Quoy donc ? dira quelqu’un : ne restera-il nulle différence entre le Vieil et Nouveau Testament ? Et que dirons-nous à tant de passages de l’Escriture, qui les opposent ensemble comme choses fort diverses ? Je respon, que je reçoy volontiers toutes les différences que nous trouverons couchées en l’Escriture : mais à telle condition qu’elles ne déroguent rien à l’unité que nous avons desjà mise, comme il sera aisé de veoir quand nous les aurons traittées par ordre. Or entant que j’ay peu observer en considérant diligemment l’Escriture, il y en a quatre ausquelles si quelqu’un veut adjouster la cinquième, je ne contrediray point. Je me fay fort de monstrer qu’elles appartienent toutes, et se doyvent référer à la manière diverse que Dieu a tenue en dispensant sa doctrine, plustost qu’à la substance. Ainsi, il n’y aura nul empeschement que les promesses du Vieil et Nouveau Testament ne demeurent semblables : et que Christ ne soit tenu pour fondement unique des uns et des autres. La première différence donc sera telle : Combien que Dieu ait voulu tousjours que son peuple eslevast son entendement en l’héritage céleste, et y eust son cœur arresté, toutesfois pour le mieux entretenir en espérance des choses invisibles, il les luy faisoit contempler sous ses bénéfices terriens, et quasi luy en donnoit quelque goust. Maintenant ayant plus clairement révélé la grâce de la vie future par l’Evangile, il guide et conduit nos entendemens tout droict à la méditation d’icelle, sans nous exerciter aux choses inférieures, comme il faisoit les Israélites. Ceux qui ne considèrent point ce conseil de Dieu, pensent que le peuple ancien n’ait jamais monté plus haut, que d’attendre ce qui appartenoit à l’aise du corps. Ils voyent que la terre de Canaan est tant souvent nommée, comme le souverain loyer pour rémunérer ceux qui observeroyent la Loy de Dieu : d’autre part ils voyent que Dieu ne fait point de plus griefves menaces aux Juifs, que de les exterminer de la terre qu’il leur avoit donnée, et les espandre en nations estranges. Ils voyent finalement que les bénédictions et malédictions que récite Moyse revienent quasi toutes à ce but : de là ils concluent sans aucune doute, que Dieu avoit ségrégé les Juifs des autres peuples, non pas pour leur proufit, mais pour le nostre, afin que l’Eglise chrestienne eust une image extérieure, en laquelle elle peust contempler les choses spirituelles, Mais comme ainsi soit que l’Escriture démonstre que Dieu par toutes les promesses terriennes qu’il leur faisoit, les a voulu conduire comme par la main en l’espérance de ses grâces célestes : de ne considérer point ce moyen, c’est une trop grande rudesse, voire mesmes bestise. Voylà donc le point que nous avons à débatre contre ceste manière de gens : c’est qu’ils disent que la terre de Canaan ayant esté estimée du peuple d’Israël pour sa béatitude souveraine, nous figure nostre héritage céleste. Nous maintenons au contraire, qu’en ceste possession terrienne dont il jouissoit, il a contemplé l’héritage futur qui luy estoit préparé au ciel.
Cela sera mieux esclarci par la similitude que met sainct Paul en l’Epistre aux Galates. Il compare le peuple des Juifs à un héritier qui est encores petit enfant, lequel n’estant point capable de se gouverner, est sous la main de son tuteur, ou de son pédagogue Gal. 4.1. Il est bien vray qu’il traitte là principalement des cérémonies : mais cela n’empesche pas que nous n’appliquions ceste sentence à nostre propos. Nous voyons doncques qu’un mesme héritage leur a esté assigné comme à nous : mais qu’ils n’ont pas esté capables d’en jouir plenement. Il y a eu une mesme Eglise entre eux, que la nostre : mais elle estoit encores comme en aage puérile. Pourtant le Seigneur les a entretenus en ceste pédagogie : c’est de ne leur donner point clairement les promesses spirituelles, mais de leur en présenter plustost quelque image et figure sous les promesses terriennes. Voulant doncques recevoir Abraham, Isaac et Jacob, et toute leur race en l’espérance de l’immortalité, il leur promettoit la terre de Canaan en héritage : non pas afin que leur affection s’arrestast là, mais plustost afin que par le regard d’icelle, ils se confermassent en certain espoir du vray héritage qui ne leur apparoissoit point encore, et afin qu’ils ne s’abusassent point, il leur adjoustoit aussi une promesse plus haute, laquelle leur testifioit que ce n’estoit pas là le souverain et principal bien qu’il leur vouloit faire. Ainsi Abraham en recevant ceste promesse de posséder la terre de Canaan, ne s’amuse point à ce qu’il voit, mais est eslevé en haut par la promesse conjoincte, entant qu’il luy est dit, Abraham, je suis ton protecteur, et ton loyer très-ample Gen. 15.1. Nous voyons que la fin de son loyer luy est située en Dieu, afin qu’il n’attende point un loyer transitoire de ce monde, mais incorruptible au ciel. Nous voyons que la possession de la terre de Canaan luy est promise, non à autre condition, sinon afin qu’elle luy soit une marque de la bénévolence de Dieu, et figure de l’héritage céleste. Et de faict, il appert par les sentences des fidèles, qu’ils ont eu un tel sentiment. En telle manière David estoit incité des bénédictions temporelles de Dieu, à méditer sa grâce souveraine, quand il disoit, Mon cœur et mon corps languissent du désir de te veoir, Seigneur. Le Seigneur est mon héritage à jamais. Item, Le Seigneur est ma portion héréditaire, et tout mon bien. Item, J’ay crié au Seigneur, disant, Tu es mon espoir et mon héritage en la terre des vivans Ps. 84.2 ; 73.26 ; 16.5 ; 142.5. Certes tous ceux qui osent ainsi parler, monstrent qu’ils outrepassent ce monde et toutes choses présentes. Néantmoins les Prophètes le plus souvent, descrivent la béatitude du siècle futur sous l’image et figure qu’ils en avoyent receue de Dieu. Selon laquelle forme il nous faut entendre ces sentences, où il est dit, Que les justes posséderont la terre en héritage, et les iniques en seront exterminez. Jérusalem abondera en richesses, et Sion en affluence de tous biens Ps. 37.9 ; Job. 18.17 ; Prov. 2.21-22. Nous entendons bien que cela ne compète point à ceste vie mortelle, qui est comme un pèlerinage, et ne convenoit pas à la cité terrestre de Jérusalem : mais il convient au vray païs des fidèles, et à la cité céleste, en laquelle Dieu a préparé bénédiction et vie à tousjours Ps. 132.13-15.
C’est la raison pourquoy les Saincts au Vieil Testament ont plus estimé ceste vie mortelle que nous ne devons aujourd’huy faire. Car combien qu’ils cognussent très-bien qu’ils ne se devoyent point arrester à icelle, comme à leur dernier but : néantmoins pource qu’ils réputoyent d’autre part que Dieu leur figuroit en icelle sa grâce, pour les confermer en espoir selon leur petitesse, ils y avoyent plus grande affection que s’ils l’eussent considérée en elle-mesme. Or comme le Seigneur en testifiant sa bénévolence envers les fidèles par des bénéfices terriens, leur figuroit la béatitude spirituelle à laquelle ils devoyent tendre, aussi d’autre part, les peines corporelles qu’il envoyoit sur les malfaiteurs, estoyent enseignes de son jugement futur sur les réprouvez. Parquoy comme les bénéfices de Dieu estoyent lors plus manifestes en choses temporelles, aussi estoyent les vengences. Les ignorans ne considérans point ceste similitude et convenance entre les peines et rémunérations qui ont esté de ce temps-là, s’esmerveillent comment il y a une telle variété en Dieu : c’est puis qu’il a esté si prompt et subit anciennement à se venger rigoureusement des hommes, incontinent qu’ils l’avoyent offensé : comment à présent, comme ayant modéré sa colère, il punit plus doucement et peu souvent. Et peu s’en faut que pour cela ils n’imaginent divers Dieux du Vieil et Nouveau Testament : ce qui mesmes est advenu aux Manichéens. Mais il nous sera aisé de nous délivrer de tous ces scrupules, si nous pensons à la dispensation de Dieu, que nous avons notée : asçavoir que pour le temps auquel il bailloit son alliance au peuple d’Israël aucunement enveloppée, il a voulu signifier et figurer d’une part la béatitude éternelle, qu’il leur promettoit sous ces bénéfices terriens : et de l’autre l’horrible damnation que devoyent attendre les iniques sous peines corporelles.
La seconde différence du Vieil et Nouveau Testament gist aux figures. C’est que le Vieil Testament, du temps que la vérité estoit encores absente, la représentoit par images, et a eu l’ombre au lieu du corps. Le Nouveau contient la vérité présente et la substance : et à icelle se doyvent réduire quasi tous les passages, ausquels le Vieil Testament est opposé au Nouveau par comparaison : combien qu’il n’y ait point de passages où cela soit plus amplement traitté qu’en l’Epistre aux Hébrieux. L’Apostre dispute là contre ceux qui pensoyent toute la religion estre ruinée, si on abolissoit les cérémonies de Moyse. Pour réfuter cest erreur, il prend en premier lieu ce qui avoit esté dit par le Prophète touchant la sacrificature de Jésus-Christ. Car puis que le Père l’a constitué Sacrificateur éternel, il est certain que la sacrificature Lévitique est ostée, en laquelle les uns succédoyent aux autres. Or que ceste prestrise nouvelle soit plus excellente que l’autre, il le prouve, entant qu’elle est establie par serment. Il adjouste puis après, que quand la prestrise a esté ainsi transférée, il y a eu translation d’alliance. D’avantage, il remonstre que cela aussi estoit nécessaire, veu qu’il y avoit telle imbécillité en la Loy, qu’elle ne pouvoit mener à perfection Héb. 7.18-19. Conséquemment il poursuit quelle estoit ceste imbécillité, c’est pource qu’elle avoit des justices extérieures, lesquelles ne pouvoyent rendre leurs observateurs parfaits selon la conscience : veu que le sang des bestes brutes ne peut pas effacer les péchez, ny acquérir vraye saincteté Héb. 9.9. Il conclud doncques qu’il y a eu en la Loy une ombre des biens futurs, non pas une vive présence, laquelle nous est donnée en l’Evangile Héb. 10.1. Nous avons yci à considérer en quel endroit c’est qu’il confère l’alliance légale avec l’alliance évangélique : l’office de Moyse avec celuy de Christ. Car si ceste comparaison se rapportoit à la substance des promesses, il y auroit une grande répugnance entre les deux Testamens : mais puis que nous voyons que l’Apostre tend ailleurs, il nous faut suyvre son intention pour bien trouver la vérité. Mettons doncques au milieu l’alliance de Dieu, laquelle il a une fois faite pour avoir sa durée à tousjours. L’accomplissement auquel elle est ratifiée et confermée, c’est Jésus-Christ : cependant qu’il le faloit attendre, le Seigneur a ordonné par Moyse des cérémonies lesquelles en fussent signes et représentations. Cela doncques estoit en controversie : asçavoir s’il faloit que les cérémonies commandées en la Loy cessassent pour donner lieu à Jésus-Christ. Or combien qu’elles ne fussent qu’accidens ou accessoires du Vieil Testament : toutesfois pource qu’elles estoyent instrumens par lesquels Dieu entretenoit son peuple en la doctrine d’iceluy, elles en portent le nom : comme l’Escriture a coustume d’attribuer aux Sacremens le nom des choses qu’ils représentent. Parquoy en somme le Vieil Testament est yci nommé la manière solennelle dont le Testament du Seigneur estoit confermé aux Juifs, laquelle estoit comprinse en sacrifices et autres cérémonies. Pource qu’en icelles il n’y a rien de ferme ne solide, si on ne passe outre, l’Apostre maintient qu’elles devoyent avoir fin et estre abroguées pour céder à Jésus-Christ, lequel est pleige et Médiateur d’une meilleure alliance Héb. 7.22 : par lequel éternelle sanctification a une fois esté acquise aux esleus, et les transgressons abolies, lesquelles demeuroyent en l’Ancien Testament. Ou bien si quelqu’un aime mieux, nous mettrons ceste définition, que le Vieil Testament a esté la doctrine que Dieu a baillée, au peuple judaïque, enveloppée d’observation de cérémonies, lesquelles n’avoyent point d’efficace ne de fermeté ; à ceste cause qu’il a esté temporel, pource qu’il estoit comme en suspens jusques à ce qu’il fust appuyé sur son accomplissement, et confermé en sa substance : mais que lors il a esté fait nouveau et éternel, quand il a esté consacré et establi au sang de Christ. Pour laquelle cause Christ appelle le calice qu’il donnoit à ses disciples en la Cène, Calice du Nouveau Testament Matth. 26.28 : pour dénoter que quand l’alliance de Dieu est scellée en son sang, lors la vérité en est accomplie : et ainsi est faite alliance nouvelle et éternelle.
De là il appert en quel sens sainct Paul dit, que les Juifs ont esté conduits à Christ par la doctrine puérile de la Loy, devant que luy fust manifesté en chair Gal. 3.24. Il confesse bien qu’ils ont esté enfans et héritiers de Dieu : mais pource qu’ils estoyent comme ’en enfance, il dit qu’ils ont esté sous la charge d’un pédagogue Gal. 4.1. Car c’estoit une chose bien convenable, que devant que le Soleil de justice fust levé, il n’y eust pas si grande clairté de révélation, ne si claire intelligence. Le Seigneur donc leur a tellement dispensé la lumière de sa Parole, qu’ils ne la voyoyent encores que de loin et en obscureté. Pourtant sainct Paul voulant noter une telle petitesse d’intelligence, a usé du mot d’Enfance, disant que le Seigneur les a voulu instruire en cest aage-là par cérémonies, comme par rudimens ou élémens convenans à l’aage puérile, jusques à ce que Christ fust manifesté pour accroistre la cognoissance des siens, les confermant en telle sorte qu’ils ne fussent plus en enfance. C’est la distinction que Jésus-Christ a mise, en disant que la Loy et les Prophètes ont esté jusques à Jehan-Baptiste Matth. 11.13 : que depuis, le royaume de Dieu a esté publié. Qu’est-ce que Moyse et les Prophètes ont enseigné en leur temps ? Ils ont donné quelque goust et saveur de la sagesse qui devoit estre une fois révélée : et l’ont monstrée de loin : mais quand Jésus-Christ peut estre monstre au doigt, le règne de Dieu lors est ouvert ; car en luy sont cachez tous les thrésors de sagesse et doctrine Col. 2.3, pour monter quasi jusques au plus haut du ciel.
Or à cela ne contrevient point, qu’à grand’peine en trouveroit-on un en l’Eglise chrestienne qui soit digne d’estre accomparé à Abraham en fermeté de foy. Item, que les Prophètes ont eu une si grande intelligence, qu’elle suffit encores de présent à illuminer le monde. Car nous ne regardons pas yci quelles grâces nostre Seigneur a conférées à d’aucuns, mais quel ordre il a tenu pour lors : lequel apparoist mesmes en la doctrine des Prophètes, combien qu’ils ayent eu un singulier privilège par-dessus les autres. Car leur prédication est obscure, comme de chose lointaine, et est enclose en figures. D’avantage quelques révélations qu’ils eussent receues, toutesfois pource qu’il leur estoit nécessaire de se submettre à la pédagogie commune de tout le peuple, ils estoyent comprins au nombre des enfans, aussi bien que les autres. Finalement il n’y a jamais eu de ce temps-là si claire intelligence, laquelle ne sentist aucunement l’obscureté du temps. C’est la cause pourquoy Jésus-Christ disoit, Plusieurs Rois et Prophètes ont désiré de veoir les choses que vous voyez, et ne les ont point veues : d’ouyr les choses que vous oyez, et ne les ont point ouyes. Et pourtant bienheureux sont vos yeux de les veoir, et vos aureilles de les ouyr Matth. 13.17 ; Luc 10.24. Et de faict, c’estoit bien raison que la présence de Jésus-Christ eust ce privilège d’apporter plus ample intelligence des mystères célestes au monde, qu’il n’y avoit eu auparavant, à quoy tend ce que nous avons allégué ci-dessus de la première Epistre de sainct Pierre : c’est qu’il leur a esté notifié que leur labeur estoit principalement utile à nostre temps 1Pi. 1.6, 10-12.
Venons maintenant à la troisième différence, laquelle est prinse de Jérémie, duquel les paroles sont : Voyci les jours viendront, dit le Seigneur, que je feray une alliance nouvelle avec la maison d’Israël et de Juda : non pas selon celle que j’ay faite avec vos Pères, au jour que je les prins par la main pour les retirer de la terre d’Egypte : car ils l’ont cassée et anéantie combien qu’ils fussent en ma seigneurie : mais l’alliance que je feray avec la maison d’Israël sera telle : J’escriray ma Loy en leurs entrailles, et l’engraveray en leur cœur, et leur seray propice à remettre leurs offenses. Lors un chacun n’enseignera point son prochain : car tous me cognoistront depuis le plus grand jusques au plus petit Jér. 31.31-34. De ce passage, sainct Paul a prins occasion de faire la comparaison qu’il fait entre la Loy et l’Evangile, en appelant la Loy, Doctrine litérale, prédication de mort et de damnation, escrite en tables de pierre : l’Evangile, Doctrine spirituelle de vie et de justice, engravée aux cœurs 2Cor. 3.6-7. D’avantage que la Loy doit estre abolie, et que l’Evangile sera toujours permanent. Veu que l’intention de sainct Paul a esté d’exposer le sens du Prophète, il nous suffira de considérer les paroles de l’un, pour les entendre tous deux : combien qu’ils diffèrent aucunement ensemble. Car l’Apostre parle plus odieusement de la Loy que le Prophète. Ce qu’il fait, non pas regardant simplement la nature d’icelle : mais pource qu’il y avoit d’aucuns brouillons qui par un zèle désordonné qu’ils avoyent aux cérémonies, s’efforçoyent d’obscurcir la clairté de l’Évangile, il est contraint d’en disputer selon leur erreur et folle affection. Il nous faut doncques noter cela de particulier en sainct Paul. Quant est de la convenance qu’il a avec Jérémie, pource que l’un et l’autre opposoit le Vieil Testament au Nouveau, ils ne considèrent rien tous deux en la Loy, sinon ce qui est du propre d’icelle. Exemple : La Loy contient çà et là promesses de la miséricorde de Dieu : mais pource qu’elles sont prinses d’ailleurs, elles ne vienent point en conte, quand il est question de la nature de la Loy, seulement ils luy attribuent de commander les choses qui sont bonnes et justes, défendre toute meschanceté, promettre rémunération aux observateurs de justice, menacer les pécheurs de la vengence de Dieu sans qu’elle puisse changer ou corriger la perversité qui est naturellement en tous hommes.
Maintenant exposons membre à membre la comparaison que met l’Apostre : Le Vieil Testament, selon son dict, est litéral, pource qu’il a esté publié sans l’efficace du sainct Esprit : Le Nouveau est spirituel pource que le Seigneur l’a engravé au cœur des siens. Pourtant la seconde opposition qu’il fait est pour déclairer la première : c’est que le Vieil Testament est mortel, d’autant qu’il ne peut sinon envelopper en malédiction tout le genre humain : le Nouveau est instrument de vie, pource qu’en nous délivrant de malédiction, il nous remet en la grâce de Dieu. A une mesme fin tend ce qu’il dit après, que le premier est ministère de damnation : pource qu’il monstre tous les enfans d’Adam estre coulpables d’iniquité : le second est ministère de justice, pource qu’il nous révèle la miséricorde de Dieu, en laquelle nous sommes justifiez. Le dernier membre se doit rapporter aux cérémonies : car pource qu’elles estoyent images des choses absentes, il a falu qu’elles se soyent esvanouyes avec le temps : pource que l’Evangile contient le corps, sa fermeté dure à tousjours. Jérémie appelle bien aussi la Loy morale une alliance infirme et fragile : mais c’est pour autre raison, asçavoir pource que par l’ingratitude du peuple elle a esté incontinent rompue et cassée : mais pource que ceste violation vient d’un vice de dehors, il ne se doit point proprement attribuer à la Loy. Aussi pource que les cérémonies par leur propre infirmité ont esté abroguées à l’advénement de Christ, elles contienent en soy la cause de leur abrogation. Or ceste différence qui est mise de la letre et de l’Esprit, ne se doit pas entendre comme si le Seigneur eust anciennement baillé sa Loy aux Juifs sans fruit ni utilité, ne convertissant personne à soy : mais cela est dit par comparaison, pour plus magnifier l’affluence de grâce, de laquelle il a pleu au mesme Législateur, comme s’il se fust revestu d’une nouvelle personne, orner la prédication de l’Evangile pour honorer le règne de son Christ. Car si nous réputons la multitude laquelle il a recueillie de diverses nations par la prédication de son Evangile, en la régénérant par son Esprit, nous trouverons que le nombre de ceux qui ont receu la doctrine de la Loy en vraye affection de cœur, estoit si petit au pris, qu’il n’y a point de comparaison ; combien qu’à la vérité si on regarde le peuple d’Israël sans considérer l’Eglise chrestienne, il y a eu lors beaucoup de vrais fidèles.
La quatrième différence dépend et sort de la tierce : car l’Escriture appelle le Vieil Testament, Alliance de servitude, pource qu’il engendre crainte et terreur aux cœurs des hommes : le Nouveau, de liberté, pource qu’il les conferme en seureté et fiance. En ceste manière parle sainct Paul en l’Epistre aux Romains, disant, Vous n’avez point receu derechef l’Esprit de servitude en crainte : mais l’Esprit d’adoption par lequel nous crions Abba, Père Rom. 8.1. C’est aussi ce que veut signifier l’autheur de l’épistre aux Hébrieux quand il dit que les fidèles ne sont point venus maintenant à la montagne visible de Sinaï, où on ne voye que feu, tonnerres, tempestes, esclairs : comme le peuple d’Israël n’y voyoit rien qui ne luy causast horreur et estonnement, en telle sorte que Moyse mesmes en estoit espovanté : et que Dieu ne parle point à eux d’une voix terrible, comme il faisoit lors : mais qu’ils sont venus en la montagne céleste de Sion, et en Jérusalem cité de Dieu vivant, pour estre en la compagnie des Anges Héb. 12.18-22, etc. Ceste sentence, laquelle est briefvement touchée au lieu que nous avons allégué de l’Epistre aux Romains, est plus amplement exposée en l’Epistre aux Galatiens, où sainct Paul fait une allégorie des deux enfans d’Abraham en ceste manière : c’est que Hagar chambrière est figure de la montagne de Sinaï, où le peuple d’Israël a receu la Loy : Sara maistresse, est figure de Jérusalem, dont procède l’Evangile. Comme la lignée d’Hagar est serve et ne peut venir à l’héritage : au contraire la lignée de Sara est libre, et doit venir à hériter, ainsi que la Loy ne peut engendrer en nous que servitude, qu’il n’y a que l’Evangile qui nous régénère en liberté Gal. 4.22. La somme revient là, que le Vieil Testament a esté pour estonner les consciences, et que par le Nouveau joye et liesse leur est donnée : que le premier a tenu les consciences estreintes et enserrées au joug de servitude, le second les délivre et affranchit en liberté. Si on objecte les Pères de l’Ancien Testament, en alléguant que puis qu’ils ont eu un mesme Esprit de foy que nous, il s’ensuit qu’ils ont esté participans d’une mesme liberté et joye : à cela nous respondons qu’ils n’ont eu ne l’un ne l’autre par le bénéfice de la Loy, mais plustost se voyans estre par icelle tenus captifs en servitude et trouble de conscience, ils ont eu leur recours en l’Evangile. Dont il appert que c’a esté un fruit particulier du Nouveau Testament, qu’ils ont esté exempts de ceste misère. D’avantage, nous nierons qu’ils ayent eu si grande liberté ou asseurance, qu’ils n’ayent gousté aucunement la crainte et servitude que la Loi causoit. Car combien qu’ils jouyssent du privilège qu’ils avoyent obtenu par l’Evangile, si estoyent-ils sujets communément avec les autres à toutes les observations, charges et liens qui estoyent pour lors. Puis doncques qu’ainsi est qu’ils estoyent contraints d’observer les cérémonies lesquelles estoyent comme enseignes de la pédagogie, que sainct Paul dit estre semblable à servitude, pareillement scédules par lesquelles ils se confessoyent estre coulpables devant Dieu, sans s’acquitter de leurs debtes : c’est à bon droict qu’au pris de nous ils sont dits avoir esté sous le Testament de servitude, quand on regarde l’ordre et manière de faire que tenoit lors le Seigneur envers le peuple d’Israël.
Les trois comparaisons dernières sont de la Loy et de l’Evangile. Parquoy en icelles, sous le nom du Vieil Testament il nous faut entendre la Loy, comme par le Nouveau Testament est signifié l’Evangile. La première que nous avons mise s’estendoit plus loin : car elle comprenoit en soy aussi bien l’estat des Pères anciens qui a esté devant la Loy. Or ce que sainct Augustin nie, que les promesses de ce temps-là soyent comprinses sous l’Ancien Testament[a] son opinion est en cela bonne. Et n’a voulu autre chose dire, que ce que nous enseignons. Car il regardoit à ces sentences que nous avons alléguées de Jérémie et de sainct Paul, ausquelles le Vieil Testament est opposé à la doctrine de grâce et de miséricorde. C’est aussi très-bien parlé à luy, quand il adjouste que tous les fidèles qui ont esté régénérez de Dieu dès le commencement du monde, et ont suyvi sa volonté en foy et en charité, appartienent au nouveau Testament : et qu’ils ont eu leur espérance fichée, non pas en biens charnels, terriens et temporels : mais spirituels, célestes et éternels. Singulièrement qu’ils ont creu au Médiateur, par lequel ils ne doutoyent pas que le sainct Esprit ne leur fust donné pour bien vivre, et qu’ils n’obteinssent pardon toutesfois et quantes qu’ils auroyent péché. C’est ce que j’ay voulu prétendre : asçavoir que tous les saincts, lesquels nous lisons en l’Escriture avoir esté esleus de Dieu depuis le commencement du monde, ont esté participans avec nous des mesmes bénédictions qui nous sont données en salut éternel. Il y a seulement ceste différence entre la division que j’ay mise et celle de sainct Augustin : que j’ay voulu distinguer entre la clairté de l’Evangile, et l’obscureté qui avoit esté auparavant, suyvant ceste sentence de Christ, où il dit que la Loy et les Prophètes ont esté jusqu’à Jehan-Baptiste et que de là le Royaume de Dieu a commencé à estre presché Matth. 11.13. Luy s’est contenté de distinguer entre l’infirmité de la Loy et la fermeté de l’Evangile. Il nous faut aussi noter cela des anciens Pères, qu’ils ont tellement vescu sous l’Ancien Testament, qu’ils ne s’y sont point arrestez, mais ont tousjours aspiré au Nouveau : et mesmes y ont participé en vraye affection de cœur. Car tous ceux qui se contentons des ombres extérieures, n’ont point eslevé leur entendement à Christ, sont condamnez d’aveuglement et de malédiction par l’Apostre. Et de faict, quel aveuglement plus grand pourroit-on imaginer, que d’espérer purgation de ses péchez de la mort d’une beste brute ? ou chercher le lavement de son âme en l’aspersion corporelle d’eau ? que de vouloir appaiser Dieu en cérémonies qui sont de nulle importance, comme s’il s’y délectoit beaucoup ? encores que nous nous taisions de beaucoup d’autres choses semblables. Or tous ceux qui sans regarder Christ, s’amusent en observations extérieures de la Loy, tombent en telle absurdité.
[a] Ad Bonifac., lib. III, cap. IV.
La cinquième différence que nous avons dit pouvoir estre adjoustée, gist en ce que jusques à l’advénement de Christ, Dieu avoit ségrégé un peuple, auquel il avoit commis l’alliance de sa grâce. Quand le Dieu tout-puissant distribuoit les peuples, dit Moyse, quand il divisoit les enfans d’Adam, son peuple luy est escheu en partage : Jacob a esté son héritage Deut. 32.8-9. En un autre lieu il parle ainsi au peuple, Voyci le ciel et la terre, et toutes choses qui y sont contenues appartienent à ton Dieu. Et néantmoins il s’est conjoinct avec tes Pères, et les a aimez, pour eslire leur semence après eux d’entre tous les autres peuples Deut. 10.14-15. Nostre Seigneur doncques a fait cest honneur à ce peuple-là seul, de se donner à cognoistre-à luy, comme s’il luy eust plus appartenu que les autres. Il luy a commis son alliance : il a manifesté la présence de sa divinité au milieu de luy, et l’a exalté en tous autres privilèges. Mais laissons là les autres bénéfices qu’il luy a faits : contentons-nous doncques de celuy dont il est question, c’est qu’en luy communiquant sa Parole, il s’est conjoinct à luy pour estre appelé et estimé son Dieu. Ce pendant il laissoit cheminer toutes les autres nations en vanité et erreur Actes 14.16, comme si elles n’avoyent nulle accointance avec luy, et ne leur donnoit point le remède par lequel il leur pouvoit subvenir : asçavoir la prédication de sa Parole. Parquoy Israël lors estoit nommé le fils délicat de Dieu : tous les autres estoyent tenus pour estrangers. Il estoit dit estre cognu de Dieu, et receu en sa sauvegarde et tutelle : les autres estre délaissez en leurs ténèbres. Il estoit dit estre sanctifié à Dieu : les autres profanes. Il estoit dit avoir esté honoré par la présence de Dieu : les autres en estre exclus. Mais quand la plénitude du temps est venue, laquelle avoit esté ordonnée pour réparer toutes choses : quand, dy-je, le Médiateur de Dieu et des hommes a esté manifesté ayant rompu la paroy qui avoit long temps tenu la miséricorde de Dieu enclose en un peuple Gal. 4.4 ; Eph. 2.14 : il a fait que la paix a esté annoncée à ceux qui estoyent loing, aussi bien qu’à ceux qui estoyent près : afin qu’estans tous ensemble réconciliez à Dieu, ils fussent unis en un corps. Pourtant il n’y a plus de considération de Juif ne de Grec, de Circoncision ne de Prépuce : mais Christ est tout en tous, auquel tous peuples de la terre ont esté donnez en héritage, et les fins du monde en seigneurie : afin que sans distinction il domine depuis une mer jusques à l’autre, depuis Orient jusques en Occident Gal. 6.15 ; Ps. 2.8 ; 72.8.
Pourtant la vocation des Gentils est encores une marque notable, par laquelle est démonstrée l’excellence du Nouveau Testament par-dessus le Vieil. Elle avoit bien esté prédite et testifiée anciennement par plusieurs Prophéties : mais c’estoit en telle sorte que l’accomplissement en estoit remis à la venue du Messias. Mesmes Jésus-Christ au commencement de sa prédication n’a pas voulu faire ouverture aux Gentils : mais a différé leur vocation jusques à ce que s’estant acquitté de tout ce qui appartenoit à nostre rédemption, et ayant passé le temps de son humilité il eust receu du Père un Nom qui est par-dessus tous noms : afin que tout genouil se fleschist devant luy Phil. 2.9. C’est la cause pourquoy il disoit à la Cananée, qu’il n’estoit point venu sinon pour les brebis perdues de la maison d’Israël, et que lors qu’il envoya premier ses Apostres, il leur défendit de passer ces limites : N’allez point vers les Gentils, et n’entrez point aux villes des Samaritains : mais allez plustost aux brebis perdues de la maison d’Israël Matth. 15.24 ; 10.5 ; car la saison que nous avons dite n’estoit pas encores venue. Qui plus est, combien que la vocation des Gentils eust esté démonstrée par tant de tesmoignages, toutesfois quand il a falu commencer, elle sembloit si nouvelle et estrange aux Apostres, qu’ils la craignoyent comme un prodige. Certes ils s’y sont employez avec grande difficulté ; et n’est point de merveille : car il ne sembloit advis que ce fust chose raisonnable, que Dieu qui avoit de si long temps ségrégé Israël des autres nations, subitement, comme ayant changé de propos, ostast une telle distinction. Cela avoit bien esté prédit par les Prophètes : mais ils ne pouvoyent pas estre si attentifs à escouter les Prophéties, que la nouveauté ne les esmeust bien fort. Les exemples que Dieu avoit au paravant donnez pour monstrer ce qu’il devoit faire : n’estoyent point suffisans pour les délivrer des scrupules. Car il avoit appelé bien peu de Gentils à son Eglise : et d’avantage en les appelant il les avoit incorporez par la Circoncision au peuple d’Israël, à ce qu’ils fussent comme de la famille d’Abraham. Or par la vocation publique des Gentils, qui a esté faite par l’ascension de Jésus-Christ, non-seulement ils ont esté eslevez en mesme degré d’honneur que les Juifs, mais qui plus est, ils ont esté substituez en leur lieu. Il y a encores outreplus, que jamais les estrangers que Dieu avoit incorporez, n’avoyent esté égalez aux Juifs. Et pourtant sainct Paul ne magnifie pas tant sans cause ce mystère, lequel il dit avoir esté caché en tous aages, et mesmes estre admirable aux Anges Col. 1.26.
Je pense avoir deuement et fidèlement comprins en ces quatre ou cinq membres toute la différence du Vieil et Nouveau Testament, autant qu’il en estoit mestier pour en donner une doctrine simple et pure. Mais pource que d’aucuns allèguent pour une grande absurdité, la diversité qui est entre le gouvernement de l’Eglise chrestienne et celuy de l’Eglise d’Israël : Item, la diverse façon d’enseigner, et le changement des cérémonies : il leur faut donner quelque response devant que passer outre ; ce qui se peut faire briefvement, d’autant que leurs objections ne sont pas si fortes ne si urgentes, qu’il fale mettre grand’peine à les réfuter. Ce n’est pas, disent-ils, une chose convenable, que Dieu, qui doit estre tousjours semblable à soy-mesme, ait ainsi changé de propos, que ce qu’il avoit une fois commandé, il l’ait réprouvé puis après. Je respon que Dieu ne doit point estre estimé muable en ce qu’il a accommodé diverses façons à divers temps, selon qu’il cognoissoit estre expédient. Si un laboureur ordonne à ses serviteurs autres ouvrages en hyver qu’en esté, nous ne l’arguerons pas toutesfois par cela d’inconstance : et ne dirons pas qu’il se desvoye de la droicte voye d’agriculture, laquelle, dépend de l’ordre perpétuel de nature. Semblablement si un homme instruit, gouverne et traitte ses enfans autrement en leur jeunesse qu’en leur enfance : puis qu’il change encores de façon quand ils seront venus en aage d’homme, nous ne dirons pas pourtant qu’il soit léger ou variable. Pourquoy doncques noterons-nous Dieu d’inconstance, de ce qu’il a distingué la diversité des temps par certaines marques, lesquelles il cognoissoit estre convenables et propres ? La similitude seconde nous doit bien contenter. Sainct Paul fait les Juifs semblables à petis enfans : les Chrestiens à jeunes gens Gal. 4.1-2. Quel inconvénient ou désordre y a-il en ce régime que Dieu a exercé les Juifs en rudimens propres à leur temps, comme à temps d’enfance, et que maintenant il nous instruit en une doctrine plus haute, et comme plus virile ? Ainsi la constance de Dieu se démonstre en cela, qu’il a ordonné une mesme doctrine à tous siècles. Le service qu’il a requis dés le commencement, il continue encores maintenant à le requérir. Touchant de ce qu’il a changé la forme et manière extérieure, en cela il ne s’est point démonstré sujet à mutation : mais il s’est bien voulu accommoder jusques-là à la capacité des hommes, laquelle est muable.
Mais ils répliquent encores : D’où vient ceste diversité, sinon que Dieu a voulu qu’elle fust telle ? Ne pouvoit-il pas bien tant au paravant l’advénement de Christ qu’après, révéler la vie éternelle en paroles claires et sans aucune figure ? Ne pouvoit-il pas instruire les siens en Sacremens évidens ? Ne pouvoit-il pas eslargir son sainct Esprit en telle abondance ? Ne pouvoit-il pas espandre sa grâce par tout le monde ? Or tout cela est autant comme s’ils plaidoyent contre Dieu, de ce qu’il a créé le monde si tard, comme ainsi soit qu’il l’eust peu faire dés le commencement : aussi de ce qu’il a mis différence entre les saisons de l’année, comme entre l’hyver et l’esté : Item, entre le jour et la nuict. Quant à nous, faisons ce que doyvent faire tous vrais fidèles, c’est de ne douter que tout ce que Dieu a fait, ne soit bien fait et sagement : encores que nous ne sçachions pas la cause pourquoy. Car ce seroit une trop folle arrogance à nous de ne point concéder à Dieu, qu’il sçache les raisons de ses œuvres, lesquelles nous soyent cachées. Mais c’est merveilles, disent-ils, que Dieu rejette maintenant les sacrifices des bestes et toute la pompe de la prestrise lévitique, qu’il a autresfois eus à plaisir. Voire, comme si Dieu se délectoit de ces choses extérieures et caduques, ou comme si jamais il s’y fust arresté. Nous avons desjà dit qu’il n’a rien fait de tout cela à cause de soy-mesme : mais qu’il a ordonné le tout pour le salut des hommes. Si un médecin usoit de quelque remède pour guairir un jeune homme, et puis que l’ayant à panser en sa vieillesse il usast d’une autre façon, dirions-nous pourtant qu’il réprouvast la forme qu’il avoit desjà tenue, ou qu’elle luy despleust ? Au contraire, il respondra qu’il a tousjours une mesme reigle, mais qu’il a regard à l’aage. Ainsi il a esté expédient que Jésus-Christ estant encores absent fust figuré par divers signes pour annoncer sa venue, que ne sont pas ceux qui nous représentent maintenant qu’il est venu. Touchant de la vocation de Dieu et de sa grâce qui a esté espandue plus amplement qu’elle n’avoit esté au paravant, et que l’alliance de salut a esté faite avec tout le monde, laquelle n’estoit donnée qu’au peuple d’Israël : je vous prie, qui est-ce qui contredira que ce ne soit raison que Dieu dispense librement ses grâces, et selon son bon plaisir ? qu’il puisse illuminer les peuples qu’il voudra ? qu’il face prescher sa Parole où bon luy semblera ? qu’il en face sortir tel fruit, et si grand et si petit qu’il voudra ? que quand il luy plaist il se puisse donner à cognoistre au monde par sa miséricorde, et retirer sa cognoissance qu’il avoit donnée, à cause de l’ingratitude des hommes ? Nous voyons doncques que ce sont trop vilenes calomnies, que toutes les objections dont les infidèles usent pour troubler les simples, afin de mettre en doute la justice de Dieu, ou la vérité de l’Escriture.