Les termes de création primitive et secondaire sont anciens dans la dogmatique, comme nous l’avons montré dans notre Résumé historique, mais on n’entendait pas opposer par là la création primitive des cieux et de la terre à l’œuvre des six jours.
La première question qui se pose en effet à l’interprète du document génésiaque est celle de savoir si Genèse 1.1 est le titre général du morceau (ex. : Marc 1.1), ou la mention succincte d’un fait antérieur à l’œuvre des six jours et à l’existence même du chaos (v. 2), d’une création primitive, aux confins du temps, des cieux, de la terre et de leurs premiers habitants. Le verset 2 serait, dans ce cas, consécutif au premier, et contiendrait la description d’un état déjà anormal de la terre, issu d’une première catastrophe morale accomplie dans le monde supérieur, et qui devrait se sous-entendre entre v. 1 et 2. L’œuvre des six jours serait, dans ce cas aussi, moins une production qu’une restauration successive de la terre, jusqu’au terme marqué par la formule : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait et tout cela était très bon ».
C’est là l’interprétation dite restitutionniste qui, disons-nous, si elle était reconnue légitime, résoudrait la plus grave des difficultés que soulèvent les rapports de la Genèse biblique et des sciences naturelles, en nous rendant raison de la présence de la mort dans les époques préadamites. Elle comprend deux variantes : selon l’une, les périodes dites géologiques seraient comprises dans l’état décrit : v. 2 ; selon l’autre, elles correspondraient à l’œuvre des six jours commençant dès le v. 3. C’est à cette seconde alternative que nous nous rattachons.
La principale objection faite à l’interprétation restitutionniste est la difficulté de sous-entendre dans l’intervalle des deux premiers versets un événement aussi considérable que la chute des premières créatures. Cette objection ne saurait nous émouvoir. Nous l’avons remarqué déjà : la cosmogonie biblique se tait avec intention sur l’existence des créatures supérieures à l’homme, anges ou démons, dont une connaissance prématurée serait devenue inévitablement une cause d’excitation à l’idolâtrie. Mais la présence d’êtres intelligents antérieurs et supérieurs à l’homme est déjà discrètement indiquée dans le mot : leschomerah (Genèse 2.15) : pour le garder ; et plus encore dans l’apparition au sein d’une nature dite très bonne et sous la forme d’un de ces animaux que l’Eternel Dieu avait faits (Genèse 3.1), d’un principe hostile à Dieu. Le drame de la création, de la chute et de la restauration de l’homme qui fait le sujet principal de la Bible entière, n’est encore qu’un acte détaché d’un drame plus vaste et plus ancien, dont la Bible nous fait pressentir les proportions sans nous permettre de les mesurer.
En revanche, les raisons suivantes, tirées du texte, nous paraissent militer en faveur de l’interprétation dite restitutionniste :
- Le verset premier n’a pas la teneur ordinaire des titres dans la Genèse, que nous rencontrons successivement : Genèse 2.4 ; 5.1 ; 6.9, etc. Le titre ou résumé du premier morceau élohiste doit donc être cherché : Genèse 2.4.
- La suite du récit ne répondrait pas au titre, puisque le v. 2 nous transporte aussitôt sur la terre, et que les cieux ne sont plus nommés qu’incidemment, et probablement dans un sens plus restreint, v. 9, 14, 17, etc.
- La conjonction ve qui ouvre le v. 2, suivie du prétérit haiethah, nous paraît rattacher la mention d’un état à un fait antérieur plutôt que le commencement même du récit à un titre généralt.
- Les traits principaux dont se compose la description du chaos, v. 2, désignent toujours dans l’Ecriture ce qui est anormal et non pas seulement ce qui est imparfait (comparez l’emploi de tohouvavohou : Jérémie 4.23 ; Ésaïe 34.11 ; de tohou seul : Ésaïe 40.17, 23 ; 49.4, etc.)
- Si le v. 1 n’était que le titre du document, on ne saurait où placer l’acte de la première création proprement dit, puisque dès le v. 2, nous assistons à une série d’opérations divines dans le sein d’une nature préexistante.
t – Schultz prétend que le sens que nous indiquons exigerait au lieu de l’imparfait : « la terre était », l’aoriste vattehi : la terre devint (page 532, note). On voit que nous nous accommodons fort bien de l’imparfait.
Les éléments hostiles à la perfection renfermés dans l’état de chaos, le désordre, les ténèbres et la mort vont donc être domptés ou éliminés durant l’œuvre successive des six jours, lent et victorieux acheminement au chef-d’œuvre qui est en même temps le terme de la création : l’homme.