(Août 1532 à mai 1533)
Beau caractère de Fryth – Il revient en Angleterre – Le purgatoire – Homère sauve Fryth – La manducation de Christ – Fryth parcourt l’Angleterre – Lettre de Tyndale à Fryth – More fait poursuivre Fryth – Aigreur de More – More et Fryth – Fryth en prison – Il compose le Boulevard – Richesse de Fryth dans la prison – Visite de Fryth à Petit – Une cause et un effet
Un des principaux docteurs de l’Angleterre allait sceller de son sang le témoignage de sa foi. John Fryth avait été l’une des étoiles les plus brillantes de l’université de Cambridge. « A peine, disait-on, serait-il possible de trouver quelqu’un qui l’égale en science. » Aussi Wolsey l’avait appelé à son collège d’Oxford, et Henri VIII avait désiré le mettre au nombre de ses savants. Mais les mystères de la Parole de Dieu attiraient encore plus Fryth que ceux de la science ; les besoins de la conscience dominaient en lui ceux de l’entendement, et, dédaignant sa propre gloire, il ne recherchait que l’utilité communea. Chrétien sincère, décidé, et pourtant modéré, annonçant l’Évangile avec une grande pureté et un grand amour, cet homme d’environ trente ans, semblait destiné à devenir l’un des réformateurs les plus influents de l’Angleterre. Rien n’eût pu s’opposer à ce qu’il jouât le premier rôle s’il avait eu l’élan enthousiaste de Luther et l’indomptable puissance de Calvin. Il y avait des traits moins forts dans son caractère, mais peut-être plus aimables ; il enseignait avec douceur ceux qui étaient opposés à la vérité, et, tandis que plusieurs, comme parle Fox, « saisissant le soufflet, attisaient le feu au lieu de l’éteindre, » Fryth recherchait la paixb. Les controverses entre les protestants l’affligeaient. « Les opinions pour lesquelles les hommes se font la guerre, disait-il, ne méritent pas ces grandes tragédies dont ils nous font les spectateurs. Qu’il ne soit plus question parmi nous ni de zwingliens ni de luthériens, car ni Zwingle ni Luther ne sont morts pour nous, et nous devons être un en Jésus-Christc. » Ce serviteur du Christ, doux et humble de cœur comme son Maître, ne disputait même jamais avec les papistes, à moins qu’il y fût obligéd.
a – « Serving for the common utility. » (Tyndale à Fryth, Works, III, p. 74.)
b – « They take the bellows in hand to blow the fire, but few there are that will seek to quench it. » (Fox, Acts, V, p. 10.)
c – Tyndale and Fryth, Works, III, p. 421.
d – « He would never seem to strive against the papists. » (Fox, Acts, V, p. 9.)
Un vrai catholicisme qui embrassait tous les chrétiens, voilà le trait distinctif de Fryth, comme réformateur. Il n’était pas de ceux qui s’imaginent qu’une Église nationale ne doit penser qu’à sa nation ; mais de ceux qui croient que si l’Église est la dépositaire de la vérité, elle l’est pour toute la terre, et qu’une religion n’est pas bonne, si elle n’a pas l’ambition de s’étendre aux diverses tribus de l’humanité. Il y eut dans la Réformation anglaise des éléments nationaux très marqués ; — le roi, le parlement ; — mais il y eut aussi un élément universel : la foi vivante dans le Sauveur du monde. Personne, mieux que Fryth, ne représente peut-être au seizième siècle cet élément vraiment catholique. « Je comprends l’Église de Dieu dans un sens large, dit-il. Elle renferme tous ceux que l’on regarde comme membres de Christ. Elle est un filet jeté dans la mere. » Ce principe, déposé alors comme une semence dans la Réformation anglaise, devait un jour couvrir le monde de missionnaires.
e – Fryth, A Declaration of Baptism, p. 287.
Fryth, ayant rejeté les offres brillantes que le roi lui avait faites par Cromwell et Vaughan, s’occupait avec Tyndale à traduire et à publier en anglais les saintes Écritures. En travaillant ainsi pour l’Angleterre, il lui vint un irrésistible désir d’y répandre lui-même l’Évangile. Il quitta donc les Pays-Bas, revint à Londres et se dirigea vers Reading, dont le prieur était son ami. L’exil l’avait maltraité ; aussi entra-t-il dans cette ville misérablement vêtu, plus semblable à un mendiant qu’à un personnage que Henri VIII avait voulu placer auprès de lui. C’était en août 1532.
Ses écrits l’avaient précédé. Ayant reçu dans les Pays-Bas trois ouvrages composés pour la défense du purgatoire, par trois hommes distingués, Rastell, beau-frère de sir Thomas More, More lui-même, enfin Fisher, évêque de Rochester, Fryth leur avait répondu : Un purgatoire ! il n’y en a pas un seulement, il y en a deux. Le premier est la Parole de Dieu, et le second est la croix de Christ. J’entends non la croix de bois, mais celle de la tribulation. Toutefois, la vie des papistes est si mauvaise qu’ils en ont inventé un troisièmef. »
f – Preface to the Reader. (Works of Tyndale and Fryth, III, p. 91.)
More, irrité de la réponse de Fryth, dit de ce ton goguenard qu’il affectait souvent : « Je me propose de répondre au bon jeune père Fryth, dont la sagesse est telle, que trois vieux, tels que mon frère Rastell, l’évêque de Rochester et moi, mis en face de père Fryth tout seul, nous ne sommes que des pouponsg. » L’exilé étant revenu en Angleterre, Thomas More, avait maintenant l’occasion de se venger de lui plus efficacement que par des plaisanteries.
g – « Be now but very babes. » (Bible Annals, I, p. 338.)
Fryth, nous l’avons dit, entrait dans Reading ; son air étrange, son apparence de voyageur, arrivant d’un pays lointain, attirèrent l’attention de la police ; il fut arrêté comme vagabond. — « Qui êtes-vous ? » lui dit-on. Fryth, ne doutant pas qu’il fût entre les mains des ennemis de l’Évangile, refusa de se nommer ; les soupçons s’accrurent, et le pauvre jeune homme fut mis aux fers. A peine lui donnait-on quelque chose à manger, dans le dessein de le forcer à dire son nom ; sa faim fut bientôt insupportableh. Connaissant de nom le maître de l’école latine de Reading, Léonard Coxe, il demanda à lui parler. Cet homme savant était à peine entré dans la prison, que le prétendu vagabond, tout couvert de lambeaux, se leva, s’adressa à lui en beau latin et se mit à déplorer sa captivité funeste. Jamais paroles si nobles n’avaient retenti dans un cachot si vil. Le professeur, étonné de tant d’éloquence, s’approcha avec compassion du malheureux, et lui demanda comment il se faisait qu’un si beau génie fût dans une si profonde misère. Bientôt il s’assit, et ces deux hommes commencèrent à parler en grec des universités et des langues. Coxe ne pouvait en revenir ; ce n’était plus seulement de la pitié qu’il éprouvait, c’était de l’amour ; et il en vint à l’admiration, quand il entendit le prisonnier réciter, avec l’accent le plus pur ces beaux vers de l’Iliade, qui s’appliquaient si bien à son état : « Muse ! chante cette colère inflexible, qui causa tant de malheurs aux Grecs et précipita dans les enfers les âmes généreuses de tant de héros… » Saisi de respect, le professeur courut vers les magistrats, se plaignit amèrement du tort que l’on faisait à un homme si remarquable et obtint son élargissement. Homère sauvait la vie d’un réformateur.
h – « Was almost pinched with hunger. » (Fox, Acts, V, p. 5.)
Fryth partit pour Londres, et se hâta de se rendre au milieu des fidèles qui s’assemblaient à Bow Lane ; il s’entretint avec eux, et s’écria : « Oh ! quelle consolation que de voir un si grand nombre de fidèles marcher dans la voie du Seigneuri ! » Ces chrétiens lui demandèrent de leur exposer la sainte Écriture, et, ravis des exhortations de Fryth, ils s’écrièrent à leur tour : « Si l’on suivait la règle établie par saint Paul, celui-ci serait certes plus digne d’être évêque que beaucoup de ceux qui portent la mitre et la crossej. » Il allait recevoir au lieu de la crosse la croix.
i – Il ajouta : « Now have I experience of the faith which is in you. » (Tyndale and Fryth, Works, III, p. 257.)
j – Might better be a bishop than many that wear mitres. » (Tyndale and Fryth, Works, III, p. 321.)
Un de ceux qui l’écoutaient était dans de grandes incertitudes sur la doctrine de la sainte cène ; un jour que Fryth avait présenté Christ comme étant par la foi la nourriture de l’âme chrétienne, ce personnage le suivit et lui dit : « Nos prélats pensent autrement ; ils croient que le pain transformé par la consécration devient la chair, le sang, les os de Christ ; que les méchants eux-mêmes mangent cette chair de leurs dents, et qu’il faut adorer l’hostie… Ce que vous venez de dire réfute leurs erreurs ; mais je crains de ne pas m’en souvenir. Je vous en conjure, écrivez-le. » Fryth, qui n’aimait pas les querelles, fut effrayé de cette demande, et répondit : « Je ne me soucie pas de toucher à cette terrible tragédiek. » C’est ainsi qu’il appelait la dispute sur la cène. Son ami redoublant d’instances, lui promettait de ne donner aucune publicité à ses feuilles ; Fryth écrivit donc son exposition de la doctrine du sacrement, et la donna à ce chrétien de Londres, en lui disant : « Il faut manger et boire le corps et le sang de Jésus-Christ, non avec les dents, mais avec l’ouïe et par la foi. » Le frère saisit le traité et, l’emportant chez lui, le lut avec soin.
k – « To touch this terrible tragedy. » (Ibid., p. 322.)
Bientôt chacun, dans l’assemblée de Bow Lane, parla de cet écrit. Un homme (c’était un faux frère), nommé William Holt, écoutait attentivement ce qu’on disait, et crut avoir trouvé l’occasion de perdre Fryth. Prenant une contenance hypocrite, il adressa des paroles pieuses à l’ami qui possédait le manuscrit, comme s’il eût désiré éclairer sa foi, et finalement le lui demanda d’un ton mielleux. L’ayant obtenu, il se hâta d’en faire une copie, et la porta à Thomas More qui, à cette époque, était encore chancelier.
Fryth s’aperçut bientôt que c’était en vain qu’il s’était efforcé de demeurer inconnu ; il appelait avec tant de puissance ceux qui avaient soif de la justice, à venir au Christ pour y trouver une eau vive, qu’amis et ennemis étaient frappés de son éloquence. S’apercevant que son nom commençait à être prononcé en lieux divers, il quitta la capitale et parcourut sans bruit divers comtés, où se trouvaient de petits troupeaux évangéliques, qu’il cherchait à fortifier dans la foi.
Tyndale, resté sur le continent, ayant appris les travaux de Fryth, commença à ressentir de vives angoisses. Il ne connaissait que trop les dispositions cruelles des évêques et de Thomas More : « Je ferai sortir le serpent de son antre obscur, avait dit ce dernier en parlant de Tyndale. Si Hercule força Cerbère, le dogue de l’enfer, à paraître au grand jour… je ne laisserai pas à Tyndale le coin le plus sombre pour y cacher sa têtel. » Fryth, était aux yeux de Tyndale, la plus grande espérance de l’Église d’Angleterre ; il tremblait que le redoutable Hercule ne le saisît : « Bien-aimé frère Jacob, lui écrivait-il (il l’appelait de ce nom pour déconcerter les adversaires), soyez sage, circonspect, froid, marchez terre à terrem. Évitez les questions hautes qui sont au-dessus des capacités ordinaires. Faites seulement deux choses. Otez le voile qui est sur la tête de Moïse, et que la sainteté de la loi prouve à tout homme qu’il est pécheur. Puis, ôtez le voile qui cache la grâce de Christ et manifestez dans son éclat sa miséricorde, afin que les consciences blessées trouvent auprès de lui un secours salutaire. Opposez-vous de toute votre force à ce qui pourrait répandre sur l’un ou l’autre de ces points le moindre nuage. O bien-aimé de mon cœur, il n’est aucun homme qui me donne autant de joie, d’espoir, que vous. Ce qui me charme, ce n’est pas tant votre science, vos dons si variés ; mais c’est que vous marchez avec les humbles et que vous êtes guidé par la conscience et non par l’imaginationn. Attachez-vous fortement au roc des secours de Dieu. Si l’on vous demande quelque chose de contraire à la gloire du Christ, demeurez ferme. Dieu est notre Dieu, et notre rédemption est proche. »
l – Confutation of Tyndale’s answer, by sir Thomas More, lord chancellor of England. (1532)
m – « Keep you low, by the ground. » (Fox, Acts, V, p. 133.)
n – « You walk in those things that the conscience may feel, and not in the imagination of the brain. » (Fox, Acts, V, p. 133.)
Les craintes de Tyndale n’étaient que trop fondées. Thomas More avait en main le nouveau traité de Fryth ; il le lisait et se laissait aller tour à tour à la colère et au sarcasme. « Rassemblant toute sa verve et taillant sa plumeo, » il répondit à Fryth et peignit sa doctrine sous l’image d’un cancer. Il n’en resta pas là. Quoiqu’il eût remis les sceaux au roi en mai 1532, il continua à remplir son office jusqu’à la fin de l’année. Il ordonna qu’on cherchât Fryth et lança après lui tous ses limiers ; si le réformateur était découvert, il était perdu ; quand une fois Thomas More avait saisi son homme, rien ne pouvait le sauver de ses mains ; rien qu’un bon mot peut-être. En effet, un jour qu’il examinait un évangélique nommé Silver (argent). « Vous le savez, lui dit-il, avec un sourire, il faut que l’argent soit éprouvé par le feu.p — Oui, répondit aussitôt l’accusé ; mais le vif argent n’y reste pas. » More, ravi de l’à-propos, mit en liberté le pauvre malheureux. Mais Fryth n’était pas plaisant ; il avait de bonnes paroles et non des bons mots. Il ne devait donc pas trouver grâce devant l’ancien chancelier d’Angleterre.
o – « He whetted his wits, called his spirits together, sharpened his pen. » (Fox, Acts, V, 7, 9.)
p – « Silver must be tried in the fire. » (Strype, I, p. 316.)
Sir Thomas poursuivait le réformateur par terre et par merq, promettant de grandes récompenses à quiconque le lui livrerait. Il n’y eut ni comté, ni ville, ni village, où More ne le fît chercher ; ni scherif, ni magistrat auquel il ne le demandât ; ni port où il ne postât quelque agent de la police, prêt à l’arrêterr. Mais de tous côtés on lui répondait : Il n’est point ici. » En effet, Fryth, informé des grands efforts de son ennemi, fuyait d’un lieu à l’autre, changeait souvent d’habitss, et ne trouvait pourtant de sûreté nulle part. Il se décida à quitter l’Angleterre, à retourner vers Tyndale, et se rendit à Milton Shone, en Essex, dans le dessein de s’y embarquer. Un navire étant en partance, il sortit de sa cachette, et prenant ses précautions, se dirigea vers le rivage. Il avait été trahi. Les agents de More, qui étaient à l’affût, le saisirent au moment où il montait sur le navire, et le conduisirent à la Tour. C’était en octobre 1532.
q – « Persecuted him both by land and sea. » (Fox, Acts, V, p. 6.)
r – « Besetting all the ways and havens. » (Ibid.)
s – « Fleeing from one place to another, changing his garments. » Fox, Acts, V, p. 6.)
Thomas More était alors inquiet, aigri. Il voyait une puissance nouvelle lever la tête en Angleterre et dans toute la catholicité, et il sentait que malgré son esprit et son influence, il était incapable de l’arrêter. Cet homme si aimable, cet écrivain d’un style si élégant et si pur, ne craignait pas tant les colères du roi, ce qui l’irritait c’était de voir l’Écriture chaque jour plus répandue, et un nombre toujours plus considérable de ses concitoyens se convertir à la foi évangélique. Ces hommes nouveaux qui semblaient avoir plus de piété que lui, — lui, ancien sectateur de l’antique papauté ! — l’irritaient profondément. Il prétendait avoir seul, lui et les siens, le privilège d’être chrétien. Le zèle des partisans de la Réformation, le sacrifice qu’ils faisaient de leur repos, de leur argent, de leur vie, le confondaient. « Ces hommes diaboliques, disait-il, impriment leurs livres à grands frais, malgré de grands dangers ; ne se souciant d’aucun gain, ils les donnent à tout le monde, et les sèment même de nuit sur les places publiquest. Il n’y a ni travail, ni voyage, ni dépense, ni angoisse, ni péril, ni coups, ni dommages qu’ils redoutent. Ils prennent un plaisir malfaisant à chercher la ruine des autres, et, disciples du diable, ils ne pensent qu’à précipiter les âmes des simples dans le feu de l’enfer. » C’est ainsi que l’élégant utopiste, qui avait rêvé toute sa vie du plan d’un monde imaginaire, pour le parfait bonheur de chacun, exhalait son courroux. Enfin il tenait prisonnier le principal d’entre ces disciples de Satan, et il se promettait de le faire mourir par le feu.
t – « Looking for no lucre, cast them abroad by night. » (Preface to More’s Confutation, Bible Ann., I, p. 343.)
Le bruit se répandit bientôt dans Londres que Fryth se trouvait à la Tour. Aussitôt plusieurs prêtres et évêques s’y rendirent pour le ramener au pape. Leur grand argument était que Thomas More l’avait battu dans son Traité sur la Cène ; Fryth demandait donc à voir cet écrit ; mais on le lui refusait. Un jour, l’évêque de Winchester l’ayant fait paraître, lui montra cet ouvrage, et l’élevant devant lui, s’écria que ce livre lui fermait la bouche ; Fryth avança la main, mais le prélat retira promptement le volume. More lui-même, honteux de son apologie, faisait tout ce qu’il pouvait pour en empêcher la circulation. Fryth ne put en obtenir qu’une copie faite à la plume ; toutefois il se décida aussitôt à y répondre. Il n’avait personne avec qui il put conférer, pas un livre qu’il pût consulter, et les chaînes dont il était chargé lui permettaient à peine de s’asseoir et d’écrireu. Mais cet humble serviteur de Dieu, lisant dans son cachot, à l’aide d’une faible lumière, les outrages de Thomas More, et se voyant accusé par lui d’avoir rassemblé tout le poison qui se trouvait dans les écrits de Wicleff, de Luther, d’Œcolampade, de Tyndale et de Zwingle, s’écriait : « Non, ce n’est pas Luther et sa doctrine, que je cherche, c’est l’Écriture de Dieuv — Il payera son hérésie du plus pur de son sang ! » disaient ses ennemis. Et le pieux disciple répondait : « Comme la brebis que la main du boucher a liée, lui demande de son timide regard que son sang soit bientôt versé, moi aussi je demande à mes juges que ce soit demain que mon sang soit répandu, si ma mort peut ouvrir les yeux du roiw. »
u – He was so loaded with iron that he could scarce seat with any ease. » (Burnet, I, p. 161.)
v – « Luther is not the prick that I run at, but the scripture of God. » (Tyndale and Fryth, Works, III, p. 342.)
w – « The best blood in my body ! which I would glad were shed tomorrow. » (Ibid., p. 338.)
Avant de mourir, Fryth désirait sauver, si Dieu le voulait, l’un de ses adversaires. Il y en avait un qui était sans obstination, sans malice, c’était Rastell, le beau-frère de More. Ne pouvant lui parler, ni à aucun des ennemis de la Réformation, il forma le dessein de composer dans sa prison un écrit qu’il intitulerait le Boulevard. Mais des ordres rigoureux étaient arrivés récemment ; on ne lui donnait plus ni plume, ni papier, ni encrex. Des chrétiens évangéliques de Londres, qui parvinrent à arriver jusqu’à lui, lui remirent en cachette de quoi écrire, et Fryth commença. Il écrivait… Mais à tout moment, il prêtait l’oreille ; tremblant que le lieutenant de la Tour ou ses gardiens n’arrivassent à l’improviste, et ne le trouvassent la plume à la mainy. Souvent il lui venait une pensée lumineuse, mais quelque alarme soudaine la faisait disparaître, et il ne pouvait la retrouverz. Pourtant il prit courage. On l’avait accusé de prétendre que les bonnes œuvres ne servaient à rien ; il se mit à exposer avec éloquence toutes leurs utilités, et chaque fois il répétait : N’est-ce rien ? n’est-ce rien encore ? — Vraiment, Rastell, ajouta-t-il, si vous ne regardez comme utile que ce qui nous justifie, le soleil est inutile, puisqu’il ne nous justifie pasa. »
x – « I may not have neither yet pen, ink nor paper. » (The subsidy or Bulwark, Works, p. 242)
y – « I am in continual fear, lest the lieutenant or my keeper should espy any such thing by me. » (The subsidy or Bulwark, Works, p. 242.)
z – « If any notable thing had been in my mind, it was clean lost. » (Ibid.)
a – « The sun is not available, because it justifieth not. » (Ibid., p. 241.
Comme il venait d’écrire ces lignes, il entendit les clefs dans la serrureb. Effrayé, il jeta aussitôt papier, encre, plume, dans une cachette. Toutefois, il put achever son écrit, et le fit parvenir à Rastell. Le beau-frère de More le lut, son cœur fut touché, son intelligence éclairée, ses préjugés dissipés ; et dès lors cette âme d’élite fut gagnée à l’Évangile de Christ. Dieu lui avait donné des yeux nouveaux et des oreilles nouvelles. Une joie pure remplit le cœur du prisonnier. « Rastell regarde maintenant comme une folie sa raison naturelle, disait-il ; Rastell, redevenu enfant, boit la sagesse qui vient d’en hautc. »
b – « I hear the keys ring at the doors. » (Ibid., p. 242.)
c – « He was well content to count his natural reason foolihsness, etc. » (The subsidy or Bulwark, Works, Prologue, p. 211.)
La conversion du beau-frère de Thomas More fit une grande sensation, et les visites devinrent toujours plus nombreuses dans le cachot de Fryth. Quoique séparé de sa compagne et de Tyndale, qu’il avait dû laisser dans les Pays-Bas, il n’avait pourtant jamais eu tant d’amis, de frères, de mères, de pères ; ses larmes en coulaient de joie. Il sortit de sa cachette son papier et son encre, et toujours infatigable se mit à écrire d’abord le Miroir pour se connaître soi-même, puis une Epître aux fidèles sectateurs de l’Evangile de Christ. « Imitateurs du Seigneur, leur disait-il, marquez-vous du signe de la croix ; non comme le fait la multitude superstitieuse, pour l’adorer ; mais comme témoignage que vous êtes prêts à porter cette croix, dès qu’il plaira à Dieu de vous l’envoyer. Ne craignez pas quand vous l’aurez, car vous aurez aussi alors cent pères au lieu d’un, cent mères au lieu d’une, cent maisons déjà dans cette vie (j’en ai fait l’expérience), et après cette vie une joie éternelled. »
d – « Ye shall have an hundred fathers for one… » (Ibid., p. 259.)
Au commencement de 1533, Anne Boleyn ayant été unie au roi d’Angleterre, Fryth se vit délivrer de ses chaînes ; on lui donna tout ce dont il avait besoin, et même on lui permit de sortir sur parole pendant la nuit. Il en profita pour visiter les amis de l’Évangile et se consulter avec eux sur ce qu’il avait à faire. Une nuit, en particulier, sortant de la forteresse, Fryth se rendit à la maison de Petit, voulant voir encore une fois ce membre du parlement, grand ami de la Réformation qui, jeté, on le sait, en prison, avait été enfin relâché. Petit, affaibli par sa longue détention, n’était pas loin de sa fin ; la douleur que lui causait la persécution l’agitait ; il semble même que l’émotion lui donnait quelquefois le délire. Comme il gémissait sur la captivité du jeune et noble réformateur, Fryth lui-même parut ; Petit se troubla, son esprit s’égara. Est-ce Fryth, est-ce un fantôme ? « Il était comme les apôtres, dit-on, quand Rhode vint leur annoncer que Pierre, sorti de prison, venait les voir. » Mais se remettant peu à peu : « Vous ici ! dit-il, comment avez-vous échappé à l’étroite vigilance de vos gardes ? — Dieu lui-même, répondit Fryth, m’a donné cette liberté en touchant leurs cœurse. » Alors les deux amis s’entretinrent de la vraie réformation de l’Angleterre, qui n’avait à leurs yeux aucun rapport avec les transactions diplomatiques du roi. Il ne s’agissait pas selon eux de charger l’Église extérieure, de nouveaux oripeaux, mais d’accroître cette Église sanctifiée, invisible, sans tache, connue de Dieu seul, qui l’a élue avant la fondation du mondef. » Fryth ne cacha point à Petit la conviction où il était qu’il serait appelé à mourir pour l’Évangile. La nuit s’était passée dans ces chrétiennes
e – « It was God that wrought him that liberty in the heart of his keeper. » (Strype, British Reformer.)
f – « The elect sanctified and invisible congregation. » (Tyndale and Fryth, Works, III, p. 288.)
conversations ; le jour approchant, le prisonnier se hâta de retourner à la Tour.
Les amis de Fryth ne pensaient pas comme lui. L’avènement d’Anne Boleyn leur semblait devoir ouvrir la prison de l’évangéliste, et déjà ils le voyaient, libéré et travaillant soit sur le continent, soit en Angleterre, à cette réformation véritable, qui s’accomplit par l’Écriture de Dieu.
Il ne devait pas en être ainsi. La plupart des hommes évangéliques, suscités de Dieu en Angleterre sous le règne de Henri VIII, ne trouvèrent, au lieu de l’influence qu’ils devaient exercer — que la mort. Mais leur sang a pesé dans la balance divine, il a sanctifié la réformation de l’Angleterre ; il a été pour l’avenir une semence spirituelle. Si l’Église de ces riches contrées, qui étale un grand éclat de splendeur mondaine, a vu se développer pourtant dans son sein une puissante vie évangélique, il ne faut pas en oublier la cause, mais comprendre, comme Tertullien, que le sang des martyrs est la semence de l’Eglise.