Pour se rendre compte de la fécondité de la période dont nous nous occupons, il faut se souvenir qu'Hudson Taylor, avec beaucoup d'autres, recueillait les fruits du grand Réveil de 1859. Ce Réveil avait fait entrer des milliers d'âmes dans l'Église de Christ et ravivé le zèle des chrétiens, spécialement des laïques. À certains égards la promesse de Joël s'était accomplie : « Je répandrai mon Esprit sur les serviteurs et sur les servantes. » C'est de cette époque que datent des œuvres telles que celle des lectrices de la Bible, les réunions des mères, le sauvetage des enfants abandonnés des grandes villes, les Unions chrétiennes de jeunes gens et de jeunes filles, l'œuvre parmi les soldats, la formation de diaconesses, etc. Ces diverses activités permettaient d'utiliser le zèle des jeunes convertis en qui brûlait la flamme du premier amour. Mais personne n'avait encore songé à les employer pour la mission en terre étrangère.
Le terrain était donc providentiellement préparé pour les débuts de la Mission à l'Intérieur de la Chine, qui n'aurait pas pu naître à un moment plus propice. Les cœurs étaient enflammés d'un nouveau zèle, pleins du besoin de réaliser l'unité des enfants de Dieu et fortement conscients du fait que, par son Esprit, Il voulait employer une classe de travailleurs en grande partie exclus jusqu'alors des ministères de l'Église. La Mission répondait donc à un besoin urgent et manifeste. Des champs d'action devaient être ouverts, et, voici, une organisation s'établissait qui mettait en pratique ces principes avec une foi calme et une simplicité qui la recommandaient aux personnes réellement spirituelles.
« C'est bien là ce qu'il nous faut, allons à l'aide », telle fut la réponse qui jaillit d'une foule de cœurs. Des jeunes gens, dans leur bureau ou leur atelier, entendirent cette voix et en furent encouragés. Peut-être dans une telle Mission y aurait-il place pour la foi et l'amour, même s'il manquait une grande culture ? Ainsi pensait le jeune Rudland qui, dans sa forge de village dans le comté de Cambridge, reçut un compte rendu du discours d'Hudson Taylor à Perth comme un appel de Dieu. Il avait comme voisin M. Merry qui, avec sa femme et sa belle-sœur, Mlle Annie Macpherson, avaient été en bénédiction à beaucoup. Étant allés à Londres pour voir quelque chose du Réveil, ils en étaient revenus pleins d'une vie nouvelle qu'ils cherchaient à répandre autour d'eux. Rudland et plusieurs de ses camarades avaient été convertis par leur moyen lors d'une réunion tenue dans la cuisine d'une ferme. Étudier leur Bible, sous la direction de M. Merry, au coin d'un bon feu, était leur grande joie. Le jeune Rudland, désirant avoir des détails au sujet d'Hudson Taylor et de son œuvre, s'adressa d'abord à ses amis Merry, puis à un pasteur de Cambridge, qui ne purent lui donner aucun renseignement. Mlle Macpherson, au retour d'un voyage à Londres, lui remit une carte d'invitation à la Convention de Mildmay. Il pensa aussitôt que là, sans aucun doute, il aurait l'occasion de voir le missionnaire.
Mais le patron de Rudland désirait aussi y assister, et ils ne pouvaient s'absenter tous les deux ensemble. Le jeune homme, voulant faire ce que Jésus aurait fait à sa place, sacrifia l'espoir qu'il caressait et offrit la carte à son maître. Ce dernier promit de lui apporter un compte rendu complet des réunions. Il le fit mais, pour des raisons connues de lui seul, il ne dit pas un mot de la Chine ni d'Hudson Taylor. Rudland en fut déçu ; le poids de ces millions mourant sans Dieu (mille à chaque heure du jour et de la nuit) l'écrasait. Sur les murs de sa forge, il avait fixé deux textes bibliques desquels ses yeux ne pouvaient se détourner : « N'éteignez pas l'Esprit » et « Celui-là pèche qui sait faire le bien et ne le fait pas ».
Cependant son maître, peu désireux sans doute de perdre un aussi bon ouvrier, cherchait à le décourager.
— Voyez, lui dit-il un jour en lui montrant un livre chinois, voici la langue qu'ils parlent là-bas. Pensez-vous pouvoir jamais l'apprendre ?
— Quelqu'un l'a-t-il apprise ? répondit tranquillement Rudland.
— Quelques-uns seulement.
— Alors, pourquoi pas moi ?
Et les pages jaunes du livre, couvertes d'étranges hiéroglyphes, le poussèrent à prier d'autant plus le Seigneur de lui ouvrir le chemin de la Chine.
Peu de temps après, Mlle Macpherson, qui s'était établie à Londres, envoyait à Rudland l'ouvrage intitulé : Le dénuement spirituel et les droits de la Chine, avec une lettre l'invitant à venir assister à la réunion hebdomadaire de prières à la rue de Coborn.
Le maître forgeron consentit à lui donner un ou deux jours de congé, mais lui dit : « Aussi sûr que vous passez le seuil de cette porte, vous êtes en route pour la Chine ! »
L'impression produite sur Rudland par le livre d'Hudson Taylor, par le contact avec les missionnaires, la réunion de prières et tout ce qu'il vit et entendit dans ce cercle de piété intense, fut décisive et procura à la Mission, ce jour-là, un de ses meilleurs ouvriers1.
Rudland trouva en Hudson Taylor un homme au dessein bien arrêté, pour lequel les âmes qui périssaient en Chine étaient une réalité, et qui vivait pour une chose : accomplir le plan de Dieu en les amenant au salut. Réalité, simplicité, c'était là ce que l'on sentait partout ; c'était le climat de la Mission nouvelle.
Mais combien il eût été facile d'oublier la considération due aux travaux des autres ! Hudson Taylor avait maintenant de nombreuses portes ouvertes. Il était l'homme d'un message, et d'un message que le peuple de Dieu était désireux d'entendre sans se préoccuper de savoir quelle dénomination le ou les missionnaires pouvaient représenter. La Mission trouvait des amis et des collaborateurs dans les églises et dans d'autres groupements. La sphère dans laquelle elle allait travailler était si vaste qu'elle suscitait un intérêt extraordinaire. Il eut pu arriver, et Hudson Taylor le sentit tout de suite, que l'attention et les dons fussent détournés d'œuvres plus anciennes. L'effort en faveur de la Chine et des autres pays païens était certes plus que nécessaire, et il désirait ardemment que cette œuvre nouvelle pût, par la bénédiction de Dieu, être pour toutes un encouragement sans faire obstacle à aucune. Mais comment éviter d'empiéter sur les ressources des autres ? Problème malaisé à résoudre.
Pour éliminer dès le début cette difficulté, Hudson Taylor et M. Berger, son principal conseiller, décidèrent que les principes de foi de la Mission devaient aller jusqu'à ne lancer aucun appel de fonds et à éviter même les collectes. Si la Mission pouvait être soutenue par les soins fidèles de Dieu en réponse à la prière et à la prière seule, sans souscripteurs et sans demandes d'argent, alors elle pourrait grandir aux côtés d'œuvres préexistantes sans danger de distraire les dons des destinations habituelles.
L'argent était-il la chose essentielle, ou était-il vrai qu'une marche selon Dieu, source de bénédiction spirituelle est chose plus importante dans Son service ? Hudson Taylor ayant été quelques années à l'écart comme Paul en Arabie ou Moïse, dans le désert, pouvait répondre à cette question comme à bien d'autres.
En considérant les choses d'une façon bornée, écrivait-il au sujet de la période remplie principalement par la révision du Nouveau Testament dans le dialecte de Ningpo, je ne voyais rien au delà de l'utilité qu'aurait ce Nouveau Testament pour les chrétiens indigènes. Mais j'ai souvent réalisé depuis que sans ces mois passés avec la Parole de Dieu, je n'aurais pu former, sur la base actuelle, une mission comme la Mission à l'intérieur de la Chine. En étudiant la Parole divine, j'ai appris que pour obtenir des ouvriers qualifiés, il faut tout d'abord prier Dieu avec sérieux de pousser des ouvriers dans Sa moisson ; et, secondement, approfondir la vie spirituelle de l'Église, afin que les hommes ne puissent rester tranquillement chez eux. J'ai vu que le plan des apôtres n'était pas de susciter des hommes et des ressources, mais d'aller et de faire le travail, comptant sur les sûres promesses de Celui qui a dit : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par-dessus. »
Le plus urgent besoin, il le voyait, était la foi en Dieu pour un développement tel de la vie spirituelle, au sein de Son peuple, qu'il produisît un esprit missionnaire. Le mobile d'une réunion ne pouvait être de faire une collecte, mais bien de placer les gens sous la puissance de la Parole de Dieu et les aider à entrer en communion avec Lui.
Si nos cœurs sont droits, disait-il souvent, nous pouvons compter sur le Saint-Esprit agissant par nous pour amener les autres à une communion plus intime avec Dieu... Nous n'avons pas besoin de parler beaucoup de la Mission à l'Intérieur de la Chine. Que les gens voient Dieu à l'œuvre, que Dieu soit glorifié, que les croyants deviennent plus saints, plus heureux, qu'ils soient rapprochés de Lui, et l'on n'aura pas besoin de faire appel à leur aide matérielle.
Travailler dans cet esprit, c'était travailler dans l'intérêt de toutes les missions. Si quelqu'un désire donner, spécialement, pour l'œuvre en Chine, de tels dons inspirés par l'amour et accompagnés de prières auront une valeur centuplée. « Mieux vaut, disait-il, un shilling réellement consacré qu'une livre non consacrée, » Or, des dons spontanés auront plutôt ce caractère que des souscriptions ou des collectes précédées de sollicitations pressantes. On n'avait pas vu souvent de missionnaire en tournées dépréoccupé si totalement du résultat matériel de son travail ; mais cette méthode gardait au conférencier sa liberté d'esprit. Il était plus préoccupé de donner que de recevoir.
Beaucoup d'autres problèmes réclamaient une solution : ainsi le choix et la formation des candidats, l'organisation de la Mission, en Chine et en Europe. Toutes ces questions furent dûment considérées par les amis réunis à Saint-Hill.
Un arbre, disait M. Berger, illustrant la situation par une heureuse image, a besoin de temps pour croître. D'abord une mince tige ; quelques feuilles et quelques boutons ; puis des branches de plus en plus vigoureuses. S'il y a vie, cette vie se développera suivant ses lois.
Ainsi en fut-il de la Mission. Au début, rien de plus élémentaire que son organisation. Les principes essentiels, spirituels, faisaient l'objet d'entretiens avec les candidats et étaient clairement reconnus comme base de l'action. Quelques simples arrangements furent pris en présence de M. Berger, et ce fut tout.
Nous sommes, disait Hudson Taylor, des enfants de Dieu, aux ordres de Dieu, pour faire l'œuvre de Dieu. Comptant sur Son assistance exclusive, nous irons de l'avant jusqu'au cœur de la Chine, vêtus du costume indigène.
M. Berger, chargé de représenter l'œuvre en Angleterre, devait rédiger une Feuille occasionnelle donnant des nouvelles de la Mission, publier les comptes soigneusement contrôlés, envoyer les ouvriers à mesure que les fonds le permettraient et surtout éviter les dettes et les emprunts.
Il est réellement juste et facile pour Dieu de donner l'argent d'avance. Il préfère de beaucoup agir ainsi. Il est trop sage pour permettre que Ses plans soient gâtés par suite de manque de moyens. Mais les fonds obtenus par des moyens non spirituels sont un obstacle certain à la bénédiction.
Que signifie réellement faire des dettes ? Cela veut dire que Dieu n'a pas suppléé à ce qui vous manquait. Vous vous confiiez en Lui, et Il ne vous a pas donné le nécessaire. Alors vous y pourvoyez vous-même et empruntez. Si nous savons attendre jusqu'au moment voulu, Dieu ne peut mentir, Dieu ne peut oublier. Il s'est engagé à subvenir à tous vos besoins.
Le moment du départ pour la Chine d'Hudson Taylor et de ses compagnons approchait. Ils comptaient s'embarquer en mai, et il restait beaucoup de préparatifs à faire. Quand on lui demandait combien ils seraient à partir, il répondait :
Si Dieu envoie de l'argent pour trois ou quatre, trois ou quatre partiront. S'Il nous en envoie pour seize, ce sera une preuve qu'Il veut que seize partent à la fois.
Il comptait bien que ce dernier chiffre serait atteint, et c'était l'objet de beaucoup de prières. On avait besoin pour cela de deux mille livres sterling. C'était le chiffre indiqué dans la première Feuille occasionnelle de la Mission remise à l'imprimeur le 6 février 1866. Ce jour-là, à midi, une réunion de prières quotidienne fut inaugurée à la rue de Coborn, et dans la maison de beaucoup d'amis, à l'effet d'obtenir les fonds nécessaires.
Hudson Taylor ne put être présent à toutes ces rencontres. Les invitations qui lui étaient adressées pour des réunions étaient si pressantes que la Société Biblique le libéra de son travail de révision2, ce qui lui permit de consacrer plus de temps à ce ministère itinérant. Mais jour après jour il était en esprit avec le petit groupe réuni à la rue de Coborn qui se réjouissait de voir comment ses prières étaient exaucées.
En effet, au milieu de ses nombreuses responsabilités, il était gardé dans une paix merveilleuse et il pouvait saisir toutes les occasions de plaider la cause de la Chine. Dans son inexpérience, il ne comprenait guère, sans doute, comment il gagnait la confiance des croyants partout où il allait. Il savait seulement qu'en réponse à la prière beaucoup étaient poussés à aider, qu'une occasion en amenait une autre et que le Seigneur semblait avoir préparé les cœurs dans toutes les Églises où il déposait le fardeau des multitudes qui périssaient en Chine.
Ainsi, il rencontra à Liverpool le jeune évangéliste H. Grattan Guinness, qui l'invita à se rendre à Dublin. Hudson Taylor accepta l'offre qui lui était faite de parler à des étudiants en théologie que M. Guinness instruisait dans sa propre maison. M. Guinness partit le premier pour annoncer la venue de son visiteur et ne manqua pas de donner force détails sur la Mission nouvelle et son chef qui, par la foi, s'attaquait à la tâche immense d'évangéliser l'intérieur de la Chine. Inutile de dire que les jeunes gens réunis pour entendre Hudson Taylor étaient dans une impatience fébrile. Il y avait là John McCarthy, Charles Fishe et son frère, qui ne se doutaient guère que le Seigneur les appellerait ce soir-là à donner leur vie pour la Chine. Tom Barnardo était aussi du nombre ; jeune homme de vingt ans, plein d'entrain, son intérêt pour la Chine s'éveilla aussi en cette même soirée, et devait finalement le diriger vers l'œuvre que le Seigneur lui réservait parmi les enfants miséreux et les vagabonds de l'Est de Londres3. M. et Mme Guinness devaient aussi recevoir l'impulsion divine qui allait les engager, eux-mêmes d'abord, puis tous leurs enfants, dans le travail missionnaire et avoir comme fruit la formation de plus de mille évangélistes qui portèrent l'Évangile dans les parties les plus ténébreuses de la terre4.
Il valait donc bien la peine de venir à Dublin pour ce groupe de jeunes gens, quoique, à ce moment, tous ces développements fussent du domaine de l'avenir.
Quelle surprise, pour ne pas dire quel désappointement, quand les étudiants virent entrer le visiteur attendu. Comment ? c'était cet homme jeune, mince, aux cheveux blonds, si petit comparé à l'imposante carrure de leur professeur ? Ou bien ne serait-ce pas lui ? Sûrement, il y avait erreur ! Mais non ! M. Guinness introduisait son invité. L'examinant d'un bref coup d'œil, Barnardo, qui était de petite taille, plus petit encore qu'Hudson Taylor, souffla à l'oreille de McCarthy : « Bon, il y a espoir pour moi ! »
Mais combien les cœurs brûlèrent quand ces jeunes hommes, fascinés, écoutèrent tout ce qu'il avait à leur dire !
Il me semble que je le vois, écrivait John McCarthy quarante ans plus tard, si calme, si modeste, mais si plein de la puissance de Dieu ! Ce soir-là, je trouvai la réponse à beaucoup de prières et l'homme choisi de Dieu pour me guider dans la vie. Le moment de conversation passé dans sa chambre après la réunion, et sa prière à Dieu pour moi, sont parmi mes plus chers souvenirs. Le lien formé alors entre nous ne s'est jamais relâché et l'éternité seule révélera quelle bénédiction son amour et ses prières ont été pour moi.
La visite d'Hudson Taylor en Irlande amena dix candidats à la Mission et le lia d'amitié avec des chrétiens éminents. Il parut devant le Synode des presbytériens anglais, réuni à Manchester, et parla de l'œuvre de leur bien-aimé missionnaire, William Burns, en Chine. Son objectif était d'encourager les pasteurs et leurs troupeaux à soutenir plus généreusement leur Mission de Swatow. Il se réjouit d'avoir atteint ce but, d'une joie tout aussi grande que lorsque des dons étaient faits pour la Mission à l'Intérieur de la Chine et que les prières s'élevaient à Dieu en sa faveur. Bien longtemps après, l'on se souvenait de l'impression produite par la parole de cet homme de Dieu qui parcourait le pays pour éveiller le zèle missionnaire des chrétiens et les pousser à rechercher la présence et la communion du Seigneur. Peu lui importait que les assemblées fussent nombreuses ou non. Il donnait toujours le meilleur de lui-même, et faisait partager à tous la préoccupation qui dominait son cœur. À Birmingham, à l'heure de la réunion, il tombait une pluie torrentielle. Hudson Taylor était fatigué, et son hôte l'engagea à rester au coin de son feu. — Mais la réunion n'a-t-elle pas été annoncée pour ce soir ? demanda-t-il tranquillement. Alors, il faut que j'y aille, quand même il n'y aurait que le concierge. — La salle se trouva à peu près vide, huit ou dix personnes seulement y prirent place. Mais !a présence de Dieu se fit tellement sentir que la moitié des assistants entrèrent eux-mêmes dans la Mission ou y consacrèrent leurs enfants, tandis que les autres devinrent dès ce jour-là ses fidèles soutiens.
De retour à Londres, Hudson Taylor s'empressa de consulter le livre de caisse pour constater comment Dieu avait répondu aux prières. Pendant les cinq premières semaines de l'année, c'est-à-dire jusqu'au 6 février, cent soixante-dix livres sterling avaient été reçues. Dans les cinq semaines qui suivirent l'inauguration des réunions de prière de midi, on reçut de quoi parfaire la somme de deux mille livres, ce qui permettait l'envoi des seize missionnaires qui s'étaient préparés à partir. Un généreux souscripteur de Liverpool, ému par la récente visite d'Hudson Taylor dans cette ville, avait envoyé un chèque de six cent cinquante livres.
La Feuille occasionnelle, préparée pour le mois de février, n'avait pu être expédiée à cause d'un incendie survenu dans l'imprimerie. Elle n'était donc pour rien dans l'envoi des sommes reçues. On put par conséquent glisser dans ses plis un feuillet annonçant que la somme, attendue du Seigneur, était arrivée.
Cela nous fit songer, dit Hudson Taylor, à Moïse faisant proclamer dans le camp des Israélites qu'on n'avait plus besoin de rien apporter pour le Tabernacle, les dons reçus étant plus que suffisants. Nous sommes convaincus que, s'il y avait moins d'appels aux hommes, plus de dépendance de la puissance du Saint-Esprit et une vie spirituelle plus profonde, le même résultat serait obtenu dans toutes les branches de l'activité chrétienne.
Une dernière campagne de réunions dans les comtés de l'Ouest amena Hudson Taylor à Bristol, où il fut particulièrement heureux de rencontrer le vénéré Georges Müller qui, depuis longtemps, pratiquait les mêmes principes de foi que lui et avait, appuyé sur Dieu seul, fondé des orphelinats où des milliers et des milliers d'enfants furent recueillis et élevés. Georges Müller témoigna à Hudson Taylor la plus affectueuse sympathie et lui promit le secours de ses prières ; c'était là, aux yeux du missionnaire, un secours d'une immense valeur. Chaque fois qu'il alla le voir, Georges Müller prit tout le temps nécessaire pour examiner attentivement les questions qui avaient trait à l'œuvre. Quelques mois auparavant, Hudson Taylor s'était rendu à Bristol avec quelques collaborateurs sur le point de partir pour la Chine, afin qu'ils eussent le privilège de faire la connaissance de cet homme de Dieu.
Passé une heure avec M. Müller, écrivait-il le 21 août. Il nous a parlé d'une façon très précieuse de l'appel et de l'esprit du missionnaire, de la lecture méthodique de la Parole de Dieu, de la prière et de la foi en Dieu, et des obstacles et des épines de la route.
Et encore, le jour suivant :
M. Müller a parlé de la communion avec Dieu qui passe avant le travail pour Dieu, de la nécessité de ne pas agir d'une manière incertaine, de se mêler librement au peuple, d'éviter de parler l'anglais entre nous en présence de Chinois qui ne peuvent nous comprendre. Finalement, il promit de prier pour le groupe qui partait.
Hudson Taylor rencontra le même intérêt partout où il alla. Chaque jour il avait plusieurs réunions et il était obligé de travailler à sa vaste correspondance jusque dans les trains. Cela ne l'empêchait pas d'écrire à sa mère :
Quelle joie de travailler pour un tel Maître ! Mon âme en est souvent remplie à déborder. Et quel honneur d'être employé pour une telle cause ! Si le travail est grand et les difficultés nombreuses, plus grande encore est la force donnée par Dieu et plus grande sera la récompense. Aucun service ne pourrait être la source d'un bonheur pareil dès maintenant, et quant à la récompense, elle viendra plus tard et sera éternelle.
Cette joie dans le Seigneur attirait tout spécialement les jeunes. Le missionnaire était jeune lui-même, et ses paroles incisives n'en avaient que plus de pouvoir.
Elles nous ont fait passer, à plusieurs d'entre nous, une nuit blanche, rappelait Mr H. F. Soltau, qu'Hudson Taylor rencontra pour la première fois lors d'une visite à Exeter, et dès cette heure, ma chère sœur Agnès (qui allait épouser M. Richard Hill) et moi fûmes liées à la Mission5.
Lorsqu'on se souvient de tout ce que cette seule vie a représenté pour la Chine, et de l'amour et de l'attachement qu'ont pour celle qui écrivit les lignes ci-dessus les femmes de l'intérieur de la Chine, on peut constater que la rapide visite d'Hudson Taylor à Exeter eut comme résultat un des meilleurs présents que Dieu fit jamais à l'œuvre missionnaire à l'étranger.
Nous ne pouvons nous étendre sur les contacts qu'il eut avec Robert Chapman et d'autres hommes de Dieu6.
Rentré à Londres, Hudson Taylor fut pris dans le tourbillon des préparatifs et des réunions d'adieux. La fin d'avril approchait, et la petite troupe devait partir en mai. L'état de faiblesse où se trouvait encore Mme Taylor, après une maladie récente, faisait retomber sur son mari tout le fardeau des préparatifs à faire.
« Il mettait la main à tout », écrivait un de ses compagnons.
« On eût dit qu'il était expert en toutes choses et chacun trouvait auprès de lui, pour son travail particulier, les conseils dont il avait besoin. »
Mais, fait étrange, le vaisseau qui devait transporter la petite troupe de dix-huit adultes et quatre enfants n'était pas encore trouvé. Désireux d'éviter des frais considérables, Hudson Taylor ne voulait pas passer par Suez, mais faire le tour de l'Afrique par le Cap. C'était là, on le comprend, un sujet de prières continuelles à la rue de Coborn. Les voyageurs demandaient à Dieu de leur donner un capitaine de vaisseau pieux et un équipage dont tous les membres pussent recevoir du bien dans le voyage. Assuré que Dieu l'exaucerait, il n'éprouvait aucune anxiété, mais il lui tardait pourtant de voir la question résolue.
Le 2 mai, une importante réunion devait avoir lieu dans le comté de Hertford, chez le colonel Puget, beau-frère de Lord Radstock. Bien que surpris, le colonel, pour entrer dans les vues d'Hudson Taylor, avait annoncé qu'il n'y aurait pas de collecte. Mais l'intérêt suscité par la parole de l'orateur fut si puissant qu'à la fin de la réunion le colonel se leva pour dire que, s'il jugeait des sentiments de l'assemblée par les siens propres, ils s'en iraient le cœur chargé à moins de pouvoir exprimer leur sympathie d'une manière pratique en faveur de la Mission.
À ce moment, Hudson Taylor l'interrompit en déclarant que, ce qu'il désirait avant tout, c'était justement que ses auditeurs partissent le cœur chargé. L'argent n'était pas la chose principale dans l'œuvre du Seigneur, surtout pas l'argent donné à la légère sous l'influence d'une émotion. Ce qu'il désirait par-dessus tout, c'était que chacun s'en allât en demandant au Seigneur de lui montrer ce qu'Il attendait de lui. Tout en remerciant le colonel de sa bienveillante intention, il insista pour qu'on ne fit pas de collecte. Dieu réclamait de son peuple des dons plus coûteux, peut-être un fils ou une fille, ou leur propre personne. Aucune somme d'argent ne pourrait jamais sauver une seule âme. Ce qu'il fallait, c'étaient des hommes et des femmes remplis du Saint-Esprit, se donnant eux-mêmes pour l'œuvre en Chine ou travaillant chez eux par la prière. Pour soutenir des serviteurs envoyés de Dieu, les fonds ne manqueraient jamais.
« Vous vous êtes bien trompé, si j'ose m'exprimer de, la sorte, lui dit le colonel après la réunion. Les gens étaient réellement intéressés et nous aurions eu une bonne collecte. »
Hudson Taylor ne réussit pas à convaincre son hôte, mais, le lendemain matin, celui-ci parut tardivement à la table du déjeuner, déclarant qu'il avait passé une mauvaise nuit. Puis, remettant à Hudson Taylor plusieurs dons reçus après la conférence de la veille, il ajouta : « Hier soir, il me semblait que vous aviez tort, mais ce matin je vois les choses différemment. Je n'ai pu dormir de toute la nuit en pensant à ces multitudes d'âmes qui s'enfoncent dans les ténèbres. Tout ce que j'ai pu faire, ce fut de crier : « Seigneur, que veux-tu que moi je fasse ? » Et je crois qu'Il m'a répondu.
En disant cela, il lui remit un chèque de cinq cents livres. « S'il y avait eu une collecte, j'aurais donné cinq livres. Ce chèque est le résultat de ma nuit de prière. »
On était au jeudi 3 mai. Pendant le repas, Hudson Taylor reçut une lettre lui offrant pour sa troupe l'entière disposition du Lammermuir, sur le point d'appareiller pour la Chine. Il prit aussitôt congé de son hôte, dont l'intérêt était de plus en plus vif, revint à Londres et se rendit aux docks directement. Ayant vu que le bateau était précisément ce qu'il lui fallait, il donna en acompte le chèque de cinq cents livres qu'il venait de recevoir et rentra chez lui à la rue de Coborn avec la joie que l'on peut se figurer pour y apporter ces bonnes nouvelles.
Pour la petite troupe, regarder à Dieu de moment en moment, Le voir à l'œuvre, sentir Son bras se déployer, voir Sa main s'étendre pour les protéger et les guider, marcher enfin à la lumière de Sa face, cela valait mieux que des milliers de pièces d'or et d'argent. Ils sentaient leur extrême faiblesse et en auraient été accablés s'ils n'avaient entendu le Seigneur leur dire : « Ma grâce te suffit, ma force s'accomplit dans la faiblesse. »
1 Rudland fonda quatre grandes stations et trente-sept annexes où plus de 3'000 personnes furent baptisées. À sa mort, en 1912, elles comptaient plus de 1'500 communiants. Il avait traduit dans le dialecte local et imprimé lui-même tout le Nouveau Testament et une grande partie de l'Ancien.
2 En janvier 1866 il confia à son collègue M. Gough le soin de continuer la révision qui l'avait si fortement absorbé durant les quatre années précédentes. Ce travail fut mené à bonne fin, en dernier ressort, par NI. le pasteur G. Moule. Ce Nouveau Testament révisé fut de la plus grande utilité aux chrétiens de la province du Chekiang.
3 Tom Barnardo vint à la rue de Corborn comme candidat pour la Chine. Hudson Taylor lui conseilla d'étudier la médecine et, pour cela, l'introduisit à l'hôpital de Londres. Barnardo avait le don de mettre en joie toute la maisonnée missionnaire. Dans sa Bible, il avait inscrit son nom comme suit : « Tom Barnardo, Chine. »
4 M. et Mme Grattan Guinness furent aussi attirés dans l'Est de Londres par l'intérêt qu'ils portaient à la nouvelle Mission. Chose étrange, comme devait l'écrire plus tard M. Guinness, Harlev House, notre institut missionnaire pendant plus de trente ans, est à deux pas de la rue de Coborn où Hudson Taylor recevait les premiers volontaires pour la Mission à l'Intérieur de la Chine. Je ne me figurais pas, quand j'allais dans la petite maison où s'entassait le groupe qui devait partir par le Lammermuir, que tout près de là nous bâtirions un collège où seraient formés plus de mille évangélistes pour la mission étrangère... Une centaine de nos étudiants ont été missionnaires en Chine, et plusieurs ont été comptés au nombre des martyrs (la révolte des Boxers). L'union du Dr Howard Taylor et de notre bien-aimée fille Géraldine est un résultat de la présence du Dr Taylor dans l'Est de Londres. Toutes ces choses sont liées au choix que fit Hudson Taylor d'habiter au milieu de ce quartier pauvre. Il est impossible de dire tout le bien qui a découlé pour l'Est de Londres et pour le monde entier du choix qu'il fit de vivre dans cette modeste maison de la rue de Coborn. »
5 Pas moins de six personnes de cette famille consacrèrent leur vie, pendant un temps plus ou moins long, à la Mission à l'Intérieur de la Chine.
6 Robert Chapman mettait le samedi à part pour se tenir devant le Seigneur d'une façon toute spéciale, bien que ce fût son habitude de se lever au point du jour, ou même plus tôt, pour consacrer des heures à l'intercession fervente, et cela Jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans. Son « atelier » le trouvait occupé d'une façon particulière à la fin de la semaine. Cet atelier, qui était comme un sanctuaire, ne contenait guère qu'une machine à tourner le bois et un rayon sur lequel reposait sa Bible ouverte. C'était là qu'il passait des heures. Le samedi il ne recevait personne, et jeûnait afin d'avoir l'esprit plus libre. Puis, tout en travaillant au tour, et ne s'interrompant que pour lire la Parole de Dieu, ou pour se jeter à genoux, ses pensées s'occupaient des intérêts éternels du Royaume de Dieu. « Cher frère, s'écria-t-il, en revoyant Hudson Taylor six ou sept ans plus tard, je vous ai fait une visite chaque jour depuis votre départ pour la Chine. Qui pourra dire tout le bien que la Mission à l'Intérieur de la Chine doit aux prières qui montèrent de ce coin reculé de Barnstaple ?