Histoire des Protestants de France – Tome 1

4.8.
Détails biographiques sur les pasteurs réfugiés. – Pierre Jurieu. – Pierre Allix. – Jean La Placette. – David Martin. – Jacques Basnage. – Abbadie. – Elie Benoît. – Saurin. – Lenfant et Beausobre.

Avant de raconter les événements qui nous conduiront au delà de l’an 1750, c’est un devoir de justice pour nous de suivre dans leur exil les pasteurs réfugiés, qui avaient tous cessé de vivre dans la première moitié du dix-huitième siècle. Quoiqu’ils soient morts sur la terre étrangère, la Réforme française a le droit de les revendiquer : ils lui appartiennent par la naissance, par l’éducation, par les premières années de leur ministère, par la langue dont ils se sont servis, et par la constance de leurs sympathies pour leurs frères opprimés.

Nous ne parlerons pas des réfugiés laïques dont le nom fut grand dans les lettres, les sciences, l’industrie, tels que l’historien Rapin-Thoyras, le docte Bayle, le constructeur de machines Denis Papin, le chimiste Lémery, le voyageur Chardin, et beaucoup d’autres. Il faut nous borner à ceux des fugitifs qui exercèrent une influence plus directe sur l’état des Églises réformées de France.

On s’accorde à reconnaître que la masse des pasteurs réfugiés se composait d’hommes pieux, intelligents, et d’une conduite irréprochable. Aucun clergé protestant de l’Europe ne leur était supérieur. Nous ne citerons que les principaux, en les classant d’après la date de leur mort.

Pierre Jurieu (1637-1713) fut un controversiste laborieux et véhément. Il a eu de nombreux adversaires parmi les catholiques et les sceptiques, et sa mémoire en a souffert. On doit avouer qu’il a donné sujet à certaines attaques par ses prédictions hasardées, ses affirmations sur des miracles suspects et l’âpreté de sa polémique. Mais combien de qualités rachètent ses écarts : un ferme attachement à ses croyances, une incomparable activité, une solide érudition dans toutes les branches des sciences théologiques, un esprit net et prompt. Jamais il ne manqua de pénétration pour découvrir l’erreur, ni de courage pour la combattre.

Il n’exerça que peu de temps les fonctions de pasteur. Nommé en 1674 professeur de théologie à Sedan, il y parut avec beaucoup d’éclat. Bayle, qui plus tard l’a poursuivi de tant d’invectives, écrivait alors : « C’est l’un des premiers hommes de ce siècle, et si la délicatesse de son tempérament lui permet de résister à l’ardeur qu’il a pour l’étude, et à sa grande application aux fonctions de sa charge, on doit tout espérer de lui. Je vous le dis et vous le répète, c’est le premier homme de notre communion, soit pour le grand jugement, soit pour la délicatesse d’esprit. »

On ne sait pas assez que, retiré en Hollande quelques années avant la révocation, il fut presque le seul tenant, comme on disait, d’Arnauld, de Bossuet, de Nicole et de Maimbourg. Les autres, étant encore en France, n’osaient pas tout dire. Lui, dans sa chaire de Rotterdam, ne reculait devant aucune vérité, et sa voix libre et forte infligea souvent aux persécuteurs le plus sévère des châtiments et le plus juste.

On ne sait pas assez non plus qu’il devint, après le fatal édit, le protecteur d’une foule de réfugiés, qu’il sollicita et obtint pour eux les secours de plusieurs souverains, et que dans le même temps qu’il faisait donner aux uns le pain de l’hospitalité, il consolait et relevait par ses Lettres pastorales les autres qui gémissaient dans leur patrie.

La liste des écrits de Jurieu est très étendue. Il était encore dans son troupeau de Vitry-le-Français, lorsqu’il composa un Traité de la dévotion, qui fut réimprimé dix-sept fois en peu d’années, et vingt-six fois dans la traduction anglaise. Cet ouvrage a fait regretter que l’auteur, absorbé par la controverse, n’ait pas employé plus de temps à écrire des livres de simple édification.

Sa réponse au père Maimbourg : Le calvinisme et le papisme mis en parallèle, moins piquante que la réplique de Bayle et moins connue, lui valut pourtant de grands applaudissements, et compta de nombreux lecteurs. « Votre dernier ouvrage contre Maimbourg, » lui écrivait Claude, « est enfin tombé dans mes mains, et je ne l’ai pas lu, mais je l’ai dévoré, et n’ai pu en être distrait. Tout ce qu’il y a ici (à Paris) de gens de bien, et qui ont encore quelque zèle et quelque courage, sont charmés de votre livre. »

Aux attaques de Nicole il répondit par le Vrai système de l’Église, dont les juges compétents dirent que c’était le chef-d’œuvre de l’auteur. Jurieu y développe la doctrine de l’Église invisible en opposition à la société visible de Rome. Il fit aussi une Histoire critique des dogmes et des cultes, où l’humanité est considérée dans son développement religieux. L’illustre défenseur de la foi réformée ne posa la plume que la veille du jour où il se coucha dans le tombeau.

Pierre Allix (1641-1717) se retira en Angleterre après la révocation. Il n’avait que trente ans lorsqu’il fut appelé à succéder aux Drelincourt et aux Daillé. Ses discours étaient pleins, solides, et d’une sobriété, d’une clarté de style, qui les faisait également goûter des gens instruits et des ignorants. Il avait préparé un dernier sermon sur les adieux de saint Paul aux Ephésiens, qu’il devait encore prêcher à Charenton ; mais le temple fut fermé huit jours plus tôt qu’on ne pensait, par ordre du roi.

« Le docteur Allix, » dit un de ses biographes, « était aimé et estimé de tous les savants de son temps. Extrêmement zélé pour la religion protestante, il était toujours prêt à en prendre la défense contre ceux de l’Église romaine. Il désirait passionnément de réunir les protestants, surtout les luthériens avec les réformés, et il consulta souvent là-dessus avec les ministres de Genève, de Hollande et de Berlin. Il avait une profonde connaissance de toutes les sciences. Il possédait très bien l’hébreu, le syriaque et le chaldéen ; et comme il avait une vaste lecture et une excellente mémoire, il était en quelque sorte une bibliothèque vivante. Quelques écrivains d’un grand poids l’ont regardé comme le plus savant des ministres de Charenton.

A Londres, Pierre Allix reçut le titre de docteur honoraire des universités de Cambridge et d’Oxford. Le clergé anglican avait une si haute idée de sa capacité qu’il le chargea d’écrire l’histoire des conciles, et le parlement même lui donna des marques particulières de considération.

Jean La Placette (1639-1718) fut surnommé le Nicole des réformés, à cause de ses nombreux et judicieux écrits de morale. Il égalait le docteur janséniste dans la connaissance du cœur humain, et le surpassait dans celle des Écritures. Son style est simple, châtié, et surtout il est sincère, dans le sens le plus élevé du mot.

La Placette fut pasteur de l’Église française de Copenhague pendant vingt-six ans (1685-1711). Il dédia ses Nouveaux essais de morale à la reine de Danemark. « Nos peuples, dit-il dans la préface, ne connaissent guère l’étendue de la pureté que l’Évangile exige de nous. Ils sont même prévenus d’un grand nombre de fausses maximes, tout autrement pernicieuses que des erreurs de pure spéculation. D’ailleurs nos écrivains, au moins ceux de notre nation, ont été forcés par l’importunité de nos adversaires de donner tout leur loisir à la défense de la vérité, de sorte qu’ils n’ont pu composer sur la morale qu’un très petit nombre d’ouvrages, qui ne traitent même que quelques matières particulières. Ainsi cette partie de la religion qui en est, si je l’ose dire, l’âme et l’essence, et qu’il était si nécessaire de bien expliquer et de bien entendre, a été en quelque façon négligée. »

David Martin (1639-1721) s’est acquis un nom populaire dans la communion réformée de France par les corrections qu’il a faites aux anciennes versions de la Bible. Sa traduction, sans être exempte de défauts, est encore celle qui reproduit le plus fidèlement la simplicité et la force du texte original. Il avait été invité par le synode des Églises wallonnes, en 1694, à entreprendre ce travail et à y joindre des réflexions critiques. Treize ans après, il publia sa nouvelle édition de la Bible en deux volumes in-folio.

Ce pasteur avait fait de la langue française une étude particulière. « Il en possédait tellement les règles et les délicatesses, dit Niceron, qu’il fut en état de fournir des remarques et des observations à l’Académie française. Il les lui envoya lorsqu’elle voulut faire imprimer la seconde édition de son dictionnaire. La lettre de remerciement que l’Académie lui écrivit marque le cas qu’elle faisait de ses critiques. »

David Martin refusa deux fois d’être professeur ; mais il prenait plaisir à donner chez lui des leçons de théologie aux jeunes étudiants d’Utrecht. A l’âge de plus de quatre-vingts ans il conservait encore beaucoup de vigueur d’esprit. Le 7 septembre 1721, il prêcha sur la Providence avec une force qui étonna tout son auditoire ; le sermon achevé, il ne put descendre de chaire qu’en s’appuyant sur le bras de ses amis, et deux jours après il rendit le dernier soupir. Ce pieux théologien avait toujours souhaité de mourir en sortant de la maison de Dieu.

Jacques Basnage (1653-1723), petit-fils de Benjamin Basnage dont nous avons déjà parlé, surpassa tous les membres de sa famille par la variété de ses connaissances, l’étendue de ses travaux et la grandeur du rôle qu’il fut appelé à remplir. « Il était plus propre, dit Voltaire, à être ministre d’Etat que d’une paroisse. »

Basnage intervint en effet dans plusieurs négociations importantes. Il prit part aux conférences qui précédèrent la paix d’Utrecht, et demanda, mais inutilement, le rétablissement de la liberté religieuse en France. Peu après, le cardinal de Bouillon, qui s’était retiré en Hollande, lui confia les affaires qu’il avait à régler avec les Etats généraux. En 1716, l’abbé Dubois eut recours à l’entremise de Basnage pour conclure un traité avec les Provinces-Unies et l’Angleterre. Singulier spectacle que celui d’un pauvre pasteur exilé, qui agrandissait les alliances de sa première patrie !

Le régent s’adressa encore à lui pour empêcher le cardinal espagnol Albéroni d’exciter des soulèvements parmi les protestants des provinces méridionales. Basnage conseilla au gouvernement français de se mettre en rapport avec Antoine Court, et cet humble ministre du désert, condamné à mort par les lois, promit que la tranquillité du Languedoc ne serait point troublée. A cette occasion, et sur la demande expresse du duc d’Orléans, Basnage écrivit pour les réformés de France une instruction pastorale qui fut répandue avec profusion. L’auteur y soutient les principes du christianisme sur l’obéissance due au souverain ; mais peut-être, après avoir exhorté les opprimés à la soumission, aurait-il eu quelque chose de plus à dire aux oppresseurs.

Placé à la tête de l’Église française de La Haye, nommé historiographe des Etats généraux de Hollande, et entouré de l’estime publique, il fut aussi heureux qu’on peut l’être loin du pays natal. « Il était vrai, dit un biographe, jusque dans les plus petites choses. L’usage du plus grand monde lui avait fait acquérir une politesse qu’on trouve rarement parmi les savants. Affable, prévenant, populaire, officieux, il n’avait pas de plus grand plaisir que celui de rendre service, et d’employer son crédit en faveur des misérables. »

On s’étonne qu’il ait pu, au milieu de ses occupations politiques et des travaux de sa charge pastorale, composer tant d’écrits de théologie et d’histoire ecclésiastique. Quelques-uns sont très volumineux, entre autres l’Histoire de la religion des Églises réformées, l’Histoire des Juifs, et celle de l’Église depuis Jésus-Christ jusqu’au dix-huitième siècle. L’érudition de Basnage est vaste, sa pensée pénétrante, son style ferme : il a élevé la controverse à une hauteur qui n’a été atteinte que par Bossuet.

Jacques Abbadie (1654-1724) fut le meilleur apologiste du christianisme, et l’un des plus habiles écrivains de la communion réformée. Après avoir fait ses études dans les académies de Sedan et de Saumur, il alla desservir l’Église française de Berlin. « La seule chose qui me chagrine, disait un jour le duc de Montausier à l’ambassadeur du grand Electeur de Brandebourg, » en parlant d’un écrit d’Abbadie, « c’est que l’auteur de ce livre soit à Berlin. » Si la France avait perdu l’une de ses gloires, à qui la faute ?

Abbadie se retira ensuite en Angleterre, et mourut doyen de la paroisse de Killalow en Irlande. On lit dans une notice sur sa vie : « Ses mœurs polies par l’usage du grand monde étaient aisées et douces, et on n’a guère vu d’homme d’une humeur plus égale et plus obligeante que lui. Comme il avait de la gaieté dans l’esprit, et que sur toutes sortes de sujets il s’exprimait avec autant de justesse, d’élégance et de feu que dans les ouvrages qu’il avait eu le temps de méditer, sa conversation était aussi agréable qu’utile, et on ne le quittait jamais sans regret. »

Son traité de l’Art de se connaître soi-même est plein d’observations judicieuses, et montre que l’auteur avait profondément médité sur les rapports de la conscience humaine avec les devoirs de l’Évangile. Mais le plus célèbre de ses ouvrages est le traité de la Vérité de la religion chrétienne. Il obtint le suffrage des catholiques aussi bien que des protestants. « Ce livre admirable, » disait l’abbé Desfontaines quarante ans après, « efface aux yeux de l’univers tout ce qui s’est publié avant lui pour la défense du christianisme. Que de conversions n’a-t-il pas opérées ! que d’esprits forts n’a-t-il pas soumis ! »

Mme de Sévigné écrivait au comte de Bussy-Rabutin : « C’est le plus divin de tous les livres ; cette estime est générale ; je ne crois pas qu’on ait parlé de la religion comme cet homme-là. Je le relirai tous les trois mois du reste de ma vie. » Et le comte répondait avec le même enthousiasme : « Jusqu’ici je n’ai point été touché des autres livres qui me parlent de Dieu, et j’en vois bien aujourd’hui la raison : c’est que la source m’en paraissait douteuse ; mais la voyant claire et nette dans Abbadie, il me fait valoir ce que je n’estimais pas. Encore une fois, c’est un livre admirable. Il me peint tout ce qu’il me dit, et force ma raison à ne pas douter de ce qui lui paraissait incroyable. »

L’auteur combat les athées dans la première partie de son ouvrage, les déistes dans la seconde, et les sociniens dans la troisième. Il part de cette proposition : Il y a un Dieu, pour arriver à celle-ci : Jésus est le Messie promis. Ensuite il remonte de cette dernière proposition à la première. Ce livre a été traduit dans plusieurs langues, et il en a paru un grand nombre d’éditions.

Elie Benoît (1640-1728) était un savant et laborieux théologien. Nous acquittons une dette de reconnaissance en consacrant quelques lignes à l’auteur de l’Histoire de l’édit de Nantes, qui nous a beaucoup servi par la nôtre.

Pasteur de l’Église d’Alençon, il eut la douleur de voir son temple fermé, sous le futile prétexte que les fidèles, interrompus dans l’exercice de leur culte par la populace, avaient pris une attitude défensive. Il alla soutenir leur cause à Paris ; mais au lieu de faire droit à ses plaintes, on lui répondit par des menaces. Réfugié en Hollande, Benoît publia une lettre adressée à ses anciens paroissiens, et nous lisons dans ses mémoires qu’ils émigrèrent en masse ; à peine en demeura-t-il en France la huitième partie. N’est-ce pas ce qui explique pourquoi la ville d’Alençon ne figure plus dans le catalogue des Églises réformées ?

L’œuvre capitale de Benoît est l’histoire que nous avons souvent citée. Elle doit être lue par tous ceux qui désirent connaître l’une des plus importantes périodes de la Réforme française. On voudrait peut-être dans cet écrit plus de précision et de brièveté : on n’y saurait vouloir plus d’exactitude. L’auteur a un jugement droit, une plume honnête et réservée, et n’éprouve d’autre passion que celle de la vérité.

Jacques Saurin (1677-1730) fut le plus grand prédicateur des protestants français. Il était né à Nîmes, où son père exerçait la profession d’avocat, et fit ses premières études à Genève. Il se laissa tenter, à l’âge de dix-sept ans, par le métier des armes, et devint porte-enseigne dans un régiment au service de la Savoie. La paix ayant été rétablie, il reprit ses travaux académiques sous les habiles professeurs Tronchin, Turretin et Pictet.

En 1701, il fut nommé pasteur d’une Église française à Londres. Quelques années après, ayant fait un voyage en Hollande, il eut l’occasion de monter dans les chaires de La Haye, et sa prédication y fut accueillie avec tant d’applaudissements que l’on créa pour lui, sous le nom de ministre des nobles, une place nouvelle qu’il occupa jusqu’à sa mort.

De 1708 à 1725 il publia cinq volumes de sermons ; les sept autres, inférieurs aux premiers, n’ont paru qu’après lui. Il avait les grandes qualités de l’orateur chrétien : une connaissance approfondie de la Bible, une théologie saine et forte, l’art d’inventer des plans savants et originaux, une logique virile, des ornements tempérés et toujours sérieux, un style qui sert docilement la pensée et ne l’asservit jamais. On aimerait quelquefois à trouver plus d’onction dans sa parole et de correction dans son langage. Les malheurs des fidèles à qui Saurin annonçait l’Évangile ajoutèrent encore à sa puissance oratoire, en lui donnant je ne sais quoi de poignant et de tragique. Tel de ses sermons a pesé dans la balance des destinées de l’Europe.

Ce qui est moins connu que le fond des discours de Saurin, c’est l’action avec laquelle il les prononçait. « A un extérieur tel qu’il le fallait pour prévenir son auditoire en sa faveur, » disent les journalistes du temps, « M. Saurin joignait une voix forte et sonore. Ceux qui se souviennent de la magnifique prière qu’il prononçait avant le sermon n’auront pas oublié non plus que leur oreille était remplie des sons les plus harmonieux. Il aurait été à souhaiter que sa voix eût conservé le même éclat jusqu’à la fin de l’action ; mais comme nous n’avons pas dessein de faire un panégyrique, nous avouerons qu’il ne la ménageait pas assez. Un peu moins de feu l’aurait garanti de ce défaut. L’attente excitée par la prière n’était point trompée par le sermon : nous en appelons hardiment à cet égard à ses auditeurs. Tous sans aucune exception, au moins qui vaille la peine qu’on en parle, étaient charmés ; et tel, venu dans le dessein de le critiquer, en perdait l’idée à proportion de l’attention qu’il employait à trouver quelque endroit susceptible de critique[a]. »

[a] Bibliothèque française, t. XXII, p. 288, 289.

Saurin publia des lettres sur l’état du christianisme en France. Il y reprochait aux réformés de n’avoir pas quitté un pays où ils ne pouvaient célébrer librement leur culte, et les qualifiait de temporiseurs. Le reproche était trop dur, et il est peu regrettable que ses conseils d’émigration en masse n’aient pas été suivis.

Il fut accusé devant les synodes wallons d’avoir justifié le mensonge officieux dans ses discours sur la Bible. Ce fut l’objet d’une longue et laborieuse polémique. Voici la déclaration que Saurin adressa aux synodes : « Je n’ai prétendu, dans ma dissertation sur le mensonge, faire autre chose que rapporter historiquement les sentiments de ceux qui croient que le mensonge est toujours criminel, et de ceux qui le croient innocent dans certains cas. Par rapport à la sainteté et à la véracité de Dieu, comme aussi à l’obligation où les hommes sont de dire vrai, je m’en tiens à la doctrine contenue dans mon catéchisme, que j’enseignerai toujours. »

On raconte que Saurin, si habile à démêler dans la chaire les passions des hommes et leurs secrets mobiles d’action, ne savait plus les découvrir dans la société. Il y apportait peu d’expérience du monde, et une candeur, une confiance d’enfant. Rien n’était plus facile que de lui tendre des pièges et de l’y faire tomber. Sa vie en fut souvent troublée.

Jacques Lenfant (1661-1728) et Isaac de Beausobre (1659-1738) : deux noms qui doivent rester unis dans les pages de l’histoire, puisqu’ils ont figuré dans des œuvres communes. L’un et l’autre furent pasteurs à Berlin ; ils avaient le même tour d’esprit, le même goût pour les études historiques et critiques, les mêmes croyances, la même vie religieuse, et les mémoires contemporains attribuent à tous deux la même douceur de caractère.

Lenfant a écrit l’histoire des conciles de Constance, de Pise et de Bâle : livres dictés par la science et la conscience. Voltaire dit de lui qu’il contribua plus que personne à répandre la grâce et la force de la langue française aux extrémités de l’Allemagne. Beausobre, de son côté, s’est fait un nom justement célèbre par son histoire du manichéisme.

Ces deux auteurs se sont associés pour publier une nouvelle édition du Nouveau Testament avec des notes critiques. Beausobre eut pour sa part les épîtres de saint Paul, et Lenfant tous les autres livres du Nouveau Testament. La tâche de l’un était plus difficile, celle de l’autre plus étendue. « Cette distribution du travail, dit le biographe de Beausobre, n’empêcha pas qu’il ne se fît de concert. Il y eut toujours entre eux à cet égard une parfaite harmonie. Lorsque l’un pensait différemment de l’autre, on discutait, on critiquait, mais on se rendait avec joie au plus d’évidence. »

Les successeurs de cette illustre génération de pasteurs et de théologiens réfugiés ne nous appartiennent plus. Nés et élevés hors de France, leur gloire est la propriété des peuples qui les ont nourris sur leur sol hospitalier.

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