1.[1] Cependant la sédition, même par ce moyen, n'arriva pas à s’apaiser ; elle ne fit que s'accroître bien davantage et devenir plus aiguë. Elle trouva même pour aller en empirant un motif tel qu'on pouvait croire que le mal ne cesserait jamais, mais se prolongerait indéfiniment. En effet, comme les hommes étaient convaincus désormais que rien ne se produisait sans la providence de Dieu, ils ne concevaient pas qu'il eût fait tout ce qui s'était passé sans vouloir favoriser Moïse, et ils accusaient ce dernier en prétendant que, si le courroux divin avait pris ces proportions, c'était moins à cause de l'iniquité de ceux qui avaient été châtiés qu'à la suite des machinations de Moïse. Les premiers avaient péri sans autre crime que d'avoir témoigné de leur zèle pour le culte de Dieu ; Moïse, lui, avait puni le peuple par la mort de ces personnages, tous de la plus grande distinction, afin de n'être plus exposé à aucune accusation et pour assurer à son frère la jouissance incontestée du sacerdoce. Nul autre, en effet, n'y ferait plus d'opposition, en voyant que les premiers eux-mêmes avaient péri misérablement. De plus, les parents des victimes sollicitaient souvent le peuple de réduire un peu les prétentions de Moïse ; il y allait, disaient-ils, de leur sécurité.
[1] Nombres, XVII, 6.
2.[2] Mais Moïse — depuis longtemps informé des troubles qui se fomentaient —, craignant quelque nouvelle révolution et qu'il ne se produisît de graves et fâcheux incidents, convoqua le peuple en assemblée ; les griefs qu'il a entendu articuler, il n'essaye pas de s'en disculper, afin de ne pas exaspérer le peuple ; il se borne à prescrire aux phylarques d'apporter les noms de leurs tribus gravés sur des bâtons : celui-là devait obtenir le sacerdoce, au bâton duquel Dieu ferait un signe. On approuve, et tous les apportent, y compris Aaron, qui avait inscrit Lévite sur son bâton[3]. Moïse les place tous dans le tabernacle de Dieu. Le jour suivant, il fit sortir les bâtons ; ils étaient reconnaissables, grâce à des signes qu'y avaient faits les hommes qui les avaient apportés, ainsi que le peuple. Or, tous ces bâtons, tels ils paraissaient quand Moïse les avaient reçus, tels on s'aperçut qu'ils étaient demeurés ; mais sur celui d'Aaron on vit que des bourgeons et des rameaux s'étaient développés, ainsi que des fruits mûrs, à savoir des amandes. Car c'était de bois d'amandier qu'était fait ce bâton. Stupéfaits de l'étrangeté de ce spectacle, si quelques-uns avaient de la haine pour Moïse et Aaron, ils y renoncèrent pour commencer d'admirer la sentence que Dieu avait portée à leur sujet, et, dorénavant, applaudissant aux décrets divins, ils permirent à Aaron de jouir heureusement du sacerdoce suprême. C'est ainsi que ce dernier, trois fois investi par Dieu, occupa en sécurité ses fonctions, et que la discorde des hébreux, après avoir régné longtemps, finit par se calmer.
[2] Josèphe passe sous silence l'épisode, rapporté dans Nombres, XVII, 6-15, des 14.700 hommes victimes d'une peste occasionnée par de nouvelles récriminations.
[3] D'après Nombres, XVIII, 18, c'était le nom d'Aaron, non celui de Lévi qui était gravé sur le bâton.
3.[4] Comme la tribu des Lévites était dispensée de la guerre et du service dans l'armée pour se consacrer au service de Dieu, de peur que, par indigence et par souci de se procurer les choses nécessaires à la vie, ils ne négligeassent le ministre sacré, Moïse ordonna qu’après la conquête de la Chananée, accomplie selon la volonté de Dieu, les Hébreux assigneraient aux Lévites quarante-huit villes riches et belles, en leur laissant tout autour de ces villes un terrain de deux mille coudées à partir des remparts[5]. En outre[6], il établit que le peuple payerait la dîme des fruits de chaque année aux Lévites eux-mêmes et aux prêtres[7]. Voilà ce que cette tribu reçoit du peuple. Mais je crois nécessaire d'indiquer ce que les prêtres reçoivent en particulier de tous les fidèles.
[4] Nombres, XVIII, 1 ; XXXV, 1.
[5] Josèphe paraît lire ici, comme les LXX, mot hébreu pour un autre (Nombres, XXXV, 4), ce qui supprime la contradiction que présentent le verset 4 et les suivants. Philon a la même leçon (De praem. sacerd., II, M., p. 236).
[6] Nombres, XVII, 21.
[7] Voir plus loin chapitre VIII, 8 et 22.
4. D'abord des quarante-huit villes, il établit que les Lévites en céderaient aux prêtres treize[8], et que de la dîme qu'ils reçoivent du peuple tous les ans ils prélèveraient une dîme pour les prêtres[9]. En outre, il était établi par la loi que le peuple offrit à Dieu les prémices de tous les produits qui croissent du sol[10], et que des quadrupèdes[11] que la loi permet d'offrir en sacrifices, ils présentassent les premiers-nés, si c'étaient des mâles, aux prêtres pour les sacrifier, afin de les manger en famille dans la ville sainte. Quant à ceux qu'il leur est interdit de manger d'après les lois de leurs ancêtres[12], les propriétaires de premiers-nés de ces espèces devaient payer aux prêtres un sicle et demi[13] ; pour le premier-né de l'homme il fallait cinq sicles. A eux devaient revenir encore les prémices de la tonte des brebis[14] ; et quand on faisait cuire de la farine et qu'on fabriquait du pain, il fallait leur offrir quelques-uns des gâteaux cuits[15]. Ceux qui se consacrent eux-mêmes après avoir fait un vœu — on les appelle des Naziréens[16], ils laissent pousser leur chevelure et s'abstiennent de vin —, ces gens, lorsqu'ils consacrent leur chevelure et se présentent pour offrir un sacrifice, donnent leurs boucles de cheveux aux prêtres[17]. Ceux qui se déclarent eux-mêmes korbân à Dieu[18] — cela signifie dôron (don) en grec —, quand ils veulent se libérer de cette obligation, doivent payer de l'argent aux prêtres : pour une femme, c'est trente sicles, pour un homme, cinquante[19]. Quant à ceux dont les ressources sont inférieures aux dites sommes, les prêtres ont le droit de décider à leur égard comme ils veulent. On est aussi obligé[20], quand on immole chez soi en vue d'un repas et non pour le culte, d'apporter aux prêtres la caillette, la poitrine et le bras droit[21] de la victime. Tels sont les revenus abondants que Moïse destine aux prêtres, sans compter ce que dans les sacrifices expiatoires le peuple leur donnait comme nous l'avons indiqué dans le livre précédent[22]. A tous ces prélèvements attribués aux prêtres, il établit qu'auraient part aussi[23] leurs serviteurs, leurs filles et leurs femmes, à l'exception des sacrifices offerts pour les péchés ; ceux-là, en effet[24], seuls les prêtres mêmes les consommaient dans le sanctuaire et le jour même.
[8] Cette disposition ne se trouve nulle part dans le Pentateuque. ; il n'en est question que dans Josué (XXI, 4-20), qui énumère ces villes.
[9] Nombres, XVIII, 26.
[10] Ibid. 13.
[11] Ibid. 15.
[12] Exode, XXXIV, 20 ; Lévitique, XXVII, 5, 11, 25.
[13] La prescription édictée, Nombres, XVIII, 15 : « Tu rachèteras le premier-né de la bête impure », paraît, en effet, comme le croit Josèphe, s'appliquer à toutes les espèces impures, sans distinction. Mais la Halacha (Sifré, p. 38 b ; Bechorot, 5 b) explique, en se fondant sur Exode, XXXIV, 20, que, seul, le premier-né de l'âne doit être racheté. Cependant la question a été controversée et le Talmud rapporte des discussions à propos de cette loi ; Josèphe est peut-être l'écho d'une opinion qui prévalait de son temps. D'ailleurs, Philon (II, M., p. 233) étend également la loi du rachat aux chevaux, chameaux, etc. Quant à la somme à payer, Josèphe paraît avoir confondu ce qui est dit dans les Nombres (XVIII, 16), à savoir qu'on doit payer cinq sicles tant pour le premier-né de l'homme que pour celui de la bête impure, avec les règles du Lévitique (XXVII) relatives aux estimations en général. D'après les versets 11-13 de ce dernier chapitre, c'était au prêtre à estimer la valeur de la bête impure qu'on voulait offrir : cependant dans le Talmud (Bechorot, 10 b, 11 a) on n'applique pas la règle édictée dans Nombres, XVIII, 16, au premier-né de l'âne et l'on rapporte que Rabbi Yehouda Nesîa envoya demander à R. Tarfon ce qu'il devait donner au prêtre pour racheter le premier-né de son âne ; Rabbi Tarfon lui cita en réponse le mot suivant : « la bonne mesure, c'est un séla ; la mauvaise, c'est un sékel (sicle) ; la moyenne, c'est un ragia ; » or le ragia valait 3 zouz, ce qui concorde avec le sicle et demi dont parle Josèphe (V. Zuckermann, Ueber talmudishe Münzen, p. 27) ; et le Talmud ajoute que tel était bien l'usage, dans le cas où on allait consulter le prêtre.
[14] Deutéronome, XVIII, 4.
[15] Nombres, XV, 15.
[16] Ibid., VI, 2.
[17] L'Écriture dit seulement que, l'époque venue, le naziréen se rasait et jetait sa chevelure sur le feu (Nombres, VI, 19).
[18] Lévitique, XXVII, 1.
[19] Josèphe laisse de côté les règles complémentaires énumérées dans le même chapitre (V, 5-8).
[20] Lévitique, VI, 22 ; Nombres, XVIII, 10.
[21] Lévitique, VII, 34 ; X, 14.
[22] Antiquités livre III, IX, 3.
[23] Nombres, XX, 14.
[24] L'Écriture dit seulement l'épaule, ou plutôt le bras : mais la tradition explique qu'il s'agit de l'épaule droite (baraïta dans Houllin, 134 b).
5.[25] Quand Moïse eut fait ces règlements après la sédition, ayant levé le camp avec toute l'armée, il arriva aux confins de l'Idumée, et, ayant envoyé des ambassadeurs au roi des Iduméens, il lui demanda de lui laisser libre passage, lui offrant toutes les garanties qu'il voudrait pour s'assurer qu'il ne recevrait aucun dommage et le priant d'ouvrir un marché à son armée, et de marquer le prix qu’elle aurait à lui payer pour l'eau. Mais ce roi n'agréa pas le message de Moïse, lui refusa le passage et mena ses troupes en armes à la rencontre de Moïse pour les arrêter s'ils tentaient de forcer le passage. Et Moïse, comme Dieu, pressenti, ne lui avait pas conseillé d'engager la lutte, ramena ses forces pour continuer son chemin à travers le désert en faisant un détour.
[25] Deutéronome, XVIII, 3.
6.[26] Dans le même temps, la mort surprend sa sœur Mariamme, quarante années pleines après qu'elle avait quitté I'Égypte, à la néoménie, selon la lune, du mois de Xanthicos. On l'ensevelit aux frais publics en grande pompe sur une montagne qu'on appelle Sin[27]. Et quand le peuple l'eut pleurée trente jours, Moïse le purifia comme il suit[28]. Le grand-prêtre, après avoir conduit à une petite distance du camp, dans un endroit parfaitement pur, une génisse encore ignorante de la charrue et du labour, sans défaut, entièrement rousse, la sacrifia et, de son sang, fit sept aspersions avec son doigt en face du tabernacle de Dieu. Ensuite, pendant qu'on brûle la génisse telle quelle, en entier, y compris la peau et les entrailles, on jette du bois de cèdre au milieu du feu, ainsi que de l'hysope et de la laine écarlate. Puis, ayant recueilli toutes les cendres, un homme pur les dépose dans un endroit parfaitement propre. Ceux donc qui avaient été rendus impurs par un cadavre[29], après avoir jeté un peu de cette cendre dans un courant d'eau et y avoir trempé de l'hysope, on les en aspergeait le troisième et le septième jours, et, dès lors, ils étaient purs. C'est ce que Moïse leur prescrivit de faire aussi, une fois arrivés sur les terres que le sort leur assignerait.
[26] Nombres, XX, 1.
[27] La Bible ne parle pas d'une montagne, mais d'un désert de Sin, et elle donne pour lieu de sépulture à Miriam la ville de Kadès.
[28] Nombres, XIX, 1. Dans l'Écriture, la loi de la vache rousse se lit avant le récit de la mort de Miriam et n'y est nullement rattachée. Le Midrash pourtant recherche pourquoi les deux passages se trouvent voisins (Moed Katan, 28 a), jamais il n’en donne pas la même raison que Josèphe.
[29] Nombres, XIX, 11, 18.
7.[30] Après cette purification effectuée à cause du deuil de la sœur du chef, il emmena ses troupes à travers le désert et l'Arabie. Arrivé à l'endroit que les Arabes tiennent pour leur métropole, ville primitivement appelée Arcé[31], et qu'on nomme aujourd'hui Pétra, là, comme une haute montagne environnait ce lieu, Aaron la gravit, Moïse l'ayant prévenu qu'il y devait mourir, et, sous les yeux de toute l'armée — car le sol était en pente —, il ôte ses vêtements de grand-prêtre et, les ayant remis à Éléazar son fils, à qui revenait du droit de l'âge le grand pontificat, il meurt à la vue du peuple, s'éteignant la même année où il avait perdu sa sœur, après avoir vécu en tout cent vingt-trois ans. Il meurt à la néoménie, selon la lune, du mois que les Athéniens appellent Hécatombéon, les Macédoniens Lôos, et les Hébreux Abba[32].
[30] Ibid., XX, 22.
[31] La Bible ne fait pas mention de cette ville ; en revanche, la montagne dont parle Josèphe est nommée dans l'Écriture : c'est le mont Hor. Cette ville d'Arcé, Josèphe l'appelle plus loin (chap. VII, 1) Rékémé ; et, comme il dérive ce nom de celui du roi Rékem, le nom d'Arcé donné ici parait suspect, d'autant plus que le même nom est donné par Josèphe à deux autres localités (Antiquités, liv. I, VI, 2 et liv. V, I, 22 [voir la note]). Josèphe ajoute que cette Arcé est la même ville qui s'est appelée plus tard Pétra. Il y avait sans doute une tradition à ce sujet. Saint Jérôme dit aussi que le mont Hor avoisinait Pétra (Onomast., s. v. Beeroth).
[32] Forme araméenne de l'hébreu ab. C'est le 5e mois de l'année. L'Écriture dit (Nombres, XXXIII, 38) qu'Aaron est mort la quarantième année, le premier jour du cinquième mois.