Loin de se plaindre d'avoir été trouvés dignes de souffrir pour le nom de Christ, les missionnaires étaient pleins de reconnaissance de ce que Dieu les avait tous fait échapper à la tourmente. Les mandarins de Yangchow avaient insisté pour qu'ils quittassent la ville, au moins provisoirement, afin de laisser le calme renaître. En arrivant à Chinkiang, ils furent les objets d'une vive sympathie et d'une généreuse hospitalité non seulement de la part de leurs collègues, mais encore de toute la colonie étrangère. On réussit à trouver un gîte pour les réfugiés. M. et Mme Taylor se contentèrent d'une chambre humide du rez-de-chaussée, qu'ils estimaient ne pas convenir pour les autres missionnaires.
À peine installés, ils se mirent au travail. Ils avaient, en effet, à mettre à jour leur vaste correspondance et à s'occuper de neuf ou dix stations où s'étaient établis leurs collaborateurs, sans parler de la petite compagnie qui était avec eux. Leur foi n'était nullement ébranlée, bien loin de là, puisqu'ils avaient vu la main de Dieu intervenir pour eux, même dans des détails matériels. Nous avons dit que, dans leur maison incendiée, une seule chambre avait été épargnée, celle où se trouvaient leur argent et leurs papiers les plus précieux, que les émeutiers auraient pu piller comme le reste. Un de leurs collègues, M. McCarthy, leur écrivait :
Le Seigneur ne nous abandonnera pas. Il ne le peut pas. Que rien ne nous détourne de Son dessein de bénir la Chine par notre faible moyen... Qui est suffisant pour ces choses ? Personne, si ce n'est Celui qui a dit : « Je suis avec vous tous les jours. » En Son nom et pour Sa cause, bon courage ! L'heure la plus sombre est celle qui précède l'aurore.
Une heure bien sombre se préparait, en effet, pour le chef de la Mission, une période si douloureuse, à certains égards, que même les souffrances occasionnées par l'émeute de Yangchow lui parurent peu de chose.
Un résident de Chinkiang, avec les meilleures intentions, envoya aux journaux de Shanghaï un récit émouvant des mauvais traitements infligés à des sujets anglais. Le public européen, indigné, réclama une action énergique de la part des autorités britanniques. Le Consul général et l'Ambassadeur lui-même intervinrent pour demander satisfaction. Une canonnière remonta le fleuve jusqu'à Chinkiang, et les autorités chinoises, effrayées, étaient sur le point de céder aux justes revendications du Consul lorsque le vaisseau fut obligé, par la maladie de son capitaine, de redescendre à Shanghaï. Alors un revirement s'opéra dans l'esprit des mandarins, qui devinrent hautains et réfractaires à toute concession. Il fallut, pour les faire céder, la présence de tout une flotte de canonnières à l'ancre devant Nanking, et la menace d'une guerre imminente.
Ces événements causèrent un grand chagrin et beaucoup de souci à Hudson Taylor, qui aurait, de beaucoup, préféré ne répondre à l'hostilité des indigènes que par la patience chrétienne et la persévérance à faire le bien. Retenu à Chinkiang pendant des semaines, il constata que les difficultés devenaient de plus en plus nombreuses. En même temps, de douloureuses complications surgissaient dans son propre entourage. L'état d'esprit fâcheux, déjà montré par quelques membres de la Mission, allait s'aggravant. Un groupe de cinq personnes, qui avait rompu avec les principes de la Mission après avoir causé maints ennuis se sentait à l'étroit dans le cercle de celle-ci. Un de ces missionnaires dut être renvoyé ensuite d'une attitude incompatible avec la conduite d'un missionnaire chrétien. Pendant plus de deux ans, M. et Mme Taylor avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour aider ce frère et sa femme à vivre et à travailler d'une façon heureuse dans le sein de la Mission. Nul ne saura jamais à quel point ils souffrirent de la dureté et de la déloyauté de ces deux collaborateurs et combien il leur fut pénible de constater leur influence néfaste. En les congédiant, Hudson Taylor comprenait qu'il donnait en même temps le signal du départ à trois femmes missionnaires qui avaient été les confidentes des mécontents. C'est en effet ce qui eut lieu, au soulagement de ceux qui n'avaient pu qu'admirer la longue Patience de leur chef. Mais Hudson Taylor fut très affecté de la défection de ces auxiliaires, et il songeait aux contrecoups qui atteindraient les amis de la Mission en Angleterre.
Une lettre qu'il écrivit à M. Berger avant même l'émeute de Yangchow révèle comment se formait en lui le caractère véritable de l'œuvre. À ce moment-là, Mme Taylor était à Shanghaï, prenant courageusement sa part du fardeau, et ce qu'il exprimait avait un sens tout spécial pour lui :
Il est très important que les missionnaires mariés soient de doubles missionnaires et non des moitiés, des quarts ou des huitièmes de missionnaires. Ne serait-il pas bon de dire à nos candidats : « Notre œuvre est d'une nature particulière. Nous vivons à l'intérieur de la Chine, où vous n'aurez d'autre compagnie que celle des indigènes. Si vous désirez une vie confortable, exempte de soucis, ne vous joignez pas à nous. Si vous ne voulez pas que votre femme soit une vraie missionnaire, et non seulement une épouse, une maîtresse de maison et une amie, ne vous joignez pas à nous. Elle doit être en mesure de lire et de posséder à fond un Évangile au moins, en langue usuelle, avant de se marier. Une personne de culture moyenne peut arriver à ce résultat en six mois, Mais s'il lui faut plus de temps, il est d'autant plus indiqué de différer le mariage. Elle doit être prête à vivre d'une façon heureuse avec les Chinois quand les nécessités de votre vocation vous obligeront, comme cela sera souvent le cas, de vous absenter momentanément. Vous aussi vous devrez vous rendre maître des difficultés initiales de la langue et ouvrir une station, si aucune station ne vous a été attribuée, avant de vous marier. Avec du zèle et la bénédiction de Dieu, vous y arriverez en une année à peu près. Si ces conditions vous paraissent trop dures et ces sacrifices trop grands à accepter pour la malheureuse Chine, ne vous joignez pas à nous. Ce sont de petites choses comparées aux croix que vous pourrez être appelé à porter pour votre bien-aimé Maître. »
La Chine ne sera pas gagnée par des hommes et des femmes qui cherchent égoïstement leurs aises. Ceux qui ne sont pas prêts à travailler, à renoncer à eux-mêmes et à supporter beaucoup de tribulations seront d'une piètre utilité dans l'œuvre. En un mot, les hommes et les femmes qu'il nous faut sont ceux qui, en toute chose, et en tout temps, mettront au premier rang Jésus, la Chine, les âmes. La vie elle-même doit être une chose secondaire, que dis-je, même ceux qui nous sont plus précieux que la vie. Ne craignez pas de nous envoyer trop de tels hommes, de telles femmes. Leur valeur surpasse de beaucoup celle des rubis.
S'il eut des déboires avec quelques-uns de ses aides, Hudson Taylor eut d'autant plus de reconnaissance et de joie en constatant l'amour pour Christ et le dévouement manifestés par la plupart de ses compagnons, prêts à entrer en contact étroit avec les Chinois et à s'adapter aux conditions de leur entourage. Mme Taylor fut d'un grand secours à beaucoup de ses jeunes collègues pour les initier à leur nouveau genre de vie. Heureux ceux qui, comme M. et Mme Judd, les premiers à s'offrir pour Yangchow après l'émeute, eurent le privilège d'être au contact de sa forte, mais gracieuse personnalité.
Son air calme, heureux, sanctifié par la prière, nous impressionna vivement, écrivit M. Judd. En compagnie de M. McCarthy et d'un aide indigène, elle avait fait un voyage de sept jours pour venir à notre rencontre. Elle nous fit le plus chaud accueil et nous donna toute l'assistance possible. Dès que nous fûmes installés dans notre bateau (en vêtements chinois, cela va sans dire), le dîner fut servi, et Mme Taylor me tendit poliment une paire de bâtonnets et un bol contenant de la soupe avec une espèce de petits chaussons flottant dans le liquide.
« M. Judd, dit-elle avec un sourire, voulez-vous accepter de ce pouding aux petits chiens ? »
Immédiatement tout ce que j'avais entendu dire des Chinois mangeant des chiens, etc., me revint à l'esprit. Mais je n'osais pas mettre en question le contenu d'un plat qui m'était offert par une telle dame ! M'armant de toutes mes forces, je me mis donc à manger et je ne trouvai rien de pire que de petits morceaux de porc délicatement couverts de pâte.
Mme Judd aussi, tout récemment mariée, garda de ce voyage un souvenir ineffaçable. Elle ne put s'empêcher d'éprouver du dégoût quand, à l'approche de la nuit, elle vit des cafards sortir en nombre de toutes les fentes du bateau. Elle avait toujours eu en horreur ces insectes et comprit qu'elle ne pourrait pas supporter de les sentir courir sur elle pendant la nuit.
« Oh ! Mme Taylor, s'écria-t-elle, je ne puis vraiment pas me mettre au lit avec tous ces cafards autour de moi. »
Avec une autre missionnaire nouvellement arrivée, elle alluma une lampe et se disposa à passer toute la nuit assise et montant la garde contre ces visiteurs importuns. Mais Mme Taylor lui dit avec douceur : « Ma chère enfant, si Dieu vous conserve la vie pour travailler en Chine, vous aurez beaucoup de nuits semblables à celle-ci, et il n'est pas possible que vous vous passiez de sommeil. Ne feriez-vous pas mieux de vous coucher tranquillement et de vous confier en Lui pour vous garder ? »
Un peu confuse et très désireuse de posséder une telle maîtrise sur elle-même, la jeune missionnaire vit Mme Taylor se disposer à se mettre au lit. Après un réel combat intérieur, elle fit de même, et eut une nuit de bon sommeil.
Ceci peut sembler une circonstance triviale, écrivait-elle longtemps après ; mais bien souvent, dans la suite, quand j'étais entourée d'ennemis plus cruels et de dangers bien plus graves, j'étais fortifiée par le souvenir de cette simple leçon de confiance.
Le désir de Mme Taylor, en dépit de tout ce qui était arrivé à Yangchow, et malgré l'événement qu'elle attendait, était de retourner dans cette ville et de faire connaître l'amour du Sauveur à ces cœurs enténébrés. Cela semblait irréalisable, car M. Medhurst, le Consul général, était aux prises avec des difficultés apparemment insurmontables. Puis, la maison de Chinkiang, louée plusieurs semaines avant l'émeute de Yangchow, n'était pas encore disponible, et les missionnaires devaient s'entasser dans deux petits logis de la concession et payaient un loyer très élevé. Les négociations se poursuivirent durant les mois de septembre et d'octobre jusqu'au moment où, en novembre, Sir Rutherford Alcock envoya cinq canonnières qui remontèrent le fleuve jusqu'à Nanking.
Hudson Taylor, en dépit d'une maladie douloureuse, n'avait pas cessé de faire des plans et même des tentatives en vue d'atteindre des districts non encore évangélisés. Dès que ses forces le lui permirent, il partit, en compagnie de M. Williamson, pour un voyage d'exploration à Tsingkiangpu, ville située à cent soixante kilomètres au nord de Yangchow, dont il voulait faire une base pour pénétrer dans les provinces du Nord. Le Honan et le Shansi étaient sur son cœur, et, en même temps, il projetait une avance vers l'Ouest. Son vieil ami Wylie venait d'achever un très long voyage, qu'il avait entrepris pour la Société Biblique. Fort désireux de recueillir tous les renseignements possibles sur l'intérieur du pays, Hudson Taylor descendit à Shanghaï pour le rencontrer. Tout ce qu'il entendit raconter de la lointaine province du Szechwan, ou le voyageur avait été très durement traité, ne fit qu'accroître son désir d'aller lui-même sans délai y établir une œuvre permanente. Beaucoup de membres de la Mission étaient animés du même esprit de conquête.
M. Meadows, par exemple, avait laissé à d'autres sa maison et son œuvre de Chinkiang pour s'avancer vers l'Ouest, dans la province de Anhwei peuplée de vingt millions d'âmes, où il n'y avait pas un seul missionnaire protestant.
Tout cela accrut encore la reconnaissance avec laquelle fut reçue enfin la nouvelle du règlement pacifique de l'affaire de Yangchow.
Les mandarins consentirent même à mettre sur la façade de la maison reconstruite après l'incendie, une plaque de marbre où il était dit que les étrangers résidaient là avec la pleine approbation des autorités. Les missionnaires furent réinstallés avec honneur dans la ville, et Hudson Taylor put écrire, le 18 novembre : « Le résultat de tout ceci sera probablement de faciliter beaucoup notre pénétration dans l'intérieur. »
Mais ce furent la vie de famille et l'esprit amical des missionnaires qui désarmèrent les soupçons et ouvrirent peu à peu le chemin des cœurs. Le retour des enfants, après tout ce qui était arrivé, ne pouvait que toucher le peuple. Mme Taylor elle-même, sur le point de donner naissance à son quatrième fils, n'hésita pas à revenir au milieu d'une population qui l'avait traitée si brutalement. Elle préférait que son enfant naquit dans cette ville, dans cette maison, dans cette chambre, plutôt que dans la demeure la plus confortable et la plus luxueuse.
Ce fut là, en effet, que l'événement attendu se produisit, et les Chinois du voisinage vinrent présenter leurs félicitations aux heureux parents. Une telle confiance de leur part produisit sur tous la plus heureuse impression. Le propriétaire de l'auberge et deux autres personnes demandèrent le baptême, et quand, avant la fin de l'année, la maison de Chinkiang fut enfin mise à leur disposition, Hudson Taylor eut bien le droit d'écrire : « Une fois de plus nous dressons notre Eben-Ezer. Jusqu'ici l'Éternel nous a secourus. »
Mais l'heureuse conclusion des désordres de Yangchow ne mettait pas fin aux épreuves qui devaient en résulter en Europe pour les missionnaires. Ce que Spurgeon appelait le « rugissement du diable » allait se faire entendre, furieux. L'action du Consul et de l'Ambassadeur anglais en Chine fut l'objet de critiques acerbes dans toute la presse. On accusa les missionnaires d'avoir, par leur action intempestive et leur imprudence, mis leur pays à deux doigts d'une guerre redoutable. Pendant quatre ou cinq mois, ce fut le sujet de polémiques ardentes. La Chambre des Lords s'en occupa, et le duc de Somerset, après une attaque violente contre la Mission, demanda le rappel en Angleterre de tous les missionnaires à l'œuvre dans l'Empire chinois. On peut se figurer combien M. Berger fut affecté par toute cette affaire. Il était assailli de demandes d'explications et de critiques fort vives à l'adresse d'Hudson Taylor que l'on accusait d'inconséquence pour avoir réclamé l'intervention du Consul alors qu'il eût dû attendre de Dieu seul son secours. En réalité, Hudson Taylor n'avait aucunement réclamé cette intervention, ni surtout dans la forme où elle s'était produite. Il s'était borné, au lendemain de la terrible nuit de Yangchow, d'envoyer un billet tracé au crayon, pour informer les autorités consulaires de la situation.
MM. Berger et Taylor, bien que douloureusement émus des attaques dont ils étaient les objets, n'en furent point troublés. Ils attendaient de Dieu leur justification et se gardèrent bien de rejeter la faute sur les agents du gouvernement anglais en Chine. Cela leur eût paru un acte absolument dépourvu de générosité.
Un des résultats de ces difficultés et de ces polémiques fut une diminution sensible des dons pour la Mission à l'Intérieur de la Chine. Pour la première fois, Hudson Taylor se trouva en face d'une sérieuse insuffisance de ressources.
Mais Dieu envoya un secours supplémentaire, à ce moment même, par le moyen de Georges Müller qui leur avait toujours témoigné une vive sympathie. Il avait envoyé déjà régulièrement à plusieurs membres de la Mission des sommes importantes s'élevant jusqu'à vingt-cinq livres sterling par trimestre. Longtemps avant d'avoir entendu parler de l'émeute de Yangchow, il avait écrit à M. Berger pour lui demander les noms de quelques autres agents, bénis dans leur ministère, pour les ajouter à la liste de ceux qu'il aidait. M. Berger lui envoya six noms parmi lesquels il pouvait choisir. M. Müller les choisit tous, ce qui fut pour les missionnaires, non seulement un précieux secours matériel, mais surtout un grand encouragement, car la sympathie et les prières d'un homme tel que Georges Müller, qui vivait dans l'intimité de Dieu, était pour eux d'un prix inestimable. De plus en plus Hudson Taylor sentait le besoin d'une communion comme celle-ci.
Un serviteur de Dieu, qui a laissé une réputation de sainteté, Rutherford, écrivait en 1637 :
J'ai d'étranges hauts et bas. Sept fois le jour je perds pied et suis obligé de me mettre à la nage, et de nouveau le Seigneur me place sur le rocher trop élevé pour moi... J'ai vu mon abominable indignité et, si on me connaissait vraiment, il n'y aurait personne dans ce royaume qui consentirait à me saluer.
Bien qu'aucun de ceux qui vivaient auprès d'Hudson Taylor ne pouvait s'en douter, c'était à peu près là son expérience. Débordé par sa tâche, sa vie spirituelle était durement exercée. Extérieurement, il n'en paraissait rien.
L'un de ses compagnons d'œuvre, qui était constamment avec lui, écrivait : Nos cœurs étaient fortement attirés par M. Taylor en le voyant si humble, bienveillant, sensible, au milieu de tous les soucis qui furent les siens dans ces années du début pour l'administration de la Mission.
Je l'ai observé dans toutes sortes de circonstances, écrivait un autre avant l'émeute de Yangchow. Je crois que si vous pouviez le suivre chaque jour, vous admireriez son esprit d'abnégation, son humilité, et son zèle que rien n'abat. Bien peu de personnes, dans sa situation, auraient manifesté la patience et l'esprit d'amour qu'il a montrés... Personne ne sait jusqu'à quel point nos difficultés lui sont sensibles. S'il n'avait pas l'habitude de rejeter ses fardeaux sur le Seigneur, il succomberait sous leur poids. C'est la grâce, et non son tempérament naturel, qui le soutient.
Mais la charge qu'Hudson Taylor portait dépassait ses forces bien souvent. Ce n'était pas tant l'œuvre elle-même avec toutes ses difficultés et ses épreuves. Car lorsqu'il avait la joie, d'une communion consciente avec le Seigneur, ces choses lui devenaient légères. Ce n'était ni la baisse des fonds, ni l'anxiété concernant ceux qui lui étaient le plus chers. Mais c'était lui-même, c'était la faim inassouvie de son cœur, les luttes perpétuelles de sa vie intérieure pour se maintenir en Christ, les désappointements des périodes d'aridité spirituelle. Ces expériences-là étaient si amères qu'il ne devait jamais les oublier, même longtemps plus tard. Elles le rendirent capable de témoigner une vive sympathie aux jeunes missionnaires qui passaient par de semblables conflits et, de plus en plus, il fut pour eux un véritable appui.
À cette époque, les pages d'un journal bien connu, le Revival, devenu bientôt le Christian, étaient remplies de détails sur le mouvement de réveil d'où allait sortir la Convention de Keswick, et dont l'influence devait se faire sentir dans tout le monde chrétien. Ce journal était lu dans toutes les stations de la Mission, et il éveillait dans l'âme de beaucoup de ses lecteurs, comme dans celle d'Hudson Taylor lui-même, la faim et la soif d'une vie spirituelle plus intense. Ils voyaient que, d'après la Parole de Dieu, la vie normale du disciple de Christ est une victoire continuelle sur le péché, victoire rendue possible à celui qui peut dire : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi. » Pendant l'été et l'automne 1868 partit une série d'articles spécialement bienfaisants intitulés « Le Chemin de la Sainteté ».
Le secret de la force, disait l'auteur, est de nous abandonner entièrement à Christ pour Le laisser vivre en nous, accomplissant Sa force dans notre faiblesse... C'est vous qui avez été vaincu, ce n'est pas Christ. je demeure persuadé que la cause immédiate de votre défaite consiste en ce que vous ne Lui avez pas tout confié, en vous abandonnant à Lui sans réserve. — Quand le Saint-Esprit crée dans les âmes des aspirations à la justice et à la sainteté, c'est afin que Christ puisse les satisfaire.
La foi en Jésus crucifié est le chemin de la paix pour le pécheur ; la foi en Jésus ressuscité est le chemin d'un salut quotidien pour le croyant.
« Purifiant leurs cœurs par la foi. » Ces mots ont fait bondir de joie mon âme, car ils m'ont fait voir la possibilité de la délivrance. Si c'est par la foi, je veux me confier en Jésus pour avoir un cœur pur, et cela sans délai.
« Il s'est donné Lui-même pour nous afin de nous racheter de toute iniquité, et de nous purifier afin que nous soyons un peuple qui lui appartienne en propre et zélé pour les bonnes œuvres » (Tite 2.14). Et tout cela dès maintenant.
Le Seigneur me fait la grâce de boire à la source de Son amour comme à un fleuve, disait Thomas Walsh. « Je me couchai mais ne pus dormir, tant le sentiment de l'amour de Christ était profond et doux. Son Esprit reposait sur moi et faisait brûler mon cœur d'amour pour mon Dieu, pour mon Tout. Je n'aurais jamais pensé qu'on pût L'aimer ainsi de tout son cœur, si le Saint-Esprit ne me l'avait révélé. Le feu de l'amour divin brûlait continuellement dans mon âme. »
Connaître cette rédemption, cet amour, dans une mesure plus complète, était l'ardent désir d'Hudson Taylor. Mais, si la Mission se développait, son chemin à lui semblait plus que jamais encombré de préoccupations, extérieures et intérieures.
Sa vie était trop active pour que sa correspondance révélât quelque chose de la crise de son âme. Pourtant, au début de 1869, se trouvant seul en voyage, il saisit l'occasion d'écrire une lettre à sa mère comme il avait l'habitude de le faire autrefois. Laissant à M. Judd la responsabilité de Yangchow et à M. Rudland celle de Chinkiang, il avait amené sa famille à Ningpo pour un séjour pendant que lui-même faisait une tournée dans les plus anciennes stations de la Mission. Une menace d'émeute le retint près d'un mois à Taichow, au moment où la ville était remplie d'étudiants venus passer leurs examens. Tant dans cette ville qu'à Wenchow, où M. Stott avait fait face à une opposition continuelle, le travail portait déjà des fruits, et Hudson Taylor eut la joie de baptiser les premiers croyants. Dans une station ouverte plus récemment, il trouva cinq candidats au baptême et un désir général d'entendre l'Évangile là où, treize mois auparavant, il n'y avait ni converti ni prédicateur. Mais, tout en écrivant à ses parents pour leur faire part de ces bonnes nouvelles, il demandait leur aide au sujet de questions personnelles dont il n'eût guère pu s'ouvrir librement à d'autres.
J'ai plus besoin que jamais d'être soutenu par vos prières. Objet d'envie pour quelques-uns, de mépris pour beaucoup, peut-être de haine pour d'autres ; souvent blâmé pour des choses auxquelles je suis parfaitement étranger, regardé parfois comme un novateur dangereux, ayant à lutter contre de puissants systèmes d'erreur et de superstition païennes ; marchant dans un chemin où je ne trouve les traces de personne pour me guider, et n'ayant que peu d'auxiliaires expérimentés ; souvent malade de corps, en proie aux perplexités de l'esprit et aux embarras créés par les circonstances, j'aurais souvent perdu courage si le Seigneur, plein de bonté pour moi, ne m'avait soutenu par la conviction que c'est Son œuvre et qu'Il est avec moi au plus fort du combat. Oui, la bataille est celle du Seigneur et Il vaincra. Lui ne saurait échouer.
Mes responsabilités augmentent et j'ai par conséquent toujours plus besoin d'une grâce spéciale pour remplir ma tâche. J'ai continuellement à gémir de ce que je suis mon précieux Maître de trop loin. Je ne puis vous dire à quel point je suis parfois tourmenté par la tentation. Je n'avais jamais su jusqu'ici combien mon cœur est mauvais. Cependant je suis assuré que j'aime Dieu, que j'aime Son œuvre et que je désire Le servir Lui seul et en toutes choses. Je mets au-dessus de tout ce précieux Sauveur en qui seul je puis être accepté. Souvent je suis tenté de croire qu'un homme aussi plein de péché que moi ne peut pas être un enfant de Dieu. Mais je m'efforce de repousser cette pensée et je me réjouis d'autant plus de la valeur inestimable de Jésus et des richesses de cette grâce par laquelle nous avons été rendus agréables dans le Bien-aimé. Bien-aimé de Dieu, il devrait L'être aussi de nous. Mais, comme je suis loin du but ici encore ! Dieu veuille m'aider à L'aimer davantage et à Le servir mieux ! Oh ! priez pour moi. Demandez à Dieu qu'Il me garde du péché, qu'Il me sanctifie parfaitement et qu'Il m'emploie davantage à Son service.