L’homme est considéré dans la Genèse biblique sous deux aspects principaux : soit comme le plus parlait des êtres animés ici-bas, couronnant au terme du sixième jour la série des créations, soit comme l’initiateur sur la terre du drame de la liberté. La première de ces deux intuitions a reçu son expression dans le document élohiste, (Genèse 1.1 à Genèse 2.4, et la seconde, dans le document jéhoviste qui a été soudé au premier, Genèse 2.4.
Dans l’un et l’autre, se marque dans la formation même de l’homme, sa supériorité spécifique sur l’animalité. Dans le document élohiste, les animaux apparaissaient, disons-nous, comme évoqués par la parole divine, mais du sein des éléments préexistants de la nature, les eaux (Genèse 1.20), le sol (v. 24), comme s’ils étaient les produits quintessenciés des uns et des autres. La création de l’homme, au contraire, précédée d’une délibération divine, mais d’où toute hésitation, toute contestation sont absentes (v. 20), est un acte de production divine immédiate. Ceux-là sont les effets de la parole de Dieu ; celui-ci est le monument de sa personne. Dans le document jéhoviste, le corps de l’homme tiré, non pas d’un organisme animal déjà formé, mais de la poudre de la terre, c’est-à-dire d’un élément neutre dont rien n’est à retrancher, auquel tout peut s’ajouter, est formé de la main même de Dieu, en même temps que l’âme de l’homme est issue de son souffle (Genèse 2.7).
Il est étrange que M. White, le chef de l’école de l’immortalité conditionnelle, tire précisément de ce texte la preuve que la constitution originelle de l’homme ne différait pas essentiellement de celle de l’animalité :
« La création de l’homme est rapportée en ces mots : Dieu forma l’homme de la poussière de la terre et souffla dans ses narines une respiration de vie, et l’homme devint une âme vivante. On comprend généralement par là que, lorsque le corps eût été tiré de la poudre, une âme y fut ajoutée par une directe inspiration du Créateur, une âme de nature divine, par conséquent une âme immortelle. Mais pour quiconque a étudié ces questions, le texte dit positivement le contraireu. »
u – L’immortalité conditionnelle Trad. Btyse), page 85.
Nous croyons que dans cette dernière assertion, l’auteur s’est extrêmement avancé. Nous reconnaissons avec lui que la qualification d’âme vivante donnée au premier homme n’implique pas en elle-même le don de l’immortalité, puisqu’elle est accordée quelquefois à l’animal dans l’Ecriture (Genèse 9.10,15-16). Il n’en résulte pas que les mots : Dieu souffla dans ses narines une respiration de vie, « loin d’affirmer que l’homme reçut alors une nature impérissable, montrent au contraire que sa vie dépend de l’air atmosphérique qu’il respire ». Car pour procurer le même résultat, la cause seconde suffisait, et l’intervention du Créateur en personne n’était pas nécessaire.
Ce qui, au point de vue génésiaque et biblique, différencie la création de l’homme de celle des créatures animales, ce n’est pas tant la nature des substances mises en œuvre — car il y a ailleurs que chez lui de la substance physique, psychique et pneumatique, — que l’organisation de ces substances elles-mêmes.
Mais l’homme peut être considéré aussi, non plus en l’égard des formations passées, mais de l’histoire qui commence, comme l’instrument de l’œuvre morale, le libre co-ouvrier du Créateur. Le Roi de la création (Genèse 1.28-30) est en même temps l’apprenti de la loi morale et l’élève de Dieu.
Selon le document jéhoviste, l’homme, sorti pur des mains de Dieu, était appelé : 1° à cultiver le jardin et à le garder (Genèse 2.15) ; à achever ainsi l’œuvre divine dans la nature, en amenant la terre qui était son domicile, de sa virginité initiale à la perfection absolue.
2° A passer lui-même de l’innocence originelle à la sainteté acquise par le moyen de la probation morale surmontée (v. 10 et 17).
Et la femme créée là comme le complément physiologique de l’homme (Genèse 1.27), lui est donnée ici comme la réponse à son soupir, son aide, son image et sa gloire (Genèse 21-24 ; comp. 1 Corinthiens 11.8).
Ces deux intuitions ne s’excluent point, elles se complètent ; elles s’appellent ; l’une des voix dit : Nature, l’autre : Humanité !
Deux difficultés sérieuses surgissent de la comparaison des deux documents par l’impossibilité apparente d’accorder celui qui fait apparaître les plantes (Genèse 2.5) et les animaux (Genèse 2.19) après l’homme, avec le récit de l’œuvre des six jours. La première de ces difficultés, celle concernant l’apparition des plantes, nous semble beaucoup plus grave que la seconde. Voici comment nous l’avons résolue pour nous-même :
Etant admis que le document jéhoviste ne commençait pas dans sa forme originelle au v. 5, et pouvait contenir une version cosmogonique parallèle à la nôtre, nous supposons que le verset 5 nous transporte à l’époque, enfermée dans le sixième jour, qui a précédé immédiatement l’apparition de l’homme sur la terre, et dans la partie de la terre qui lui était réservée pour domicile. Cela étant, il est admissible également que l’épanouissement subit qui s’était produit au troisième jour dans le monde végétal, sous l’influence des agents existants à cette époque, entre autres la chaleur interne de notre globe combinée avec l’humidité excessive de l’atmosphère avant l’apparition du soleil, s’était successivement ralenti au fur et à mesure de la décroissance d’action de ces agents eux-mêmes. A l’époque précédant immédiatement l’apparition de l’homme, comme les anciens agents avaient épuisé leur effet, et que les nouveaux, la pluie et le travail d’irrigation de l’homme, n’étaient pas encore intervenus, il dut y avoir une sorte d’assoupissement de la puissance végétative qui, sans aller jusqu’à l’extinction des germes déposés au troisième jour, en arrêta pour un temps la fécondationv. Ce fut là une de ces intermittences qui, dans la nature et dans l’histoire, annoncent et appellent les grands avènements.
v – Aurions-nous ici l’indice de la fin de la période glaciaire, dont l’homme a dû être le contemporain ?
Le v. 19 du même chapitre ne contredirait le récit élohiste que s’il fallait reconnaître ici le récit de la création même des animaux. Nous croyons au contraire que l’intention de l’auteur était seulement de nous raconter comment ils furent présentés à leur nouveau maître ; lui-même ou le dernier rédacteur a dû rappeler après coup à cette occasion leur formation que le lecteur de ce second document n’était pas censé connaître encore. Ce qu’on ne cesse de prendre pour une contradiction directe, n’est plus donc pour nous qu’un procédé de narration enfantine.
Trois traits du récit génésiaque peuvent être relevés comme intéressant principalement lu loi religieuse :
- La transcendance de Dieu à l’égard du monde : Dieu parle ; Dieu voit ce qu’il a fait ; Dieu délibère avant de créer l’homme.
- La dépendance commune de tous les êtres de la nature à l’égard de la cause unique qui a produit le tout.
- La dignité et la souveraineté de l’homme.