Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 15
Henri VIII frappe les partisans du pape et ceux de la réformation

(1532)

6.15

Les Franciscains prêchent contre le roi – Henri assimilé à Achab – Tumulte dans la chapelle – Assemblées chrétiennes à Londres – Bainham persécuté par More – On le somme d’abjurer – Le baiser fatal et l’angoisse de Bainham – La tragédie de la conscience – Une visite dans un cachot – Le lit de roses – Un persécuteur qui s’étrangle – Effet des martyres – La véritable Église de Dieu

Le caractère essentiel de la Réformation de Henri VIII fut de s’opposer également à Rome et à l’Évangile. Il n’hésitait pas comme plusieurs entre ces deux doctrines ; on le voyait, au même moment, punir par l’exil ou par le feu les disciples du Vatican et ceux de la sainte Écriture.

Désirant montrer que la résolution qu’il avait prise de se séparer de Catherine était inébranlable, le roi avait établi Anne Boleyn dans le palais de Greenwich, quoique la reine s’y trouvât encorez, et lui avait donné des salles de réception et un état royal. La foule des courtisans abandonnant l’astre qui se couchait, s’était tournée vers celui qui paraissait sur l’horizon. Henri respectait la personne d’Anne, et il tenait à ce que tout le monde sût que si elle n’était pas reine à cette heure, elle le serait un jour. Il y avait dans cette manière d’agir du roi un manque de délicatesse et de principes, dont le parti catholique s’irritait, et non sans cause. Les religieux de Saint-François, qui desservaient la chapelle royale de Greenwich, affichaient en toute occasion leur attachement à Catherine et au pape. En vain Anne s’efforçait-elle de les gagner par ses grâces ; si elle réussissait avec un petit nombre, elle échouait avec la plupart. Leur chef, le père Forest, confesseur de Catherine, défendait avec passion les droits de cette infortunée princesse. Prêchant à la Croix de Saint-Paul, il prononça un discours dans lequel Henri, sans être nommé, était vivement attaqué. Ceux qui l’avaient entendu en firent grand bruit, et Forest reçut l’invitation de se rendre à la cour. Chacun se demandait ce qui allait lui arriver ; mais au lieu de le faire jeter en prison, comme plusieurs s’y attendaient, le roi lui témoigna toutes sortes d’égards, parla une demi-heure avec lui, et lui envoya même un plat de sa table.

z – Nous avons déjà raconté les premiers temps d’Anne Boleyn dans l’Histoire de la Réformation du seizième siècle, vol. V, 17.2 ; 19.6 ; 20.1,10,14.

Forest, de retour au couvent, raconta avec triomphe cet accueil flatteur ; mais le but du roi ne fut point atteint. Il y avait parmi ces moines des caractères indépendants, peut-être fanatiques, qu’aucune faveur ne pouvait gagner.

L’un d’eux, nommé Peto, inconnu jusqu’alors, mais qui jouit plus tard d’une grande réputation dans le monde catholique, et devint cardinal légat du pape en Angleterrea, trouvait que Forest n’en avait pas dit assez, et résolut d’en dire davantage. L’élévation d’Anne Boleyn le remplissait de colère ; il avait besoin de parler, et le roi et toute la cour devant se trouver le 1er mai à la chapelle, il se décida à prêcher, et prit pour texte la parole du prophète Michée au roi Achab : Les chiens lécheront ton propre sangb. Il fit le portrait d’Achab, il décrivit sa malice et ses crimes, et quoiqu’il ne nommât pas Henri VIII, certains passages mettaient mal à l’aise ses auditeurs. Ce fut bien autre chose, quand il en vint à sa péroraison. Se tournant alors vers Henri VIII : « Maintenant, dit-il, écoute, ô roi ! ce que j’ai à te dire, comme jadis le prophète Michée à Achab. Ce nouveau mariage est illégitime. Tu as, je le sais, d’autres prédicateurs qui, pour devenir de riches abbés ou de puissants évêques, trahissent les intérêts de ton âme et ceux de ta postérité. Prends garde à toi, de peur qu’étant séduit comme Achab, tu ne reçoives le châtiment d’Achab… que les chiens ne lèchent ton propre sang. »

a – Tyndale’s Treatise, p. 3. — Strypes, Memorials, I, 257 ; III, liv. 1, p. 257 ; liv. 2, p. 30-136.

b1 Rois 21.19.

La cour était consternée ; mais le roi, dont les traits étaient demeurés immobiles pendant cette apostrophe, attendit la fin du service, quitta la chapelle comme s’il ne s’y était rien passé et laissa partir Peto pour Canterbury. Toutefois, Henri ne pouvait autoriser de semblables incartades. Un ecclésiastique, nommé Kirwan, fut chargé de prêcher le dimanche suivant dans la même chapelle. L’assemblée était encore plus nombreuse que la première fois, surtout plus curieuse. Des moines de l’observance de saint François, amis de Peto, se placèrent dans une tribune qui se trouvait entre la nef et le chœur, décidés à le défendre. Le docteur commença son discours. Après avoir établi la légitimité d’un nouveau mariage du roi, il en vint au discours du dimanche précédent et aux outrages de l’orateur. « Et toi, Peto, s’écria-t-il, qui prétends faire le prophète Michée, nous te cherchons ici, mais en vain ; la crainte et la honte t’ont porté à fuir. » Il y eut alors une vive agitation dans la tribune et l’un des obscurantins, nommé Elstow, se leva et s’écria : « Vous savez que le père Peto est allé à Canterbury pour un concile provincial, mais me voici prêt à vous répondre. Je te provoque au combat, ô Kirwan ! prophète du mensonge, qui par amour de la vaine gloire veux entraîner le roi dans une éternelle perdition ! »

Toute la chapelle fut en un instant remplie de confusion. On ne pouvait s’entendre. Alors le roi se leva ; sa stature princière, son maintien royal, ses manières majestueuses imposèrent à la foule ; chacun se tut, et l’auditoire ému quitta respectueusement la chapelle. Peto et son ami furent cités devant le conseil. « Vous mériteriez, leur dit-on, d’être cousus dans un sac et jetés dans la Tamise. — Nous ne craignons rien, répondit Elstow ; le chemin du ciel est tout aussi court par eau que par terre. » Peto et ses amis furent bannis du royaumec.

c – Tyndale’s, Treatises, p. 38. — Stowe’s Annals, p. 562.

Henri VIII, ayant ainsi fait la guerre aux partisans du pape, se tourna du côté de ceux de la Réformation. Il se tenait, comme un jeune garçon, sur une planche qui faisait la bascule, et après avoir pesé sur un bout, il se mettait à peser sur l’autre. Seulement le jeu était un peu plus terrible ; chaque fois que la planche touchait terre, le sang soudain jaillissait.

Il se trouvait alors en Angleterre bien des chrétiens qui ne pouvaient s’édifier dans le culte romain. S’étant procuré la Parole de Dieu, traduite par Tyndale, ces hommes se disaient qu’ils ne l’avaient pas seulement pour eux-mêmes, mais pour d’autres. Ils se cherchaient donc, se réunissaient pour lire ensemble la Bible et recevoir de Dieu les grâces spirituelles. Il s’était formé à Londres, dans des chambres hautes, dans des entrepôts, des écoles ou des magasins, de telles assemblées chrétiennes. Une de ces réunionsd se tenait dans un grand magasin de Bow Lane. Parmi ceux qui s’y rendaient, se trouvait le fils d’un chevalier du Glocestershire, James Bainham, homme instruit dans les classiques, et jurisconsulte distingué, que sa piété, ses œuvres de bienfaisance faisaient respecter de tous. Donner libéralement ses conseils aux veuves et aux orphelins, faire rendre justice aux opprimés, secourir les étudiants pauvres, protéger les personnes pieuses, et visiter les prisonniers, étaient ses occupations journalières. Il était diligent à lire les Ecritures et priait avec une grande puissancee. Quand il entrait dans l’assemblée, chacun pouvait remarquer sur ses traits l’expression d’une joie tranquille. Mais depuis un mois ses amis de Bow Lane le voyaient abattu, agité, l’entendaient pousser de profonds soupirs ; en voici la cause. Quelque temps avant, en 1531, un jour qu’il vaquait à ses devoirs, dans le Middle-Temple (cour judiciaire), des sergents d’armes avaient saisi ce « modèle des jurisconsultes, » par ordre de Th. More, qui était encore chancelier, et l’avaient emmené, comme un criminel, dans la maison du célèbre humaniste, à Chelsea. More, affligé de voir un homme si distingué quitter l’Église romaine, avait employé toute son éloquence pour l’y faire rentrer ; et voyant ses efforts inutiles, il avait fait conduire Bainham dans son jardin, où on l’avait attaché à « l’arbre de vérité ; » et là, More l’avait frappé ou fait frapper de verges ; nous adoptons cette dernière version, c’est bien assezf. Bainham, ayant refusé de nommer les jurisconsultes atteints d’hérésie, fut conduit à la Tour. « Qu’on le mette sur le chevalet, » dit l’aimable auteur de l’Utopie, devenu un fanatique persécuteur. L’ordre fut exécuté en sa présence. L’instrument saisit les bras et les jambes du malheureux protestant et les tira en sens contraire ; ses membres se disjoignirent et il sortit boiteux du suppliceg.

d – « The congregation in a ware house in Bow Lane. » (Fox, Acts, IV, p. 702.)

e – « Mightly addicted to prayer, an earnest reader of Scripture. » (Ibid., p. 697.)

f – Strype, Memorial, 1, p. 35, et Fox, Act. IV, p. r.98, disent de Th. More : And whip him. More l’a nié.

g – « Sir Th. More being present himself till in a manner, he had tamed him. »

Thomas More avait brisé le corps de sa victime, mais il n’avait pas brisé son courage. Aussi, ayant été cité devant l’évêque de Londres, Bainham se rendit au palais, joyeux d’avoir encore une fois à confesser son Maître. « Croyez-vous au purgatoire ? » lui dit sévèrement Stokesley. Bainham répondit : Le sang de Jésus-Christ nous purifie de tout péchéh — Crois-tu qu’il faille demander aux saints de prier pour nous ? » Bainham répondit : « Si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ le justei. »

h1 Jean 1.7.

i1 Jean 2.1.

Un homme qui ne répondait que par des déclarations des Ecritures était embarrassant. Stokesley et More mirent à contribution, pour l’ébranler, les promesses les plus séduisantes ; rien ne fut épargné. Bientôt ils y joignirent les représentations les plus solennelles. Les bras de l’Eglise votre mère vous sont encore ouverts, lui dirent-ilsj, mais si vous persistez dans votre rébellion, ils se refermeront pour toujours. — Maintenant ou jamais ! » Pendant un mois, le chancelier et l’évêque l’accablèrent d’instances ; Bainham répondit : « Ma foi est celle de la sainte Eglise. » A ces mots, croyant qu’il parlait de l’Église du pape, Foxford, le secrétaire de l’évêque, sortit un papier de son portefeuille : Voici l’abjuration, lui dit-il ; lisez-la. » Bainham lut : « Moi, vrai pénitent, je reviens de mon hérésie, et j’abjure… » A ces mots il s’arrêta ; et jetant un coup d’œil sur ce qui suivait : « Non, dit-il, ces articles ne sont pas hérétiques, je ne puis les rejeter. »

j – « Many fair, enticing, alluring words. » (Fox, Act., IV, p. 700.)

On fit alors jouer de nouveaux ressorts pour ébranler Bainham. Les prières de ses amis, les menaces de ses ennemis, la pensée surtout de sa femme qu’il chérissait, et qu’il laisserait seule, dans le dénuement, exposée à toute la colère du monde, jetèrent le trouble dans son âme. Il perdit de vue le sentier étroit qu’il devait suivre, et cinq jours après il lut jusqu’au bout, d’une voix éteinte, sa rétractation. Mais à peine avait-il fini, qu’il fondit en larmes et s’écria au milieu de sanglots entrecoupés : « Je réserve les doctrines. » Il consentait à rester dans l’Eglise romaine, mais en gardant la foi évangélique. Ce n’était pas ce qu’entendaient l’évêque et ses officiers. « Baisez ce livre, » lui dirent-ils d’un ton menaçant. Bainham, étourdi, le baisa ; c’était le signe ; l’abjuration fut considérée comme accomplie. Le pénitent fut condamné à une amende de 20 livres sterling, et à faire pénitence à la Croix de Saint-Paul. Après cela, on le mit en liberté ; c’était le 17 février.

Bainham revint au milieu de ses frères ; ceux-ci le regardaient d’un air triste, mais ne lui reprochaient pas sa faute. Ce n’était pas nécessaire ; le ver du remords le rongeait, il avait horreur du baiser fatal par lequel il avait scellé sa chute ; son âme était sans cesse troublée ; il ne pouvait ni manger ni dormir, et tremblait à la pensée de la mort. Tantôt il dévorait son angoisse et la tenait enclose au dedans ; tantôt sa douleur sortait à grandes bouffées, et il cherchait par des cris à se décharger de sa peine. La pensée de comparaître devant le tribunal de Dieu le faisait défaillir. Le rétablissement de la conscience dans ses droits, telle a été avant tout l’œuvre de la Réformation. Luther, Calvin, un nombre infini de réformés plus obscurs, sont arrivés au port du salut à travers de telles tempêtes. Une tragédie s’est agitée dans toutes les âmes protestantes, » a pu dire un écrivain qui n’appartient pas à la Réformation, –la tragédie éternelle de la conscience.

Bainham comprit que le seul moyen de recouvrer la paix était de s’accuser franchement devant Dieu et devant les hommes. Il prit en mains le Nouveau Testament de Tyndale, qui était à la fois sa joie et sa force. Il se rendit à l’église de Saint-Augustin, s’assit paisiblement au milieu de l’assemblée, puis à un certain moment il se leva et dit : « J’ai renié la vérité… » Il ne put continuer, car il fondit en larmesk. S’étant remis, il dit : « Si je ne revenais pas à la doctrine que j’ai abjurée, cette Parole de Dieu me condamnerait au jour du jugement. » En disant ces mots, il élevait le Nouveau Testament devant l’assemblée. « O mes amis, plutôt que de pécher comme moi, endurez la mort. Les feux de l’enfer m’ont consumé, et pour tout l’or et la gloire du monde, je ne voudrais pas les sentir de nouveaul. »

k – « Stood up there before the people in his pew, with weeping tears. » (Fox, Act., IV, p. 702.)

l – « He would not feel such a hell again as he did feel… » (Ibid., 702.)

Alors ses ennemis le saisirent et le menèrent dans la cave à charbon de l’évêque, où lui ayant mis les fers aux pieds, ils le laissèrent quatre jours. Puis on le conduisit à la Tour, où pendant deux semaines on le frappait chaque jour de verges. Il fut condamné comme relaps.

La veille du jour de l’exécution, quatre hommes distingués, dont l’un était Latimer, dînaient ensemble à Londres. On disait dans le public que Bainham était mis à mort, pour avoir dit que « Thomas Becket était un traître digne de l’enfer. — Vaut-il la peine, disaient les quatre amis, de donner sa vie pour si peu de chose ? Allons à Newgate, et sauvons-le si possible. » On les conduisit par des passages ténébreux, et ils se trouvèrent enfin en présence d’un homme, assis sur un peu de paille, qui tenait un livre d’une main, et de l’autre une chandelle ; il lisaitm ; c’était Bainham. Latimer s’approcha : « Prenez garde, lui dit-il, que la vaine gloire ne vous fasse sacrifier votre vie pour des motifs qui n’en valent pas la peine. — Je suis condamné, répondit Bainham, pour avoir, en m’appuyant sur l’Écriture, repoussé le purgatoire, les messes et les satisfactions méritoires. — Je reconnais, dit Latimer, que pour cela il faut être prêt à mourir. » Bainham était prêt ; toutefois il fondit en larmes. « Pourquoi pleurez-vous ? » dit Latimer. — « J’ai une femme, répondit le prisonnier, la meilleure à laquelle homme fut jamais uni ; veuve, destituée de tout, sans appui, chacun la montrera du doigt et dira : Voilà la veuve de l’hérétiquen ! » Latimer et ses amis s’efforcèrent de le consoler. Puis les quatre amis quittèrent cet obscur cachot.

m – Strype, Annals of the Reformation, 1, p. 372.

nIbid.

Le lendemain (30 avril 1532), Bainham fut conduit à l’échafaud. Des gardes à cheval entouraient le bûcher ; maître Pave, secrétaire de la Cité, dirigeait l’exécution. Bainham ayant prié, se releva, embrassa l’échafaud, et y fut attaché avec une chaîne : « Bonnes gens, » dit-il au peuple qui l’entourait, je meurs pour avoir dit que tout homme et toute femme a le droit de posséder le Livre de de Dieu. Je meurs pour avoir dit que la vraie clef du ciel n’est pas celle de l’évêque de Rome, mais la prédication de l’Évangile. Je meurs pour avoir dit que le seul purgatoire est la croix de Jésus-Christ, avec les persécutions qu’elle attire. — Menteur, hérétique, s’écria Pave, tu as nié le sacrement de l’autel ! — Je ne nie point le sacrement du corps et du sang de Christ, reprit Bainham ; mais je rejette le culte idolâtre que vous rendez à un morceau de pain. — Allumez ! » cria Pave. Les bourreaux mirent le feu à une traînée de poudre, et comme la flamme approchaito, Bainham leva les yeux au ciel, et dit au secrétaire : « Que Dieu te pardonne ; qu’il pardonne à Sir Th. More… Et vous, bonnes gens, priez pour moi !… » Bientôt les bras et les jambes du martyr furent consumés, et ne pensant qu’à glorifier son Sauveur : « Holà ! s’écria-t-il, si vous demandez des miracles, en voici un : je ne sens pas plus de douleur au milieu de ces flammes, que si j’étais sur un lit de rosesp. » L’Église primitive n’avait pas eu de plus glorieux martyrs.

o – « As the train or powder came toward him. » (Fox, Act., IV, p. 705.)

p – « It is to me as a bed of roses. » (Ibid.)

Pave avait sans cesse devant les yeux l’image de Bainham, et sa dernière prière retentissait jour et nuit dans son cœur. Il s’était fait dans le galetas de sa maison, loin du bruit, une espèce d’oratoire, où il avait placé un crucifix devant lequel il venait prierq, et verser des larmes amères. Il avait horreur de lui-même ; saisi d’une douleur confuse, égaré, il se débattait dans de grandes angoisses. Bainham mourant lui avait dit : « Que Dieu use envers toi de plus de miséricorde que tu n’en uses envers moi ; » mais Pave ne pouvait croire à la miséricorde. Il ne vit à son désespoir d’autre remède que la mort. Huit jours environ après le martyre de Bainham, il donna diverses commissions à ses domestiques et à ses clercs, et ne garda dans la maison qu’une seule servante. Puis sa femme s’étant rendue à l’Église, il sortit lui-même, acheta des cordes, les cacha soigneusement sous son habit, et monta dans sa chambre haute. Arrivé devant le crucifix, il s’arrêta, se mit à pleurer et à crier. La servante accourut : « Prends cette épée rouillée, » lui dit-il, nettoie-la et ne me dérange plusr. » A peine était-elle sortie, qu’il attacha la corde à une poutre et se pendit. La servante n’entendant plus aucun bruit s’alarma de nouveau, monta, et voyant son maître pendu, fut saisie d’horreur. Elle courut à l’église où se trouvait sa maîtresse, et l’appela en poussant des criss. Il était trop tard, le malheureux ne put être rappelé à la vie.

q – « In a high garret where ne had a rood. » (Fox, Act., IV, p. 705.)

r – « Go make it clean and trouble him no more. » (Ibid.)

s – « She ran crying to church, to her mistress, to fetch her home. » (Ibid., p. 706.)

Si la mort des martyrs plongeait les méchants dans le dernier désespoir, elle donnait souvent la vie aux âmes sincères. La foule, qui avait entouré l’échafaud de ces hommes de Dieu, se dispersait profondément émue. Les uns retournaient dans les champs, les autres à leurs boutiques et dans leurs ateliers ; mais la pâle figure des martyrs les y suivait, leurs paroles résonnaient dans les âmes, leurs vertus attendrissaient les cœurs les plus étrangers à l’Évangile. « Oh ! disait quelqu’un, je voudrais être avec Bainhamt ! » Ces gens fréquentaient encore quelque temps les églises romaines, mais bientôt leur conscience leur criait : « C’est Christ seul qui sauve ! » et ils abandonnaient les rites où ils ne trouvaient aucune consolation. Ils cherchaient la solitude ; ils se procuraient quelques livres de Wycleff, de Tyndale, le Nouveau Testament surtout ; ils les lisaient en secret ; si quelqu’un survenait, ils les cachaient précipitamment sous leurs matelas, au fond d’un bahut, dans le creux d’un arbre, sous des pierres, jusqu’au moment où l’adversaire s’étant retiré, ils pouvaient les reprendre. Bientôt ils en parlaient à l’oreille de leurs voisins, et souvent ils avaient la joie de rencontrer des hommes qui pensaient comme eux. Une étonnante transformation s’opérait. Tandis que dans les cathédrales, les prêtres chantaient avec de grands éclats de voix les louanges des saints, de la Vierge et du Corpus Domini, on s’entretenait à voix basse, parmi le peuple, du Sauveur humble et plein de douceur. On entendait partout alors en Angleterre ce son doux, subtil, mystérieux, qu’entendit Élie, et à l’ouïe duquel, enveloppant son visage de son manteau, il se tint muet et immobile, parce que l’Éternel était là. De grands changements allaient s’accomplir.

t – « I would I were with Bainham. » (Fox, Ad., V, p. 32.)

Si l’on rapporte avec quelques détails, dans cette histoire, la vie et la mort des hommes évangéliques, on ne le fait pas sans raison. On désire établir que l’Église en Angleterre, comme dans tout le monde, n’est ni une certaine hiérarchie ecclésiastique, où des prélats dominent sur les héritages du Seigneur ; ni un assemblage confus d’hommes, dont l’esprit imagine sur la religion toutes sortes d’idées contraires aux révélations du ciel, et dont la profession de foi renferme toutes les opinions qui se trouvent dans la nation, — depuis la scolastique catholique jusqu’au panthéisme matérialiste. L’Église de Dieu, élevée au-dessus des systèmes humains de ces superstitieux et de ces incrédules, est l’assemblée de ceux qui, par une foi vivante, ont part à la justice de Christ et à la vie nouvelle, dont l’Esprit-Saint est le créateur, — de ceux chez qui l’égoïsme est vaincu, et qui se donnent au Sauveur pour accomplir avec leurs frères la conquête du monde. Telle est la vraie Église de Dieu, bien différente, on le voit, de toutes celles que les hommes inventent.

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