En abordant la question des fins dernières, saint Augustin avait pleine conscience des difficultés et des problèmes que soulevaient en cette matière certains passages de l’Écriture. Ces difficultés avaient embarrassé un saint Jérôme et un saint Ambroise : il les aborda à son tour avec une volonté opiniâtre d’y porter la lumière. Il ne les résolut pas toutes, mais il en réduisit l’importance en en diminuant le nombre, et en mettant hors de conteste, sur ce sujet, les vérités fondamentales qui commandent toute la vie chrétienne.
L’évêque d’Hippone admet qu’immédiatement après la mort, les âmes reçoivent une partie de la récompense ou du châtiment qu’elles ont mérités, récompense et châtiment qui ne sont cependant pas complets, puisque la réunion du corps à l’âme après la résurrection en doit remplir la mesure. Mais, dans cet état, les âmes justes voient-elles Dieu, sont-elles avec lui ? Augustin l’admet assez certainement pour les martyrs ; pour les autres il hésite, et l’on trouve chez lui des textes dans les deux sens. C’est qu’il se demande comment l’âme séparée de son corps pourrait être parfaitement heureuse et capable de contempler Dieu.
Il ne veut pas que l’on cherche quand viendra la fin du monde, puisque Notre-Seigneur nous l’a laissé ignorer : il se déclare incapable d’expliquer au sujet de l’antéchrist les paroles de saint Paul (2 Thessaloniciens 2.1-11), surtout les versets 6, 7, et rejette avec dédain la croyance populaire qui identifiait l’antéchrist avec Néron. Il l’identifierait plutôt avec le faux prophète de l’apocalypse (Apocalypse 19.20).
D’autre part, saint Augustin, qui pendant quelque temps avait admis le millénarisme, repoussa plus tard absolument cette erreur, et pour lui enlever son principal appui, s’efforça de présenter dans le livre xx de la Cité de Dieu, une explication allégorique de la vision de Patmos. La première résurrection dont parle saint Jean (Apocalypse 20.5) représente la rédemption et l’appel à la vie chrétienne ; le règne de Jésus-Christ et de ses saints (Apocalypse 10.6), c’est l’Église et son apostolat ici-bas ; enfin les mille ans ou bien sont les mille dernières années qui précéderont le jugement, ou bien désignent la durée totale de l’Église terrestre.
La fin du monde venue amènera la résurrection de la chair. Au temps de saint Augustin, cette vérité provoquait encore les objections des païens. Notre auteur les a rassemblées et s’est efforcé d’y répondre au De civitate Dei, xxii, 12-20. Tous ressusciteront, bons et méchants, élus et damnés. Dans quelles conditions ? D’abord la chair restera chair et ne deviendra pas esprit ; le mot de corps spirituel employé par l’apôtre veut dire seulement que le corps sera alors affranchi des appétits et besoins grossiers et régi entièrement par l’esprit : « Erit ergo spiritui subdita caro spiritualis, sed tamen caro, non spiritus : sicut carni subditus fuit spiritus ipse carnalis, sed tamen spiritus, non caro. » De plus le sexe sera conservé ; mais dans les justes, les défauts du corps disparaîtront, et les élus seront parfaitement beaux. Quant à ce qui se passera dans les réprouvés, inutile de s’en inquiéter.
La résurrection universelle sera suivie du jugement. Tout s’y passera en un clin d’œil, et la conclusion en sera le salut ou la damnation définitivement proclamés. On a vu plus haut que, au commencement du ve siècle, une série d’erreurs s’étaient répandues dans l’Église d’Occident, qui représentaient le salut comme plus ou moins indépendant des bonnes œuvres, et qui niaient l’éternité des peines de l’enfer soit pour tous les réprouvés, soit au moins pour certaines catégories de pécheurs. Saint Augustin a réfuté les premières dans le De civitate Dei, xxi, 23-27 et dans le De fide et operibus, 21 et suivants. Ce n’est, enseigne-t-il, ni le baptême, ni la réception de l’eucharistie, ni l’orthodoxie de notre foi, ni l’aumône toute seule qui nous sauvera ; c’est l’ensemble de notre vie et de nos bonnes œuvres ; et il n’y aura pas de condamnés au dernier jour que les idolâtres et les infidèles.
En ce qui regarde la nature et la durée de la peine des réprouvés, saint Augustin n’est pas moins ferme, au moins sur les points qui appartiennent au dogme proprement dit. Ils souffriront d’une peine commune, l’alienatio a vita Dei, à laquelle s’ajoutera une peine d’ordre inférieur, celle que nous appellerions la peine du sens. Bien que l’évêque d’Hippone ne veuille rien trancher absolument, il opine à voir, dans le ver rongeur dont il est question dans l’Évangile, les remords de la conscience, mais dans le feu, un feu réel et matériel qui torturera les damnés, hommes et démons, dans leur corps et dans leur esprit, ou, si l’on prétend que les démons n’ont pas de corps, qui les torturera dans leur être spirituel quamvis miris, tamen veris modis. Ces peines seront différentes naturellement suivant la culpabilité de chaque réprouvé, et celle des enfants morts sans baptême sera mitissima omnium poena ; mais pour tous elles seront éternelles. C’est une thèse sur laquelle le saint docteur est souvent revenu, précisément parce qu’il connaissait les résistances qu’elle rencontrait. Non content de l’établir par l’Écriture — notamment par les textes de l’Apocalypse (Apocalypse 20.9-10) et de saint Matthieu (Matthieu 25.41, 46) — et par l’usage de l’Église de ne pas prier pour les damnés, il s’est efforcé de justifier le dogme par la raison. Quant à l’opinion qui admettait un adoucissement graduel des tourments de l’enfer, sans lui être favorable, il ne la condamne pas absolument : « Poenas damnatorum certis temporum intervallis existiment, si hoc eis placet, aliquatenus mitigari. » — « Quod quidem non ideo confirmo, quoniam non resisto. »
Et cependant saint Augustin était amené par les textes de saint Paul, 1 Corinthiens 3.11-15, et de Matthieu 12.32, à croire que certains péchés seraient pardonnes dans l’autre siècle comme en celui-ci. Le premier de ces textes surtout sur le chrétien sauvé quasi per ignem, parce que, sur le fondement qui est Jésus-Christ, il a édifié du bois, de la paille, du foin, exerçait singulièrement sa curiosité. Quels sont les chrétiens désignés ici ? Il est assez facile de répondre : ce sont les fidèles qui, tout en gardant l’essentiel des préceptes de Jésus-Christ, sont trop attachés aux plaisirs des sens et aux affections permises ; ceux dont notre auteur dit ailleurs qu’ils ont besoin de miséricorde, mais qu’ils n’en sont pas indignes. Ces fidèles devront expier leur trop grand attachement au monde, et c’est pourquoi « temporarias poenas alii in hac vita tantum, alii post mortem, alii et nunc et tune, verumtamen ante iudicium illud severissimum novissimumque patiuntur ». Certains d’entre eux expieront donc après la mort. Maintenant saint Paul parle de feu. Qu’est-ce que ce feu ? L’évêque d’Hippone en a proposé diverses interprétations : il y a vu les tentations et les peines de cette vie ; puis les séparations nécessaires que la mort impose ; puis dans l’Enchiridion, lxix, il en vient à l’hypothèse d’un feu purificateur qui, après la mort, tourmentera plus ou moins longtemps les fidèles d’ailleurs sauvés en principe : « nonnullos fideles per ignem quemdam purgatorium, quanto magis minusve bona pereuntia dilexerunt, tanto tardius citiusque salvari ». Cette hypothèse ne lui paraît pas incroyable. Il existe donc, d’après saint Augustin, sûrement un purgatoire, et peut-être, dans ce purgatoire, du feu.
C’est pour les défunts qui ont ainsi besoin de notre secours, et qui d’autre part n’en sont pas indignes, que nous faisons des aumônes et que nous offrons le saint sacrifice. Ils n’en profitent que parce qu’ils ont, pendant leur vie, mérité d’en profiter, car, après la mort, ils ne sauraient rien mériter, non plus qu’on ne saurait mériter pour eux. Mais ils en profitent certainement : « Neque negandum est defunctorum animas pietate suorum viventium relevari, cum pro illis sacrificium mediatoris offertur, vel eleemosynae in Ecclesia fiunt. » Au De civitate Dei, xxi, 27, 5, le saint docteur attribue également à l’intercession des saints après la mort, le pardon de certains péchés qui empêchent l’entrée dans le royaume de Dieu. Mais quels sont ces péchés « dificillimum est invenire, periculosissimum est definire. Ego certe usque ad hoc tempus cum inde satagerem, ad eorum indaginem pervenire non potui ».
Revenons aux bienheureux. Saint Augustin a consacré à la description de leur félicité le livre xxii de la Cité de Dieu. Cette félicité ne sera pas la même en tous : cette différence néanmoins ne fera naître en eux ni peine ni jalousie. Dans un bonheur éternel, inamissible, dans une jouissance et une paix qui surpassent toute compréhension, comme les anges, les élus verront Dieu face à face. Le verront-ils, après la résurrection, des yeux du corps : « utrum per ipsum (corpus) sicut per corpus nunc videmus solem, lunam, stellas ? » Ils verront ainsi Jésus-Christ ; mais Dieu ? … Notre auteur écarte l’objection philosophique qu’un corps ne saurait percevoir un esprit : il avoue néanmoins qu’il est difficile sinon impossible de prouver que les bienheureux puissent voir Dieu de leurs yeux matériels. Quoi qu’il en soit, à cette vue, sensible ou spirituelle, de Dieu, se joindra dans les bienheureux la jouissance d’un corps léger, obéissant à l’âme, d’un libre arbitre désormais impeccable, et par conséquent, l’harmonie parfaite de leur être et de leurs facultés. Dieu sera pour eux « et vita, et virtus, et copia, et gloria, et honor, et pax et omnia bona » ; il sera tout en tous.
Ajoutons enfin que, après le jugement dernier, ce qu’il y a de périssable et de grossier dans le monde actuel périra par le feu, et qu’un monde nouveau apparaîtra, adapté et disposé pour l’humanité régénérée et immortelle qui doit désormais en jouir : « ut scilicet mundus in melius innovatus apte accommodetur hominibus etiam carne in melius innovatis ».