Le philosophe Platon dit que le but de l’homme est double : l’un, communicable et au premier rang des idées elles-mêmes ; il le nomme le bien ; l’autre, participant du premier, dont il est la ressemblance ; il se trouve chez les hommes qui prétendent à la vertu et à la vraie philosophie. C’est pourquoi Cléanthe, dans son deuxième traité sur la volupté, dit que Socrate enseignait habituellement, que l’homme juste et l’homme heureux ne sont qu’un ; et qu’il maudissait le premier qui avait séparé le juste de l’utile, comme ayant fait une chose impie. En effet, ils sont réellement impies, ceux qui séparent l’utile du juste, selon la loi. Platon lui-même dit que le bonheur est d’avoir le génie pour favorable (eu, bien, daimôn, génie), qu’on appelle génie la partie supérieure de notre âme, et que le bonheur est le bien le plus parfait et le plus entier. Tantôt il l’appelle une vie réglée en toutes choses, et d’accord avec elle-même ; et quelquefois, ce qu’il y a de plus parfait selon la vertu. Or, il fait consister cette perfection dans la science du bien et dans la ressemblance avec Dieu ; et cette ressemblance, il veut qu’elle s’accomplisse dans la justice, la sainteté et la prudence. Quelques philosophes chrétiens ne disent-ils pas avec lui que, dès sa naissance, l’homme a reçu le privilège d’être à l’image de Dieu, et que plus tard, il doit arriver par la perfection à la ressemblance de Dieu ? En outre, quand Platon enseigne que cette ressemblance se rencontrera unie à I humilité dans l’homme vertueux, ne semble-t-il pas commenter cette parole : Quiconque s’abaisse sera élevé ? Aussi dit-il dans ses Lois : « Dieu, suivant l’ancienne tradition est
« Le commencement, le milieu et la fin de tous les êtres ; il marche toujours en ligne droite, conformément à sa nature, en même temps qu’il embrasse le monde ; la justice le suit, vengeresse des infractions faites à la loi divine. »
Vous voyez comment Platon, lui-même, associe la circonspection à la loi divine. Il ajoute donc :
« Quiconque veut être heureux doit s’attacher à la justice, marchant humblement et modestement sur ses pas. »
Puis, après avoir tiré de ces paroles les conséquences qui en dérivent, et avoir fait de la crainte un avertissement, Platon poursuit en ces termes :
« Quelle est la conduite agréable à Dieu et qui lui ressemble ? Une seule, fondée sur ce principe ancien, que le semblable plaît à son semblable, quand l’un et l’autre sont dans le juste milieu; car toutes choses qui sortent de ce milieu ne peuvent ni se plaire les unes aux autres, ni à celles qui ne s’en écartent point. Dieu étant donc pour nous la juste mesure de toutes choses, il n’est point d’autre moyen de s’en faire aimer que de travailler de tout son pouvoir à être ainsi soi-même. Suivant ce principe, l’homme tempérant est ami de Dieu, car il lui ressemble. L’homme intempérant, loin de lui ressembler, lui est entièrement opposé. »
En disant que ce dogme est déjà vieux, Platon désigne la doctrine qui, de la loi de Moïse, est parvenue jusqu’à lui. Et dans le Théétète, après avoir exposé que le mal gravite nécessairement autour de la nature mortelle et de cette région terrestre, il ajoute :
« C’est pourquoi il faut nous efforcer de sortir au plus tôt de cet exil « pour nous rendre ailleurs. »
Or, il veut dire par là qu’il faut nous hâter de ressembler à Dieu autant qu’il est en nous, et cette ressemblance consiste dans la justice et la pureté, jointes à la prudence. D’après Speusippe, neveu de Platon, le bonheur est une manière d’être, parfaite dans les choses qui se gouvernent selon la nature, ou un état de choses bonnes; tous les hommes aspirent à cette situation ; mais les hommes de bien touchent seuls au but de la tranquillité d’âme, et les vertus fout le bonheur. Xénocrate de Chalcédoine définit le bonheur la possession de la vertu en nous-mêmes, et de la puissance qui est à ses ordres. Puis, cherche-t-il quel est le siège de ce bonheur ? l’âme, répond-il ; quels en sont les fondements ? les vertus ; d’où dérive-t-il ? des manières d’être, des affections, des mouvements et des habitudes honnêtes. Sans quoi, rien ne peut exister, ou des biens du corps, ou des biens extérieurs. En effet, Polémon, un des disciples de Xénocrate, paraît vouloir que le bonheur consiste dans la jouissance de tous les 195 biens, ou au moins de quelques biens et des meilleurs. Aussi enseigne-t-il qu’il n’y a point de bonheur possible sans la vertu, tandis que sans les biens du corps et les biens extérieurs, la vertu suffit à donner le bonheur. Voilà ce qui a été dit là-dessus. Quant aux réfutations des principes que nous venons d’exposer, elles viendront en leur temps. Mais ce que nous nous proposons, nous, c’est d’atteindre à la fin qui ne doit pas finir, en obéissant aux préceptes, c’est-à-dire à Dieu : en vivant conformément à leurs prescriptions, sans reproche et selon la science, par la connaissance de la volonté divine. Ressembler autant que possible à la droite raison, au Verbe, voilà notre fin ; et cette ressemblance qui nous rétablit par l’intermédiaire du fils, dans l’adoption finale et parfaite, glorifie toujours le père, par le grand pontife qui n’a pas dédaigné de nous appeler ses frères et ses cohéritiers. L’apôtre décrit en peu de mots la fin de l’homme dans l’épître aux Romains :
« Mais maintenant que vous êtes affranchis du péché, et devenus esclaves de Dieu, le fruit que vous en tirez est votre sanctification, et la fin sera la vie éternelle. »
Puis sachant que l’espérance est double ; l’une, que nous attendons ; l’autre, dont nous sommes en possession, il enseigne encore que la fin de l’homme est son rétablissement dans l’espérance.
« Car, dit-il, la patience produit l’épreuve, et l’épreuve l’espérance. Et cette espérance n’est pas vaine, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné. L’amour nous rétablira dans l’espérance qui nous est réservée comme un repos, »
dit ailleurs l’apôtre. On trouve des paroles semblables dans Ézéchiel :
« L’âme qui a péché mourra elle-même. Si un homme est juste, s’il agit selon l’équité et la justice, s’il ne mange point sur les montagnes, et s’il ne lève point les yeux vers les idoles de la maison d’Israël, s’il ne souille pas la femme de ’son prochain, s’il ne s’approche point de sa femme au jour de sa souffrance ; (car Dieu ne veut pas que la semence de l’homme soit entachée), s’il ne centriste personne, s’il rend son gage à son débiteur, s’il ne ravit rien par violence, s’il donne de son pain à celui qui a faim, s’il couvre de ses vêtements ceux qui sont nus, s’il ne prête point à usure et ne reçoit pas plus qu’il n’a donné, s’il détourne la main de l’iniquité et s’il prononce un jugement équitable entre un homme et le prochain, s’il marche dans la voie de mes préceptes et garde mes jugements pour accomplir la vérité ; celui-là est Juste, et il vivra de la vie, dit le Seigneur Dieu. »
Et Isaïe conviant à une vie honnête celui qui a cru, et le gnostique, à l’application de l’esprit ; montrant du reste que la vertu de l’homme n’est pas la même que celle de Dieu, s’exprime en ces termes :
« Cherchez le Seigneur, et en le trouvant, invoquez-le ; quand il sera près de vous, que l’impie abandonne ses voies, l’homme inique les siennes, et qu’ils retournent au Seigneur, et il aura pitié, etc. etc., jusqu’à ces mots : et mes pensées au-dessus de vos pensées. »
« Nous donc, selon les paroles de l’illustre apôtre, c’est en vertu de la foi que nous espérons recevoir la justice; car, eu Jésus-Christ, ni la circoncision ni l’incirconcision ne servent, mais la foi qui agit par la charité. Or, nous souhaitons que chacun de vous montre jusqu’à la fin le même zèle, afin que votre espérance soit accomplie, etc. etc., jusqu’à ces mots : lui, le pontife éternel, selon l’ordre de Melchisédech. »
La sagesse, qui est toute vertu, parle aussi comme Paul :
« Celui qui m’écoute, plein de confiance, habitera dans l’espérance. »
Car la réintégration dans l’espérance s’appelle aussi espérance. La sagesse a donc eu raison d’ajouter à ces mots : il habitera, ceux-ci plein de confiance ; montrant ainsi que le fidèle, animé de cette disposition, s’est reposé dans la réalisation de sou espérance. Aussi la sagesse ajoute-t-elle encore :
« Et libre de crainte, il se reposera loin de tout mal. »
L’apôtre dit formellement dans la première des épîtres aux Corinthiens :
« Soyez mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ ; afin que ceci arrive : Si vous êtes à moi, je suis moi-même au Christ ; soyez donc les imitateurs du Christ ; le Christ est l’imitateur de Dieu. »
Donc, ressembler à Dieu pour être, autant que possible, juste et saint avec prudence, voilà, selon l’apôtre, le but de la foi ; et la fin est l’accomplissement de la promesse par la foi. De ces paroles, comme d’une source, jaillissent les différentes définitions du bonheur, données par ceux qui ont traité du but final de l’homme, et rapportées plus haut. Mais c’en est assez sur cette matière.