Contre Marcion

LIVRE II

Chapitre XXVI

– « Mais votre dieu jure. » – Par qui ? par le dieu de Marcion peut-être. – « Non ; mais par lui-même ; serment encore mille fois plus vain ! » – Et que voudrais-tu donc qu’il fît, s’il avait la conscience qu’il est le dieu unique, surtout quand il jure ainsi : « D’autre dieu que moi, il n’en est pas. » Discutons, toutefois : Que lui reproches-tu, le parjure ou l’inutilité de son serment ? De parjure, il ne peut s’en rencontrer, pas même l’apparence, puisque, d’après votre témoignage, il ignora qu’il existait un autre dieu. En jurant par l’être qu’il connaît existant, c’est-à-dire par lui-même, il a prononcé un serment véritable. Mais de parjure, point. D’une autre part, son affirmation qu’il n’y a point d’autre dieu, est-elle inutile ? Elle eût été superflue et vaine, si le monde n’avait pas eu des idolâtres alors, des hérétiques aujourd’hui. Il jure donc par lui-même, afin que l’univers croie sur la parole d’un Dieu qu’il n’y en a pas d’autre. C’est toi, Marcion, qui l’as réduit à cette nécessité. Il te voyait déjà, toi et tes erreurs. S’il accompagne de serment ses promesses ou ses menaces, pour arracher une foi difficile au début, rien de ce qui fait croire à Dieu n’est indigne de Dieu.

— « Mais votre Dieu montre sa faiblesse jusqu’au milieu de son indignation. Voilà qu’irrité contre le peuple qui a consacré le veau d’or, il adresse cette demande à Moïse son serviteur : Maintenant donc livre à mon courroux un libre cours. Mon indignation s’allume contre eux, et je les exterminerai ; et je te rendrai père d’un grand peuple. Aussi, affirmons-nous d’ordinaire que Moïse est meilleur que ce Dieu dont il invoque la pitié et contient la colère. Seigneur, répond le défenseur du peuple, tu ne le feras point, sinon, efface-moi avec eux du livre de vie. »

— Misérables Juifs, misérables Marcionites, de n’avoir point reconnu dans la personne de Moïse le Christ désarmant les justices de son Père, et offrant sa vie pour la rançon de son peuple ! Mais il suffit que la vie du peuple ait été accordée pour le moment à Moïse. Le Seigneur incitait le serviteur lui-même à solliciter cette grâce. « Livre à mon courroux un libre cours, dit-il, et je les exterminerai, » afin que le prophète, en s’offrant lui-même, retînt le bras prêt à frapper, et que l’univers apprît par cet exemple quel est le pouvoir du juste sur Dieu lui-même.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant