Il devient difficile, après Origène et jusqu’au concile de Nicée, de suivre en Orient le développement général de la théologie. Quelle que soit la cause des lacunes que présente l’histoire littéraire à cette époque, les écrits qui nous ont été conservés sont relativement rares et pour la plupart mutilés. Nous en connaissons un bon nombre seulement par les citations des auteurs postérieurs, et de ces citations trop courtes on ne saurait tirer que des renseignements incomplets.
Si l’on tient compte de l’attitude qu’ils ont observée vis-à-vis d’Origène, on peut distribuer en trois classes les auteurs et documents théologiques de cette période.
Viennent d’abord les successeurs et disciples d’Origène, fidèles à son esprit et à ses méthodes. Héraclas, qui lui succéda immédiatement, n’a peut-être rien composé ; mais l’activité littéraire de Denys, directeur du Didascalée, puis évêque d’Alexandrie (248-265) après Héraclas, fut considérable. Noble caractère, esprit cultivé, de beaucoup d’autorité et de mesure, qui eut à dire son avis sur toutes les graves questions qui agitèrent l’Église de son temps, Denys, qu’Eusèbe a déjà surnommé le Grand, présente avec saint Cyprien plus d’un point de ressemblance. Malheureusement, la postérité s’est montrée moins attentive que pour l’évêque de Carthage à conserver ses écrits. Sauf une ou deux pièces, on n’en possède que des fragments. Infiniment plus réduit encore est ce qui reste des Hypotyposes de Théognoste (vers 264-280) et des discours ou λόγοι de Pierius (vers 280-310). Sans les analyses de Photius, ces ouvrages seraient demeurés presque totalement inconnus.
Héraclas, Denys, Théognoste, Pierius continuèrent à Alexandrie les leçons d’Origène. D’autres, sans lui succéder, furent ses admirateurs ou restèrent ses disciples. Parmi eux, il faut mettre l’égyptien Hiéracas (vers 300), le premier auteur ecclésiastique connu qui ait écrit en copte, mais dont la doctrine renfermait plus d’une singularité. Puis, en Palestine, le martyr Pamphile († 309), élève de Pierius, qui écrivit en cinq livres une Apologie d’Origène qu’Eusèbe compléta, et dont le premier livre seul s’est conservé dans une traduction de Rufin. Puis, plus loin, en Cappadoce et dans le Pont, l’évêque Firmilien de Césarée († 268), auditeur passager d’Origène et correspondant de saint Cyprien ; et surtout saint Grégoire le Thaumaturge (vers 213-270 ou 275). On sait que le panégyrique d’Origène prononcé par Grégoire quittant l’école de Césarée est une des meilleures sources pour connaître la méthode du maître. Grégoire semblait devoir être un philosophe et un spéculatif : les devoirs de sa charge pastorale le forcèrent à être un apôtre, et sa foi en fit un saint à miracles.
Jusque vers la fin du iiie siècle, et sauf quelques ombres fugitives, la réputation d’orthodoxie d’Origène ne paraît pas avoir beaucoup souffert. Mais, à ce moment, des attaques directes se produisirent contre certaines de ses opinions. Elles vinrent de deux côtés à la fois : d’Alexandrie même dont l’évêque Pierre (vers 300-311) attaqua son erreur de la préexistence des âmes et sa théorie de la résurrection des corps ; — d’Olympe, en Lycie, dont l’évêque Methodius, martyr en 311, se posa nettement en adversaire du grand docteur. Methodius n’est pas un esprit supérieur, mais c’est un esprit cultivé, curieux de philosophie et de sciences naturelles, un chercheur consciencieux et un polémiste sincère, un théologien bien campé dans la tradition et qui est, en somme, le premier de son temps, puisque ce temps n’en a pas compté de vraiment grand. Au point de vue négatif, si l’on peut ainsi parler, ses tendances sont nettement antiorigénistes, non qu’il n’ait appris beaucoup d’Origène, mais parce qu’il a souvent retourné contre lui ce qu’il en avait reçu. Au point de vue positif, il reproduit les idées et les théories chères à l’école asiatique (Irénée, Méliton). De bonne heure toutefois, les « archaïsmes de pensée et d’expression » qui paraissaient dans ses ouvrages les firent délaisser du monde grec : on les a retrouvés en partie dans des traductions slavonnes.
Enfin, en dehors des écrits des amis ou des adversaires d’Origène, nous aurons à consulter ici un troisième groupe de documents, formé de compositions anonymes que l’influence d’Origène n’a pas touchés. Le premier est le dialogue De recta in Deum fide, originaire de Syrie vers l’an 300, et que le nom du principal interlocuteur, Adamantius, a fait de bonne heure et à tort attribuer à Origène. Les deux autres, syriens aussi probablement, sont des écrits disciplinaires de la seconde moitié du iiie siècle : la Didascalie des apôtres, fort importante, dont il subsiste seulement une traduction syriaque entière et une traduction latine incomplète ; et les Canons ecclésiastiques des apôtres (Apostolische Kirchenordnung). Ce sont, après la Didachè, les deux plus anciens monuments de la littérature canonique grecque.