Après une absence de quinze mois, une sérieuse mise en ordre s'imposait. Personne, parmi les membres de la Mission, n'avait une expérience suffisante pour prendre la direction générale de l'œuvre. M. Fishe, chargé de recevoir et de transmettre les fonds, et qui rendait de précieux services comme administrateur, avait été longtemps et gravement malade, de même que plusieurs de ses collègues. Il put cependant aller à la rencontre des voyageurs jusqu'à l'embouchure du Yangtze et les mettre au courant de la situation. La présence du directeur de la Mission était plus nécessaire encore qu'Hudson Taylor ne l'avait supposé, bien que les sujets d'encouragement ne fissent pas défaut, surtout dans les stations du Sud. Duncan, qui avait occupé le poste de Nanking avec tant de courage, avait été obligé, terrassé par la maladie, de prendre le chemin du pays natal, où il allait mourir. L'absence de M. et Mme Judd, partis en congé, et la maladie de M. Fishe, n'avaient pas permis de suivre l'activité qui se développait dans la vallée du Yangtze, et il importait d'y envoyer quelqu'un sans délai.
M. et Mme Taylor s'embarquèrent avec tout leur bagage dans une jonque indigène et se hâtèrent vers Hangchow. Un chaud accueil les attendait dans la vieille maison missionnaire chez M. et Mme Mc Carthy et chez les membres de l'Église, dont beaucoup devaient, après Dieu, toute leur vie spirituelle à celle qui revenait à eux en nouvelle épousée. Six années vécues en Chine qualifiaient M. McCarthy pour une tâche plus importante. Laissant l'œuvre de Hangchow au pasteur Wang-Lae-djün, aidé momentanément par M. et Mme Taylor, il entreprit avec joie un travail difficile sur le Yangtze, dans la province de l'Anhwei.
Et maintenant allaient commencer pour le chef de la Mission des expériences telles qu'il n'en avait jamais connues de semblables. Certaines stations avaient souffert de l'insuffisance ou de la maladie de leurs conducteurs. Plusieurs ouvriers indigènes s'étaient lassés ; quelques-uns même étaient ouvertement retombés dans le péché. Les nouvelles qui arrivaient de tous les côtés étaient loin d'être réjouissantes ; c'était pour Hudson Taylor un sujet constant d'humiliation devant Dieu.
Je n'entreprendrai pas de te dire de combien de difficultés je suis assailli, écrivait-il à sa mère, mais les difficultés sont des occasions d'éprouver la fidélité de Dieu que, sans elles, nous ne connaîtrions pas. C'est pour moi un grand réconfort de me souvenir que l'œuvre est la Sienne, qu'Il sait les moyens de la poursuivre, et est infiniment plus intéressé que nous à son succès. « Sa Parole ne retournera pas à Lui sans effet. » Nous la prêcherons donc et Lui laisserons le soin des résultats.
Pauvre Yangchow ! Il n'est plus ce qu'il était jadis. Je reçois de tristes nouvelles de plusieurs des membres. Mais ils sont plus à plaindre qu'à blâmer, car ces jeunes convertis avaient besoin de quelqu'un pour les paître et veiller sur eux. Que le Seigneur m'aide à chercher et à ramener quelques-uns de ces égarés !
En dépit de la rigueur de l'hiver et de l'épaisse couche de neige qui recouvrait le sol, il laissa Mme Taylor à Hangchow et partit seul. Il se rendit premièrement à la maison de Chinkiang où, autrefois, il avait passé en famille des jours si heureux. Là, aidé de l'évangéliste, il s'occupa des chrétiens indigènes, les invita à dîner avec lui, tenant de petites réunions afin de ranimer leur vie spirituelle, s'efforçant surtout de réconforter les aides chinois. Il voulait visiter, autant que possible, non seulement les stations centrales, mais aussi les annexes, persuadé qu'un fruit béni couronnerait bientôt ce travail accompli dans la foi et l'amour. Mme Taylor l'ayant rejoint, il passa trois mois à Nanking, consacrant beaucoup de temps à l'œuvre missionnaire directe. Chaque soir, il réunissait un nombreux auditoire au moyen de tableaux et de la lanterne magique.
Hier soir, écrivait-il, nous avions au moins cinq cents personnes dans notre chapelle. Quelques-unes ne sont restées qu'un moment ; d'autres, près de trois heures. Ce n'est que bien après dix heures que nous avons pu fermer la salle. Chaque après-midi, des femmes viennent nous voir et nous entendre.
Après Nanking, il fit des séjours analogues à Yangchow et à Chinkiang, avant de s'avancer vers les nouvelles stations en remontant le fleuve. Ainsi les païens, comme les chrétiens, bénéficiaient de ce ministère itinérant, car « des fleuves d'eau vive » jaillissaient du cœur de cet apôtre. Le contact de cet homme rayonnant de la joie du Seigneur était pour tous ceux qui l'approchaient un véritable cordial. Il ne s'arrêta pas avant que tous les collaborateurs de la Mission, évangélistes, colporteurs, instituteurs et lectrices de la Bible, eussent eu leur part dans cette restauration. Rien ne la qualifie mieux que les paroles de l'apôtre Paul écrivant aux Thessaloniciens : « J'ai été doux au milieu de vous comme une mère qui prend un tendre soin de ses propres enfants. »
Ce travail n'était pas sans coûter beaucoup de fatigue. À tout cela s'ajoutait une vaste correspondance et les charges de la direction générale de l'œuvre. C'étaient des déplacements continuels, été comme hiver, et de longues séparations pour Mme Taylor qui ne pouvait toujours l'accompagner. Les connaissances médicales d'Hudson Taylor étaient largement mises à contribution, soit pour les familles missionnaires, soit pour les indigènes. Dans telle station éloignée, sur le Yangtze, il trouva un jour quatre-vingt-neuf lettres qui l'attendaient et réclamaient une réponse. L'une, entre autres, demandait des conseils médicaux détaillés pour l'enfant d'un aide indigène très estimé de Chinkiang, nommé Aliang. Cette tension continuelle, ces voyages, ces écritures, ces fatigues, Hudson Taylor les acceptait non seulement avec abnégation, mais avec joie. N'était-il pas venu, à l'exemple de son Maître, pour servir ? Sa récompense était de voir l'œuvre prospérer et s'étendre, et, surtout, de voir les aides indigènes augmenter en nombre. C'était là, à ses yeux, l'essentiel. Les missionnaires européens étaient, pour lui, comme l'échafaudage temporaire, élevé autour d'un édifice en construction. Quand celui-ci s'achève, l'échafaudage est transporté ailleurs.
Les difficultés et les peines sont légion, écrivait-il à ses parents. Elles viennent soit de la nature de l'œuvre, soit de celle des ouvriers. Il faut reprendre l'un, exhorter l'autre, ramener les égarés, stimuler ceux qui sommeillent. Mais c'est l'œuvre du Seigneur. Il est à même de résoudre tous les problèmes qui se présentent ; à nous de marcher au jour le jour avec confiance1.
Il eut besoin de toute cette confiance quand, au retour de sa tournée de neuf mois dans la vallée du Yangtze, il apprit une nouvelle douloureuse et fort inattendue : Mlle Blatchley était dans un état de santé très alarmant. Ses dons, son dévouement, sa connaissance approfondie de l'œuvre entière faisaient d'elle une collaboratrice indispensable. Mais, surtout, qui la remplacerait auprès des enfants, dont elle avait reçu la charge des mains de leur mère mourante, de cette amie qui lui était la plus chère au monde ? Hudson Taylor fut d'autant plus affligé qu'il ne pouvait absolument pas retourner en Angleterre à ce moment.
C'était là, vraiment, la goutte faisant déborder le vase trop plein. Au fardeau de la Mission s'ajoutait celui d'une diminution sensible des dons. Il était naturel que la retraite de M. Berger continuât de se faire sentir, dans ce domaine comme en d'autres. Tout prospérait entre ses mains. Pour les amis et les soutiens de la Mission, il apparaissait comme une partie de l'œuvre même, exactement comme l'était Hudson Taylor. Rompu aux affaires, ses capacités dans les questions financières et pratiques étaient inappréciables et les besoins des ouvriers en Chine lui étaient constamment présents.
Il ne pouvait pas en être ainsi avec d'autres amis, bien que leur zèle et leur sympathie fussent grands. Les membres du Comité de la Mission à l'Intérieur de la Chine débutaient, pour la plupart, dans leur activité ; un temps d'adaptation, toujours aride, éprouvait les uns et les autres.
Mais c'était en Chine que les difficultés demeuraient le plus aiguës. Quoique loin encore d'avoir les proportions qu'elle devait atteindre plus tard, l'œuvre avait pris une extension considérable. Il y avait cinquante bâtiments à entretenir, cent ouvriers à nourrir, y compris les femmes des missionnaires et les aides indigènes. Avec les enfants, cela formait un effectif d'au moins cent soixante-dix personnes, aux besoins desquelles il fallait pourvoir chaque jour, sans parler des frais de voyage des missionnaires en congé. Hudson Taylor n'exagérait donc rien en estimant qu'il fallait en moyenne cent livres sterling par semaine, et cela en usant de la plus stricte économie.
Nos ressources seront bientôt épuisées, écrivait-il à M. Hill ; mais quelle sécurité il y a pour nous dans l'assurance que, si les ressources s'épuisent, Celui qui nous les fournit ne saurait nous faire défaut, « Le Seigneur y pourvoira. »
Il y pourvut, en effet, pendant cette année 1873 qui eût été une période épuisante et de constante anxiété s'il n'y avait eu « cette précieuse ressource de rejeter sur Lui, jour après jour, heure après heure, tous les fardeaux, au fur et à mesure qu'ils se présentaient ».
Il écrivait à une jeune missionnaire récemment engagée :
Un joaillier se donne plus de peine pour polir une perle que pour un simple morceau de verre. Il la soumet à une discipline plus longue et plus sévère ; mais le résultat, une fois acquis, est un résultat permanent. De même, si nous passons comme dans une fournaise pour notre purification, ce n'est pas seulement en vue d'un service terrestre, c'est pour l'éternité !
À propos de la maladie de Mlle Blatchley, il écrivait à sa mère :
Aucun mot ne peut traduire ma tristesse quand je pense à l'issue redoutée de cette crise. Je sais bien que ce serait de notre part de l'égoïsme de nous lamenter sur ce qui serait un gain infini pour une chrétienne si prête à partir ; mais « Jésus pleura », et Il n'a pas changé, et Il peut sympathiser encore avec nous dans nos deuils. Il y a longtemps que nous prévoyions ce dénouement ; mais pas d'une manière aussi rapide. J'espérais que notre bien-aimée sœur nous serait conservée jusqu'à notre retour en Angleterre et que nous aurions la douceur de lui prodiguer nos soins. Le Seigneur semble en avoir disposé autrement, et nous voulons nous confier en Lui. Il ne saurait se tromper, ni manquer de faire ce qui sera le meilleur pour elle, pour nous, pour les nôtres.
La douleur d'Hudson Taylor s'accrut encore quand, arrivant à Ningpo peu de jours après, il apprit, par câblogramme, que Mlle Blatchley espérait, contre toute espérance, le retour immédiat en Angleterre du père auquel elle désirait remettre directement les chers enfants dont elle avait reçu la charge. Or, sa présence en Chine, en ce temps de pénurie financière, était une impérieuse obligation. Il se réfugia en Dieu seul, trouvant là, malgré tout, « la joie ineffable et glorieuse » que donne l'abandon à Sa volonté et la soumission à Ses insondables décrets.
Quelques mois auparavant, il avait écrit à l'un de ses collaborateurs particulièrement éprouvé :
La seule chose nécessaire est de mieux connaître Dieu, afin de nous réjouir en Lui et non en nous-mêmes ou en nos perspectives d'avenir, ni même dans l'attente du ciel. Si nous Le connaissons, nous nous réjouirons de ce qu'Il nous donne, non parce que cela nous est agréable, ou parce que cela nous sera utile, mais parce que c'est Lui qui le donne, Lui qui l'ordonne. De même pour ce qu'Il nous reprend. Oh ! Le connaître ! Paul pouvait bien dire que tout le reste n'est que balayure en comparaison de cette précieuse connaissance. C'est elle qui rend le faible fort, le pauvre riche. C'est elle qui transforme la souffrance en bonheur, les larmes en diamants, comme le rayon de soleil transforme la rosée en perles. C'est elle qui nous rend intrépides et invincibles... Persévérons dans la prière et le travail. Ne craignez pas la peine, ne craignez pas la Croix. Elles payent bien.
L'année qui avait apporté avec elle tant d'afflictions et de tourments allait se terminer en apportant de magnifiques sujets d'actions de grâces. « Ne craignez pas la peine, avait-il écrit, ne craignez pas la Croix. Elles payent bien. » Elles allaient, en effet, payer de la manière la plus ardemment souhaitée.
Hudson Taylor arrivait à Shaohing au début de décembre. M. Stevenson était absent ; il visitait ses annexes. À cent vingt kilomètres plus au sud environ, dans un district montagneux, le Saint-Esprit opérait une œuvre remarquable, et Hudson Taylor s'associa avec joie à cette activité. Du haut d'une colline, il avait compté, autrefois, plus de trente villes ou villages où jamais le nom de Christ n'avait été prononcé, et son cœur s'était ému à la pensée de ces multitudes vivant et mourant sans Dieu. À la foule qui l'entourait, il avait prêché jusqu'à épuisement, et quand il n'en avait plus été capable, il s'était retiré, seul, sur la montagne, pour répandre son âme devant Dieu en prière.
Or, voici qu'aujourd'hui ces prières étaient exaucées. Les efforts de M. Stevenson en faveur de ce district n'avaient été, pendant longtemps, qu'un sujet de découragement. Mais un tour nouveau se levait sur cette contrée ténébreuse et cela, en grande partie, grâce à la conversion d'un homme remarquable de Chenghsien.
Cet homme, nommé Nying, un des chefs du Confucianisme, fier de sa science et de sa situation, n'aurait pas voulu condescendre à traiter avec l'étranger venu de temps à autre dans sa ville prêcher d'étranges doctrines. Mais il s'intéressait à la science occidentale et possédait une traduction d'un livre scientifique qu'il ne comprenait pas entièrement. Aussi, profitant d'une des visites de M. Stevenson, il se glissa un soir vers la maison missionnaire pour parler avec l'évangéliste du sujet qui lui tenait à cœur. Le jeune missionnaire se prêta avec complaisance à cet entretien ; puis, se tournant vers le Nouveau Testament placé sur la table, il demanda à Nying avec simplicité :
— Avez-vous aussi, dans votre bibliothèque, les livres de la religion chrétienne ?
— Oui, répondit le lettré, mais pour être franc, je vous avouerai que je ne les trouve pas aussi intéressants que vos livres de science.
Cela amena une conversation prouvant que M. Nying était sceptique, ne croyant ni à l'existence de Dieu ni à celle de l'âme. La prière, à ses yeux, était une absurdité.
— S'il y avait un Être suprême, répétait-il avec insistance, il serait bien trop grand et trop loin de nous pour s'occuper de nos petites affaires.
Patiemment, M. Stevenson essaya, mais sans succès, de rectifier ses conceptions. Voyant qu'il était vain d'argumenter, il eut recours à une simple image : « L'eau et le feu, disons-nous, sont des éléments opposés demeurant inconciliables. L'eau éteint le feu, et le feu fait évaporer l'eau. Le raisonnement est juste, mais, pendant que nous parlons, mon domestique a mis le chaudron sur le feu, et voici, l'eau est entrée en ébullition et va me permettre de vous offrir une tasse de thé.
« Vous dites qu'il n'y a point de Dieu, ou, alors même qu'il y en aurait un, qu'il ne pourrait condescendre à écouter nos prières. Mais, croyez-moi, si ce soir, en rentrant chez vous, vous prenez ce Nouveau Testament et si, avant de l'ouvrir, vous demandez humblement et ardemment au Dieu du ciel de vous donner son Saint-Esprit pour vous aider à le comprendre, ce livre bientôt sera pour vous un livre nouveau, plus riche qu'aucun autre livre au monde. Essayez, et, que vous priiez ou non vous-même, moi, je prierai pour vous. »
Plus impressionné qu'il ne le voulut, le lettré s'en alla chez lui.
« C'est pourtant chose étrange, pensait-il. Si absurde que cela paraisse, cet étranger est un homme convaincu et si Plein de sollicitude pour l'âme d'un inconnu, qu'il va prier pour moi, — et moi je ne prie pas pour moi-même ! »
Quand il fut seul ce soir-là, M. Nying, mi-sceptique, mi-railleur, prit le livre en question. Comment une personne intelligente pouvait-elle admettre que quelques mots adressés à un Être invisible, qui peut-être n'existait pas, pouvaient rendre intéressant un livre ennuyeux ou changer quoi que ce fût à la philosophie de la vie ? Pourtant, si incrédule qu'il fût, il voulut tenter l'expérience.
« 0 Dieu, s'il y a un Dieu, s'écria-t-il, sauve mon âme, si j'ai une âme. Donne-moi Ton Saint-Esprit, et aide-moi à comprendre ce livre. »
La soirée s'écoula, et Mme Nying, entr'ouvrant la porte de la chambre, trouva son mari absorbé dans son étude. À la fin, elle se hasarda à lui faire remarquer qu'il était fort tard.
— Ne m'attends pas, répondit-il. Je suis occupé à des choses importantes. Et il continua sa lecture.
Le livre était devenu un nouveau livre en vérité. Heure après heure, comme il en tournait les pages, un renouvellement s'opérait en lui. Mais, pendant des jours, il n'osa pas confesser ce changement, même pas à ses proches parents. Sa femme appartenait à une famille aristocratique dont il encourrait le mépris s'il devenait chrétien ; sa femme et ses enfants l'abandonneraient probablement plutôt que de subir une telle humiliation. Cependant, en lui, la foi s'allumait. L'admirable Sauveur dont le livre parlait devenait un être réel, comme jamais il ne l'eût cru possible. Les paroles qu'Il avait prononcées au temps jadis avaient encore vie et puissance. Nying les sentait agir, le conduisant non seulement à la conviction du péché, mais à la paix et à la guérison. Et quelle joie commençait à jaillir en lui !
— Quand les enfants seront au lit, dit-il un jour, enfin à sa femme, je t'annoncerai quelque chose.
Il prenait là un parti désespéré, car il ne savait ni ce qu'il dirait, ni comment il parlerait. Mais cela le conduisit à confesser sa foi en Christ, bien qu'il tremblât de sa réponse.
Quand le soir fut venu, ils s'assirent en silence l'un en face de l'autre, de chaque côté de la table ; et il ne pouvait entamer le sujet...
— N'avais-tu pas quelque chose à me dire ? demanda-t-elle. Alors toute crainte l'abandonna ; il confia tout sans bien savoir comment. Sa femme écoutait avec un étonnement croissant : le Dieu vivant et vrai, et non des idoles ! Un moyen d'obtenir le pardon des péchés ! Un Sauveur qui pouvait remplir le cœur de joie et de paix ! À la grande surprise de son mari, elle l'écoutait avec un intérêt passionné.
— L'as-tu réellement trouvé, s'écria-t-elle bientôt ? Oh ! combien j'ai désiré le connaître ! Car il doit y avoir un Dieu vivant. Oui d'autre aurait entendu mon appel au secours, il y a longtemps, longtemps ?
C'était au moment où les rebelles Taï-ping étaient arrivés dans la ville habitée par ses parents, brûlant et pillant tout. Leur maison avait été ravagée comme les autres. Beaucoup de gens avaient été massacrés, beaucoup avaient eu recours au suicide. Elle-même, sans appui et frappée de terreur, s'était glissée dans une garde-robe pour se cacher. Elle avait entendu les soldats saccager la maison, s'approchant d'elle de plus en plus.
« Oh, céleste Grand-père, cria-t-elle dans son cœur, sauvez-moi. »
Le Dieu vivant et vrai pouvait seul avoir exaucé cette prière. Les idoles des temples avaient été impuissantes à se protéger elles-mêmes de ces terribles destructeurs. Mais, bien qu'ils fussent venus dans la chambre même où elle était blottie, ils avaient passé, sans la voir, près de la cachette où elle osait à peine respirer. Toujours, depuis lors, elle avait souhaité que quelqu'un lui parlât de Lui, le Dieu admirable qui l'avait délivrée.
Avec quelle joie et quelle reconnaissance son mari lui assura que, non seulement existait un tel Être, suprêmement grand et bon, mais que cet Être avait parlé pour se faire connaître aux hommes ! Jamais l'histoire, de l'amour rédempteur ne parut plus précieuse ; jamais cœur d'homme ne fut plus heureux de la raconter que celui de l'ancien et orgueilleux disciple de Confucius, quand il commença de prêcher Christ dans sa maison et dans la ville. Il y avait en lui une ferveur qui déconcertait ceux qui se moquaient de ses idées nouvelles.
— Vous avez là un disciple qu'il faudra modérer, disait le mandarin local au chancelier de l'Université. Il nous déshonore en prêchant dans les rues les doctrines étrangères. Lorsque je lui fis des reproches, il se mit à me prêcher à moi, et me dit être si rempli de ce qu'il appelle la Bonne Nouvelle qu'il ne pouvait la garder pour lui.
— J'aurai vite fait de le ramener à la raison, répondit le chancelier avec suffisance. Laissez-moi faire.
Mais le chancelier ne réussit pas mieux que le mandarin, et fut réduit à battre en retraite à la hâte. Plein d'amour pour sa Bible et soutenu par ses visites à Shaohing, M. Nying devint bientôt un prédicateur d'une rare puissance. Parmi les premiers convertis qu'il eut la joie de gagner se trouva un homme qui avait été la terreur de son voisinage. Aucun acte de méchanceté ou de cruauté ne répugnait à Lao Kuen ! Quelle puissance avait fait du lion un agneau ? Nul habitant du village ne pouvait le dire ; mais le vieux père, traité autrefois par son fils avec négligence et dureté, pouvait attester la réalité de ce changement et, à la suite de son fils, il fut bientôt un disciple de Jésus.
La bénédiction se répandit dans un cercle de plus en plus étendu, au point d'atteindre le tenancier d'un établissement de jeu et d'une maison mal famée d'une ville voisine. Cette conversion fut même plus remarquable que les autres, car elle fit bannir de chez lui les tables de jeu et les personnes de mœurs douteuses et transformer sa chambre la meilleure et la plus vaste en chapelle. C'est ainsi qu'il conçut l'idée de nettoyer et de purifier sa maison avant de l'offrir, à titre gracieux, comme lieu de culte. Dix personnes avaient suivi M. Nying dans sa confession du nom de Christ et dans le baptême, et beaucoup d'autres cherchaient la vérité. Aussi, dès l'arrivée d'Hudson Taylor dans la ville, tous, les uns après les autres, vinrent jusqu'à lui et il se vit entouré d'une compagnie joyeuse et fervente de croyants. Comment dépeindre cette joie, ces effusions de cœur, ces conversations, ces chants et ces prières ? Ce fut un petit coin du ciel sur la terre, un précieux avant-goût de la récompense au centuple ! Une réunion eut lieu l'après-midi dans la maison de M. Nying, en présence de sa femme et de sa fille et, le soir, une autre se fit dans la chapelle.
J'aurais pleuré de joie, écrivait Hudson Taylor, en écoutant ce que la grâce de Dieu avait fait pour eux tous. La plupart d'entre eux pouvaient parler de quelque parent ou ami dont ils espéraient la conversion prochaine. Je n'avais jamais vu cela en Chine.
1 Je sais, écrivait Mme Taylor à son mari pendant une de leurs longues périodes de séparation, que nous devons nous appuyer fortement et constamment sur Jésus si nous voulons avancer. J'apprends à le faire en Lui apportant tous nos nombreux besoins dans la prière de la foi. J'ai fait une liste des missionnaires et des aides indigènes, afin d'intercéder pour eux chaque jour.