Voici donc deux vérités générales établies dans la parole de Dieu que nous découvrons ici ; premièrement, que toute la nature est condamnée et perdue par le péché, et qu’il n’y a pas moyen qu’elle se délivre de cette misère et de cette mort par ses propres forces ; secondement que Dieu seul est juste et possède la vraie justice. Ceux donc qui veulent être délivrés du péché et de sa condamnation, doivent en confessant et en sentant ces misères sous lesquelles ils sont, avoir leur recours à ce Dieu juste et à sa miséricorde, à l’exemple de David ; d’où il paraît que ce psaume est un excellent dépôt que le Saint-Esprit a voulu laisser dans son Église pour nous instruire de ces vérités infiniment importantes et nécessaires, que les siècles précédents n’ont point bien entendues ni bien enseignées parce qu’ils se sont éloignés de la parole de Dieu, pour suivre leurs rêveries et leur propre imagination ; mais nous, nous ne nous proposons autre chose que d’instruire les âmes par la parole de Dieu qui nous témoigne partout de cette haute vérité, que Dieu seul est juste et qu’ainsi ce ne sont ni nos justices morales, politiques et civiles, ni nos cérémonies qui nous délivrent des misères du péché ; car soit qu’un bon prince se conduise justement et sagement dans l’exercice de sa puissance, soit qu’un bon père de famille conduise prudemment sa maison, ce n’est pas cette justice-là qui peut les soutenir, mais ils seront encore obligés malgré leur sage conduite, de dire à Dieu : Je ne fais que pécher devant toi, j’ai péché devant toi, tu es seul juste et possédant la vraie justice.
Je vois dans ce verset des vérités d’une si grande importance, que, quoique je vienne déjà de l’expliquer brièvement et peut-être assez grossièrement, je ne puis m’empêcher, pour l’amour de ceux qui auraient dessein d’embrasser cette doctrine, mais qui ne la peuvent pas d’abord comprendre, de m’étendre un peu plus dans l’explication de ces grandes vérités.
Premièrement nous avons établi ci-dessus ce principe, que ce psaume ne doit ni ne peut être entendu du péché actuel seulement, mais de toute la corruption de la nature en général ; secondement, nous avons aussi averti que ce passage doit être là un peu autrement qu’il n’est couché dans nos versions et qu’il ne faut pas l’entendre d’une manière qui pose la nécessité de nos péchés pour manifester la justice de Dieu, car il ne s’agit pas du péché considéré seulement dans des idées de métaphysique ou par l’endroit de l’histoire, mais considéré théologiquement ayant rapport à Dieu. Il s’agit de connaître le péché à cet égard et de confesser que nous sommes devant Dieu de pauvres pécheurs et que Dieu seul est juste. Ceux qui ne traitent pas ainsi ces grandes vérités sont emportés dans des questions non seulement inutiles, mais aussi blasphématoires, car ils cherchent à connaître le péché dans des idées d’abstraction, et négligent de le connaître et de le sentir comme la théologie le demande, et ainsi se laissent aller à cette erreur qu’ils ne regardent dans le péché que ce qui n’en est que le fruit ; savoir, seulement les péchés actuels et extérieurs, et par là tombent dans une dangereuse et hypocrite opinion de leur propre justice. Or, comme c’est ici une considérable partie du péché, qu’il y demeure un péché caché et inconnu à la nature, il a été nécessaire qu’il y eût pour cela une révélation divine ; et cette révélation du péché caché se fait par la loi et par l’Évangile, car l’un et l’autre nous convainquent de ce péché que nous ne connaissons, ne croyons et ne sentons point, jusqu’à ce que nous en soyons convaincus par la parole de Dieu. C’est pourquoi le prophète ajoute bien à propos : Afin que tu sois justifié dans tes paroles ; comme s’il voulait dire, nous hommes, sommes tous pécheurs et tu es seul juste, comme ta parole le déclare ; je t’attribue toute justice, et à moi et à tous les hommes rien que péché ; de sorte qu’il n’y a chez nous aucune justice, mais en toi seul ; mais ce que je fais en cela je ne le fais que par suite des lumières que j’ai puisées dans ta parole, et parce que ta parole me l’enseigne et m’en convainc. Car si je n’avais pas cette parole, je ne pourrais avoir cette connaissance de mon injustice et de ta justice ; car celui qui ne croit point à ta parole et chez qui elle n’est point vivante, ne confessera et ne sentira jamais qu’il ne soit rien que péché et que Dieu seul soit juste ; j’en crois donc à ta parole, et je suis persuadé que tu connais mieux ma nature que je ne la connais, c’est pourquoi je juge selon ta parole et je déclare que nous sommes de pauvres pécheurs perdus, et que selon la nature, nous le demeurerons, afin que toi seul sois juste et que tu sois glorifié par cette même confession de ma misère et de ta justice. — C’est de la même manière que le Saint-Esprit parle au 32e psaume, quand David dit : Je ferai confession à l’Éternel de mes transgressions, et tu as ôté la peine de mon péché. Ainsi cette confession ou cette connaissance et ce sentiment du péché est nécessaire à la rémission des péchés ; il est nécessaire que nous croyions, que nous sentions et que nous confessions que nous sommes pécheurs et que tout le monde est sous la colère de Dieu. C’est ainsi que le second commandement fait connaître le péché et en est une preuve par la promesse qu’il ajoute pour ceux qui aiment Dieu. Car quand Dieu dit : Je suis le Seigneur ton Dieu, c’est comme s’il disait : Je suis celui par lequel te viendra le salut et la délivrance de la mort et du péché ; ce qui fait voir que toute cette nature à laquelle il parle est sous le péché et sous la mort, car sans cela qu’aurait-il besoin de nous promettre qu’il sera notre Dieu ? C’est ainsi que toute la parole de Dieu, tant la loi que l’Évangile, nous convainc par une conséquence claire et certaine que nous sommes pécheurs et que c’est par la grâce seule que nous sommes sauvés ; car si Dieu promet la vie, il s’en suit que nous sommes sous la mort ; s’il promet la rémission des péchés, il s’en suit que nous sommes détenus sous le péché. Or le salaire du péché c’est la mort ; c’est de cette manière que les promesses et les menaces nous montrent et nous enseignent cette vérité, car ces promesses et ces menaces ne sont pas faites aux bêtes qui demeurent dans la mort, mais c’est à nous que les promesses du salut s’adressent contre la mort, le péché et l’enfer qui nous détenaient.
J’ai voulu dire cela un peu au long pour faire voir que la conviction du péché qui se fait par la parole de Dieu, comme Paul le dit : Je n’ai point connu le péché sinon par la loi, n’est pas une vérité métaphysique, mais théologique qui doit se sentir. Car quand l’apôtre dit qu’il ne connaissait point le péché, ce n’est pas à dire qu’il n’ait point eu de péché ou que le péché n’ait point été au monde, mais qu’il ne le connaissait point. Ainsi il ne s’agit point de l’essence du péché ou de son être métaphysique, il ne s’agit point surtout de l’existence du péché, mais il s’agit d’un péché connu, d’un péché qu’on doit sentir et connaître lorsque la parole de Dieu vient nous en convaincre, et quand la voix de Dieu se fait entendre dans nos cœurs et nous crie : Tu es un pécheur, tu es sous la colère de Dieu et dans la mort ; quand cela se fait, quand cette voix se fait entendre, alors commence ce combat, dans lequel David dit qu’il a été vaincu (Psaume 32). Combat qui a lieu quand la nature humaine conteste, pour ainsi dire, avec Dieu, lorsqu’elle ne veut pas se laisser vivement convaincre que cette parole est véritable qui dit que tous les hommes sont sous le péché et que Dieu seul est juste. Car la nature s’oppose à cette vérité, ni ne peut pas croire qu’absolument toutes ses œuvres et tout ce qu’elle a de meilleur est mauvais, est péché au jugement de Dieu, comme nous voyons que les scolastiques défendent fortement une thèse qui est opposée à cette vérité divine ; ils disent que l’homme a encore la lumière de la droite raison et les qualités naturelles qui sont dans leur entier ; mais cela non seulement renverse cette connaissance du péché que la parole de Dieu nous révèle, mais détruit aussi ce principe constant que Dieu est seul juste, car Dieu par ce caractère qui lui appartient à lui seul, nous convainc nécessairement que nous sommes injustes.