La Légende dorée

XLVIII
SAINT PATRICE, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR

(17 mars)

I. Saint Patrice vivait vers l’an du Seigneur 280. Un jour, pendant qu’il prêchait la Passion du Christ au roi d’Écosse, il transperça par accident le pied de ce roi avec la pointe du bourdon sur lequel il s’appuyait. Et le roi se laissa faire et souffrit sans se plaindre, s’imaginant que le saint évêque l’avait blessé à dessein, et que, pour être admis à la foi du Christ, on avait d’abord à subir des souffrances pareilles à celles qu’avait subies le Christ. Et quand le saint comprit la pieuse erreur du roi, il en fut émerveillé. Il le guérit par ses prières et obtint, en outre, pour tout son royaume, que nul animal venimeux ne pût y nuire. On dit même que, grâce à saint Patrice, l’écorce du bois, en Écosse, a le pouvoir de guérir les venins.

II. Certain homme avait volé à son voisin un mouton et l’avait mangé. Saint Patrice exhorta à plusieurs reprises le voleur, quel qu’il fût, à avouer son vol et à faire pénitence ; et comme personne ne se déclarait, il ordonna un jour, au nom de Jésus, en pleine église, que, dans le ventre du voleur, le mouton dérobé se fit connaître en bêlant. Et aussitôt le mouton se mit à bêler dans le ventre du voleur, qui avoua sa faute et fit pénitence. Et les autres habitants s’abstinrent désormais de voler.

III. Saint Patrice avait coutume de saluer pieusement toutes les croix qu’il rencontrait. Mais, un jour, il passa devant une grande et belle croix sans la voir. Ses compagnons le lui ayant fait observer, une voix sortit de terre et lui dit : « Si tu n’as pas vu cette croix, c’est que l’homme qui est enterré sous elle est un païen, et indigne de l’emblème sacré ! » Et saint Patrice fit enlever la croix, qu’on avait mise là par erreur.

IV. Prêchant en Irlande, et n’obtenant que peu de fruit de sa prédication, saint Patrice pria Dieu de se révéler aux Irlandais par quelque signe qui les effrayât et les amenât à faire pénitence. Alors, sur l’ordre de Dieu, il dessina un grand cercle avec son bâton, et aussitôt la terre s’ouvrit dans ce cercle, et un puits très profond apparut. Et saint Patrice apprit, par révélation, que ce puits conduisait à un purgatoire, et que ceux qui voudraient y descendre y expieraient leurs péchés et seraient dispensés de tout purgatoire après leur mort, mais que la plupart de ceux qui y entreraient n’en pourraient plus jamais sortir. Et quelques-uns entrèrent dans le puits, mais, en effet, ils ne revinrent plus.

Or, longtemps après la mort de saint Patrice, un noble nommé Nicolas, qui avait commis beaucoup de péchés, consentit à faire pénitence en entrant dans le purgatoire du saint. Après s’être préparé pendant quinze jours par le jeûne et la prière, il se fit ouvrir l’accès du puits, et se trouva dans un oratoire où des moines, vêtus de blanc et occupés à officier, lui dirent de s’armer de constance, car il aurait à subir, de la part du diable, de nombreuses tentations. Mais ils ajoutèrent que, au moment où il commencerait à souffrir, il ne devait pas manquer de s’écrier : « Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, aie pitié de moi malgré mes péchés ! » Puis ces moines disparurent, et Nicolas se trouva entouré de démons qui, d’abord, essayèrent, par de douces promesses, de l’engager à leur obéir. Puis, sur son refus, il entendit des rugissements de bêtes féroces, et ce fut comme si tous les éléments se fussent bouleversés. Alors, tremblant d’épouvante, il s’écria : « Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, aie pitié de moi malgré mes péchés ! » Et aussitôt le tumulte s’apaisa. Nicolas fut ensuite conduit dans un autre lieu, où une foule de démons l’entourèrent et lui dirent : « Te figures-tu que tu puisses nous échapper ? Non, certes, et c’est à présent que nous allons commencer à te tourmenter ! » Sur quoi il se trouva devant un grand feu et les démons lui dirent : « Si tu ne cèdes pas, nous te jetterons dans ce feu ! » Et en effet ils le saisirent et le jetèrent dans le feu. Mais lui, dès qu’il sentit la flamme, il invoqua Jésus-Christ, et aussitôt le feu s’éteignit. Il fut ensuite conduit dans un autre lieu, où il vit des hommes qu’on brûlait vifs, d’autres qu’on écrasait sur des pointes de fer rouge, d’autres qui, étendus à plat ventre, mordaient la terre en demandant grâce, pendant que des démons les rouaient de coups. À d’autres, des serpents dévoraient les membres ; à d’autres, des monstres arrachaient les entrailles avec des pointes de fer rouge. Et comme Nicolas refusait toujours d’obéir aux diables, ceux-ci se préparèrent à lui faire subir ces divers tourments. Mais, de nouveau, il invoqua Jésus, et fut délivré de ces tourments. Il fut ensuite transporté dans un autre lieu où il vit des hommes qu’on enfermait dans une glacière, et où se trouvait une grande roue, portant des hommes accrochés à chacun de ses rayons ; et cette roue tournait si vite qu’elle semblait former un cercle de feu. Il vit aussi une grande maison contenant des fosses pleines de métal en fusion ; et dans ces fosses des hommes plongeaient qui un pied, qui les deux pieds, qui le corps jusqu’aux genoux, qui le corps jusqu’au ventre, qui le corps jusqu’à la poitrine, qui le corps jusqu’au cou, qui le corps jusqu’aux yeux ; et Nicolas traversait tous ces lieux en invoquant Jésus-Christ.

Il vit, plus loin, un énorme trou d’où s’échappaient une fumée affreuse et une puanteur intolérable ; et des hommes s’efforçaient d’en sortir, mais les démons les y replongeaient. Et les démons dirent à Nicolas : « Ce lieu que tu vois, c’est le cercle de l’enfer qu’habite notre Seigneur Belzébuth. Et si tu refuses de nous obéir, nous te jetterons dans ce trou ; et quand tu y seras entré, jamais plus tu ne pourras en sortir ! » Nicolas resta inflexible ; et les démons le jetèrent dans le trou, et la souffrance qu’il ressentit fut si vive qu’il oublia presque d’invoquer le nom du Seigneur. Il finit cependant par s’écrier, – de cœur, n’ayant plus de voix : « Jésus-Christ, etc. » Et aussitôt il sortit du trou, et toute la foule des démons s’évanouit. Il fut ensuite conduit dans un lieu où il avait à passer sur un pont très étroit, et poli comme une glace, et sous lequel coulait un grand fleuve de soufre et de feu. Déjà il désespérait de pouvoir franchir ce pont, lorsqu’il se rappela la prière qui, bien souvent déjà, l’avait sauvé du danger. Et, posant avec confiance son pied sur le pont, il s’écria : « Jésus-Christ, aie pitié, etc. » Alors s’éleva une clameur si épouvantable que c’est à grand’peine que Nicolas s’empêcha de tomber ; mais de nouveau il invoqua Jésus, et il répéta l’invocation à chaque pas qu’il fit sur le pont, et ainsi il put traverser ce pont jusqu’au bout. Et quand il l’eût traversé, il se trouva dans une prairie d’une douceur merveilleuse, où s’épanouissaient mille variétés de fleurs admirables. Et deux beaux jeunes gens vinrent à sa rencontre et le conduisirent devant la porte d’une ville toute resplendissante d’or et de pierreries ; et de la porte de cette ville se dégageait un parfum si plaisant que Nicolas oublia, en le respirant, toutes les terreurs et toutes les souffrances où il venait d’échapper. Et les deux jeunes gens lui dirent que cette ville était le paradis. Mais comme Nicolas voulait y entrer, les deux jeunes gens lui dirent qu’il eût d’abord à rejoindre les siens sur la terre, en repassant par où il avait passé ; mais que, cette fois, les démons ne lui feraient plus aucun mal, et s’enfuiraient, épouvantés, à sa vue. Et les jeunes gens ajoutèrent que, trente jours après, Nicolas pourrait s’endormir dans le Seigneur, et devenir à jamais citoyen de la ville céleste. Alors Nicolas remonta sur la terre, à l’endroit d’où il était parti. Il fit part à tous de ce qui lui était arrivé ; et, trente jours après, il s’endormit heureusement dans le Seigneur.

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