La mention de l’extrême-onction, que nous avons rencontrée au commencement du ve siècle sous la plume du pape Innocent Ier écrivant à Decentius, se retrouve plus fréquemment à mesure que l’on descend dans le haut moyen âge, et presque toujours avec rappel du texte de Jacques.5.14-15, où l’on voit cette cérémonie clairement indiquée : « Quoties aliqua infirmitas supervenerit, écrit saint Césaire, corpus et sanguinem Christi ille qui aegrotat accipiat : et inde corpusculum suum ungat ; ut illud quod scriptum est impleatur in eo, Infirmatur aliquis, inducat presbyteros, et orent super eum ungentes eum oleo ; et oratio fidei salvabit infirmum, et alleviabit eum Dominus ; et si in peccatis sit, dimittentur ei. » Des textes analogues reparaissent dans Cassiodore, dans Sonnatius de Reims (600-631), dans saint Éloi de Noyon (640-659), Bède, Ecgbert d’York, saint Boniface de Mayence. On remarquera que Bède présente cette cérémonie comme un usage reçu dans l’Église de son temps : « nunc Ecclesiae consuetudo tenet » ; mais que, d’autre part, il observe, à la suite du pape Innocent Ier à qui il se réfère, que les fidèles peuvent eux-mêmes s’oindre ainsi de l’huile des infirmes, encore que cette huile doive être nécessairement consacrée par les évêques. Saint Boniface, dans le statut mentionné plus haut, prescrit à tous ses prêtres d’avoir avec eux de cette huile, et de prévenir les fidèles qu’ils aient à réclamer leur ministère en cas de maladie.
Saint Léon donne au sacerdoce le nom de sacramentum, mais sans préciser le sens qu’il attribue à ce mot. Au ve et au vie siècle, le nombre des ordres est depuis longtemps fixé dans l’Église latine, bien qu’on semble ne pas s’accorder sur la dignité respective des ordres mineurs. Les Statuta Ecclesiae antiqua (90-98) présentent la hiérarchie actuelle, episcopus, presbyter, diaconus, subdiaconus, acolythus, exorcista, lector, ostiarius, [psalmista id est cantor]. Saint Isidore, dans ses Etymologies, la répète, sauf qu’il met le chantre avant le portier ; mais dans son De ecclesiasticis officiis, il en traite dans l’ordre suivant : l’évêque, le prêtre, le diacre, le sous-diacre, le lecteur, le psalmiste, l’exorciste, l’acolythe, le portier. Il remarque d’ailleurs, avec les Statuta, que les chantres ou psalmistes n’étaient pas proprement ordonnés, mais pouvaient être délégués à leur office par un simple prêtre.
On trouve dans les mêmes Statuta que je viens de mentionner les cérémonies à observer pour la collation des ordres, et de plus, pour les trois derniers, les formules à réciter. C’est l’ordo gallican que l’on comparera avec celui que donne saint Isidore dans le De ecclesiasticis officiis, et qui s’est combiné avec l’ordo romain pour devenir le pontifical actuel.
Sur les divers degrés de la hiérarchie d’ailleurs, mais surtout sur les degrés supérieurs, les documents de cette période, et entre autres les lettres des papes et les textes des conciles contiennent de nombreuses prescriptions disciplinaires dans lesquelles on n’a pas à entrer ici. Notons seulement que la continence, imposée aux évêques, prêtres et diacres dès le ive siècle, ne paraît pas l’avoir été aux sous-diacres avant le ve. La lettre de saint Léon à Anastase de Thessalonique est peut-être le premier témoin de cette discipline, discipline romaine qui ne fut pas immédiatement appliquée partout.
La question la plus importante qui, à l’époque où nous sommes, se pose à propos des ordinations, est celle de leur réitération. Que penser de la valeur des ordinations conférées par les hérétiques ou les schismatiques, ou de celles faites contre les canons ? A cette question la réponse, d’après la théologie augustinienne, n’est pas douteuse. Ces ordinations, bien qu’illicites, sont valides, et si le sujet ordonné doit conserver sa charge, il ne faut pas le réordonner. C’est bien en ce sens que répond saint Léon aux évêques de la Mauritanie césarienne, en 446. C’est en ce sens encore que le pape Pélage écrit à l’occasion de la consécration de Paulin d’Aquilée, en 557, par l’évêque schismatique de Milan, Vitalis, et à l’occasion de la fuite d’un autre Paulin, évêque schismatique de Fossombreuse, en Tuscie. Si Pélage ne mesure pas assez ses expressions, sa pensée cependant n’est pas douteuse. Mais, dans les siècles suivants, les préjugés, l’ignorance et la passion obscurcirent manifestement la doctrine que le génie d’Augustin avait éclaircie. Les grecs, on l’a vu, inclinaient à rejeter les ordinations des hérétiques. Dans le conflit qui divisa, au vie et au viie siècle, les églises anglo-saxonnes et bretonnes, le moine cilicien Théodore, devenu archevêque de Cantorbéry, n’hésita pas à appliquer les principes dont il avait été imbu dans sa jeunesse, et s’en fit une arme contre ceux qu’on appelait hérétiques quartodecimans, c’est-à-dire contre le clergé bretona. Ceadda, northumbrien de naissance, avait été ordonné évêque d’York par l’évêque de Winchester assisté de deux évêques bretons : Théodore le fit déposer et, regardant comme nulles les ordinations qu’il avait reçues, les lui fit toutes renouveler avant d’en faire un évêque de Lichfield. En même temps, il insérait dans son pénitentiel la prescription 26 : « Si quis ab ereticis ordinatus sit, iterum debet ordinari. » Une brèche plus grave encore fut faite dans les principes augustiniens par le concile romain de 769, qui déclara nulles toutes les ordinations faites par le pape Constantin, usurpateur il est vrai, mais véritablement évêque, et obligea ceux qu’il avait ordonnés à recevoir de nouveau l’ordination, dans le cas où ils seraient choisis pour les fonctions auxquelles Constantin les avait élevés. Ces faits et les formules exagérées de Pélage dont j’ai parlé jetèrent dans la pensée théologique, sur la question de la validité des ordinations conférées par les hérétiques et les schismatiques, un trouble qui ne fit que s’accroître dans les siècles suivants, et dont elle fut bien longtemps à se délivrer.
a – Une des particularités des églises bretonnes était de célébrer la fête de Pâques suivant un vieux comput romain de 343, abandonné à Rome depuis longtemps, mais qui n’avait rien à voir avec l’ancien comput quartodéciman : on n’en traitait pas moins ceux qui le suivaient d’hérétiques quartodécimans.
On a vu plus haut que saint Augustin avait déjà donné au mariage chrétien, en tant que figure de l’union de Jésus-Christ et de son Église, et en considération de son indissolubilité, le nom de sacramentum. Cette expression, empruntée à saint Paul, se retrouve, nous l’avons dit aussi, sous la plume de Salvien : connubii sacramenta, venerabilis connubii sacramenta ; et saint Isidore l’explique : « Sacramentum autem ideo inter coniugatos dictum est, quia sicut non potest Ecclesia dividi a Christo, ita et uxor a viro. Quod ergo in Christo et in Ecclesia hoc in singulis quibusque viris atque uxoribus cuniunctionis inseparabile sacramentum est. »
C’est donc du symbolisme du mariage que saint Isidore, à la suite de saint Augustin, conclut à son indissolubilité. Cette indissolubilité en général est proclamée par Innocent Ier dans sa réponse à saint Exupère de Toulouse, par saint Léon dans sa réponse à Nicetas d’Aquilée, et par saint Grégoire. En dehors du cas d’adultère, il est absolument interdit aux époux de se séparer. Mais dans le cas d’adultère, l’innocent peut-il répudier le coupable et se remarier, et le coupable lui-même est-il libre de se remarier ? A propos de cette question, il faut s’attendre à trouver dans la théologie de Théodore de Cantorbéry des traces de son éducation grecque, comme on en a trouvé dans la question des réordinations. Ces traces sont visibles en effet. Parmi les Dicta Theodori, nous rencontrons les suivants : 66, « Si cuius uxor fornicata fuit, licet dimittere eam et aliam accipere » ; 67, « Mulieri non est licitum virum suum dimittere licet fornicator, nisi forte pro monasterio. Basilius iudicavit » ; 70, « Si mulier discesserit a viro suo dispiciens eum, et nolens ad eum revertere et reconciliare cum illo viro suo, post V annos cum sensu episcopi aliam accipere licebit ». Et encore, 82, « Si vir dimiserit uxorem propter fornicationem, si prima fuerit, licitum est ut aliam accipiat uxorem ; illa vero, si voluerit penitere peccata sua, post quinque annos alium virum accipiat. »
Ces décisions dictées ou inspirées par l’archevêque de Cantorbéry ne paraissent pas cependant, même en Angleterre, avoir eu une fortune universelle. Bède mentionne un concile de Herulford, tenu en 673, dont le dixième canon porte : « Nullus coniugem propriam, nisi, ut sanctum evangelium docet, fornicationis causa, relinquat. Quod si quisquam propriam expulerit coniugem legitimo sibi matrimonio cuniunctam, si christianus esse recte voluerit, nulli alteri copuletur ; sed ita permaneat, aut propriae reconcilietur coniugi. » A plus forte raison, ne se firent-elles point accepter des églises du continent. A Rome, la doctrine était fixée. En Afrique, un concile de Carthage de 407 avait consacré la solution augustinienne. En Espagne, saint Isidore la reproduisait, faisant écho au concile d’Elvire (v. 305), qui déjà interdisait à la femme dont l’époux était adultère, de se remarier. En Gaule, le concile d’Arles de 314 avait déclaré que les jeunes époux séparés de leurs femmes pour cause d’adultère de ces dernières devaient être exhortés à ne pas se remarier. Cette sévérité ne put que s’accentuer davantage avec saint Césaire. Toutefois, au nord de la France, la doctrine, influencée sans doute par les usages antérieurs, était moins ferme. Si un concile de Soissons (744) paraît se prononcer dans le sens d’une indissolubilité absolue, ceux de Verberie (756) et de Compiègne (757) se montrent moins exigeants. Longtemps encore, on devait voir à ce sujet se produire des résistances locales à la discipline romaine.
Le mariage, ayant une signification religieuse, était ordinairement bénit par l’Église. Bien qu’il n’y eût pas sur ce point de loi absolue et formelle, les chrétiens tenaient assez à cette cérémonie pour que la crainte d’en être privés fît sur eux une impression salutaire. On leur inculquait d’ailleurs fortement, suivant la pensée de saint Augustin, que les relations conjugales ne sont pleinement justifiées que par l’intention de procréer des enfants, et que, en dehors de là, elles renferment toujours quelque faute vénielle parce qu’elles sont le fait de la concupiscence désordonnée.
Reste la question des empêchements canoniques au mariage. L’époque dont nous parlons les a vus se préciser, et recevoir dans les décrétales des papes et les canons des conciles un commencement de codification. Il n’entre pas dans le sujet de ce livre d’en faire l’histoire. On ne sera pas surpris seulement des différences que ces empêchements présentent parfois d’un pays à l’autre. Ces différences s’expliquent par la diversité des coutumes ou des lois auxquelles l’Église a emprunté ses règlements, aussi bien que par le caractère des peuples pour qui étaient portées ses prescriptions.