Pense à moi, mon enfant, quoi que tu te proposes,
Laisse-m’en disposer, et dis en toutes choses :
O mon Dieu ! si ton bon plaisir
S’accorde à ce que je souhaite,
Donne-m’en le succès conforme à mon désir ;
Sinon ta volonté soit faite.
Si ta gloire peut s’exalter
Par l’effet où j’ose prétendre,
Permets qu’en ton saint nom je puisse exécuter
Ce que tu me vois entreprendre.
S’il doit servir à mon salut,
Si mon âme en tire avantage,
Ainsi que ton honneur en est l’unique but,
Que te servir en soit l’usage.
Mais s’il est nuisible à mon cœur,
S’il est inutile à mon âme,
Daigne éteindre, ô mon Dieu, cette frivole ardeur,
Et remplis-moi d’une autre flamme.
Car souvent un désir peut sembler vertueux,
Qui n’a de la vertu qu’un air tumultueux,
Qu’une ombre colorée, et ce n’est pas à dire,
Quoiqu’il paraisse bon, que c’est moi qui l’inspire.
Il ne t’est pas aisé de juger au certain
Quel esprit meut ton âme, ou ta langue, ou ta main ;
S’il est bon ou mauvais ; si l’un ou l’autre est cause
Que tu fais un souhait pour telle ou telle chose,
Ou si ce n’est enfin qu’un simple mouvement
Qu’excite dans ton cœur ton propre sentiment.
Plusieurs y sont trompés, et leur fausse lumière
Trouve le précipice au bout de la carrière,
Après avoir cru prendre avec fidélité
Pour guide en tous leurs pas l’Esprit de vérité.
Tu dois donc, ô mon fils, toujours avec ma crainte,
Avec l’humilité dedans ton cœur empreinte,
M’adresser tous tes vœux, me demander l’effet
De tout ce que tu crois digne de ton souhait,
Réduire tes désirs sous ce que je désire,
M’en remettre le tout, et toujours me redire :
Tu vois ce qui m’est le meilleur,
De mes maux tu sais le remède ;
Regarde mon désir, et règle-le, Seigneur,
Ainsi que tu veux qu’il succède.
Donne-moi ce que tu voudras ;
Choisis le temps et la mesure :
Et comme il te plaira daigne étendre le bras
Sur ta chétive créature.
Vois-moi gémir et travailler,
Et pour tout fruit ne me destine
Que ce qui te plaît mieux, et qui fait mieux briller
L’éclat de ta gloire divine.
Ordonne de tout mon emploi
Par ta providence suprême ;
Agis partout en maître, et dispose de moi
Sans considérer que toi-même.
Tiens-moi dans ta main fortement ;
Tourne, retourne-moi sans cesse ;
Porte-moi, sans repos, de la joie au tourment,
De la douleur à l’allégresse.
Tel qu’un esclave prêt à tout,
Pour toi, non pour moi, je veux vivre ;
C’est là mon seul désir : puissé-je jusqu’au bout,
O mon Dieu ! dignement le suivre !
ORAISON
pour faire le bon plaisir de Dieu
Doux arbitre de mon sort,
Daigne m’accorder ta grâce ;
Qu’elle aide mon faible effort,
Et que sa pleine efficace
Dure en moi jusqu’à la mort.
Fais, Seigneur, que mon désir
N’ait pour but invariable
Que ce que ton bon plaisir
Aura le plus agréable,
Que ce qu’il voudra choisir.
Que ton vouloir soit le mien ;
Que le mien toujours le suive,
Et s’y conforme si bien,
Qu’ici-bas, quoi qu’il m’arrive,
Sans toi je ne veuille rien.
Fais-le toujours prévaloir
Sur quoi que je me propose,
Et mets hors de mon pouvoir
De vouloir aucune chose
Que ce qu’il te plaît vouloir.
Fais-moi de sorte mourir
A tout ce qu’on voit au monde,
Que je ne puisse chérir
Sur la terre ni sur l’onde
Que ce qui ne peut périr.
Que ma gloire à l’abandon
Sous les mépris abîmée
Conserve si peu mon nom,
Qu’à mes yeux la renommée
Doute si je vis ou non.
Fais que de tous mes souhaits
En toi seul je me repose ;
Fais qu’attendant les effets
Où mon âme se dispose,
Elle trouve en toi sa paix.
Toi seul es le vrai repos ;
Hors de toi le calme est rude ;
Et la bonace des flots
Augmente l’inquiétude
Des plus sages matelots.
En cette paix donc, Seigneur,
Essentielle et suprême,
En cet unique bonheur,
Qui n’est autre que toi-même,
Fais le repos de mon cœur.