Il s’agit de la dernière grande loi contre les protestants qui fut publiée le 14 mai 1724, sous forme de déclaration du roi. Si l’on ne parvint jamais à l’exécuter à la lettre, on l’appliqua souvent ; et comme elle resta officiellement en vigueur pendant soixante-trois ans, jusqu’à l’édit de tolérance de Louis XVI, il importe d’en connaître l’origine, l’esprit et les principaux articles.
Le premier rédacteur de cette loi fut Lavergne de Tressan, évêque de Nantes, aumônier du duc d’Orléans, et digne acolyte du cardinal Dubois qu’il avait sacré. N’ayant ni religion ni mœurs, et portant la cupidité au point d’avoir accumulé soixante et seize bénéfices, il briguait la pourpre romaine, et ne crut pouvoir la mieux mériter qu’en achevant d’écraser les hérétiques. Lavergne de Tressan présenta son projet à Dubois et au régent qui le repoussèrent. Il fut plus heureux auprès du duc de Bourbon, devenu premier ministre à la majorité de Louis XV. Le duc de Bourbon était un homme hautain et dur, d’un aspect ignoble, manquant à la fois de convictions et d’intelligence, gouverné par une favorite déhontée, et qui ne fit que des lois barbares. Il avait ordonné, entre autre chose, que tous les mendiants fussent marqués d’un fer chaud.
Quelques magistrats, dit-on, mirent aussi la main à la déclaration de 1724 ; ils y introduisirent des modifications peu favorables à la domination du clergé, comme il y parut dans la suite.
L’édit contenait dix-huit articles. C’était une compilation des plus sévères ordonnances rendues contre les réformés sous le règne de Louis XIV, avec aggravation de la pénalité en plusieurs points. On s’appuyait sur l’odieuse fiction qu’il n’y avait plus de protestants en France, et l’on faisait dire dans le préambule, au jeune Louis XV, âgé alors de quatorze ans, qu’il n’avait rien de plus à cœur que de suivre les grands desseins de son très honoré seigneur et bisaïeul, et qu’il voulait exposer bien disertement ses intentions.
A ces causes, il déclarait ce qui suit : Peine de galères perpétuelles pour les hommes, et de la réclusion à vie pour les femmes, avec confiscation des biens, s’ils assistaient à d’autres exercices que ceux de la religion catholique. Peine de mort contre les prédicants. Peine des galères ou de la réclusion contre ceux qui leur donneraient asile ou aide quelconque, et contre ceux qui négligeraient de les dénoncer. Ordre aux parents de faire baptiser leurs enfants dans les vingt-quatre heures par le curé de la paroisse, de les envoyer aux écoles et catéchismes catholiques jusqu’à l’âge de quatorze ans et aux instructions des dimanches et fêtes jusqu’à l’âge de vingt ans. Ordre aux sages-femmes d’annoncer aux prêtres les naissances, et aux médecins, chirurgiens, apothicaires, de les avertir des maladies graves des nouveaux convertis, et autorisation pour les prêtres d’entretenir les malades sans témoins. Si quelqu’un refusait les sacrements ou engageait l’un des siens à les refuser, il encourait la peine des relaps. Il n’y avait de mariage légitime que celui qui était célébré selon les canons de l’Église. Les parents ne pouvaient, ni faire élever leurs enfants hors du royaume, ni leur permettre de s’y marier. Les enfants mineurs, an contraire, dont les parents étaient hors du royaume, pouvaient se marier sans leur consentement. Les certificats de catholicité étaient déclarés obligatoires pour toutes les charges, tous les grades académiques, toutes les admissions dans les corps de métiers. Enfin, les amendes et les biens confisqués devaient servir à l’entretien des sujets réunis qui en auraient besoin.
Jamais, depuis l’origine des sociétés humaines, le législateur n’avait plus insolemment renié le droit naturel, le droit civil, la famille, la propriété, la liberté et la sainteté de la foi individuelle. Cette déclaration prouvait une fois de plus qu’on est poussé à des actes monstrueux quand, par la confusion du spirituel et du temporel, on subordonne aux maximes de l’Église catholique les lois de l’Etat.
Les historiens n’expriment sur l’édit de 1724 que des sentiments d’horreur. « On vit avec étonnement dans ce siècle incrédule, dit M. de Sismondi, lorsque le pouvoir était aux mains d’un prince sans foi et sans probité et d’une courtisane sans pudeur, renouveler une persécution que la foi rigide de Louis XIV pouvait à peine faire comprendre… Le clergé, qui n’avait pas osé demander cette loi intempestive, la reçut avec transport » (t. xxvii, p. 514).
M. Charles Lacretelle dit aussi : « Le premier acte du gouvernement fut absurde et odieux. Ce fut un édit contre les protestants, plus cruel encore que la révocation de l’édit de Nantes. On y défendait jusqu’à l’exercice le plus secret de la religion réformée. On arrachait les enfants aux pères pour les faire élever dans la religion catholique… On renouvelait enfin tous les genres d’oppression que les ministres de Louis XIV avaient conçus, et que l’horreur publique commençait à faire tomber en désuétude. La marquise de Prie, dont l’impiété égalait celle du cardinal Dubois, sut persuader à son amant (le duc de Bourbon) qu’il suivait les grands principes des hommes d’Etat, en commençant une nouvelle persécution. Chacun fut révolté des efforts que le vice faisait pour se donner l’apparence du zèle. Cette barbare ineptie fit regretter la tolérance du régent[a]. »
[a] Histoire de France pendant le dix-huitième siècle, t. II, p. 7.
Rulhières et le baron de Breteuil affirment que le conseil n’accepta l’édit que par surprise. Ils prouvent que l’on avait étrangement confondu dans cette compilation des lois inspirées par deux tendances très diverses. L’esprit moliniste ou jésuite avait voulu employer la contrainte extérieure universelle, mais en se relâchant sur les conditions intérieures de catholicité. L’esprit janséniste avait exigé, au contraire, de rigoureuses conditions de catholicité, mais en se relâchant sur la contrainte. Ainsi, de deux choses l’une : ou l’emploi de la force matérielle avec une simple apparence de réunion au catholicisme, ou la véritable réunion sans l’emploi de la force. Or, dans la déclaration de 1724, on exigeait en même temps que tous fussent catholiques sous peine des galères et de la mort, et que tous fissent des actes que les bons catholiques sont seuls en état de faire. Cela était impraticable, impossible jusqu’à l’absurde.
Il faut noter ici le grand changement qui se montrait dans la manière d’agir de la plupart des prêtres. A la veille et au jour de la révocation, comme nous l’avons raconté ailleurs, ils tenaient les bras largement ouverts. Ils semblaient dire aux protestants : Venez, venez tous, tels que vous êtes. Nous nous contenterons de l’abjuration la plus vague, la plus générale. Nous ne vous troublerons point dans le for intérieur. Que vous portiez le nom de catholiques et observiez les principales formes de l’Église, c’en est assez.
Mais quelque temps après, leur langage, leur conduite se modifièrent sensiblement, et les exigences allèrent s’accroissant d’année en année, surtout lorsque la loi eut déclaré qu’il n’y avait plus de protestants dans le royaume. Prenez garde, dirent alors les prêtres ; nous ne pouvons pas administrer les sacrements à de faux frères : ce serait une abominable profanation. Il nous faut des épreuves longues et sévères, des instructions qui durent six mois, un an, deux ans, des serments solennels, une complète certitude enfin que vous êtes de vrais et fidèles catholiques. Autrement, nous ne voulons pas célébrer vos mariages, ni vous donner de certificats de catholicité, et vous vous arrangerez pour le maintien de vos droits civils comme vous pourrez.
Ce changement toujours plus marqué s’explique naturellement par les cruels mécomptes que les prêtres avaient éprouvés depuis la révocation. Ils espéraient que la démolition des temples, l’exil des pasteurs, la privation de tout enseignement régulier, le besoin d’une religion, le devoir légal de faire des actes de catholicité, donneraient à l’Église de vrais croyants, au moins dans la deuxième génération. Or leur attente avait été trompée, surtout pour les gens de campagne et de métier. Les enfants, les petits-enfants détestaient l’Église catholique autant que leurs pères. Les curés n’étaient pour eux que des objets d’aversion et de dédain.
Fatigués d’un si triste rôle, ils résolurent de n’administrer les sacrements qu’à des fidèles bien avérés, et ils avaient parfaitement raison. Mais ils auraient dû alors désavouer, repousser l’intervention de la contrainte matérielle, et c’est ce qu’ils ne firent point. Ils persistèrent à demander la rigueur, comme s’ils se contentaient des apparences, et à exiger des preuves positives de religion, comme si l’on n’usait plus de rigueur ! Contradiction énorme et détestable, s’il en fut jamais !
[Après avoir lu les correspondances des intendants, M. Lemontey assure, dans ses Essais sur l’établissement monarchique de Louis XIV, que certains curés exigeaient des hérétiques, avant de bénir leurs mariages, « qu’ils maudissent leurs parents décédés, et jurassent qu’ils croyaient à leur damnation éternelle ! (t. II, p. 157.)]
Du reste, en arrivant à ce degré d’inconséquence, le clergé se heurta contre la magistrature, et c’est une nouvelle face de la même question qu’il importe de bien comprendre ; car toute la suite de notre histoire y est impliquée jusqu’en 1787.
Si les conseillers des parlements, et en général les magistrats se montraient sévères pour les réformés, ils sous-entendaient toujours que les prêtres donneraient les sacrements sans réclamer de trop grandes épreuves. Leurs arrêts, depuis la fin du règne de Louis XIV, pouvaient s’interpréter de la manière suivante : Nous voulons absolument que vous fassiez bénir vos mariages par le prêtre, et que vous présentiez vos enfants au baptême catholique : sinon, vous n’aurez point d’état civil ; vos unions seront illégales, et vos enfants atteints de bâtardise ; en certains cas même, vous serez dépouillés de vos biens et condamnés aux galères. Mais rassurez-vous, nous ne vous demandons que de simples formalités. Il est convenu que le clergé ne vous imposera pas autre chose, et nous y tiendrons la main.
Forts de ces maximes, les protestants s’en autorisaient pour n’accorder aux prêtres que le moins possible ; mais ceux-ci répondaient : Que nous importe l’opinion des juges civils ? Le clergé a seul le droit de décider dans les matières de sacrements. Aucun pouvoir humain ne peut nous les faire donner à ceux que nous en réputons indignes. Fréquentez la messe et nos instructions pendant des années ; confessez-vous régulièrement ; montrez-nous en un mot que vous êtes de fidèles catholiques, et vous aurez part aux grâces de l’Église ; sinon, non.
Etrange spectacle ! Le juge insistait sur l’exécution des lois, parce qu’il les interprétait dans un sens, et le prêtre les appliquait dans un autre. Le premier ne se préoccupait que de l’unité civile ; le second voulait surtout l’unité spirituelle. L’un ne forçait les protestants qu’à être catholiques au dehors ; l’autre s’emparait de la sentence pour les forcer à l’être au-dedans. Voilà où l’on en était venu par les édits qui ne correspondaient plus avec la conscience générale de l’époque. Il y eut pour les catholiques mêmes, on le sait, des conflits analogues dans l’affaire des sacrements refusés aux Jansénistes et des billets de confession. Le problème ne pouvait se résoudre définitivement que par la mutuelle indépendance, aujourd’hui proclamée dans toutes nos constitutions, de l’état civil et de l’état religieux.
Dans un mémoire adressé à Louis XVI, le baron de Breteuil fait voir les inextricables embarras dans lesquels on s’était jeté à l’égard des protestants : « D’un coté, dit-il, nécessité indispensable d’un certificat de catholicité ; de l’autre, examen scrupuleux et arbitraire avant de donner ce certificat. De ces idées confuses, de toutes ces dispositions incohérentes et contradictoires, pouvait-il résulter autre chose que des lois inexécutables ? … Ces infortunés, également rejetés de nos tribunaux sous un nom, et repoussés de nos églises sous un autre nom, méconnus dans le même temps comme calvinistes, et méconnus comme convertis, dans une entière impuissance d’obéir à des lois qui se détruisaient l’une l’autre, et par là destitués de tout moyen de faire admettre, ou devant un prêtre ou devant un juge, les témoignages de leurs naissances, de leurs mariages et de leurs sépultures, se sont vus en quelque sorte retranchés de la race humaine (p. 35 et 103).
L’illustre chancelier d’Aguesseau avait parfaitement posé le dilemme : « Il faut que l’Église se relâche de sa rigueur par quelque tempérament, ou, si elle ne le croit pas devoir, il faut qu’elle cesse de demander au roi d’employer son autorité pour réduire ses sujets à l’impossible, en leur commandant de remplir un devoir de religion que l’Église ne leur permet pas d’accomplir. »
Aussi la déclaration de 1724, tout en produisant à diverses reprises d’affreuses conséquences, ne fut-elle jamais pleinement exécutée. Elle renfermait d’ailleurs des dispositions qui révoltaient les sentiments les plus sacrés de la nature, de la justice et de la sociabilité humaines. Punir des galères et de la confiscation des biens un fils, une fille qui auraient adressé de pieuses exhortations à leur père sur son lit de mort ; infliger la même peine à celui qui ne dénoncerait pas son pasteur, ou qui lui ouvrirait la porte de sa maison ; frapper d’amende le médecin qui refuserait de remplir le métier infâme de délateur : tout cela, comme l’observe M. de Sismondi, était empreint d’un si sauvage fanatisme qu’on doute que le code d’aucun peuple en ait jamais approché. Si l’on pouvait encore, au dix-septième siècle, écrire des atrocités dans les lois, on ne trouvait plus ni juges ni administrateurs pour les appliquer jusqu’au bout.
A l’atroce venait se joindre, comme toujours, le ridicule. Quelques prêtres faisaient l’appel des enfants dans l’église, à l’instar des sergents dans une revue militaire, et notaient les absents pour faire mettre les parents à l’amende. Or, les enfants refusaient souvent de répondre, se moquaient du curé, troublaient sa messe et interrompaient son prône. Que faire à cela ? comment punir ? Pouvait-on envoyer aux galères toute une population, pères, mères et enfants ?
Le cardinal Fleury, qui gouverna le royaume après le duc de Bourbon, paraît avoir compris ces difficultés. Ayant fait dans sa jeunesse une mission en Saintonge avec Fénelon, et passé de longues années en Provence, il connaissait l’inébranlable fermeté des protestants. Ajoutez à ces lumières du prêtre les alliances du premier ministre avec la Grande-Bretagne et la Hollande, la douceur de son caractère, son désir d’épargner à Louis XV les soucis du pouvoir, et sa manière d’agir envers les protestants sera expliquée. Il ne brisa point le glaive de l’intolérance, mais le laissa volontiers dans le fourreau.
Les curés des Cévennes lui adressèrent à ce sujet de vives remontrances. Ils se plaignirent avec amertume de la désertion croissante des huguenots. Le vieux cardinal en tint peu de compte : il avait d’autres affaires à conduire, et craignait le bruit plus que l’hérésie.
Il n’y eut donc que des persécutions locales et momentanées, selon l’humeur des intendants. Quelques assemblées furent surprises et dispersées par les soldats, quelques familles ruinées, quelques malheureux condamnés aux galères. On frappait surtout les pasteurs avec une implacable cruauté, parce qu’on espérait que la terreur des supplices engagerait les autres à quitter le royaume.
Beaucoup d’entre eux furent mis à mort. Nous citerons le ministre Alexandre Roussel, pendu à Montpellier le 30 novembre 1728. On a fait sur son martyre une complainte populaire qui est venue jusqu’à nous. Vendu à prix d’argent, il avoua sans détour qu’il avait prêché dans les Cévennes. Quand on lui demanda où il logeait : « Le ciel, dit-il, est ma couverture ». Les Jésuites le sollicitèrent en vain à changer de religion ; il leur répondit : « Je veux garder toujours la loi de Jésus-Christ ; si je meurs pour son nom, j’irai avec les anges ». Traîné au gibet la corde au cou, tête nue, pieds nus, il chanta le psaume cinquante et unième et mourut en priant Dieu pour ses juges et pour le bourreau.
Un autre pasteur, Pierre Durand, qui avait signé avec Antoine Court les premières délibérations des synodes du désert, fut aussi exécuté à Montpellier, le 22 avril 1732. C’était un homme d’âge, plein de foi et de zèle. Il fut accompagné à l’échafaud par cinq prêtres qui voulaient à tout prix lui arracher une abjuration. Pierre Durand demeura ferme jusqu’à la fin.
Ces supplices affligeaient les protestants du désert sans les abattre. Le clergé lui-même servit par ses exigences à les éloigner de l’Église de Rome ; car en voyant qu’il ne voulait plus se contenter de simples formes de catholicisme, ils prirent le parti d’y renoncer à leur tour, et complètement. C’est depuis ce temps que s’accrut le nombre des baptêmes et des mariages du désert, malgré les incapacités civiles dont ils étaient frappés.
Antoine Court fortifiait les fidèles de ses exhortations et de son exemple. Il entreprit en 1728 une tournée de près de cent lieues, convoqua trente-deux assemblées religieuses en deux mois, et compta jusqu’à trois mille auditeurs au pied de sa chaire. Les plus timides commençaient à se redresser.
Les synodes se multiplièrent et devinrent plus rigides contre les parents qui faisaient baptiser leurs enfants dans l’Église catholique, ou qui leur permettaient de s’y marier. Ils insistèrent aussi sur l’obligation de participer aux exercices religieux. « On écrira aux protestants sous la croix, disait le synode de 1730, pour leur faire connaître l’obligation indispensable où ils sont de se rendre dans les assemblées de piété, toutes les fois que la Providence leur en offrira l’occasion. Si, après avoir été suffisamment instruits sur la nécessité de ce devoir, ils refusent de le remplir, ils seront déclarés s’être séparés de l’Église du Seigneur et n’être plus ses enfants. »
Il est intéressant d’observer que ces hommes à qui l’on refusait tous les droits de citoyens, voulaient en remplir si exactement les charges, qu’ils employèrent leur autorité à réprimer la contrebande. Voici ce qu’ils décidèrent en 1730 : « Les membres de nos Églises, qui, pour se dispenser de payer les droits dus au roi, feront ou autoriseront la contrebande, seront d’abord censurés, et, s’ils y retombent, exposés à l’excommunication majeure. L’assemblée ne comprend point dans cet article la contrebande des livres de religion, qui ne porte aucun préjudice au roi ni à l’Etat. »
Le réveil du Languedoc et du Dauphiné émut d’autres provinces d’une pieuse jalousie. Le Rouergue, la Guyenne, le Quercy, la Saintonge, le pays d’Aunis, le Poitou, reprirent leurs assemblées et demandèrent des pasteurs. Il y en avait peu. Antoine Court allait chercher derrière la charrue, dans la boutique du marchand, dans l’atelier du manœuvre, les jeunes gens qui lui paraissaient propres à cette sainte vocation ; mais l’enseignement qu’ils pouvaient recevoir dans une vie nomade était insuffisant.
Le restaurateur du protestantisme français se mit alors à réfléchir sur la nécessité d’une école de théologie. On ne pouvait songer à l’ouvrir en France. Les universités d’Angleterre et d’Allemagne étaient trop loin de nos provinces méridionales et ne parlaient pas notre langue. Genève était trop près, et son académie trop sévèrement surveillée. Antoine Court se décida pour Lausanne. Ses longues et pressantes sollicitations, ses infatigables démarches, les libéralités de la Suisse, de la Grande-Bretagne et des autres puissances protestantes servirent à y fonder un séminaire théologique français. Court alla lui-même s’y établir, en 1730, avec le titre de député général des Églises, et dirigea cette école dans les trente dernières années de sa vie. C’est de là que sont sortis tous les pasteurs protestants de France jusqu’au règne de Napoléon.