Stromates

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE PREMIER

L’auteur réfute l’opinion des Basilidiens sur la continence et sur le mariage.

Les Valentiniens qui font descendre originairement des divins embrassements les alliances conjugales, approuvent le mariage. Quant aux Basilidiens, ils disent que les apôtres ayant interrogé le Seigneur pour savoir s’il ne valait pas mieux se marier, le Seigneur leur répondit :

« Tous n’entendent pas cette parole ; car il y a des eunuques de naissance et des eunuques de nécessité. »

Or, les Basilidiens interprètent ainsi cette réponse :

Il est des hommes qui, de naissance, ont pour la femme une aversion naturelle. Ceux-là font bien d’obéir à leur tempérament, et de ne point se marier. Ils sont eunuques de naissance. Les eunuques de nécessité sont tous ces hommes qui s’exercent sur les théâtres, et que le soin de leur gloire oblige à garder la continence. Ceux qu’un accident quelconque a mutilés sont eunuques par nécessité. Ceux donc qui deviennent eunuques par nécessité, ne le deviennent point conformément à la sagesse divine, mais bien ceux qui se font eux-mêmes eunuques pour le royaume éternel. Ils prennent, disent-ils, ce parti pour éviter les soucis ordinaires du mariage, et dans la crainte des soins attachés à l’entretien d’une famille.

Et ce qu’a dit saint Paul :

« Il vaut mieux se marier que de brûler ? »
L’apôtre, répondent-ils, a voulu dire : Si vous ne vous mariiez pas, vous risqueriez de jeter votre âme dans le feu en résistant nuit et jour et en craignant de perdre la continence ; car une âme qui est tout occupée à résister, se sépare de l’espérance.
« Prenez donc, dit en propres termes Isidore dans ses Morales, une femme d’une forte constitution, de peur que vous ne vous sépariez de la grâce de Dieu ; puis, après avoir éteint votre feu en satisfaisant à votre passion, vous pourrez prier avec plus de liberté. Et lorsque votre action de grâces, poursuit-il, se sera transformée en demande, et que désormais vous aurez résolu, non pas de bien faire, mais de ne pas succomber, mariez-vous. Mais voici un jeune homme, il est pauvre et porté aux plaisirs de la chair, et conformément à la sagesse, il ne veut pas se marier. Qu’il prenne bien garde de ne pas se séparer d’un frère ; qu’il dise : je suis entré dans la voie sainte ; rien de mal ne saurait m’arriver. A-t-il quelque crainte ? qu’il dise : frère, impose-moi la main, afin que je ne pèche point ; et il recevra du secours et dans son âme et dans son corps. Qu’il veuille seulement accomplir ce qui est bien et il y réussira. Mais souvent nous disons de bouche : je ne veux pas pécher, et notre cœur persévère dans les liens du péché. C’est la crainte et l’appréhension d’un supplice qui empêchent un homme animé de ces sentiments d’exécuter ce qu’il projette. La nature humaine a des besoins nécessaires et des besoins seulement naturels. Les vêtements sont à la fois nécessaires et naturels. Les plaisirs charnels sont naturels, mais non pas nécessaires. »

J’ai cité ces paroles pour rappeler au devoir ceux des Basilidiens qui se conduisent mal, et qui se font de la perfection un prétexte pour commettre le péché ; ou qui tout au moins se flattent d’être infailliblement sauvés, quand même ils pécheraient ici-bas, parce qu’ils ont été élus, disent-ils, dès le sein de leur mère. Ils verront par là que tel n’était pas le sentiment des premiers auteurs de leur doctrine. De grâce donc, qu’ils ne fassent plus blasphémer le nom du Christ en se donnant pour Chrétiens et en menant une vie plus licencieuse que les plus intempérants des gentils ; c’est de tels hommes qu’il a été dit : faux apôtres, ouvriers trompeurs, et le reste jusqu’à ces mots : dont la fin sera selon leurs œuvres. La continence donc est le mépris du corps, conformément à la promesse qu’on en a faite à Dieu. Car la continence a pour objet la fuite, non-seulement des plaisirs de la chair, mais encore de tous ceux que l’âme, convoite d’une manière illicite, ne sachant pas se contenter du nécessaire. Ainsi la continence s’exerce sur la langue, dans les possessions, dans la jouissance, dans les désirs. La continence ne nous apprend pas seulement à être tempérants ; mais comme elle est une force et une grâce divine, elle nous donne la tempérance. Voici donc notre opinion sur la question qui nous occupe : Nous bénissons la continence et ceux auxquels Dieu l’a accordée. Nous vénérons l’unité de mariage, et tout ce qu’il y a de beau et d’honnête à ne s’être marié qu’une fois; mais aussi nous disons qu’il faut être compatissant, et porter les fardeaux les uns des autres, de peur que celui qui croit être debout et ferme ne tombe aussi lui-même. Quant au mariage en secondes noces :

« Si tu brûles, dit l’apôtre, marie-toi. »

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