« Dans son zèle pour la religion, il n’ignorait pas que les victimes animées ne s’offraient point aux dieux, mais aux démons bons ou méchants. Il savait aussi à qui il importait d’offrir ces sacrifices et quelle sorte de culte les démons exigeaient de ceux qui s’adressaient à eux ».
Puis il ajoute :
« Ce n’était pas aux dieux, mais aux démons, qu’offraient des sacrifices sanglants ceux qui reconnaissaient des puissances divines dans l’univers ; c’est là un fait appuyé sur le témoignage des anciens théologiens, et parmi ces démons, les uns sont méchants et ont une puissance nuisible, les autres sont bons, et nous n’avons rien à craindre d’eux. »
Voilà ce que dit notre auteur. Il y a donc, de son propre aveu, de bons et de méchants démons. Eh bien ! prouvons-lui que ceux qu’il appelle des dieux n’étaient pas même de bons, mais bien de méchants démons. Et voici comme je raisonne : un bon génie fait du bien, un mauvais génie ne connaît que le mal. D’après ce principe, s’il est clair que tous ces prétendus dieux ou démons, dont le nom retentit en tous lieux, et qui reçoivent le culte de toutes les nations, comme Saturne, Jupiter, Junon, Minerve et les autres dieux du même ordre, les puissances invisibles, les démons qui habitent les idoles ; s’il est clair, dis-je, que tous ces dieux se font un plaisir de voir couler dans leurs sacrifices, non pas seulement le sang des animaux sans raison, mais même celui des hommes, plaisir cruel qui n’est satisfait que par la douleur des malheureux mortels, peut-on concevoir un plus terrible fléau que de semblables dieux ? En effet, si au sentiment des philosophes, les sacrifices d’animaux sans raison sont une chose affreuse et digne d’exécration, un crime détestable, une injustice, une impiété qui peut attirer les derniers malheurs sur ceux qui offrent de telles victimes indignes de la Divinité, que faut-il penser des sacrifices humains, sinon qu’ils sont une impiété mille fois plus criminelle. Ils ne sauraient donc être agréables qu’à des génies malfaisants et destructeurs, mais jamais à de bons démons. Eh bien ! faisons voir que tel était le joug affreux qui pesait sur les hommes, avec les erreurs idolâtriques, avant que notre Sauveur eût annoncé la doctrine de son Évangile ; que l’univers n’a été délivré de ce fléau que vers le temps d’Adrien, alors que la doctrine de Jésus-Christ éclairait déjà toutes les régions de sa bienfaisante lumière. Et ici encore ce ne sera pas nous qui parlerons ; nous invoquerons le témoignage de nos ennemis ; nous les entendrons avouer que telle fut l’impiété des temps antérieurs, que dans leur vaine superstition, les hommes excédèrent de beaucoup les limites de la nature, poussés par des esprits malfaisants et comme par une fureur diabolique, jusqu’à acheter les faveurs de leurs divinités sanguinaires au prix de la vie de ce qu’ils avaient de plus cher et de mille autres sacrifices humains. Ainsi on voyait un père immoler au démon son fils unique ; une mère, sa fille chérie ; les amis les plus intimes offrir en holocauste leurs amis et leurs proches comme de vils animaux étrangers à notre nature. Partout dans les villes et les campagnes, vous auriez vu les peuples dépouiller en quelque sorte la sensibilité et la compassion naturelle de l’humanité, pour prendre des mœurs farouches et sans pitié, immoler à leurs dieux leurs proches et leurs compatriotes ; coutumes affreuses, inspirées évidemment par quelque furie ou quelque mauvais démon. Parcourez l’histoire de la Grèce et des nations barbares, et vous y verrez comment ils dévouaient aux sacrifices, ceux-ci leurs fils, ceux-là leurs filles, d’autres jusqu’à leurs personnes mêmes. Pour moi j’invoquerai un témoignage dont je me suis déjà servi fréquemment. Voici comment parle Porphyre dans ce même ouvrage où nous l’avons vu combattre comme une injustice et une impiété, les sacrifices d’animaux.