Contre les hérésies

LIVRE SECOND

CHAPITRE XVI

Ou le créateur du monde a trouvé en lui-même le type de toutes ses créations, ou bien ce type lui a été fourni par quelque Dieu du Plerum : mais dans cette hypothèse celui-ci l’aurait reçu d’un autre, et ainsi de suite jusqu’à l’infini.

Si nos adversaires résistent encore aux arguments que nous leur avons proposés et au moyen desquels nous les avons mis dans l’impossibilité de rendre compte d’une manière raisonnable de l’origine de leur Plerum, ils seront forcés de confesser du moins que la première forme et la première création de ce Plerum est due à quelque être supérieur et plus puissant que tous les autres. Car, si Demiurgos n’a pas trouvé en lui-même le type des créations, il faut que des êtres supérieurs à lui le lui aient communiqué. Il en sera de même à l’égard de leur Bythus : s’il n’est pas l’inventeur du Plerum, il faut bien qu’un autre, qui était avant lui, lui en ait fourni le modèle. On ne peut sortir de cette alternative : ou bien, le souverain créateur du monde a trouvé dans sa volonté la puissance de création, ainsi que les types de toutes ces créations ; ou bien, s’il n’a pas fait tout cela par lui-même, il faut qu’un autre lui en ait transmis la puissance et les moyens d’exécution, c’est-à-dire le nombre des créations, leur substance et leur type. Ou bien, si Bythus a trouvé en lui-même la puissance de créer le Plerum, pourquoi Demiurgos n’aurait-il pas trouvé également en lui le pouvoir de créer le monde que nous voyons ? Ou bien encore, si l’on veut prétendre que les créations inférieures ne soient que des images des choses du Plerum, qui empêchera de supposer que les choses du Plerum ne soient à leur tour les images d’autres créations d’un ordre supérieur ; et ainsi de suite, toujours en remontant jusqu’à l’infini.

Tel est l’embarras dans lequel s’est jeté Basilide, pourchassant la vérité en remontant toujours d’une chose à l’autre. Il a eu beau imaginer ses trois cent soixante-cinq cieux superposés les uns sur les autres, et dont le supérieur aurait créé celui qui lui était inférieur, ces trois cent soixante-cinq cieux, comme étant le type des trois cent soixante-cinq jours qui composent l’année ; il a eu beau mettre par-dessus tout cela encore ce qu’il appelle la puissance sans nom, il n’en a pas été plus avancé. Si on lui demande qui a fourni le type du premier de tous ces cieux, dira-t-il qu’il provient de ce qu’il appelle la puissance sans nom ? Mais alors il faudra qu’il avoue, ou que cette puissance sans nom a créé par elle-même ces premiers types, et alors il tombe dans notre système de l’unité de Dieu, ou bien, il faut qu’il dise qu’il y a encore une puissance au-dessus de cette puissance sans nom, qui aurait fourni à celle-ci les modèles de toutes les créations.

Mais, nous le demandons, ne vaudrait-il pas mieux avouer tout de suite qu’il n’y a qu’un seul Dieu, que ce seul Dieu est celui qui a créé l’univers, et qui a trouvé en lui-même les types et les modèles de toutes les choses qu’il a faites, que de se voir forcé, après une foule de détours à travers lesquels on a débité mille impiétés, de s’arrêter enfin à avouer que la création est l’œuvre d’un seul et même créateur ?

Remarquons, d’ailleurs, que si les valentiniens nous reprochent de n’attacher nos regards que sur des régions inférieures, comme si nos esprits n’étaient pas capables de les suivre dans leurs sublimes excursions, ils font les mêmes reproches à ceux qui suivent les opinions de Basilide, leur disant qu’ils ne font que rouler sans cesse dans le même cercle, c’est-à-dire, n’élevant pas leurs idées au-dessus des deux premières octonations, et croyant qu’immédiatement au-dessus des trente Æons ils ont rencontré l’Être supérieur, créateur de l’univers, parce qu’ils ne savent pas voir, par-delà leurs trois cent soixante-cinq cieux, le Plerum, placé au-dessus de la quarante-cinquième ogdoade. Mais ne peut-on pas aussi dire aux sectateurs de Basilide qu’au lieu de trois cent soixante-cinq cieux ou Æons, ils devraient en créer quatre mille trois cent quatre-vingt, puisque les jours de l’année comportent un pareil nombre d’heures : que si l’on veut ajouter à ce calcul celui des heures des nuits de l’année, on aura ainsi une multitude d’Æons ; mais on n’en sera pas plus avancé pour trouver l’Être suprême, qui a créé toutes choses par lui-même ; car tous les cieux et tous les Æons ensemble ne suffiraient pas pour atteindre sa hauteur, ou pour parcourir sa longueur et sa profondeur.

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