La Hollande subit, elle aussi, vers 1830, l’influence du réveil, après s’être distinguée au dix-huitième siècle par le génie philologique de ses théologiens, d’un Leclerc, d’un Wetstein, des Schultens et avoir longtemps professé un supranaturalisme biblique, qui tendait de plus en plus à se fondre avec un rationalisme pur. Nous ne voulons point parler ici de la vieille école calviniste rigide de De Cock et de Scholten, qui n’exerça qu’une influence théologique insignifiante parce que la plupart de ses membres émigrèrent de bonne heure. Sans contester l’influence sérieuse exercée sur la vie religieuse de la Hollande par la piété anglaise et écossaise, nous devons relever surtout le rôle important, que la théologie allemande fut appelée à jouer dans ses facultés les plus considérables. C’est à Schleiermacher, Neander et Ullmann que la Hollande est redevable de sa nouvelle théologie.
Le supranaturalisme rationaliste, professé avec modération à la. faculté d’Utrecht par Héringa et Royaards, fut combattu par l’école de Groningue, dont le père spirituel est Schleiermacher, le chef van Heusden, et qui compte parmi ses représentants les plus distingués Hofstède de Groot, Pareau et van Oordt. Cette école se plaît à relever le côté humain et moral du christianisme, se rattache aux précurseurs indigènes de la Réforme, Th. A-Kempis et Wessel, repousse les dogmes de la prédestination et de la Trinité immanente, et demeure, pour les questions de théodicée et de christologie, dans les termes les plus vagues. Elle affirme les miracles de la vie de Jésus, tout en niant sa divinité, et s’attache surtout à l’élément humain de sa personne. Sa période la plus brillante s’étend de 1840 à 1850.
Elle se vit à son tour attaquée et dépassée par l’école de Leyde, dont le chef, Scholten (auteur d’un ouvrage historique sur le dogme de l’Église réformée d’après ses doctrines fondamentales, ouvrage analogue à celui de Schweizer, et que le docteur Chantepié de La Saussaye a attaqué en 1859 avec autant de talent que de succès), relève surtout l’infinité et la toute-puissance de Dieu. Le dogme religieux de la prédestination, tel qu’il avait été formulé par Calvin, se transforme, chez lui comme chez Schweizer, en un déterminisme philosophique supralapsaire, qui aboutit au rétablissement final absolu ; il attache plus d’importance au fatalisme, conséquence métaphysique de la toute-puissance divine, qu’au fatalisme, que le péché a introduit dans le domaine de la vie morale. Sa spéculation manque tout à la fois de souffle religieux et de profondeur morale. Il envisage Christ comme l’homme, qui reproduit sous une forme adéquate et parfaite l’image divine, et oscille entre le panthéisme et le déisme. Il transforme le témoignage de l’Esprit-Saint en un simple témoignage de la raison, qui reconnaît Christ ; il admet comme principe matériel la foi en la souveraineté absolue de Dieu et en la grâce comme en la source unique de la félicité. Son système métaphysique n’a pas plus d’intérêt à nier le miracle, que son point de vue religieux n’en a à l’affirmer.
Scholten, par le fait qu’il nie la liberté, est forcément entraîné à soumettre l’homme aux lois souveraines de la nature et à retomber, par conséquent, dans les errements du déisme, puisqu’il n’assure point à la religion un rôle essentiel et indépendant dans la vie de l’humanité. Aussi un grand nombre de ses disciples se sont-ils rattachés à la méthode empirique, si favorisée de nos jours par les progrès des sciences naturelles, tandis que le maître cherchait dans l’idéalisme théologique un refuge contre le mysticisme sous toutes ses formes.
On peut considérer comme l’un des principaux représentants de la méthode empirique Opzoomer, professeur de philosophie morale à Utrecht, longtemps disciple de Krause, dont le système était professé à Bruxelles par Ahrens. Après avoir prédit la réconciliation de l’homme avec lui-même par la pensée (1845), il a rétracté plus tard toutes ses opinions spéculatives, et opposé, à l’exemple de Pierson et de Busken Huet, à l’autorité objective aussi bien qu’à la métaphysique la simple observation extérieure, qu’il envisage comme la seule méthode d’arriver à la certitude, comme s’il était possible d’envisager comme une science sérieuse celle qui n’a point pour base des idées évidentes par elles-mêmes, et comme si la religion n’était pas, elle aussi, une expérience supérieure, ou tout au moins égale, au témoignage des sens ? Aussi Opzoomer se montre-t-il hostile aux idées fondamentales du christianisme. En tout cas ces écoles si diverses n’ont su ni répondre aux besoins religieux de la Hollande, ni encore moins les satisfaire complètement.
On a vu fleurir au sein des Églises hollandaises une tendance toute différente, qui ne comptait pas encore de représentants dans le sein des universités, tendance pleine de brillantes promesses, unie d’esprit et de cœur aux travaux de la nouvelle école évangélique allemande, et qui a donné naissance à des travaux aussi nombreux qu’importants. Ses débuts furent arides, et en apparence ingrats, car elle semblait vouloir reproduire en Hollande la théologie juridique et légale de Stahl, et ne voyait de remède contre le schisme que dans le relèvement du vieux drapeau confessionnel. Nous pouvons compter parmi ses premiers représentants le juriste homme d’État Groen van Prinsteter, le poète Guillaume Bilderdyck (mort en 1831) et les professeurs Isaac da Costa (mort en 1859) et A. Capadose. Ce dernier professe les mêmes opinions eschatologiques qu’Auberlen et Baumgarten, et prophétise le relèvement d’Israël.
On vit, toutefois, surgir bientôt de leur sein un petit groupe d’hommes distingués et pieux, qui rêvaient le relèvement de la science théologique, et qui voulaient affranchir la foi évangélique des entraves pesantes de l’autorité littérale des vieux symboles. Ils fondèrent deux journaux : l’Union, et le journal intitulé : Sérieux et Paix. A cette tendance appartiennent Heldring, van Rhyn, dont l’influence est considérable dans le domaine de l’activité pratique, les théologiens van Osterzee (Christologie, l’Évangile de saint Luc, les Epîtres pastorales et saint Jacques dans le Bjbelwerk de Lange), Doedes (le Dogme du baptême, de la sainte cène, de la résurrection de Jésus-Christ), professeurs de théologie à Utrecht et collègues de Ter Haar ; Chantepié de La Saussaye, à la Haye (Pensées sur l’essence et sur les besoins de l’Église, etc.), et Beets (Paul). Ces divers savants veulent conserver et défendre l’élément mystique de la foi, toujours plus méconnu par les théologiens de Groningue ; ils cherchent dans leur théologie à concilier la spéculation et l’histoire, la réalité et l’idéal, et reproduisent avec fidélité le type primitif de la Réforme, c’est-à-dire l’union de l’élément moral et religieux avec l’élément intellectuel de l’âme. C’est sur eux que repose désormais l’espoir de l’Église hollandaise affranchie, ou plutôt privée, par la déclaration du synode général en date du 29 juillet 1865, de la protection légale de sa confession de foi réformée et chrétienne.