l’immuable volonté de Dieu est semblable aux fluctuations de la nôtre. Oui, certes, admettre que dans le Tout-Puissant les choses se passent comme en chacun de nous, ce serait là une erreur impie, puisqu’il est impossible de définir Dieu tel qu’il est. Mais les prophètes nous ont parlé selon qu’il nous était possible de comprendre, à nous esclaves de la chair, le Seigneur se prêtant de la sorte à la faiblesse humaine par une salutaire condescendance. Comme la volonté de Dieu est que tous les deux soient sauvés, celui qui garde les préceptes et celui qui se repent de ses péchés, nous nous réjouissons de notre salut. Cette joie, qui nous est particulière, le Seigneur se l’attribue à lui-même comme sa propre joie, quand il parle par la bouche des prophètes. C’est ainsi, par exemple, qu’il dit miséricordieusement ici il dans l’Évangile :

« J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; car, ce que vous avez fait pour un seul de ces petits, vous l’avez fait pour moi. »

De même donc, que Dieu est nourri sans être nourri, parce que le pauvre a été nourri, conformément à sa volonté, de même il se réjouit sans que son impassibilité s’en altère, parce que celui-là est dans la joie, qui s’est repenti comme sa volonté le demandait.

« Dieu est riche en miséricorde. »

En vertu de sa bonté, il nous donne ses commandements, par la loi, par les prophètes ; plus immédiatement encore il sauve et prend en pitié par la venue de son fils, comme il le dit lui-même, ceux dont il a eu pitié. À proprement parler, c’est le supérieur qui a pitié de son inférieur, et il n’est pas d’homme supérieur à un autre, en tant qu’homme. Mais Dieu est en tout supérieur à l’homme. Si donc le supérieur a pitié de son inférieur, à Dieu seul de prendre pitié de nous. L’homme apprend de la justice à ouvrir sa main à tous, et s’il partage avec les autres les dons qu’il a reçus de Dieu, c’est par une disposition naturelle à la bienveillance, et par fidélité aux préceptes. Dieu, au contraire, n’a, comme le veulent les hérésiarques, aucun rapport de nature avec nous, soit qu’il ait fécondé le néant, soit qu’il ait travaillé sur la matière préexistante ; puisque, dans le premier cas, le néant est l’absence de l’être, et que, dans le second, la matière, en tout et partout, se trouve différente de Dieu ; car sans doute l’on n’osera pas faire de l’homme une partie de Dieu et un être qui lui soit consubstantiel. L’homme semblable et consubstantiel à Dieu ! Je ne sais en vérité comment, avec la connaissance de Dieu, on pourrait entendre de sang-froid une pareille assertion, surtout après avoir jeté tin coup d’œil sur notre vie et les maux dont elle est mêlée. Ainsi donc, ô blasphème ! Dieu pourrait pécher dans quelques parties de lui-même, puisque les parties décomposent et recomposent le tout ? Si, au contraire, elles ne peuvent le recomposer, elles n’en étaient pas les parties. Mais rien de tout cela n’est vrai ; Dieu étant naturellement riche en miséricorde, c’est par l’effet de sa bonté qu’il veille sur nous, qui ne sommes ni ses éléments constitutifs, ni ses fils du côté de la nature. Et c’est bien là, certes, la plus grande preuve de la bonté de Dieu, que, malgré notre infériorité vis-à-vis de lui et en dépit d’une nature qui lui est absolument étrangère, il ait cependant pris soin de nous. La tendresse des animaux pour leurs petits, ainsi que l’amitié qui nait d’un commerce journalier entre deux esprits de même sentiment, sont fondées sur des relations naturelles ; mais la miséricorde de Dieu est abondante envers nous, sans que nous ayons avec lui aucune affinité, soit d’essence, soit de nature, soit de vertu particulière à notre être, sinon que nous sommes l’œuvre de sa volonté. Aussi, celui qui, volontairement et avec le secours de l’étude et de l’enseignement, est parvenu à la connaissance de la vérité, Dieu le convie au privilège de l’adoption, qui est le plus grand de tous les progrès. Ses iniquités enveloppent l’impie ; il est enchainé dans les liens de son péché, et il ne peut les imputer à Dieu !

« Et en vérité, heureux l’homme qui craint toujours par esprit de piété ! »

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