« Nulli dubium est gemino pondere nos impelli ad discendum, auctoritatis atque rationisa ». Ces paroles de saint Augustin nous le montrent distinguant, suivant la source qui les produit, deux genres différents de connaissance, la science et la foi ; car la foi, remarque-t-il, est précisément l’adhésion que nous donnons à des vérités que notre esprit ne perçoit pas directement, sur l’autorité d’un témoignage qui nous les certifie.
a – Contra academicos, iii, 43.
Or il y a une foi naturelle, et qui a pour objet les vérités d’ordre profane qu’il faut bien croire sous peine de rendre impossible toute société entre les hommes, et une foi surnaturelle des vérités révélées par Dieu. Où saint Augustin ira-t-il chercher cette révélation divine ? D’abord dans l’Écriture Sainte. C’est Jésus-Christ en effet qui a « parlé par la bouche des prophètes et conduit la plume des apôtres » ; ces livres des apôtres sont des écrits de Jésus-Christ même. Dieu est le vrai auteur des Livres Saints, et c’est pourquoi ils ne sauraient contenir d’erreurs : « Quam (Scripturam) esse veracem nemo dubitat nisi infidelis aut impius ». Celles qu’on y croit rencontrer sont des fautes de copie ou de traduction, ou encore viennent de ce que l’on comprend mal le texte.
Non pas que l’évêque d’Hippone exclue de la rédaction et de la composition des écrits inspirés toute collaboration et toute part humaine ; il va, au contraire, jusqu’à admettre chez leurs auteurs secondaires des oublis, des confusions de noms possibles ; mais il ajoute que ce sont là des accidents sans portée, voulus de Dieu, qui ne nuisent pas au fond du récit, et qui n’empêchent pas qu’on ne doive aux Écritures et à elles seules — par opposition aux apocryphes et aux livres profanes — un assentiment absolu : « Solis canonicis (scriptis) debeo sine ulla recusatione consensum ».
Cette Écriture, saint Augustin l’interprète d’ailleurs assez librement. On sait qu’il a hasardé — sans l’adopter pourtant d’une façon définitive — une théorie de la pluralité des sens littéraux, en vertu de laquelle toute interprétation pieuse et utile du texte serait un sens littéral voulu par le Saint-Esprit, auteur premier du texte. Ses interprétations doctrinales à lui sont souvent pénétrantes et justes, mais quelquefois aussi plus ingénieuses que solides. Elève des néoplatoniciens et d’ailleurs porté, par la subtilité de son esprit, à l’allégorisme et au mysticisme, il donne, dans sa prédication surtout, libre cours à ces tendances et délaisse volontiers l’exégèse littérale, pour chercher, dans des explications plus raffinées, des thèmes de morale et d’édification.
A côté de l’Écriture, d’autre part, et comme source de la doctrine révélée, saint Augustin met la tradition, une tradition non écrite qui vient des apôtres, et qui nous a transmis des coutumes et des enseignements que l’Écriture ne contient pas : « Sunt multa quae universa tenet ecclesia, et ob hoc ab apostolis praecepta bene creduntur, quanquam scripta non reperiantur ». De ce nombre est la nécessité du baptême pour les enfants. Quand une coutume est universelle et n’a pas d’ailleurs été instituée par un concile, c’est un signe qu’elle vient des apôtres (De baptismo 4.31).
Saint Augustin n’identifie pas cette tradition avec l’autorité vivante de l’Église ; mais il reconnaît celle-ci comme la règle suprême et la norme de la foi. On se souvient du texte classique : « Ego vero evangelio non crederem, nisi me catholicae Ecclesiae commoveret auctoritas ». C’est de l’Église que nous recevons les Écritures ; elle nous garantit leur autorité, et son enseignement est le guide que nous devons suivre dans l’interprétation et des Écritures et de la tradition. Par ses conciles elle tranche toutes les controverses. Une part de ce magistère doctrinal de l’Église revient d’ailleurs à ses évêques et à ses docteurs pris individuellement. L’évêque d’Hippone ne manque pas, dans sa lutte contre les pélagiens, de citer les auteurs anciens jusqu’à saint Ambroise qui sont avec lui.
Quel rôle est réservé à la philosophie dans la genèse de la foi et le développement de la théologie ? Saint Augustin l’a résumé dans cette formule : « Intellege ut credas, crede ut intellegas ». Il réclame, avant la foi, un examen des titres du témoin à être cru sur parole ; il faut avant tout considérer « cui sit credendum », et à ce point de vue, « ipsa (ratio) antecedit fidem ». Cette conscience de la valeur du témoignage persiste dans l’acte de foi ; mais, dès que cette valeur est perçue, on ne doit pas attendre, pour croire, que la raison ait résolu toutes les difficultés qui se peuvent soulever. A son tour cependant, une fois admises les vérités révélées, la raison reprend, dans une certaine mesure, ses droits pour tâcher non pas de les comprendre complètement, mais de les pénétrer, d’en voir la convenance et l’harmonie, d’en saisir, s’il est possible, le bien-fondé. Ici surtout apparaît la philosophie. Saint Augustin s’en est largement servi pour éclairer certains mystères, celui par exemple de la Trinité. Platonicien, ou plutôt néoplatonicien enthousiaste, bien que subordonnant la philosophie à la foi et aux enseignements de l’Église, il s’est appliqué à montrer l’accord existant entre cette philosophie et plusieurs des données de l’Évangile, et a cru même retrouver chez elle plusieurs de nos mystères, en particulier celui du Verbe chrétien. Plus tard cependant son enthousiasme diminua, et vers la fin de sa vie il rétracta plusieurs des opinions philosophiques qu’il avait émises. Mais ce qu’il n’a jamais rétracté, c’est l’habitude de raisonner sa foi, et le goût de montrer combien les vérités chrétiennes sont en harmonie avec ce qu’il y a en l’homme de plus noble et de plus élevé.