Pour en finir avec toutes les difficultés de même genre, continuons de justifier les abaissements, infirmités, ou inconvenances dont vous faites si grand bruit contre la divinité.
— « Adam, où es-tu ? s’écrie le Seigneur. Le Seigneur ignorait donc où il était ? Et quand il se cache, son maître ne savait donc pas, si c’était par honte de sa nudité, ou pour avoir goûté du fruit défendu ? »
— Hélas non ! le Seigneur ne pouvait ignorer le lieu de sa retraite, pas plus que sa révolte. Mais il fallait qu’Adam, qui se cachait à cause des troubles de sa conscience, fût traduit au tribunal du Seigneur, et comparût en présence du juge, non-seulement pour s’y entendre appeler, mais pour y commencer l’expiation de son crime. Ces mots : « Adam, où es-tu ? » doivent être prononcés non-seulement en l’appelant par son nom, mais avec l’accent de la sévérité et du blâme : « Adam, où es-tu ? » Qu’est-ce à dire ? « Te voilà plongé dans la perdition ; tu as cessé d’être ; » de telle sorte qu’il y ait dans cette intonation un décret de bannissement et de mort. Apparemment un coin du jardin avait échappé aux regards du Dieu « qui lient l’univers dans sa main comme le nid d’un faible oiseau, du Dieu dont le ciel est le trône, dont la terre est le marchepied. » Apparemment il était réduit à l’appeler pour l’apercevoir, aussi invisible, lorsqu’il se cachait, qu’au moment où il cueillait le fruit de l’arbre. Quoi ! la sentinelle qui veille à tes jardins ou à tes vignes, découvre le brigand ou le loup, et tu imaginerais follement que pour l’œil éternel qui, du haut des cieux, plonge sur tout ce qui est au-dessous de lui, il puisse y avoir quelques ténèbres ? Insensé, qui insultes à ce témoignage de la majesté divine, et à l’enseignement qu’elle donnait à l’homme, écoute. Dieu interrogeait Adam comme incertain, afin de prouver à l’homme qu’il était libre, et de lui offrir, par un désaveu spontané, ou par une humble confession, l’occasion d’avouer lui-même son iniquité, et par là de se relever de sa chute. De même ailleurs : « Caïn, où est ton frère ? » Le Seigneur avait déjà entendu la voix du sang d’Abel qui criait vers lui. Mais il interroge l’impie, afin, qu’usant de son libre arbitre, il fût à même de combler volontairement son crime par le mensonge et l’endurcissement. Dieu, préludant dès-lors à la doctrine de l’Evangile : « Vous serez justifiés par vos paroles ou condamnés par vos paroles, » nous apprenait ainsi à confesser nos fautes au lieu de les nier. Car, quoique Adam eût été livré à la mort par suite du décret porté contre lui, l’espérance lui resta néanmoins. « Voici Adam devenu comme l’un de nous, s’écrie le Seigneur lui-même. » Comme si Dieu montrait déjà dans l’avenir l’homme élevé à la divinité. Mais achevons le passage ! « Maintenant donc, craignons qu’avançant la main, il ne prenne aussi de l’arbre de vie, n’en mange, et ne vive éternellement. » Par ce mot, maintenant, indice du présent, il nous fait entendre que la vie est devenue passagère dans le temps présent. Aussi ne maudit-il ni Adam ni Eve, comme aspirant à la réhabilitation, déjà relevés aux yeux du Seigneur par un commencement d’expiation. Au contraire, il maudit Caïn. Vainement le fratricide voudrait se dérober par la mort au souvenir de son crime. Il le condamne à vivre, chargé d’une double infamie, son crime et son désaveu. Telle est l’ignorance de notre Dieu. Il n’en prend les apparences que pour ne pas laisser ignorer à l’homme prévaricateur ce qui lui reste à faire.
— Cependant, quand il s’agit de Sodome : « Je descendrai, dit-il, et je verrai s’ils ont accompli dans leurs œuvres la clameur venue jusqu’à moi. S’il est ainsi, je le saurai. » Je vous le demande. Pouvait-il mieux exprimer son incertitude par suite de son ignorance et le désir de connaître ?
— Oui ; mais cette façon de parler, nécessaire pour renoncé d’une sentence, ne cacherait-elle pas sous sa forme interrogative, au lieu du doute, l’expression de la menace ? Prends-y garde d’ailleurs. Si un Dieu descendu sur la terre pour accomplir ses jugements, parce que d’autres moyens d’exécution lui manquent, te paraît si ridicule, du même coup tu fais le procès à ton Dieu. Ton Dieu n’est-il pas descendu sur la terre pour y opérer la rédemption qu’il méditait ?