Nous avons déjà signalé la réfutation par Denys d’Alexandrie de l’erreur philosophique qui fait la matière éternelle. Théognoste, au dire de Photius (cod. 106), avait repris cette réfutation, qui le fut encore par l’auteur de l’Adamantius (vi, 4). Dieu, enseigne Methodius, a créé le monde, et, bien qu’il le portât éternellement en lui en puissance, il ne l’a cependant créé que dans le tempsa. Thèse dirigée contre Origène.
a – De libero arbiti, XXII, 9-11 ; De creatis, II, XI.
Ce monde est résumé dans l’homme, le microcosme. L’homme est caractérisé par la liberté ; il a été fait immortel et à l’image de Dieu : ὁ γὰρ ϑεὸς ἔκτισε τὸν ἄνϑρωπον ἐπὶ ἀφϑαρσίᾳ καὶ εἰκόνα τῆς ἰδίας ἀιδιότητος ἐποίησεν αὐτόν ––– τὸ ϑεοειδὲς καὶ ϑεοείκελον (Methode, De resur., I, 35, 2 ; 36, 2 ; 34, 3).
L’homme est libre : c’est la vérité capitale qu’origénistes et antiorigénistes proclament contre le manichéisme naissant, et comme fondement de la morale. On se rappelle qu’Origène avait voulu trouver dans cette liberté l’explication même de l’inégalité des conditions humaines, et que cette idée l’avait conduit à l’hypothèse de la préexistence des âmes. C’est autour de cette hypothèse qu’amis et ennemis mènent la lutte pendant quelque temps après lui. Pierius semble avoir ici suivi Origène ; et Pamphile ne croit pas que l’on puisse, pour cette opinion, taxer le maître d’hérésie, puisque, après tout, l’Église n’a rien défini sur ce point, et que les autres hypothèses sur l’origine de l’âme sont sujettes à d’inextricables difficultés. La préexistence des âmes et leur insertion dans les corps par suite d’une faute commise par elles antérieurement à cette union est cependant combattue par Pierre d’Alexandrie dans son Περὶ ψυχῆς, par l’auteur de l’Adamantius (v, 21) et par saint Methodius. Cette doctrine, selon Pierre, était une doctrine grecque, étrangère au christianisme. L’Église lui a donné raison.
Mais alors d’où vient le mal et le péché ? Le gnosticisme en faisait une nécessité de nature et le manichéisme une sorte de substance. Adamantius combat cette erreur. Le mal moral n’existe pas en soi : c’est un accident, le fait de la liberté angélique ou humaine. Le bien essentiel n’en saurait être l’auteur ni le sujet : seul, le bien participé en est capable à cause de sa liberté imparfaite (iii, 8-10, 13 ; iv, 10, 11 ; cf. i, 28). C’est aussi la réponse de Methodius ; mais il remarque bien qu’elle est incomplète. Le péché, œuvre de la liberté, tient aussi, par ses racines, à notre condition actuelle. La chair se trouve inclinée au mal depuis que le démon a soufflé en nous la corruption en faisant tomber Adam. L’état de notre premier père nous a été transmis, et la lutte contre les penchants qui en viennent est pour nous un devoir qui ne cessera qu’avec la vie.
Notre-Seigneur a été précisément envoyé pour nous aider dans cette lutte, « pour compléter le pouvoir de la liberté humaine », mais d’abord pour nous racheter du péché. Le Verbe s’est fait homme (ἐνανϑρωπήσας) ; il a pris de la Vierge Marie une chair terrestre, la chair d’Adam, une chair semblable à la nôtre puisqu’il devait sauver la nôtre, et parce qu’il convenait que le démon fût vaincu par le même homme qu’il avait séduit. Par cette incarnation, le Verbe ne s’est pas transformé en la chair : il ne s’est pas dépouillé de sa divinité : il s’est seulement uni intimement à une humanité (συνενώσας καὶ συγκεράσας), d’une union qui laisse subsister les deux natures : Θεὸς ἦν φύσει καὶ γέγονεν ἄνϑρωπος φύσει, ––– ὄντως ϑεὸν κατὰ πνεῦμα καὶ ὄντως ἄνϑρωπον κατὰ σάρκα ὁμολογήσαντες Χριστόν. Et ces deux natures ont chacune leurs opérations et leur volonté. Mais du reste l’unité et l’identité de personne avant et après l’incarnation sont nettement affirmées ; et le concile d’Ephèse a pu invoquer ici le témoignage de Pierre d’Alexandrie. C’est le Verbe qui est né dans le sein de Marie (γενόμενον ἐν μήτρα), et qui s’y est fait chair par la volonté et la puissance de Dieu. « Celui qui est descendu est vraiment celui qui est remonté », ἀληϑῶς γὰρ ὁ καταβὰς αὐτος ἐστι καὶ ὁ ἀναβάς. Son corps est demeuré réel après la résurrection aussi bien que dans la transfiguration.
Pierre, P. G., xviii, 512. Le codex Baroccianus 142 attribue à Pierre un sermon περὶ τῆς ϑεοτόκου. Il n’est pas sûr que ce fût là le titre exact de ce discours, encore que le mot ϑεοτόκος fut peut-être en usase dès cette époque. Néanmoins, un sermon ayant pour objet la Sainte Vierge, à la fin du iiie siècle, est chose remarquable. Adamantius, v, 1. Ce n’est pas à dire que l’expression chez cet auteur soit toujours bien rigoureuse, encore que la pensée soit exacte. On s’aperçoit que la langue de la christologie n’est pas encore complètement élaborée. Voir par exemple V, 7 et 8. Method., De resur., III, 7, 12 ; 12, 3 et suiv. Encore un trait contre Origène, que l’on accusait de faire évanouir l’humanité de Jésus-Christ après la résurrection.
En prenant ainsi notre nature, en devenant Homme-Dieu, le Verbe incarné, remarque Methodius, récapitulait en lui toute l’humanité. Il est le second Adam, en qui cette humanité a été pétrie à nouveau, et, par son union avec le Verbe, restaurée déjà et renouveléeb. C’est le commencement du salut, mais seulement le commencement. Devenu notre représentant et s’étant chargé de nos péchés, Jésus-Christ a souffert pour nous et nous a purifiés de son sang. Il nous a rachetés par sa passion. On se souvient qu’Origène avait émis l’idée que le sang de Jésus-Christ avait été un prix payé au démon pour la délivrance de nos âmes captives. Adamantius repousse avec indignation cette idée : c’est un blasphème absurde, πολλὴ βλάσφημος ἄνοια ! Le sens de cette λύτρωσις est plutôt que Jésus-Christ nous a rachetés de l’esclavage du péché ; car, ayant commis le péché, nous étions devenus ses esclaves ; seulement, ce rachat doit s’entendre métaphoriquement (καταχρηστικῶς), puisque d’ailleurs le Sauveur a repris la vie qu’il avait donnée pour nous (i, 27).
b – Method., Conviv., III, 3, 4, 5,8. Methodius pousse les choses si loin qu’il semble identifier le Christ avec la personne du premier Adam.
Ainsi, nous trouvons représentées dans la sotériologie de cette époque les trois théories mystique, réaliste et des droits du démon qui se rencontrent çà et là dans toute l’antiquité ; mais la dernière n’y reçoit qu’une énergique réprobation.
Quant aux effets de la rédemption, ils correspondent aux plaies que Jésus-Christ est venu guérir en nous ; c’est le pardon des péchés, la vérité, la grâce et l’immortalité, la résurrection de la chair.