Et ceci en sera pour vous le signe : vous trouverez un petit enfant emmailloté dans une crèche.
(Luc 2.12)
Depuis le jour où notre premier père avait, par sa désobéissance, attiré sur lui et sur sa race, comme lui pécheresse, la condamnation et la mort, depuis ce jour néfaste Dieu avait promis à la terre un Sauveur. Cette promesse, rappelée à Jacob mourant, fut redite encore à Moïse ; plus tard, David la célèbre dans plusieurs de ses psaumes ; Isaïe annonce le Libérateur d’Israël, le Puissant, le Grand, l’Admirable, apportant à la nation juive la liberté, la domination, la gloire ; enfin tous les prophètes viennent successivement ajouter un trait de plus à la figure du Messie promis. Ces oracles sont traduits, répandus ; ils volent de bouche en bouche ; on désigne le lieu de sa naissance, la race royale dont il doit descendre ; on touche à l’époque fixée par sa venue. Un astre nouveau se lève, il se dirige sur Bethléem, des mages le suivent ; des anges descendent sur la terre pour annoncer à des bergers que le Sauveur, le Christ, le Seigneur vient de naître. Les armées célestes éclatent en chants de triomphe : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, paix sur la terre, bienveillance envers les hommes ! L’heure est sonnée, le Sauveur du monde va naître, il est né. Rois et bergers le cherchent. Où donc est-il ce Seigneur de gloire, ce Libérateur d’Israël, ce Père d’éternité, cet Être si grand, si extraordinaire que la terre n’en a jamais porté de semblable ? Le voilà : c’est ce pauvre enfant emmailloté et couché dans une crèche !
Quelle déception pour le peuple juif, qui attend un conquérant riche et puissant, un successeur de David et de Salomon, et qui trouve un enfant couché dans une étable sur un peu de paille ! Il faut en convenir, ce cortège de misère n’était guère propre à persuader à un peuple oriental (hélas ! peut-être pas mieux à nous-mêmes) que ce fût là le Messie qui devait régner sur l’univers ! Et cependant si vous voulez y réfléchir, vous découvrirez une preuve de la divinité du Christianisme précisément dans ce fait qu’on a trouvé son auteur emmailloté et couché dans une crèche. C’est ce que nous voudrions vous faire sentir.
Lecteur, faites un effort d’imagination ; pour un moment fermez les yeux à tout ce qui vous entoure, et transportez-vous par la pensée à deux mille ans dans les âges passés ; venez pendant l’obscurité de la nuit dans la pauvre bourgade de Bethléem ; approchez-vous de cette misérable auberge, regardez : on n’a pas même daigné y donner une place à cette famille ; elle a dû se réfugier dans l’étable de la maison, et là regardez : entre une pauvre femme et un simple charpentier gît, sur une poignée de paille, un enfant emmailloté et couché dans une crèche ! Des serviteurs, aucun ! de fortune, pas l’ombre ! des amis, pas un ! de la puissance, pas la moindre ! Demander où est le trône, la cour, les armées de ce monarque semblerait une ironie. L’enfant est là, à peine soutenu par un souffle de vie, que le besoin, le froid, peuvent éteindre. Maintenant tirez le rideau sur cette scène, retraversez les siècles, revenez à nos jours, et voyez cet enfant devenu le Dieu de la moitié du monde ! adoré par les peuples comme le Seigneur des cieux et de la terre ! Voyez sa Parole répandue sur tous les coins du globe, lue avec respect, crue avec bonheur et consolant les malheureux. Écoutez le nom de cet enfant, répété par des millions de bouches, du nord au midi, de l’orient à l’occident. Et dans ce jour de Noël, à l’instant où je parle, entendez s’élever de ces églises d’Europe, d’Asie, d’Afrique, du Nouveau-Monde, des millions de voix pour vous dire : Un Sauveur vient de naître ! Voyez ces foules innombrables prosternées devant cet enfant, attentives autour d’une chaire où retentit sa Parole, chantant ses louanges et répétant avec l’armée céleste : « Gloire à Dieu, paix sur la terre, bienveillance envers les hommes ! » et dites-nous si la comparaison de cet enfant jadis faible, abandonné, respirant à peine, avec ce même enfant aujourd’hui adoré, régnant sur la moitié du monde, ne démontre pas que la main de Dieu a soutenu, dirigé et accompli cette œuvre ? Dites-nous s’il n’y a pas dans l’obscure origine du Christianisme, contrastant avec l’éclat de ses triomphes, la preuve d’une intervention divine ? Dites-nous si vous n’êtes pas frappé de ce seul contraste : Celui en l’honneur duquel on a érigé ces temples, Celui dont la Parole réunit ces nombreux auditeurs, Celui dont tant de générations ont célébré la naissance comme celle du fils de Dieu, a été trouvé emmailloté et couché dans une crèche !
Oui, ce contraste est frappant ; et il me paraît si propre à convaincre, qu’il me semble qu’un imposteur, voulant aujourd’hui montrer l’intervention de la Providence dans une œuvre grande, puissante et étendue, devrait s’efforcer d’en rapetisser l’origine. S’il écrivait aujourd’hui l’Évangile, il devrait y dire que Jésus est né dans une crèche, lui maintenant adoré. Mais est-ce de nos jours que ce passage a été écrit dans l’Évangile ? Est-ce seulement à l’époque où le Christianisme déjà répandu en Orient pouvait faire présager ses triomphes ? Non, ces mots ont été tracés lorsque Jésus était aux yeux des peuples couché dans un sépulcre, lorsque la religion chrétienne était inconnue au monde, lorsque douze pauvres disciples, moqués et repoussés, parcouraient la Judée, annonçant une doctrine, scandale aux Juifs et folie aux Gentils ; ces mots ont été écrits à l’époque où toutes les nations attendaient un messie glorieux dont la naissance, la vie, le règne, fussent grands et nobles, d’après les idées de l’homme ; en sorte qu’à l’écrivain de cette époque qui aurait voulu faire accepter son héros le simple bon sens dictait la précaution de cacher une origine aussi basse et lui faisait un devoir de relever, d’ennoblir la naissance de son prétendu messie. Il devait bien savoir, cet écrivain, que les hommes aiment la pompe, les palais, l’or, l’éclat, la gloire ; et pour faire accepter son Sauveur, il aurait bien dû placer cet enfant sur le trône imaginaire d’une cour orientale ; ou, s’il ne pouvait faire croire à une telle imposture, il aurait bien dû le faire naître, sinon dans un palais, du moins dans une maison honorable. N’aurait-ce pas été pour le peuple, qui dans tous les siècles se laisse fasciner par la pompe, un motif pour recevoir son récit avec faveur ? Mais non ; au lieu d’un palais, il lui donne une étable pour demeure, une crèche pour berceau, un peu de paille pour duvet, un charpentier pour père. Il faut en convenir, ce ne sont pas là des paroles adroites pour un écrivain qui veut persuader un mensonge. Pourquoi retracer ces misérables circonstances, si propres à désenchanter les lecteurs de son temps ? Pourquoi nous parler de village, d’auberge, de crèche, et de tout le cortège de la misère ? – Pourquoi ? dites-vous. Ah ! c’est que l’écrivain Luc n’était pas un imposteur qui cherchât à séduire. Goûtez ou non cette basse naissance, peu lui importe ; ce dont il s’inquiète, ce n’est pas de plaire, c’est de dire la vérité ; c’est qu’il sait bien que sa cause, pour réussir, n’a pas besoin de la ruse ; que son auteur est Dieu, et que Dieu sera son protecteur ; c’est que l’évangéliste était persuadé lui-même de tout ce que retraçait sa plume, et que, bien loin de vouloir abuser la postérité, il désirait lui faire connaître Celui qui, pour lui comme pour elle, était le Sauveur, le Christ, le Seigneur. Aussi, dans cette simplicité qui raconte les événements comme ils se sont passés, dans cette candeur qui croit elle-même ce qu’elle me dit de croire, je trouve un indice de droiture accréditant tout le livre ; et à ceci je reconnais que Jésus était bien l’envoyé de Dieu, le Sauveur du monde, que son historien ne craint pas de me dire avec naïveté : « Vous le trouverez emmailloté et couché dans une crèche. »
Oui, un écrivain dirigé par l’esprit de l’homme aurait dû mettre un trône à la place de la crèche de Jésus. Nous le sentons par notre propre expérience : tout ce qui tombe sous nos regards dans ce monde n’est pas d’un même prix à nos yeux. Un nom illustre, une famille ancienne, des héros parmi les ancêtres, tout cela nous fascine ; un palais somptueux, des vêtements chargés de pierreries, une suite nombreuse, des lambris d’or ou d’argent, sont pour nous bien plus précieux que la hutte couverte de chaume, le vêtement souillé de boue, la paille d’une couche délabrée. Mais ces distinctions de l’homme peuvent-elles exister pour un Dieu créateur de toutes choses ? Pour lui, l’or est-il plus que la boue ? Pour lui, un palais est-il plus qu’une crèche ? Pour lui, un roi est-il plus qu’un charpentier ? Pour lui, la gloire, la puissance du riche, sont-elles plus que la misère et la faiblesse du pauvre ? Qu’y a-t-il de grand ou de petit pour le Créateur de l’univers ? Qui établit à ses yeux une différence entre les gouttes d’eau de l’Océan et les étoiles des cieux ? Les étoiles ne sont-elles pas aussi nombreuses que les gouttes d’eau ? Ont-elles coûté plus à Celui qui a dit : « Que la lumière soit ? » et la lumière fut. Non, non ; la pauvre humanité, dans sa faiblesse de conception et de puissance, peut bien comparer entre elles les œuvres de la création, admirer les unes et oublier les autres, estimer le soleil et mépriser la poussière, inventer ces mots si brillants pour nous, d’or, de diamant, de trône, de puissance et de gloire ; et ces paroles si repoussantes, de misères, de haillons et de chaume ; mais pour Dieu tout cela est un et même ; tout cela est parfaitement semblable, parfaitement inutile ou précieux. Le dieu qui estimerait l’or plus que la pierre, le diamant plus que le sable, ne serait pas un dieu ; et s’il me disait que son fils a voulu pour berceau un temple plutôt qu’une poignée de paille, je verrais dans cette préférence la mesquine grandeur d’une pensée humaine. Pour Dieu, tout dans sa création est également grand, également petit, également riche, également pauvre, également puissant, et également faible, et c’est pourquoi je reconnais une leçon divine dans ce fait que le Sauveur du monde se trouve emmailloté et couché dans une crèche.
Mais peut-être penserez-vous que cette naissance de Jésus dans une crèche est une circonstance fortuite, sans intention et sans portée, dont nous tirons à tort une preuve en faveur de la divinité du Christianisme. Eh bien, regardez, non plus à la naissance, mais à la vie, à la mort de ce Jésus ; et voyez si toujours et partout il n’a pas manifesté le même mépris pour ce que le monde appelle grand et la même indifférence entre la gloire ou l’obscurité, la fortune ou la pauvreté, la puissance ou la faiblesse. Celui qui est né dans une crèche a été élevé dans la boutique d’un charpentier ; il s’asseoit indifféremment à la table du riche pharisien Simon, ou à celle du pauvre péager Matthieu ; il parle volontiers et du même ton au jeune seigneur et à l’aveugle mendiant ; il instruit Nicodème, le docteur, avec la même simplicité qu’il bénit les petits enfants. Il prêche au milieu des vieillards du temple avec la même autorité qu’à l’étrangère Cananéenne. A-t-il courbé la tête devant Pilate ou le grand-prêtre ? L’a-t-il relevée devant Madeleine ou la femme adultère ? A-t-il honoré les magnifiques pharisiens et méprisé les chétifs péagers ? Non ; pour tous il n’avait qu’une même contenance, une même parole, la parole d’un maître, la parole d’un Dieu qui peut sans honte naître dans une crèche, et sans honte mourir sur un gibet. Et après avoir traité les hommes grands et petits avec une parfaite égalité, a-t-il revendiqué pour lui cette gloire, cette puissance humaine ? Non. Tandis que les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des abris, lui n’a pas un lieu où reposer sa tête ; tandis que les grands sont dans les palais, parés d’habits magnifiques, lui prend pour compagnons d’œuvre les pêcheurs du lac de Génézareth et les publicains à la porte de Capernaüm ; tandis que le riche se revêt de fin lin et se traite splendidement à une table dont les miettes auraient nourri plus d’un Lazare, lui quitte la table, et lave les pieds à ses disciples. Si l’on veut le faire roi, il fuit sur la montagne ; si on lui refuse l’hospitalité, il accepte cet opprobre. A celui qui l’insulte, pas un mot de réponse ; à celui qui le frappe, pas le moindre reproche ; et quand il n’a plus d’exemple d’humilité à donner dans une vie près de finir, il va mourir, entre deux brigands, sur la croix des esclaves ! – O vous qui connaissez la pente du cœur de l’homme vers la gloire, vous qui avez assez étudié l’histoire du monde et votre cœur pour savoir que jamais l’orgueil n’a pu être extirpé de notre nature, dites-le-nous : un caractère si humble, si véritablement humble, est-il celui d’un de nos semblables ? Chez l’homme, la vanité, comprimée sur un point, ne se montre-t-elle pas sur l’autre ? Quand elle se cache, n’est-ce pas encore pour mieux triompher ? et lorsque vous trouvez un seul être qui en est complètement exempt, un seul être qui, par sa naissance, sa vie et sa parole, renverse toutes les idées reçues dans le monde pour placer au premier rang des vertus l’humilité, cet être ne sera-t-il à vos yeux autre chose qu’un homme ? Pour moi, je l’avoue, dans ces circonstances si multipliées et si graves de la vie de Jésus, je trouve la preuve de sa divinité, comme je l’avais aperçue dans les circonstances si simples de sa naissance, et je me dis encore : c’est à cela que je reconnais que Jésus est le Sauveur, le Christ le Seigneur, qui est trouvé emmailloté et couché dans une crèche.
Oui, chrétiens, nous pouvons nous réjouir ; Christ est le Fils de Dieu ; ses promesses sont des vérités, ses disciples sont pardonnés, et le ciel les attend au-delà de la terre. Mais sommes-nous nous-mêmes ses disciples ? Avons-nous avec lui quelque ressemblance, même lointaine ? Si j’allais dire maintenant dans le monde que vous êtes nés dans une étable, n’en seriez-vous pas humiliés ? Si du plus riche d’entre vous j’allais raconter que son père était un pauvre artisan, n’en rougiriez-vous pas de honte ? Si j’ajoutais que tel autre avait parmi ses amis des mendiants, ou que lui-même a jadis vécu d’aumônes, ne risquerais-je pas de soulever son indignation ? Je le crains. Mais alors vous n’avez pas les sentiments de Celui que vous appelez votre Maître ; la vaine gloire est quelque chose pour vous, l’orgueil est encore dans votre cœur, et finalement vous attachez plus de prix à l’approbation des hommes qu’à celle de Dieu. Comment votre cœur, rempli de vanité, pourrait-il contenir la sainteté et l’amour ?
Ah ! que cette naissance, cette vie, cette mort si humbles de Jésus, que vous admirez chez le Maître, nous fassent enfin comprendre que la gloire humaine doit être méprisable pour les disciples ; que notre admiration ne soit pas une vaine théorie, qu’elle se transforme en pratique et pénètre notre vie. Sachons estimer les petits, rechercher les humbles ; disparaissons aux yeux des hommes, si nous voulons briller comme une étoile devant Dieu, et disons-nous bien qu’aussi longtemps que nous attacherons du prix à notre titre de naissance, à notre rang dans la société, à la hauteur de notre tombe, nous ne serons pas les disciples de Celui qui voulut naître dans une étable, vivre avec les pauvres et mourir sur une croix !