Nous sommes obligés de supposer que, dans la confection d’un discours, les choses se passent toujours de la même manière. Cette supposition, qui simplifie notre tâche, ne nuit en rien à la vérité. Ce qui peut, dans certains cas, se trouver antérieur dans l’ordre du temps, peut bien être postérieur dans l’ordre de la pensée.
Quoique nous ayons parlé d’abord de l’invention, et puis de la disposition, nous savons bien que la disposition se fait quelquefois du même coup que l’invention, et que quelquefois même la propositionl, vient après tout le reste.
l – En allemand, Der Hauptsatz.
Ainsi, j’ai vu l’Évangile grand dans ce qu’il demande, et puis je le vois grand dans ce qu’il donne ; ces deux idées, qui m’ont successivement frappé, se réunissent et se concentrent dans l’idée générale : L’Évangile est grand, qui va former mon thème. – Il en est de même de ces deux idées : L’Évangile a pour but la liberté ; – L’Évangile a pour moyen la liberté, – qui se réunissent dans, cette proposition : L’Évangile est une loi de liberté. – Seulement il faut bien s’assurer que le mot de liberté a le même sens dans les deux propositions particulières.
Mais ordinairement, et trop ordinairement peut-être, la chose ne se passe pas ainsi. Une proposition, ou suggérée par un texte, ou fournie par notre système de théologie, ou enfin antérieurement adoptée par notre esprit, se présente à nous toute formée, avant que nous ayons actuellement dans la pensée, toutes les idées dont elle se compose, ni toutes les preuves qui l’établissent. Nous supposons, dans notre étude, qu’il en est toujours ainsi.
Que se passe-t-il ensuite ?
Le thème est trouvé. Son idée, nous voulons le supposer ainsi, est arrêtée et bien circonscrite dans l’esprit de l’orateur. Or, soit qu’il s’agisse de le développer ou de le prouver, il faut le décomposer, le démonter ; pour ainsi dire, comme on fait d’un meuble ou d’une machine au seuil d’une porte peu large.
C’est le moment de la méditation. La méditation est une lente et assidue incubation du sujet, qui, fécondé en quelque sorte par la chaleur naturelle de l’orateur, par l’intérêt avec lequel il s’unit personnellement à son objet, éclot enfin, et met au jour successivement une foule d’idées particulières, une espèce de pêle-mêle ou de cohue, molécules qui tourbillonnent dans l’air, mais qui se cherchent pour former des groupes, des masses, et ne se reposent que lorsqu’elles ont trouvé leur place et leurs rapports.
Car s’il ne s’agit que de diviser, il est certain que le sujet se divise ou se morcelle de lui-même en un nombre de parties qui n’a de limites que l’impossibilité de diviser davantage. Mais cette pulvérisation du sujet n’en est pas la vraie division. En supposant, ce que je ne crois point, que la simple méditation retrouvât toutes ces molécules, elle n’aurait accompli qu’une partie de la tâche imposée à l’orateur. Ce total d’idées forme une concrétion massive et non un organisme. Il faut qu’on arrive à toutes ces idées ; mais le chemin ne peut être tracé par le hasard : c’est un chemin naturel, un chemin physiologique, comme celui de la sève aux branches mères, puis aux rameaux, puis aux feuilles.
Ainsi, de même que tout à l’heure nous faisions abstraction des cas assez nombreux où l’invention du sujet lui-même, de la proposition, vient après coup et peut-être la dernière, de même ici nous faisons abstraction de ce travail de méditation, de cette fermentation de l’esprit : ce sont des secrets d’intérieur ; ce fait, quant à présent, ne nous regarde pas ; et quoique l’orateur ait pu bien souvent aller des branches au tronc, ou du haut en bas, nous irons, nous, du tronc aux branches, ou du bas vers le haut.
Il nous faut donc aller du tronc, qui est la proposition, aux branches mères ; il faut les distinguer et les saisir, c’est-à-dire faire une division générale du sujet. Il se trouvera quelquefois que le sujet (la proposition) a une division nécessaire et n’en souffre aucune autre. Cette première décomposition peut n’être pas un grand mystère ; la division d’une proposition entre l’explication du précepte et ses motifs, entre l’exposition d’une vérité et ses conséquences pratiques, est facile à l’homme ordinaire comme à l’homme habile ; et c’est au-dessous de cette première distribution que commence, on peut le dire, la difficulté et l’œuvre du talent, la véritable décomposition.
Nous faisons abstraction de ces divisions presque inévitables, et où l’invention n’est à peu près pour rien ; et portant notre pensée sur les autres, nous croyons pouvoir dire que de cette première décomposition du sujet dépend, en grande partie, la force et l’effet du discours.
Il est des plans vigoureux et riches qui, appliquant le levier le plus profondément possible, enlèvent la masse entière du sujet ; il en est d’autres auxquels les divisions les plus profondes de la matière échappent, et qui n’enlèvent, pour ainsi dire, qu’une couche du sujet. C’est ici surtout, c’est dans la conception des plans, qu’on peut reconnaître les orateurs capables du bien, et ceux qui sont capables du mieux, de ce mieux qui est, à vrai dire, le sceau du talent ou du travail. On pourrait appliquer ici ces vers bien connus :
Savoir la marche est chose très unie ;
Savoir le jeu, c’est le fruit du génie ;
et ces autres vers, qui le sont moins :
Le Mieux, dit-on, est l’ennemi du Bien :
Jamais le goût n’admit ce faux proverbe ;
C’était le Mieux qu’osa tenter Malherbe ;
Maynard fit bien et Maynard ne fit rien.
Gloire à ce Mieux, noble but du génie !
Il enflammait l’auteur d’Iphigénie,
Boileau, Poussin, Phidias, Raphaël.
Le Bien, timide, est le Mieux du vulgaire.
À feu La Harpe il ne profita guère ;
Il en est mort ; le Mieux est immortel.
Il faut du moins que chacun, selon ses forces, tende vers ce mieux, et ne se contente pas du premier plan qui se présente à sa pensée, à moins qu’après l’avoir approfondi, il ne le trouve suffisant à son dessein, propre à épuiser le sujet, à en faire ressortir la force, à moins, en un mot, qu’il ne voie rien au delà.
Plusieurs plans peuvent se présenter sur le même sujet. Si j’avais à prouver que la pensée de la mort est utile, je pourrais établir successivement :
Au fait, sous des formes et des noms différents, la même matière se trouvera dans des sermons construits sur ces divers plans. Mais lequel de ces plans présentera cette vérité sous l’aspect le plus frappant, avec la plus grande richesse de détails, et les détails les plus heureux, c’est ce qu’il s’agira d’examiner. Il est fort probable qu’à tous ces plans on préférera celui de Bourdaloue sur le même sujet :
… J’avance trois propositions que je vous prie de bien comprendre, parce qu’elles vont faire le partage de ce discours. Je dis que la pensée de la mort est le remède le plus souverain pour amortir le feu de nos passions ; c’est la première partie. Je dis que la pensée de la mort est la règle la plus infaillible pour conclure sûrement dans nos délibérations ; c’est la seconde. Enfin, je dis que la pensée de la mort est le moyen le plus efficace pour nous inspirer une sainte ferveur dans nos actions, c’est la dernièrem.
m – Bourdaloue, Premier sermon du carême.
Il est important de remarquer que choisir un plan, c’est bien souvent trouver un sujet dans le sujet même. C’est choisir, entre les différents points de vue, que la proposition réunit, celle sur laquelle on veut appeler l’attention. Dans l’exemple que j’ai donné tout à l’heure, tous les plans proposés se rapportent à un même point de vue ; mais de même qu’ici la proposition se divisait en ses preuves, elle peut se décomposer en ses parties, en ses espèces, en ses rapports. Je prends ce passage : La parfaite charité bannit la crainte. (1 Jean 4.18) Selon que je m’attache à un mot ou à un autre, j’aurai trois plans, qui seront trois sujets :
De même cette proposition : La justice élève une nation, (Proverbes 14.34) est susceptible de divisions différentes, selon qu’on veut développer l’idée par les modes du fait, par ses parties, par une comparaison, affirmativement ou négativement :
Ainsi, quand l’homilétique vous donne des règles ou des directions sur la conception des plans, ce qu’elle vous enseigne alors, c’est proprement encore de l’invention. Mais, quoi qu’il en soit, quand elle vous propose différents principes de répartition de la matière, ce n’est pas pour que vous tiriez au sort entre ces différentes divisions, mais pour que vous vous décidiez entre elles selon le but que vous désirez atteindre. C’est donc encore une fois choisir votre sujet, ou plutôt c’est achever de le choisir.
Voici quels principes de division indique le docteur Ammonn : On peut, dit-il :
I. Décomposer le tout dans ses notions et ses propositions particulières. – Exemple : De la pernicieuse influence de l’ambition sur le bonheur des hommes :
II. On peut décomposer le genre dans ses espèces. Exemple : Véracité des promesses divines.
III. On peut envisager la pensée principale dans ses différentes relations. – Exemple : Les avantages de la véritable culture :
IV. On peut décomposer un précepte général de la loi morale en plusieurs préceptes subordonnés. Je substitue ici un autre exemple à celui proposé par l’auteur : Le respect pour la réputation d’autrui.
V. On peut décomposer un thème en ses divers motifs ou en ses preuves diverses. – Exemple : La divine vérité de la doctrine de Jésus. Elle ressort :
VI. On peut enfin décomposer la proposition dans ses parties subordonnées, en suivant une gradation. – Exemple (substitué à celui du docteur Ammon) : La paresse.
n – Ammon Anleintung zur Kanzelberedsamkeit.
Quel que soit, d’ailleurs, le système de décomposition auquel on s’arrête, et soit qu’on ait plus ou moins de bonheur dans l’invention du plan ou des divisions principales, voici les règles qu’il faut observero :
o – En donnant ces règles, nous indiquons assez la principale difficulté ou le principal écueil que présente la disposition aux jeunes orateurs, et même à des orateurs exercés. Les idées de l’esprit ne sont pas des individus, mais les parties de cette ligne continue et perpétuelle qui lie tous les objets dans notre esprit, comme ils sont liés dans l’univers. Aucune idée ne se sépare spontanément des autres idées. Ceci est le fait de la logique, instrument indispensable d’ordre, d’exactitude et de netteté. C’est la logique qui individualise les idées. C’est elle qui ramène chacune d’elles dans certaines limites bien tranchées, qui sont artificielles au fond, mais sans lesquelles aucun raisonnement exact n’aurait lieu. Cette précaution ou cet art résume tout le secret de la disposition.
1o) Ne coordonnez pas ce qui est subordonné, ne subordonnez pas ce qui est coordonné. J’appelle subordonné, à l’égard d’une idée, ce qui est compris dans la sphère ou dans le domaine de cette idée ; j’appelle coordonné ce qui, avec cette idée, fait partie d’une idée plus générale. Le défaut opposé à cette règle consiste à présenter comme distinctes et séparées deux idées qui rentrent l’une dans l’autre, ou dont l’une fait partie de l’autre.
Ainsi, des deux idées de charité et d’indulgence, la seconde est subordonnée à la première ; – et les deux idées de prévenance et d’indulgence sont coordonnées l’une à l’autre.
2o) Ne présentez pas comme deux idées ou deux motifs distincts deux points de vue d’une même idée ou d’un même motif, c’est-à-dire le même motif ou la même idée prise dans une relation particulière, qui ne le change pas essentiellement. Ces idées ressemblent à des vases qui ne diffèrent entre eux que par l’anse. Les mots les plus différents ne nous apportent pas toujours des idées essentiellement différentes, comme dans cette division : La foi chrétienne est telle qu’elle excite, guide, appuie. Mais prouver successivement qu’une chose est contraire au bon sens ou contraire à nos intérêts, c’est se condamner à rester en présence de rien après la première partie. – Autant en dirais-je de ce plan : L’intolérance est contraire à l’esprit de l’Évangile, et témoigne d’une grande ignorance de nous-mêmes. – On n’est sûr de son plan que lorsqu’on a pénétré, rapidement peut-être, mais de part en part, les idées dont il se compose ; autrement, sur la foi d’un présage trompeur d’abondance et de clarté, on s’engage dans un sujet confus et stérile.
J’étendrais cette règle plus loin, je dirais : qu’il ne faut pas distinguer des idées trop voisines pour n’être pas confondues, et qui, sans être identiques, s’impliquent. (Traitable, point difficultueuse, dans Jacques 3.17 ; – ou bien : paix, sérénité. Enumérations peu systématiques dans quelques passages de la Bible.)
3o) Gardez-vous de vous laisser entraîner, par l’affinité ou la contiguïté des idées, à mettre dans une partie du discours ce qui appartient à une autre partie, ou précédente ou postérieure.
4o) Il ne faut pas traiter une idée avant celle qui doit lui servir d’éclaircissement ou de preuve. Cette règle condamne, non seulement les grossières pétitions de principe, mais toute distribution par l’effet de laquelle ce qui eût pu préparer à l’intelligence d’une idée arrive après coup. – Prouver d’abord qu’une chose nous conciliera l’estime des hommes de bien, prouver ensuite qu’elle est juste, c’est tomber dans le défaut que je signale.
Telles sont les règles fondamentales et toutes négatives auxquelles le plan est assujetti, celles sans l’observation desquelles un plan est décidément vicieux. Il l’est moins sans doute, mais il l’est encore, quand le système de décomposition est conventionnel, arbitraire, et que la symétrie est préférée à l’ordre naturel. C’est ce qui arrive lorsqu’on anticipe par la division sur la méditation approfondie du sujet. On peut sans doute faire artificiellement un plan qui ne contrevient pas aux lois de la logique, et qui plait à l’œil par sa régularité ; mais cette régularité extérieure fait pourtant violence à la nature intime des choses ; elle sépare et tient à distance ce qui demandait à être uni ; les divisions de la matière sont des coupures et non pas des articulations ; le discours est réellement interrompu à tout coup ; l’artifice des transitions oratoires ne remplace pas la force de ces transitions naturelles, et vives, ou plutôt de cet engendrement perpétuel d’une idée par une autre qui caractérise l’ordre véritable ; le discours n’est pas compact, n’est pas coulé en fonte ; la mémoire, qu’on a prétendu aider par la symétrie, l’eût été bien plus et bien mieux par un ordre naturel. – Les plus grands talents de la chaire ont, je le sais, accepté ces entraves, et leur succès a été le malheur de la chaire.
Tout ce que nous avons dit de la disposition générale, ou du plan du discours, s’applique sans doute à chacune des parties dont la réunion compose le plan général ; et il n’y aurait qu’à le leur transporter. Il nous paraît néanmoins utile de donner quelques conseils sur le plan des parties du discours. Nous imposons trois règles relativement aux idées dont chacune de ces parties se compose : l’unité de tendance ou de direction, la généralisation, le dédoublement.
1o Si la manière de procéder dans la décomposition du thème de chaque partie était nécessairement la même chez tous, si tous descendaient du général au particulier, nous n’aurions rien à ajouter à ce que nous avons dit ; mais ici, plus que dans la conception générale du discours, l’esprit prend volontiers le particulier pour point de départ, et nous ne saurions l’en blâmer. Si l’autre méthode a de grands avantages logiques, celle-ci en a de substantiels, en tant qu’elle arrive de plain-pied aux idées et non par l’escalier de l’analyse. Mais il faut avouer que, dans ce dernier cas, le point de départ ou l’idée générale n’ayant pas été déterminée d’avance, on court le risque de ne pas s’attacher, dans chaque idée particulière, au point de vue qui correspond à celui de l’idée générale. On a rassemblé des fractions qui n’ont peut-être pas le même dénominateur. L’idée qu’il s’agit de trouver et d’assortir au dessein général s’y trouve bien en substance, mais fléchissant vers un autre but que le but général du discours ou de la partie du discours où elle se trouve. – La même idée peut se présenter sous l’aspect de moyen, au lieu de se présenter sous celui d’encouragement. J’en dis autant des idées d’utilité et de but, de reproche et d’exhortation, d’usages et de règles, d’obstacles et de moyens, de devoir et de beauté, de moyen et de manière, de source et de condition, d’objet et de but, d’illusion et de prétexte, de caractéristique et de règles, de nuances et de degrés, de motifs et de conséquences, de preuves et de motifs, d’effets et de symptômes. – Ceci fait sentir le danger d’écrire d’avance des morceaux sans vue d’ensemble. On ne peut les faire entrer dans le corps du discours sans les modifier ; et de regret de les voir fondre entre ses mains, surtout lorsqu’ils ont de la beauté, on fait violence à la suite naturelle du discours et aux lois de la proportion pour leur trouver un emploi, et l’on y parvient par des artifices de logique qui ne réussissent jamais, le faux ne pouvant jamais remplacer le vraip.
p – « Ceux qui craignent de perdre des pensées isolées, et qui écrivent en différents temps des morceaux détachés, ne les réunissent jamais sans transitions forcées. » (Buffon)
2o Il ne faut pas seulement que les idées particulières aient une unité d’intention et de direction, il en faut faire des groupes particuliers dans le groupe principal, donner un centre commun à celles qui sont susceptibles d’être réunies sous un même chef, tendre à généraliser. Cela ne signifie point qu’il faille se borner à des idées générales et supprimer les détails, mais [qu’il faut] fortifier les idées particulières en leur donnant un centre et en les agglomérant. En se bornant aux idées générales, on ferait de chaque discours le résumé de plusieurs discours, un consommé trop fort pour les estomacs faibles ; on se priverait de cette multitude d’aspects et d’applications qui sont la partie la plus sensible de l’éloquence ; on n’instruirait guère, on toucherait peu. Ces discours où la substance d’un discours entier est comprimée dans un paragraphe, rappellent, dans un certain sens, ce vers de Boileau :
Souvent trop d’abondance appauvrit la matière.q.
q – Boileau, L’Art Poétique, chant III.
La règle donc, que nous donnons, est purement de disposition.
Au fait, ces sermons tout d’idées générales, qui dévorent d’une fois ce qui devait faire la matière d’une série de discours, ne sont-ils pas, en général, une marque de pauvreté plutôt que de richesse, et si l’orateur n’a vu qu’un sujet où d’autres en eussent vu plusieurs, n’est-ce pas faute d’avoir médité et approfondi ?
3o La restriction ou l’explication de cette seconde règle nous conduit à une troisième règle : il faut savoir dédoubler ou subdiviser, c’est-à-dire décomposer les idées principales en autant de parties ou de points de vue qu’on peut le faire sans arriver à cette ténuité ou à cette subtilité dans lesquelles l’attention se lasse et l’intérêt se perd. Il faut savoir faire dans le discours oratoire ce que Corneille a fait dans la tragédie d’Horace, dont le sujet, tel que le donnait l’histoire, ne suffisait pas à une tragédie, si le poète n’eût su espacer. Divide et impera. – Il peut sembler inutile et puéril de décomposer certaines idées ; mais, si quelquefois il est bon de franchir les intermédiaires, il est quelquefois bon aussi de les marquer un à un, et de n’arriver que pas à pas au dénouement. Considérez qu’en cette affaire le chemin, la marche en elle-même importe, et qu’il n’en est pas du discours comme d’un escalier, dont on peut descendre ou monter les degrés trois à trois : il importe, dans cet escalier du discours, que chaque marche ait été touchée. – Comme je ne parle ici de la disposition que sous le point de vue logique, c’est-à-dire dans l’intérêt de la connaissance et du jugement, je ne m’arrêterai pas à montrer que l’impression qu’on reçoit de la vérité se proportionne non seulement à la conscience du terme où l’on est arrivé, mais au sentiment du chemin qu’on a fait pour y arriver. Tout le monde a pu éprouver quelle est la force oratoire de cette lenteur, bien différente de la lenteur qui résulte des haltes et des détours ; car ici la marche est sans relâche ; le pas est petit, mais ferme et pressé. Me bornant au point de vue logique, je dirai que, si l’esprit se plaît quelquefois à marcher à grands pas et à franchir en peu de temps beaucoup d’espace, comme Bossuet nous le fait faire dans ses Oraisons funèbres, le dédoublement a deux avantages :
r – Reprenant la comparaison dont il s’est plusieurs fois servi dans ce chapitre, Vinet ajoute : « Escalier dont les marches sont d’autant moins hautes qu’elles sont plus nombreuses. » (Editeurs)