Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE IV

CHAPITRE VIII
Constitution de Moïse et comment il disparut du milieu des hommes.

Convocation d'une assemblée.

1.[1] Quand les quarante années furent accomplies, à trente jours près, Moïse, ayant convoqué une assemblée près du Jourdain, là où se trouve aujourd'hui la ville d'Abilé[2] — c'est une localité où abondent les palmiers —, le peuple tout entier réuni, leur adressa ces paroles :

[1] Deutéronome, I, 1.

[2] C’est sans doute l’Abel haschittim de Nombres, XXXIII, 49, qui est donnée comme la dernière étape où arrivent les Israélites avant de franchir le Jourdain. D’après ce que Josèphe dit plus loin (liv. V, I, 1), Abilé était à 60 stades de distance du Jourdain. La même ville est appelée Abila dans le Bellum (IV, VII, 6). Abilé est mentionnée par Stéphane de Byzance.

Moise, avant de mourir, exhorte son peuple et lui donne une constitution.

2.[3] « O mes compagnons d’armes, vous qui avez partagé avec moi ces longues misères, puisque, Dieu l'ayant décidé désormais et ma vieillesse ayant atteint l'âge de cent-vingt ans, il faut que je quitte la vie, et que dans vos campagnes au-delà du Jourdain je ne serai pas là pour vous secourir et combattre avec vous, car Dieu m'en empêche, j'ai cru bien faire de ne pas renoncer cependant encore à mon zèle pour votre bonheur, mais de procurer à vous la jouissance perpétuelle de vos biens et à moi un monument impérissable comme à l'auteur de votre prospérité. Eh bien donc, c'est après vous avoir indiqué le moyen d'arriver au bonheur et de laisser vos enfants en possession d'une abondance perpétuelle que je quitterai la vie. Je suis digne de confiance, en raison même des luttes que j'ai soutenues précédemment dans votre intérêt et parce que les âmes arrivées au terme de l'existence s'expriment avec une vertu parfaite.

[3] Deutéronome, XXXI, 2.

« O fils d'Israël[4], il n'est pour tous les hommes qu'une seule source de prospérité, c'est un Dieu propice : lui seul a le pouvoir de donner le bonheur à ceux qui en sont dignes et de l'enlever à ceux qui ont péché contre lui ; si vous vous montrez à ce Dieu tels qu'il le désire, lui, et tels que moi, qui connais sa pensée clairement, je vous y exhorte, vous ne cesserez d'être heureux et d'exciter l'envie de tous, et ces biens que vous avez déjà actuellement, la possession vous en demeurera assurée, et ceux qui vous manquent, vous les aurez bientôt entre vos mains. Pourvu seulement que vous obéissiez à ces lois que Dieu veut que vous suiviez, que vous ne préfériez pas à votre législation présente une autre constitution et qu'au mépris des sentiments de piété que vous témoignez aujourd'hui à Dieu, vous ne vous laissiez aller à d'autres mœurs. Mais, en agissant comme vous le devez, vous serez les plus forts de tous dans les combats, et vous ne vous ferez prendre par aucun ennemi. Car, si Dieu est à vos côtés pour vous secourir, vous pourrez raisonnablement les mépriser tous. A votre vertu sont proposées de grandes récompenses, si vous la conservez pendant toute votre vie ; elle est elle-même d'abord le plus précieux des biens, et puis elle vous procure les autres en abondance, ensuite que, si vous la pratiquez entre vous, elle vous assurera une vie de félicité, vous rendra plus illustres que les peuples étrangers et vous préparera une renommée incontestée auprès des générations futures. Or ces biens, vous y pourrez atteindre, si vous écoutez et observez les lois que j'ai composées sous la dictée de Dieu et si vous vous exercez à les comprendre. Je me sépare de vous, heureux moi-même de votre bonheur, après vous avoir confiés à la sagesse des lois, au bon ordre de la constitution et aux vertus des chefs qui auront soin de vos intérêts. Et Dieu, qui jusque maintenant vous a gouvernés, et par la volonté duquel j'ai pu moi-même vous être utile, ne bornera pas ici l'action de sa providence, mais tout le temps que vous désirerez avoir sa protection, en restant attachés à des occupations vertueuses, vous pourrez compter sur sa sollicitude. En outre, les doctrines les meilleures, à l'obéissance desquelles vous devrez la félicité, vous seront exposées par Éléazar le grand-prêtre et Josué, ainsi que par le Conseil des Anciens et les magistrats des tribus : écoutez-les sans mauvaise grâce, en comprenant que ceux qui savent bien obéir sauront aussi gouverner eux-mêmes, s'ils arrivent à en avoir le pouvoir, et croyez que la liberté ne consiste pas à vous indigner contre ce que vos chefs prétendent que vous accomplissiez. Maintenant, en effet, c'est dans la faculté d'injurier vos bienfaiteurs que vous mettez votre franc-parler : si à l'avenir vous vous en gardez, les choses en iront mieux pour vous. N'ayez jamais contre ces chefs de colère pareille à celle que vous avez osé si souvent manifester contre moi : car vous savez que j'ai plus souvent risqué de périr par vous que par les ennemis. Si je vous présente ces observations, ce n'est pas pour vous accabler de reproches — au sortir de la vie, je n'ai pas l'intention de vous laisser affligés en remuant ces souvenirs, moi qui, même au moment où j’ai subi tout cela, n'ai point ressenti de colère —, c'est pour que cette pensée même serve à l'avenir à vous modérer et que vous ne vous livriez contre ceux qui seront à votre tête à aucune violence, cédant à l'entraînement de la richesse qui vous viendra quand vous aurez passé le Jourdain et conquis la Chananée ; car si vous vous laissez entraîner par elle à du mépris et à de l'indifférence pour la vertu[5], vous perdrez même la faveur que Dieu vous témoigne. Or, si vous vous attirez son hostilité, d'abord, le pays que vous posséderez, vaincus par les armes de vos ennemis, vous le perdrez à votre tour de la façon la plus déshonorante, et, dispersés par toute la terre habitée, vous remplirez le monde entier et la mer de votre servitude. Mais quand vous subirez cette épreuve, inutile sera le repentir et le souvenir des lois que vous n'aurez point observées. Par conséquent, si vous voulez que vos lois vous restent, ne laissez subsister aucun de vos ennemis quand vous les aurez vaincus et croyez qu'il importe pour vous que tous périssent, de peur que, s'ils vivaient, ayant pris goût à leurs mœurs, vous ne viciiez les institutions paternelles. En outre, je vous exhorte à abattre les autels, les bois sacrés et tous les temples qu'ils pourront avoir[6] et à abolir par le feu leur race et leur souvenir ; c'est ainsi seulement que vous aurez en toute sécurité la jouissance de vos biens à vous. Mais, de peur que, par ignorance du mieux, votre naturel ne vous entraîne au pire, je vous ai composé des lois que Dieu m'a dictées et une constitution telle que, si vous en respectez l'harmonie, vous serez considérés comme les plus heureux du monde. »

[4] Deutéronome, passim.

[5] Deutéronome, IV, 26.

[6] Exode, XXIII, 24 ; XXXIV, 13 ; Deutéronome, VII, 5 ; XII, 2-3.

Regrets des Hébreux.

3. Ayant ainsi parlé, il leur donne, consignées dans un livre, ces lois et cette constitution. Ceux-ci fondent en larmes et témoignent d'ardents regrets à l'égard de leur général, se souvenant des périls qu'il avait courus et de l'énergie qu'il avait déployée pour les sauver, et augurant mal de l'avenir en songeant qu'ils n'auront plus jamais un pareil chef et que Dieu veillera moins sur eux, puisque Moïse ne sera plus là pour intercéder en leur faveur. Et tous les sentiments, inspirés par la colère, qu'ils lui avaient témoignés pendant le séjour du désert, ils s'en repentaient maintenant en s'affligeant, si bien que tout le peuple, s'abandonnant à ses larmes, ressentait à cause de lui une émotion trop forte pour que des paroles pussent la calmer. Moïse cependant les consolait, et, les détournant de croire qu'il méritait ces larmes, les invitait à mettre en pratique leur constitution. C'est ainsi qu'ils se séparèrent alors.

Considérations sur la rédaction des lois.

4. Mais je veux d'abord décrire cette constitution conforme à la réputation de vertu de Moïse et faire connaître par elle à ceux qui me liront quelles furent nos institutions originaires, après quoi je poursuivrai le reste de mon récit. J'ai tout écrit tel que lui nous l'a consigné, je n'y ai ajouté aucun ornement ni rien que n'ait laissé Moise[7]. Ce qui est nouveau chez nous, c'est le classement des matières, sujet par sujet ; car il les a laissées écrites à bâtons rompus, au fur et à mesure des instructions partielles qu'il recevait de Dieu[8]. Voilà pourquoi j'ai estimé nécessaire de commencer par ces explications, de crainte que ceux de notre race qui liront cet ouvrage, puissent nous reprocher de nous être trompé. Voici l'ordre de nos lois touchant notre constitution politique. Quant à celles qu'il nous a laissées et qui nous concernent tous dans nos rapports mutuels, je les réserve pour un commentaire qui traitera des coutumes et de leurs raisons d'être et que nous nous sommes proposé, si Dieu seconde notre entreprise, de composer après le présent ouvrage[9].

[7] On a déjà vu par les livres précédents et on verra plus loin quelle valeur on peut attacher à ces affirmations. Josèphe omet de parler de certaines lois qui rentraient cependant dans son plan, par exemple la législation touchant les esclaves (Exode, XXI, 20-21 ; 26-27 ; voir sur cette lacune Ritter, Philo und die Halacha, p 55), les successions (Nombres, XXVII, 6-11), etc. En revanche, il introduit assez souvent des dispositions inconnues à la loi mosaïque : voir plus loin.

[8] Ceci ressemble à l'opinion curieuse de Rabbi Banaa (fin du IIe siècle), rapportée par R. Yohanan (Guittin, 60 a), à savoir que la loi a été donnée à Moïse rouleau par rouleau, c'est-à-dire qu'il inscrivait au fur et à mesure les instructions divines (Cp. le Coran). L'opinion adverse (de R. Simon ben Lakisch) est que la Tora a été donnée scellée, c'est-à-dire en bloc, au complet.

[9] Voir supra, Antiquités, liv. III, VIII, 10 et note.

La ville sainte et le Temple.

5.[10] Quand, une fois que vous aurez conquis le pays des Chananéens et que vous aurez le loisir de jouir de vos biens, vous déciderez dès lors de fonder des villes, voici ce que vous devrez faire pour agir d'une manière agréable à Dieu et posséder une félicité assurée. Vous aurez une ville sainte sur la terre des Chananéens dans l'endroit le plus beau et le plus remarquable pour ses qualités, une ville que Dieu se choisira pour lui-même par une prophétie. Vous aurez un temple unique bâti dans cette ville avec un seul autel de pierres non travaillées[11], mais accumulées avec choix, et qui, enduites de chaux, aient belle apparence et présentent un aspect bien net. La montée vers l'autel se fera non par des degrés, mais par un remblai qu'on y adossera en pente douce. Dans aucune autre ville vous n'aurez ni autel, ni temple ; car Dieu est un et la race des Hébreux est une.

[10] Deutéronome, XII, 4 ; cf. C. Apion, II, § 193.

[11] Exode, XX, 25.

Lois sur le blasphème.

6.[12] Quiconque aura osé blasphémer Dieu sera lapidé, puis pendu durant toute la journée[13], et on l'ensevelira sans honneur et obscurément[14].

[12] Lévitique, XXIX, 15.

[13] Deutéronome, XXI, 22.

[14] Josèphe paraît d'accord avec la tradition (Sifré, p. 114 b, Sanhédrin, VI, 6), qui restreint au blasphémateur le supplice de la lapidation suivie de pendaison ; mais, selon la Mishna, le corps n'était pendu qu'aux approches de la nuit ; on l'attachait sur une poutre, et on le détachait immédiatement après. On ne l'y laissait donc pas, comme le prétend Josèphe, durant toute la journée. Il y avait aussi, selon la Mishna, des sépultures spéciales pour les suppliciés (Sanhédrin, VI, 7).

Pèlerinage triennal au Temple.

7.[15] On devra venir ensemble dans la ville où l'on aura établi le temple, trois fois par an, des extrémités du pays dont les Hébreux se seront emparés, afin de rendre grâce à Dieu de ses bienfaits et de le prier de les continuer à l'avenir, et afin d'entretenir par ces réunions et des festins célébrés en commun des sentiments d'amitié mutuelle. Car il est bon qu'ils ne s’ignorent pas les uns les autres, étant de la même race et ayant des institutions communes. Et c'est à quoi serviront des relations de ce genre ; en se voyant et en se fréquentant, ils se souviendront d'eux-mêmes, car s'ils demeuraient sans commerce réciproque, on les jugerait absolument étrangers entre eux[16].

[15] Deutéronome, XIX, 11-17 ; XVI, 16.

[16] Ces motifs ne sont pas donnés dans l'Écriture.

Dîme des fruits.

8.[17] Vous aurez aussi à prélever la dîme des fruits, indépendamment de celle que j'ai établi qu'on donnerait aux prêtres et aux Lévites[18] ; cette dîme sera vendue dans vos villes respectives et elle sera affectée à des repas[19] et à des sacrifices qui se feront dans la ville sainte : il est juste, en effet, que ces produits de la terre dont Dieu nous a procuré la propriété, vous en jouissiez en l'honneur de celui qui vous en a fait don.

[17] Deutéronome, XIV, 22.

[18] Plus haut chap. IV, 3. Dans ce même chapitre (§ 22), Josèphe attribuera cette dîme (maaser rischon dans la Mishna) aux Lévites seuls. Le manque de précision est le défaut habituel de Josèphe ; dans ce passage, l'incertitude s'explique peut-être, comme on l'a remarqué, parce que, depuis longtemps déjà, à l’époque de Josèphe, la déclaration du propriétaire, relativement à la dîme, n'existait plus (Maazer Schèni, V, 15) et l'on ne discutait plus que théoriquement sur les règles à observer, selon qu’il s'agissait des classes sacerdotales ou des Lévites (v. Sota, 47a-48 a, Mishna).

[19] Josèphe généralise les mots du Deutéronome, XIV, 24-26 : « si le chemin est trop long... » De même, le Sifré (p. 96 a), s'appuyant sur les mots : « Si tu ne peux les porter (les fruits) », admet qu'à toute distance de Jérusalem on pouvait les échanger contre de l'argent, qu'on dépensait ensuite dans la ville sainte.

Argent inutilisable pour l'offrande de sacrifices.

9.[20] Le salaire d'une femme prostituée ne doit pas servir à accomplir un sacrifice ; car rien de ce qui provient du déshonneur ne plaît à la divinité ; or, il ne peut rien y avoir de pire que la honte résultant de la prostitution. De même, si pour la saillie d'un chien[21], soit d'un chien de chasse, soit d'un gardien de troupeaux, on a reçu un salaire, il ne faut pas l'employer en sacrifice à Dieu.

[20] Deutéronome, XXIII, 18, 19.

[21] L'Écriture dit : mehir kéleb, « rançon d'un chien » ; l'interprétation que la Mishna donne de ces mots énigmatiques est toute différente de celle de Josèphe. D'après Temoura, 30 a, il s'agirait d'une bête pure, un agneau, par exemple, qu'on voudrait consacrer en échange d'un chien. Rappelons que les commentateurs modernes s'accordent à voir plutôt, dans le kéleb de l'Écriture, le prostitué sacré ; cette interprétation est justifiée par le contexte ; et les prostitués sacrés sont désignés sous ce nom de chiens dans l'inscription de Larnaca (C. I. Sem., 86) : voir Revue des Études juives, t. III, p. 200.

Défenses relatives aux cultes étrangers.

10.[22] Que nul ne blasphème les dieux que d'autres cités révèrent[23]. Il ne faut pas piller les temples étrangers, ni s'emparer de trésors consacrés à quelque divinité[24].

[22] Cf. C. Apion, II, § 237 ; Deutéronome, VII, 25.

[23] Cette explication du verset de l'Exode est tout à fait différente de celle de la tradition, qui entend par Elohim les juges, acception que ce mot à dans d'autres passages et qui semble ici confirmée par le contexte. Mais il est à remarquer que Josèphe est d'accord avec les LXX et peut-être aussi avec Philon qui déclare (II, p. 166 et 219), à propos du passage du Deutéronome, VII, 25, qu'il ne faut pas prononcer le nom des divinités étrangères pour ne pas s'habituer à blasphémer (cf. Freudenthal, Hellen. Stud., p. 218). Le véritable sens paraît être qu'il est défendu aux Hébreux, sous peine de blasphème, d'invoquer les noms des divinités étrangères ; il est curieux de constater que, d'après Théophraste (ap. Josèphe, C. Apion, I, 22), une défense exactement analogue existait dans les lois tyriennes, et que parmi les serments prohibés figurait précisément celui qui était en usage chez les Juifs. Voir Textes relatifs aux Juifs, n° 6 [T. R.]

[24] Josèphe s'inspire ici du verset Deutéronome, VII, 25, qui recommande de ne pas convoiter et prendre l'or et l'argent des idoles mais il semble donner à cette prescription plus de portée que ne fait la Bible, qui insiste surtout à maintes reprises sur l'obligation d'anéantir les lieux de culte païens. On sent dans Josèphe le souci de ménager les Romains. En effet, la loi était sévère pour les « sacrilèges ». D'après un texte de Philon (II, M., p. 640, ex. Eus., Præp. ev., VIII, 14), la loi condamnait le « convoiteur » à être précipité, noyé, ou brûlé.

Défense relative au mélange de la laine et du lin.

11.[25] Que personne de vous ne porte de vêtement tissé de laine et de lin ; car cela est réservé aux prêtres seuls[26].

[25] Lévitique, XIX, 19, et Deutéronome, XXII, 11.

[26] La Mishna (Kilaïm, IX, 1) ne fait que le constater, sans dire que ce soit là la raison de l'interdiction pour les laïques de porter des étoffes de laine et de lin.

Lecture septennale de la législation.

12.[27] Quand le peuple se sera réuni dans la ville sainte pour les sacrifices septennaux, à l'époque de la fête de la construction des tabernacles, le grand-prêtre[28], debout sur une estrade élevée d'où il puisse se faire entendre, devra lire les lois[29] pour tout le monde : ni femmes, ni enfants ne seront exclus de cette audition et non pas même les esclaves. Car il est bon que ces lois, une fois gravées dans les cœurs, soient ainsi conservées par la mémoire, de façon à ne pouvoir jamais s'effacer. De la sorte, ils ne feront aucun péché, ne pouvant alléguer leur ignorance des prescriptions édictées par les lois. Et ces lois auront pleine autorité contre les délinquants, en ce qu'elles les préviendront de ce qu'ils auront à subir et graveront dans les âmes, grâce à cette audition, tout ce qu'elles prescrivent, de façon que pour toujours ils portent la doctrine de leur peuple en eux[30] : s'ils la dédaignent, ils seront coupables et deviendront les propres auteurs de leur châtiment. Que les enfants aussi commencent par apprendre les lois ; c’est l'étude la plus belle et la source de la félicité.

[27] Deutéronome, XXXI, 10.

[28] La Bible n'indique pas expressément qui doit faire la lecture septennale. Le verset dit (Deutéronome, XXXI, 10-11) : « Moïse leur prescrivit ceci (aux prêtres et aux anciens mentionnés dans le verset précédent) : A la fin de chaque septième année... tu feras lecture de cette Tora en présence de tout Israël ». La tradition (Sota, VII, 8) admet qu'il s'agit de la lecture du Deutéronome, et en particulier du passage relatif à la royauté (Deutéronome, XVII, 14-20), lecture faite, en conséquence, par le roi ; elle rapporte à l'appui l'histoire d'une lecture de ce genre effectuée par Agrippa. Le rapprochement de cette tradition avec notre texte de Josèphe a beaucoup exercé les commentateurs. S'agit-il dans la Mishna d'Agrippa II, contemporain de Josèphe, comment ce dernier ignorait-il les usages au point d'attribuer au grand-prêtre une prérogative du roi ? Aussi l'opinion de beaucoup d'auteurs est que la Mishna veut parler du pieux Agrippa Ier, qui régna de 42 à 45. Le grand-prêtre aurait repris ultérieurement un rôle qui était plutôt dans ses attributions. Récemment, M. A. Büchler (Die Priester und der Cultus im letzten Jahrzehnte des jerusalemuchen Tempels, Vienne, 1895, p. 11 et suiv.) est revenu, avec des arguments ingénieux, à l'opinion, également ancienne, de ceux qui persistent à reconnaître Agrippa II dans le texte de la Mishna. Le témoignage divergent de Josèphe s'expliquerait par ce fait qu'il ne connaît les usages de Jérusalem que jusqu'en l'année 62. Avant cette époque, c'était bien le grand-prêtre qui faisait la lecture septennale. Mais en 62-63 une révolution importante eut lieu. Avec la déposition du grand-prêtre Anan ben Anan, le parti sadducéen dut céder la place au parti pharisien, qui, une fois au pouvoir, diminua beaucoup les prérogatives des prêtres et fit prévaloir certains usages, comme d'attribuer au roi la présidence de la cérémonie septennale. Josèphe n'en aurait rien su. Ni l’une, ni l'autre de ces opinions n'a pour elle d'arguments bien décisifs. D’ailleurs, le dire de Josèphe n'a peut-être pas ici la valeur d'un témoignage qu'on puisse confronter avec celui de la Mishna. Malgré l'habitude qu'à Josèphe de regarder le passé à travers le présent, il semble qu'il n’ait fait ici que suivre d'une façon plus ou moins libre le texte même du Deutéronome.

[29] Quelles lois ? La Mishna de Sota en donne la liste suivante : Deutéronome, I. 1-IV, 9 ; XI, 13-19 ; XIV, 22 ; XXVI, 12-19 ; XVII, 14-20 ; XXVIII. Josèphe semble, bien qu'il s'exprime en termes assez vagues, indiquer une lecture plus étendue et renfermant plus de lois proprement dites, ce qui se rapprocherait de l'opinion de Maimonide, qui croyait savoir qu'on lisait sans interruption de XIV, 22, à XXVIII, 69.

[30] Deutéronome, VI, 6 ; XI, 18.

Prières quotidiennes.

13. Deux fois par jour, au commencement de la journée et quand vient l'heure de se livrer au sommeil, ils devront rendre témoignage à Dieu des bienfaits qu'il leur a accordés au sortir du pays des Égyptiens : la reconnaissance se justifie par la nature et, en la témoignant, ils remercieront à la fois Dieu de ses bienfaits passés et se concilieront sa bienveillance future. Ils inscriront aussi sur leurs portes les plus grands bienfaits qu'ils ont reçus de Dieu, et chacun devra les porter visiblement sur les bras ; et tout ce qui peut attester la puissance de Dieu ainsi que sa bonté à leur égard, ils en porteront la mention écrite sur la tête et sur le bras[31], afin qu'on puisse voir de toutes parts la vive sollicitude dont Dieu les entoure.

[31] Josèphe admet, comme la tradition pharisienne, l'origine mosaïque de l'obligation de la prière quotidienne, en particulier de la récitation du Schema (Deutéronome, VI, 4-9 ; XI, 13-19 ; Nombres, XV, 37-41 ; cf. Berachot, 11 a) et du port des phylactères (Menahot, 34 b).

Administration de la justice.

14.[32] Qu'il y ait à la tête de chaque ville sept hommes[33] habitués à pratiquer la vertu et à rechercher la justice ; qu'à chacune de ces magistratures soient adjoints à titre de serviteurs deux hommes de la tribu des Lévites[34]. Que ceux qui seront appelés à rendre la justice dans les villes soient tenus en grand honneur, de façon que nul ne se permette en leur présence d'injurier ou de tenir des propos insolents ; le respect envers ceux qui sont revêtus d'une dignité inspirera tant de modestie qu'on ne méprisera pas Dieu. Les juges seront maîtres de prononcer selon leur sentiment, à moins qu'on ne vienne les dénoncer comme ayant reçu de l’argent pour fausser la justice, ou qu'on allègue une autre raison pour les accuser de n'avoir pas bien prononcé. Car il ne faut pas, par amour du lucre ou des puissances, faire mauvaise justice ; on doit placer le bon droit au-dessus de toutes choses. Dieu, sans cela, paraîtrait méprisé et plus faible que ceux à qui, par peur de la force, on déciderait d'accorder son suffrage. En effet, c'est de la puissance de Dieu que procède la justice. Si donc on favorise ceux qui occupent un haut rang, on les met au-dessus de Dieu. Que si les juges ne savent pas prononcer sur les faits qui leur sont soumis — pareil cas se présente souvent parmi les hommes —, qu'ils adressent la cause intégralement à la ville sainte, et que, réunis ensemble, le grand-prêtre et le prophète et le conseil des Anciens fassent connaître leur décision[35].

[32] Deutéronome, XVI, 18.

[33] L'Écriture ne précise pas et dit seulement : « Tu institueras des juges et des magistrats ». Cette magistrature composée de sept personnes, assistées de deux Lévites, Josèphe l'a vue fonctionner. Il a lui-même institué en Galilée, dans chaque ville, des magistratures de sept membres (Bellum, II, XX, 5). Cependant le Talmud paraît à peine connaître cette institution et n'en parle qu'une fois, dans Meguila, 26 a, fin : il est question dans ce passage, mais en termes vagues, des sept notabilités de la ville ; cf. aussi Maimonide (M. Tora, H. Sanhédrin, I, 9 ; II, 3), qui a consigné une tradition analogue. Schürer (Geschichte des jüdischen Volkes, 3e édit., t. II, p. 178) croit que Josèphe, tout en rapportant faussement à Moïse une institution plus récente, n'en est pas l'inventeur et n'a fait en Galilée que régulariser la coutume.

[34] La Bible attribue aussi généralement des fonctions juridiques aux Lévites. Voir, entre autres, Deutéronome, XXI, 5.

[35] Deutéronome, XVII, 8. La Bible parle seulement des prêtres lévites et du juge (v. 9).

Les témoignages.

15.[36] On ne se fiera pas à un témoin unique ; il en faut trois ou au moins deux dont le témoignage sera garanti par leur vie passée. Les femmes ne rendront pas de témoignage[37], à cause de la légèreté et de la témérité de leur sexe. Les esclaves non plus ne doivent pas témoigner[38], à cause de la bassesse de leur âme ; car il est naturel que soit la cupidité, soit la crainte les empêche de témoigner selon la vérité. Si quelqu'un est accusé d'avoir fait un faux témoignage[39], il subira, s'il en est convaincu, la même peine[40] que devait subir celui contre lequel il aura témoigné.

[36] Deutéronome, XVII, 6 ; XIX, 15.

[37] L'Écriture ne le dit pas ; mais Josèphe est d'accord avec la tradition : le Talmud (Schebouot, 30 a) enseigne que les femmes ne peuvent témoigner, règle qu'on déduit de Deutéronome, XIX, 17, en alléguant de plus la coutume fondée sur un verset des Psaumes (XLV, 14).

[38] Le Talmud le déduit a fortiori de la règle précédente dans Baba Kamma, 88 a. Les raisons morales sont imaginées par Josèphe.

[39] Deutéronome, XIX, 18.

[40] Josèphe donne à cette loi un caractère général ; le Talmud (Makkot, 5 b) la restreint au cas où les témoins seraient convaincus par d'autres témoins de n'avoir pas été présents au moment où le crime a été commis ; quant au crime lui-même, il s'agit d'un meurtre.

Meurtres dont l'auteur reste inconnu.

16.[41] Si, lorsqu'un meurtre aura été commis dans un endroit, on n'en trouve pas l'auteur, et que nul ne soit soupçonné d'avoir tué par haine, il faudra chercher ce meurtrier avec beaucoup de soin, en proposant une récompense au dénonciateur[42] ; mais si personne ne fait de dénonciation, les magistrats des villes à proximité de l'endroit où le meurtre a été commis et le conseil des Anciens, se réunissant[43], mesureront le terrain depuis la place où gît le cadavre. Et les autorités de la ville qui en sera la plus rapprochée achèteront une génisse et, après l'avoir conduite dans un ravin[44] et dans un endroit impropre au labour et aux plantations, devront trancher les muscles du cou de la génisse, puis, après avoir fait une libation d'eau sur la tête de l'animal, les prêtres, les lévites et les Anciens de cette ville proclameront qu’ils ont les mains pures de ce meurtre, qu'ils ne l'ont ni commis, ni vu commettre, et ils prieront pour se rendre Dieu propice et pour qu'un terrible malheur de ce genre n'arrive plus au pays.

[41] Deutéronome, XXI, 1.

[42] Ce détail est étranger au texte de l'Écriture.

[43] D'après la Mishna de Sota, IX, 1, les anciens sortaient au nombre de trois, ou de cinq, suivant l'opinion de Rabbi Ychouda. D'ailleurs la même Mishna dit plus loin (47 a) que depuis une certaine époque où les meurtres étaient devenus nombreux, cette procédure était abolie.

[44] La tradition voit plutôt dans le nahal éthan de la Bible un cours d'eau impétueux qu'un ravin (Sota, IX. 3).

Devoirs des rois.

17.[45] Le gouvernement des meilleurs est ce qu'il y a de mieux, ainsi que la vie qu'on mène sous ce régime ; ne vous prenez pas à soupirer après une autre forme de gouvernement, mais soyez satisfaits de celle-là, ayant vos lois pour maîtres et faisant tout d'après elles. Car Dieu suffit à vous guider. Mais si vous venez à désirer un roi, qu'il soit de votre race et qu'il ait toujours souci de la justice ainsi que des autres vertus. Qu'il confie aux lois et à Dieu les desseins les plus importants[46], et qu'il ne fasse rien sans le grand-prêtre et sans l'avis des Anciens[47] ; qu'il ne prenne pas beaucoup de femmes, qu'il ne cherche pas quantité de richesses et de chevaux, car si tout cela vient à lui, il en arrivera à regarder de haut les lois. Qu'on l’empêche donc, s'il montrait trop de goût pour ces choses, de devenir plus puissant que votre intérêt ne le comporte.

[45] Deutéronome, XVII, 14.

[46] Texte altéré.

[47] D'après le Talmud (Sanhédrin, 20 b), le roi doit prendre conseil du tribunal de 71 membres pour engager une guerre « facultative » (c'est-à-dire avec tout autre peuple que les Amalécites ou les sept peuplades chananéennes).

Respect des limites.

18.[48] Ne vous permettez pas de déplacer les bornes ni de votre terre, ni de la terre de ceux avec lesquels vous êtes en paix ; qu'on se garde de les supprimer, qu'on les considère comme une pierre solide posée par Dieu pour l'éternité. Car des guerres et des querelles naissent de ce que les gens cupides veulent aller au-delà de leurs limites. Ils ne sont pas loin, en effet, de transgresser les lois ceux qui déplacent les limites.

[48] Deutéronome, XIX, 14 ; XXVII, 17.

Plants de la quatrième année.

19.[49] Quand on plante une terre, si ces plants produisent des fruits avant quatre ans, on n’en prélèvera pas de prémices pour Dieu et on n'en jouira pas soi-même ; car à ce moment, ils n’ont pu venir tout seuls et, comme la nature a été forcée prématurément[50], ils ne peuvent convenir à Dieu, ni servir au propriétaire lui-même. Mais la quatrième année, il doit récolter tout ce qui a poussé, le moment est alors opportun, et, après l'avoir réuni, il l'apportera dans la ville sainte[51] et en y joignant la dîme des autres fruits, il l'emploiera à faire des festins avec ses amis, ainsi qu'avec les orphelins et les veuves. La cinquième année, il sera maître de faire pour lui la récolte de ses plantations.

[49] Lévitique, XIX, 23.

[50] La Bible ne donne aucun motif de ce genre.

[51] Cf. Sifra (ad loc.) ; Mishna de Péa, VII, 6 ; Maaser Schèni, V, 1-5 ; Edouyot, IV, 5 ; Baba Kamma, 69 b : la tradition assimile également les plantes de la quatrième année à la dîme seconde, au point de vue de la faculté de rachat, tandis que la Bible dit seulement que ces produits de la quatrième année sont consacrés à Dieu.

Défenses relatives aux plantes et aux animaux hétérogènes.

20.[52] Un terrain planté de vignes, on ne doit pas l'ensemencer ; car il a assez à nourrir ce genre de plants et doit être exempt des travaux de labour. On labourera la terre avec des bœufs, sans leur adjoindre sous le joug aucune des autres espèces animales ; celles-ci aussi, on doit les employer séparément pour le labour. Les semences doivent être pures et sans mélanges et il ne faut pas ensemencer deux espèces ou trois en même temps. Car la nature[53] ne se plaît pas à la réunion des choses dissemblables. Il ne faut pas accoupler des bestiaux d'espèces différentes : car il est à craindre qu'en commençant par là, on ne finisse, même quand il s'agit d'hommes, par manquer d'égard à ceux de sa race ; c'est à cela que peuvent mener des fautes commises sur des sujets insignifiants. Il ne faut rien concéder de ce qui pourrait par imitation engendrer quelque perturbation dans l'État ; il faut que même les choses les plus ordinaires n'échappent pas à la vigilance des lois, qui doivent savoir se prémunir elles-mêmes contre tout reproche.

[52] Lévitique, XIX, 19 ; Deutéronome, XXII, 9.

[53] Ici, comme plus haut, Josèphe s’ingénie à trouver des raisons aux lois données sans commentaire dans l'Écriture.

Droits des pauvres, des bêtes et des passants sur les produits du sol ; peine de la flagellation.

21.[54] En moissonnant et en enlevant les récoltes on ne glanera pas, mais on abandonnera même un peu de gerbes à ceux qui n'ont rien à manger, comme une aubaine qui servira à leur subsistance. Pareillement, dans la vendange, il faut laisser les grappillons aux pauvres ; il faut aussi oublier un peu des fruits de l'olivier pour les laisser ramasser par ceux qui n'en ont pas à cueillir chez eux. Car une cueillette minutieuse ne donnera pas autant de richesse aux propriétaires que cet abandon ne leur vaudra de reconnaissance de la part des indigents ; d'ailleurs, la divinité rendra la terre plus ardente à faire croître des fruits, si l'on ne songe pas seulement à son intérêt personnel, mais qu'on se soucie aussi de nourrir autrui. Les bœufs même[55], quand ils fouleront les épis, on ne les musellera pas dans l'aire ; car il n'est pas juste de priver du fruit nos collaborateurs qui ont peiné pour le produire. Quand les fruits des arbres sont mûrs, il ne faut pas empêcher les passants d'y toucher en chemin[56], mais, comme s'ils leur appartenaient, leur permettre de s'en rassasier, qu'ils soient indigènes ou étrangers, en se réjouissant de leur fournir le moyen d'avoir leur part de ces fruits mûrs. Mais il ne leur sera pas permis d'en rien emporter. Et les vendangeurs n'empêcheront pas ceux qu'ils rencontreront de goûter de ce qu'ils apportent aux pressoirs ; il n'est pas juste, en effet, que ces bonnes choses qui nous arrivent de par la volonté de Dieu pour notre subsistance, on les refuse à ceux qui en souhaitent une part, alors que l'époque de leur maturité est venue et va bientôt passer ; il est même agréable à Dieu qu'on invite à en prendre tous ceux qui, par réserve, hésiteraient à y toucher, les Israélites d'abord, qui ont comme un droit de participation et de propriété en vertu de leur commune origine, et aussi les gens venus d'ailleurs, à qui on permettra de profiter, en qualité d'hôtes, de ces fruits que Dieu a fait venir à maturité. Il ne faut pas envisager comme des dépenses ce que par libéralité on laisse prendre aux hommes : si Dieu nous procure cette abondance de biens, ce n'est pas pour nous en réserver la récolte, c'est pour en céder aussi généreusement à autrui, et il veut de cette façon que la bonté qu'il témoigne spécialement au peuple israélite et le soin qu'il prend de sa prospérité soient manifestés encore aux autres, grâce à tout le superflu dont ils font profiter ces derniers eux-mêmes[57]. Celui qui agira à l'encontre de ces règles[58] recevra trente-neuf coups du cuir public[59], peine très infamante qu'il subira, lui, un homme libre, parce que, esclave de l'intérêt, il a outragé sa dignité. Il vous sied[60], en effet, après les souffrances que vous avez éprouvées en Égypte et dans le désert, de montrer de la sollicitude pour ceux qui sont dans une situation analogue et, après avoir reçu tant de biens de la pitié et de la providence de Dieu, d'en distribuer une partie aux nécessiteux par un sentiment semblable.

[54] Lévitique, XIX, 9 ; Deutéronome, XXIV, 19.

[55] Deutéronome, XXV, 4.

[56] Ibid., XXIII, 25.

[57] On remarquera combien Josèphe insiste sur ces dispositions qui sont de nature à rehausser la charité de la loi juive aux yeux des lecteurs païens. C'est dans le même esprit qu'il rattache à ces lois charitables cette partie du paragraphe (Deutéronome, XXV, 3), qui, en réalité, a une portée beaucoup plus générale [T. R.]

[58] Deutéronome, XXV, 2-3.

[59] Selon la Bible, le nombre de coups est de 40. Mais la tradition le réduisait à 39 ; en effet, le Talmud (sur Makkot, III, 6) rapproche le mot hébreu qui finit le verset 2 du ch. XXV, du mot qui commence le verset 3, et il explique qu'il s'agit du nombre proche de 40, c'est-à-dire 39. La véritable raison était peut-être au fond, comme on l'a dit quelquefois, qu'on avait peur d'enfreindre la défense de dépasser le nombre de 40 et qu'on estimait, en conséquence, plus prudent de ne pas l'atteindre. Quoi qu'il en soit, la tradition est confirmée par Josèphe et aussi par l'apôtre Paul (II Cor., XI, 24). Mais, d'après la tradition, on appliquait, en général, la flagellation à quiconque violait un précepte négatif, lorsque la violation de ce précepte n'entraînait pas une pénalité plus grave. Josèphe restreint l'application de la peine de la flagellation à la transgression des lois énumérées immédiatement avant et après dans le Deutéronome (XXIV, 19-22 ; XXV, 4) ; voir aussi la note qui précède celle ci dessus.

[60] Deutéronome, X, 19 ; XXIV, 18, 22.

Dîme triennale des veuves et des orphelins ; déclaration après l'acquittement des redevances.

22.[61] En outre des deux dîmes que j'ai déjà dit de consacrer chaque année, l'une aux Lévites et l'autre aux festins, il faut en prélever une troisième tous les trois ans[62], afin de distribuer ce qui leur manque aux femmes veuves et aux enfants orphelins. Les premiers fruits mûrs que chacun aura recueillis[63], il les apportera dans le temple et, après avoir remercié Dieu pour la terre qui les a portés et qu'il leur a donnée en propriété, après avoir accompli les sacrifices que la loi ordonne d'offrir, on donnera les prémices de ces fruits aux prêtres. Et lorsqu'une personne[64], après avoir fait tout cela, après avoir offert les dîmes de tout, pour les Lévites et pour les festins avec les prémices, sera sur le point de s'en retourner chez elle, debout en face de l'enceinte du temple, elle remerciera d'abord Dieu de leur avoir donné, après les avoir soustraits aux violences des Égyptiens, un pays fertile et étendu pour jouir de ses fruits ; puis, attestant qu'elle a payé les dîmes et le reste, conformément aux lois de Moïse, elle priera Dieu de lui être toujours bienveillant et propice et de demeurer tel en général pour tous les Hébreux, en leur conservant ce qu'il leur a donné de biens, et en y ajoutant tous ceux dont il peut les gratifier.

[61] Ibid., XIV, 28 ; XXVI, 12.

[62] C'est le maaser ani de la Mishna. D'après Josèphe, il semblerait que la troisième année il fallut payer trois dîmes : celle des Lévites (maaser rischon), celle des festins (m. schèni) et celle des pauvres. Si telle était son opinion, elle serait contredite formellement par la tradition, qui établit (Rosch Haschana, 12 b, baraïta confirmée par la Mishna de Maaser Schèni, V, 9) qu'on ne donnait chaque année que deux dîmes ; la troisième année, on avait à payer la dîme des pauvres et celle des Lévites, qu'on payait toujours (aux Lévites et aux prêtres) ; mais les termes de Josèphe ne sont pas assez précis pour qu'on y voie une doctrine différente. cf. Olitzki (op. cit.), p.16 sqq. Schürer a essayé de démontrer que Josèphe et la Mishna étaient d'accord (Theologische Litteraturzeitung, 1886, p. 122 sqq.).

[63] Deutéronome, XXVI, 2.

[64] Ibid., XXVI, 13.

Lois matrimoniales.

23.[65] On devra épouser, une fois en âge de se marier, une vierge libre et née de parents honnêtes. Celui qui n'épouse point de vierge ne devra point s'unir à une femme qui vit avec un autre homme, en la corrompant, ou en l'enlevant à son premier mari. Des femmes esclaves ne pourront être épousées par des hommes libres[66], même si on y est vivement poussé par amour ; mais les bienséances et le souci de la dignité doivent triompher de la passion. En outre[67], il ne peut se faire de mariage avec une prostituée[68], car, comme elle a déshonoré son corps, Dieu n'agréerait pas les sacrifices offerts à l'occasion de ce mariage. La condition pour que les enfants aient des sentiments d'homme libre et dirigés vers la vertu, c'est qu'ils ne soient pas le fruit d'une union honteuse[69] ou d'une passion illégitime. Si quelqu'un[70], après avoir épousé une femme qu'il croyait vierge, s'aperçoit par la suite qu'elle n'est point telle, il intentera un procès, en appuyant l'accusation sur tels indices qu'il aura, et la défense sera présentée par le père de la jeune fille ou son frère ou celui qui après eux paraîtra son plus proche parent[71]. Si la jeune fille est déclarée innocente, elle cohabitera avec son accusateur, sans qu'il ait le moindre droit de la congédier, à moins qu'elle ne lui en fournisse de graves raisons et telles qu'elle n'y puisse rien contredire. Et pour avoir témérairement et inconsidérément porté contre elle une accusation calomnieuse[71], il aura à subir une double peine, en recevant trente-neuf coups et en payant cinquante sicles au père[73]. Mais au cas où il prouverait le déshonneur de la jeune fille, si c'est une femme du peuple, pour n'avoir pas veillé honnêtement sur sa virginité jusqu'à son mariage légitime, elle sera lapidée ; si elle est de race pontificale, elle sera brûlée vive[74]. Si quelqu'un a deux femmes[75], dont l'une est tenue particulièrement en estime et en affection, soit par amour, soit pour sa beauté, soit pour quelque autre motif, et dont l'autre est moins bien traitée, si le fils de la femme aimée, plus jeune que celui de l'autre, prétend, en vertu de l'affection que son père porte à sa mère, s'attribuer le droit d'aînesse de façon à recevoir une double part de la fortune paternelle, — car c'est là ce que j'ai établi dans les lois[76] —, on ne le lui accordera pas. Il est injuste, en effet, que le plus ancien des deux par la naissance, parce que sa mère tient moins de place dans l'affection de son père, soit privé de ce qui lui est dû. Celui qui aura déshonoré une jeune fille promise à un autre[77], s'il l'a persuadée et rendue consentante à la faute, mourra avec elle, car ils sont également coupables tous les deux, lui pour avoir persuadé la jeune fille de subir volontairement la pire des hontes et de la préférer à un mariage honnête, elle, pour avoir consenti à s'offrir par plaisir ou par cupidité à cet outrage. Mais s'il l'a rencontrée seule[78] et a abusé d'elle, sans qu'il y eut personne pour la secourir, il mourra seul. Celui qui déshonore une vierge qui n'est pas encore promise[79] devra l'épouser lui-même ; mais s'il ne plaît pas au père de la jeune fille qu'elle vive avec lui, il aura à lui payer cinquante sicles en réparation de l'outrage[80]. Celui qui veut se séparer[81] de la femme qui habite avec lui pour un motif quelconque[82] — les hommes en ont souvent de ce genre —, devra certifier par écrit qu'il n'aura plus de relations avec elle. C'est ainsi que la femme acquerra la faculté d'aller vivre avec un autre ; car auparavant, on ne doit pas le lui permettre. Que si elle est maltraitée aussi chez cet autre ou qu'à sa mort le premier désire l'épouser, on ne lui permettra pas de retourner chez lui. Quand[83] une femme n'a pas d'enfants[84] à la mort de son mari, le frère de ce dernier doit l'épouser, et le fils qui naîtra, il l'appellera du nom du défunt, et l'élèvera comme héritier de son patrimoine ; un tel acte, en effet, sera avantageux même à la chose publique, les familles ne s'éteignant pas et la fortune restant aux parents ; et pour les femmes, ce sera un soulagement à leur infortune de vivre avec l'homme le plus proche de leur premier mari. Mais si le frère ne veut pas l'épouser, la femme viendra devant les Anciens et attestera que, tandis qu'elle désirait demeurer dans cette maison et avoir de lui des enfants, il a refusé de l'accueillir, faisant ainsi injure à la mémoire de son frère défunt. Et quand les Anciens lui demanderont pour quelle raison il se montre hostile à ce mariage, qu'il en allègue une futile ou une sérieuse, le résultat sera le même : la femme de son frère, après lui avoir défait ses sandales et lui avoir craché au visage, s'écriera qu'il mérite de subir ce traitement de sa part pour avoir outragé la mémoire du défunt. Et lui s'en ira alors du conseil des Anciens avec cet affront, qu'il gardera toute sa vie, tandis qu'elle pourra se remarier au prétendant qui lui plaira. Quand quelqu'un aura fait prisonnière[85] une vierge ou même une femme qui aurait déjà été mariée[86], s'il veut cohabiter avec elle, il ne pourra approcher sa couche et s'unir à elle avant que, les cheveux coupés, et vêtue d'habits de deuil, elle n'ait pleuré ses parents et ses amis morts dans le combat, afin qu'elle satisfasse au chagrin que lui cause leur perte, avant de se livrer aux festins et à la joie du mariage. Il est noble, en effet, et légitime que celui qui prend une femme pour en avoir des enfants défère à ses désirs, et il ne faut pas qu'en ne recherchant que son propre plaisir, il néglige ce qui peut être agréable à elle-même. Mais après trente jours passés dans le deuil — ce temps suffit aux gens raisonnables pour pleurer ceux qui leur sont le plus chers — elle peut alors accomplir le mariage. Que si, sa passion satisfaite, il dédaigne de la garder pour épouse, il n'aura plus la faculté d'en faire une esclave ; elle s'en ira où elle voudra, elle en a la liberté.

[65] Cf. C. Apion, II, § 200 et suiv. ; Deutéronome, XXII, 22.

[66] Cette disposition, pas plus que la suivante, n'est tirée de l'Écriture ; Josèphe parle simplement en moraliste, et d'après l'usage de son temps.

[67] Lévitique, XXI, 7.

[68] Cette défense ne s'applique, d'après la loi, qu'aux prêtres et Josèphe, chose singulière, en a déjà parlé auparavant (Antiquités, liv. III, XII, 2).

[69] Le Talmud (Kiddouschïn, 70 a) exprime une pensée analogue : « Quiconque épouse une femme par intérêt en aura des enfants indignes » ; cf. aussi Yebamot, 63 b.

[70] Deutéronome, XXII, 13.

[71] L'Écriture dit « son père et sa mère ».

[72] Deutéronome, XXV, 3.

[73] Cent pièces d'argent selon l'Écriture ; mais la Halacha (Ketoubôt, 45 b) précise et parle de 100 sélas or le séla est un demi-sicle (cf. Zuckermann, op. cit., p.24).

[74] Josèphe est ici contraire à la Halacha (Sanhédrin, 50 b), qui établit qu'une fille de prêtre n'est condamnée à être brûlée que si elle manqué à ses devoirs une fois mariée : avant le mariage, elle subit la loi commune. Quant au supplice même, selon la Mishna de Sanhédrin, VII, 2, la coupable n'était pas « brûlée vive » ; on lui versait du plomb fondu dans la bouche. R. Eliezer ben Zadok (Ier siècle de l'ère chrétienne) rapporte à la fin de ce texte qu'un jour on érigea un bûcher pour brûler une fille de prêtre ; mais le tribunal n'aurait agi alors que par méconnaissance de la loi.

[75] Deutéronome, XXI, 15.

[76] Ce principe n'apparaît dans le Pentateuque qu'à ce propos.

[77] Deutéronome, XXII, 23 ; cf. C. Apion, II, § 215.

[78] Ibid., 25.

[79] Ibid., 28.

[80] La Halacha (Sifré, 118 b ; Ketoubot, 39 b) décide également que l'amende est payée au cas seulement où le mariage ne s'effectue pas. Cf. Philon, II, 312 ; Ritter, op. cit., p. 85 sqq.

[81] Deutéronome, XXIV, 1.

[82] C'est l'opinion de Hillel (Ier siècle av. J.-C.) dans la fameuse discussion qu'il soutient avec Schammaï à propos du divorce (Guittin, 90 a), discussion provoquée par les mots du verset. Schammaï en déduit qu'il faut l'inconduite de la femme pour que le mari puisse la répudier ; Hillel l'y autorise même pour un motif insignifiant. Il semble que cette dernière opinion ait prévalu d'après Antiquités, XVI, § 198 ; Vita, § 426 ; cf. Marc, X, 2 ; Luc, XVIII, 29 ; Matthieu, XIX, 4.

[83] Deutéronome, XXV, 5.

[84] L'Écriture dit seulement « pas de fils » ; Josèphe est conforme à la tradition (Baba Batra, 109 a) ; on a remarqué que Philon ne parlait pas de la loi du lévirat.

[85] Deutéronome, XXI, 10.

[86] Le texte de l'Écriture n’a pas cette précision ; mais la tradition (Sifré, 112 b, 113 a ; Kiddouchin, 22 b) permet également au vainqueur d'épouser une captive antérieurement mariée (à un païen, s'entend) sous les conditions prescrites, préférant réglementer ainsi des licences qu’une loi restrictive ne ferait que favoriser. Philon (II, p. 393) ne parle que d'une union avec une vierge.

Lois sur la rébellion des enfants.

24.[87] Les jeunes gens qui mépriseront leurs parents et ne leur témoigneront pas d'égards, qu'ils leur aient fait outrage soit par impudence (?), soit par irréflexion[88], d'abord leurs parents les réprimanderont par de simples paroles[89], car ils ont autorité de juges sur leurs enfants[90], en leur disant que le but de l'union conjugale n'est pas le plaisir, ni l'accroissement de la fortune, par la mise en commun de ce qu'ont les époux de part et d'autre, mais c'est d'avoir des enfants qui prennent soin des parents dans leur vieillesse et qui reçoivent d'eux tout ce dont ils ont besoin. « Quand tu es né, diront-ils, nous t'avons pris, remplis de joie et de reconnaissance envers Dieu, et nous avons mis nos soins à t'élever, sans rien épargner de ce qui paraissait utile à ta santé et à ta parfaite éducation. Maintenant — puisqu'il faut accorder de l'indulgence aux fautes des jeunes gens —, cesse-là tes manques d'égard envers nous et reviens à une plus sage conduite, en réfléchissant que Dieu lui-même s'irrite des témérités commises contre un père, car il est lui-même le père de toute la race des hommes et paraît partager le sentiment de l'injure avec ceux qui ont le même titre que lui, quand ils n'obtiennent pas de leurs enfants la déférence qui leur est due. Et la loi réprime ces fautes inexorablement ; n'aie pas à en faire l'expérience ». Si par ce moyen se corrige la présomption des jeunes gens, on leur épargnera tout autre reproche pour leur péché d'ignorance ; car ainsi le législateur fera preuve de bonté et les parents seront heureux de ne point livrer un fils ou une fille[91] au châtiment. Mais celui à qui ces paroles, avec la leçon de bienséance qu'elles renferment, paraîtront ne point produire d'effet et qui se fera d'implacables ennemies des lois par ses incessantes audaces à l'égard de ses parents, conduit par eux-mêmes hors de la ville avec la foule derrière eux, il sera lapidé[92], et, après être demeuré toute la journée exposé à tous regards, il sera enseveli pendant la nuit[93]. Il en sera ainsi de tous ceux, en général, que les lois auront condamnés à mort[94]. On ensevelira aussi les ennemis ; et pas un cadavre ne restera sans sépulture, car il subirait plus que sa juste peine.

[87] Deutéronome, XXX, 18 ; cf. C. Apion, II, § 217.

[88] Texte altéré. D'après la Halacha, il faut que l'enfant se soit adonné à des excès de nourriture et de boisson pour être déclaré ben sorer oumoré, c'est-à-dire rebelle (Sanhédrin, VIII, 2).

[89] Le texte hébreu dit « ils le châtieront ». D'après la tradition, l'enfant insoumis subit d'abord une flagellation devant un tribunal de trois personnes (ibid., 5).

[90] Cf. Philon (De par. col., éd. Richter, p. 53).

[91] D'après la tradition, la loi ne s’applique qu'aux fils (Sifré, 114 a).

[92] La Mishna (Sanhédrin, VIII, 5) exige un jugement du tribunal de 23 membres, dont doivent faire partie les trois personnes qui ont infligé la première punition (flagellation).

[93] Voir plus haut chap. VIII, 6 la note.

[94] Deutéronome, XXI, 22.

Le prêt à intérêt.

25.[95] On n'aura le droit de prêter à intérêt à aucun Hébreu, ni aliment, ni boisson ; car il n'est pas juste de tirer un revenu de l'infortune d'un compatriote ; mais il faut, en secourant sa détresse, considérer comme un profit la reconnaissance de cet homme et la rémunération que Dieu réserve à cet acte de générosité.

[95] Exode, XXII, 24 ; Lévitique, XXV, 36 ; Deutéronome, XXIII, 20.

La restitution des gages.

26.[96] Ceux qui auront emprunté soit de l'argent, soit des fruits, liquides ou solides, si leurs affaires, grâce à Dieu, marchent à souhait, ils viendront les rendre avec joie à leurs prêteurs, comme s'ils les avaient reçus en dépôt pour mettre avec leur propre bien à charge de les rapporter le jour où l'on en aurait besoin. Mais s'ils négligent impudemment cette restitution, on ne pourra pénétrer dans leur maison[97] pour y saisir un gage avant qu'un jugement n'intervienne à ce sujet, et l'on réclamera le gage du dehors ; et le débiteur l'apportera de lui-même sans rien opposer à celui qui vient contre lui avec le secours de la loi. Si celui à qui on a pris le gage est riche, le prêteur en restera nanti jusqu'à la restitution ; mais s'il est pauvre[98], le prêteur devra le rendre avant le coucher du soleil, surtout si le gage consiste en un manteau, afin qu'il l'ait pour dormir, Dieu accordant naturellement sa pitié aux pauvres. Mais une meule[99] et tous les ustensiles qu'elle comporte, on n'aura pas le droit de les saisir pour gage, afin que les pauvres ne soient pas privés même de leur gagne-pain[100] et que leur indigence ne leur fasse pas souffrir les pires misères.

[96] Exode, XXII, 25.

[97] Deutéronome, XXIV, 10.

[98] Ibid., 12.

[99] Ibid., 6.

[100] La Bible dit : « car c'est la vie qu'il prend en gage ». En parlant de gagne-pain, Josèphe étend la loi implicitement à tout ce qui fait vivre ; cf. Sifré, 123 a ; Baba Mecia, 115 a (Mishna). Philon, II, 333, dit « les instruments de la vie ».

Lois sur le vol.

27.[101] Celui qui volera un homme sera puni de mort[102]. Quiconque aura dérobé de l'or ou de l'argent en payera le double. Celui qui aura tué un voleur avec effraction ne sera pas puni. Même s'il l'a trouvé encore occupé à percer son mur[103]. Celui qui aura volé[104] une tête de bétail[105] en payera quatre fois le prix comme amende[106], sauf s'il s'agit d'un bœuf ; en ce cas, il en payera cinq fois la valeur. Celui qui n’aura pas le moyen de payer l'amende infligée deviendra l'esclave de ceux qui l'ont fait condamner[107].

[101] Exode, XXI, 16 ; XXII, 1.

[102] Josèphe ne dit pas qu'il y ait de différence entre le vol d'un Israélite ordinaire (crime puni de mort) et le vol d'un enfant ou d'un esclave, distinction qu'on trouve dans la Mishna de Sanhédrin (X, 3) et dans Philon, II, M., p. 338.

[103] Josèphe ne parle pas du cas prévu par Exode, XXII, 3, « Si le soleil luit sur le voleur, etc. », expression que la Halacha (Sanhédrin, 72 a, fin) prend au figuré comme le Pseudo-Jonathan en l'expliquant ainsi « S'il est clair comme la lumière du jour que cet homme n'avait point d'intentions criminelles contre toi, épargne sa vie », et que Philon explique à la lettre (II, p. 336).

[104] Exode, XXII, 1.

[105] Un agneau ou un chevreau () selon l'Écriture. Les LXX sont plus précis que Josèphe.

[106] Josèphe oublie de dire que cette amende quadruple ou quintuple n'est exigible que si le voleur a immolé ou vendu la bête en question.

[107] Cf. Antiquités, liv. XVI, I, 1. Philon dit la même chose, II, M., p. 336, ainsi que la Halacha (Mechilta sur Exode, XXI, 1). La Bible ne parle de vendre le voleur insolvable qu'à propos du cas d'effraction (Exode, XXII, 3).

Lois sur l'esclavage.

28.[108] Un hébreu vendu à un autre hébreu le servira pendant six ans ; la septième année on le laissera libre. Mais si, ayant eu des enfants d'une esclave chez celui qui l'a acheté, il désire continuer à le servir à cause de la bonté et de l'affection qu'il porte aux siens, vienne l'année du jubilé — qui revient tous les cinquante ans —, il sera mis en liberté et emmènera ses enfants et sa femme également libres.

[108] Exode, XXI, 2 ; Deutéronome, XV, 12. Josèphe omet de parler de la pratique du poinçon avec lequel on marquait à l'oreille l'esclave qui ne voulait pas quitter son maître au bout des six années (Exode, XXI, 6 ; Deutéronome, XV, 17).

La restitution des objets trouvés.

29.[109] Si l'on trouve de l'or ou de l'argent en chemin, après avoir cherché celui qui l'a perdu et fait proclamer l'endroit où on l'a trouvé[110], on devra le restituer en estimant que le profil tiré de la perte d'autrui n'est pas honnête. Il en est de même des bêtes qu'on rencontrera errant dans un endroit solitaire ; si le maître n'en est pas trouvé sur-le-champ, on devra les garder chez soi, en prenant Dieu à témoin qu'on ne détourne pas le bien d'autrui.

[109] Deutéronome, XXII, 1.

[110] Cet usage n'est pas indiqué dans l'Écriture, mais on voit par le Talmud qu'il était pratiqué (Baba Meçia, 28 b ; Taanit, 19 a). Il y avait même une pierre à Jérusalem où se rendaient celui qui avait trouve un objet et celui qui l'avait perdu ; l'un faisait sa déclaration, l'autre décrivait l'objet.

Assistance aux bêtes en détresse.

30.[111] Il n'est pas permis de passer outre quand des bêtes de somme, maltraitées par la tempête, sont tombées dans la boue ; il faut aider le maître à les secourir et lui prêter son appui comme si on travaillait pour soi.

[111] Deutéronome, XXIX, 4.

Obligation de renseigner les personnes égarées.

31.[112] Il faut indiquer le chemin à qui l'ignore et éviter, pour le plaisir de rire soi-même, de léser les intérêts d'autrui[113] en l'induisant en erreur.

[112] Lévitique, XIX, 14 ; Deutéronome, XXVII, 18.

[113] Ce précepte est une interprétation très large des deux versets de la Bible cités : on dirait que Josèphe a voulu réfuter d'avance ceux qui, avec Juvénal, accusaient la loi mosaïque d'interdire aux Juifs de montrer le chemin à d'autres qu'à leurs coreligionnaires (Juvénal, XIV, 103) : Non monstrare vias eadem nisi sacra colenti. [T. R.]

Défense de médire des sourds et des muets.

32. Pareillement il ne faut pas se moquer d'un muet ou d'un idiot.

Lois sur les rixes.

33.[114] Dans une rixe où l'on n'a pas employé de fer, si quelqu'un est frappé, meurt-il sur-le-champ, il sera vengé par la mise à mort de son meurtrier. Mais si, transporté chez lui, il reste malade pendant quelques jours avant de mourir, l'homme qui l'a frappé ne sera pas puni[115]. S'il recouvre la santé et qu'il ait beaucoup dépensé pour sa guérison, l'autre devra payer tous les frais qu'il aura eus durant le temps où il est resté alité et tout ce qu'il aura donné aux médecins[116]. Celui qui aura donné un coup de pied à une femme enceinte[117], si la femme avorte, sera condamné par les juges à une amende, pour avoir, en détruisant le fruit de ses entrailles, diminué la population, et il payera aussi une amende[118] au mari de cette femme. Si elle meurt du coup[119], lui aussi mourra, car la loi trouve juste de réclamer vie pour vie.

[114] Exode, XXI, 18.

[115] Josèphe a confondu les dispositions des versets 18-19 d'une part et 20-21 de l'autre. La loi n'exempte de peine que le maître qui a frappé un esclave si celui-ci survit quelques jours aux coups. Elle ne dit rien de pareil pour le cas d'un homme libre [T. R.]

[116] Ces développements sont conformes à la Halacha (Mechilta, 89 b, 90 a), Philon (II, p. 317) s'en écarte.

[117] Exode, XXI, 22.

[118] D'après la Halacha (Mechilta, 90 a, et Pseudo-Jonathan, sur Exode, XXI, 22), le coupable n'a d'amende à payer qu'au mari c'est par erreur que Josèphe semble ici supposer deux amendes.

[119] Cette explication est celle de la Halacha et de presque tous les commentateurs. Philon, II, p. 317, entend par le mot ason le fœtus déjà tout formé ; de même les LXX.

Lois sur les poisons.

34. Les poisons mortels, ou ceux qu'on fabrique pour d'autres espèces de maléfice, aucun Israélite n'en possédera. Si l'on prend quelqu'un à en avoir, il mourra, subissant ainsi le sort qui menaçait ceux à qui le poison était destiné[120].

[120] Cette loi ne se trouve nulle part dans le Pentateuque. Le seul passage qui ait quelque rapport avec elle est celui d'Exode, XXII, 18 : « une sorcière, tu ne la laisseras pas vivre » (cf. Deutéronome, XVIII, 10, 13). Mais il n'est jamais question de poison. La tradition elle-même ne connaît que les meurtres commis directement (Sanhédrin, 76 b, 77 a). Une seule baraïta (Baba Kamma, 47 b, 56 a) envisage le cas où l'on aurait donné du poison, mais à une bête. Il est probable que Josèphe a emprunté cette loi à Philon (II, M., p. 315-317), mais en l'aggravant, car Philon ne dit pas que le simple recel de poison entraîne la peine capitale (cf. Ritter, op. cit., p. 28).

Lois sur l'estropiement.

35.[121] Quiconque aura estropié quelqu'un subira le même sort : on le privera de ce dont il a privé l'autre, à moins que l'estropié ne veuille accepter de l'argent[122] ; c'est à la victime que la loi laisse le droit d'évaluer le dommage qui lui est arrivé ; elle fait cette concession, au cas où il ne veut pas se montrer trop sévère.

[121] Exode, XXI, 24 ; Lévitique, XXIV, 19.

[122] C'est a peu près l'interprétation pharisienne de la loi dite du talion, qu'on trouve formulée dans l'Écriture : « œil pour œil, dent pour dent, etc. » La différence entre Josèphe et la tradition (Baba Kamma, 83 b), c'est que, selon celle-ci, il n'y a même pas d'alternative : la réparation ne saurait consister qu'en une amende et cette amende est fixée, non par l'individu lésé, mais par le tribunal compétent. Philon (voir Ritter, p. 20) semble prendre à la lettre la loi du talion : il adopterait donc la doctrine des Sadducéens, dont le code pénal était très rigoureux et conforme, sans doute, à la lettre même de la loi écrite. On sait que ce code fut abrogé sous le règne de la reine Salomé Alexandra (78-69 av. J.-C.) et qu'on fêta l'anniversaire de cette abrogation, le 14 Tammouz (v. Schol. Meguillat Taanit, IV).

Le bœuf heurteur.

36.[123] Quand un bœuf heurte avec ses cornes, son maître doit l'immoler[124]. Si dans une aire il tue quelqu'un en le heurtant, il sera tué lui-même par lapidation, et sa chair ne pourra même servir à la consommation ; mais quand le maître même sera convaincu d'avoir connu antérieurement ses instincts et de ne pas l'avoir surveillé, il mourra lui aussi[125], parce qu'il est dès lors responsable de la mort causée par le bœuf. Si c'est un esclave[126] ou une servante que le bœuf a tué, il sera lapidé et le propriétaire du bœuf payera trente sicles au maître de la victime. Si c'est un bœuf[127] a qui est tué d'un heurt de ce genre, on vendra et la bête morte et la bête qui a heurté, et les propriétaires se partageront la valeur des deux bêtes[128].

[123] Exode, XXI, 28.

[124] L'Écriture ne dit pas cela. D'après le verset 28 du ch. XXI. reproduit, d'ailleurs, par Josèphe, un bœuf heurteur n'est mis à mort qu'au cas où, insuffisamment surveillé, il aurait causé un malheur. Cependant, il y a une opinion talmudique qui ressemble à l'assertion de Josèphe. Dans la Mechilta (93 a) et dans Baba Kamma (45 b), R. Eliezer dit : « la meilleure surveillance, c'est un couteau » ; en d'autres termes, il vaut mieux immoler l'animal dangereux (cf. Josèphe). Les LXX paraissent avoir eu une tradition analogue, car ils traduisent les mots : « s'il ne le surveille pas » (v. 29) par « et qu'il ne l'ait pas l'ait disparaître ».

[125] Josèphe ne tient pas compte du verset 30 (ch. XXI) et parait en contradiction avec la Halacha (Mechilta, 93 a), qui déclare que le propriétaire du bœuf heurteur encourt seulement le châtiment céleste (Mita bidè schamaïm), les mots et son propriétaire mourra ne devant pas être pris à la lettre. Selon Philon (II, M., p. 323), c'est aux juges à déterminer s'il mourra ou devra payer une amende.

[126] Exode, XXI, 32.

[127] Ibid., 35.

[128] D'après le texte de la Bible, il semble qu'on ne partage que le prix du bœuf vivant et que le bœuf mort se partage en nature. Josèphe n'a pas tenu compte non plus du verset 36, qui dispose que, si le maître du bœuf heurteur est en faute, il livrera son animal au maître lésé en gardant pour lui le bœuf mort [T. R.]

Prescriptions concernant les puits et les terrasses.

37.[129] Quand on aura creusé un puits ou une citerne, on prendra soin, en posant des planches par dessus, de les tenir bien clos, non pas pour empêcher qu'on n'y puise de l'eau, mais pour éviter tout danger d'y choir. Si quelqu'un a une fosse de ce genre non close, et qu'une bête y tombe et y périsse, il en payera la valeur au propriétaire. On devra mettre autour des toits[130] une enceinte en forme de mur, pour empêcher qu'on ne fasse une chute mortelle[131].

[129] Exode, XXI, 33.

[130] Deutéronome, XXII, 8.

[131] Josèphe s'est peut-être inspiré ici de Philon (II, p. 324) en réunissant comme lui ces deux lois sur les puits et les terrasses des maisons, lesquelles ne se trouvent jointes ensemble ni dans l'Écriture ni dans la tradition (v. Ritter, p. 52).

Les dépôts ; défense de retenir les salaires.

38.[132] Quand on aura reçu un dépôt, on devra y veiller comme sur un objet sacré et divin, et nul n'aura l'audace d'en frustrer celui qui le lui aura commis, ni homme, ni femme, même s'il devait en retirer une grande quantité d'or avec l'assurance que nul ne viendra le confondre. Car le devoir absolu de chacun, c'est de bien faire, avec le sentiment de sa propre conscience, et, en se contentant de son propre témoignage, d'accomplir tout ce qui peut lui attirer les louanges d'autrui et de songer surtout à Dieu, à qui nul criminel n'échappe. Mais si, sans aucun acte frauduleux, le dépositaire perd le dépôt, il viendra devant les sept juges[133] attester Dieu qu'il n'a rien perdu de son propre gré et criminellement, qu'il n'en a pas pris la moindre parcelle pour son usage, et, ainsi disculpé, il se retirera. Mais s'il a usé de la moindre part de ce qu'on lui a confié et qu'il se trouve ensuite l'avoir perdu, il sera condamné à payer tout le reste de ce qu'il a reçu. De même qu'en cas de dépôt[134], si quelqu'un prive de son salaire ceux qui travaillent de leurs corps, qu'il soit exécré, car il ne faut pas priver de son salaire un homme pauvre, quand on sait qu'au lieu d'un champ ou d'autres possessions, c'est là tout ce que Dieu lui a dispensé. Bien plus, il n'en faut pas différer le payement, mais s'en acquitter le jour même, car Dieu ne veut pas qu'on prive le travailleur de jouir du fruit de son labeur.

[132] Exode, XXII, 6 ; cf. C. Apion, II, § 162.

[133] Voir plus haut chap. VIII, 14. La Halacha (Mechilta, 98 a) tire de cette loi sur les dépôts la règle que les affaires d'argent se traitent devant un tribunal de trois juges, ou de cinq, selon l'opinion dissidente de B. Mëir. Nulle part il n'est question de sept juges.

[134] Cette disposition ressort du verset 10 (ch. XXII). Quant à la loi dans son ensemble, Josèphe la résume sans précision. Il ne semble guère envisager que le cas du dépositaire bénévole (Schomer hinnam) ; la tradition tire des mêmes textes une foule de circonstances et de cas divers (dépositaire salarié, locataire, emprunteur ; v. Mechilta, p. 97 à 100). On trouve chez Philon (II, M., p. 340 sqq.) des développements analogues à ceux de Josèphe sur le caractère sacré du dépôt.

Responsabilité individuelle.

39.[135] On ne punira pas les enfants pour la faute des parents, mais eu égard à leur mérite propre... on doit plutôt leur témoigner de la pitié de ce qu'ils soient nés de parents pervers que de la haine pour l'indignité de leur extraction[136]. Mais il ne faut pas non plus compter aux pères le péché des fils, parce que les jeunes gens se permettent beaucoup d'infractions à notre discipline, dans leur dédain de se laisser instruire.

[135] Deutéronome, XXIV, 16.

[136] Le texte paraît profondément altéré.

Éloignement des eunuques et des castrats.

40.[137] Il faut éviter les eunuques et fuir tout commerce avec ceux qui se sont privés de leur virilité et du fruit de la génération que Dieu a donné aux hommes afin de multiplier notre espèce. Il faut les chasser comme des meurtriers d'enfants[138], et qui ont de plus anéanti en eux la faculté de les procréer. Il est clair, en effet, que c'est parce que leur âme s'est efféminée, que leur corps a comme changé de sexe. On traitera de même tout ce qui apparaîtra aux regards comme monstrueux. On ne fera point de castrats ni parmi les hommes, ni parmi les autres animaux[139].

[137] Deutéronome, XXIII, 2.

[138] Cette idée est exprimée également dans le Talmud, mais à propos du célibat des hommes. R. Eliezer dit (Yebamot, 63 a) : « Tout Juif qui ne se conforme pas au précepte : “Croissez et multipliez-vous” ressemble à un meurtrier » Cf. aussi Nidda, 13 a.

[139] Il est singulier que Strabon dans plusieurs textes (XIV, 2, 37 ; XVI, 4, 9 ; XVII, 2, 5) attribue, au contraire, aux Juifs cette pratique, appliquée, il est vrai, selon lui, aux femmes (cf. Textes relatifs au judaïsme, p. 102). Il est, d'ailleurs, peu croyable que la castration n'ait pas été permise à l'égard des espèces ovine et bovine. [T. R.]

Vœux de Moïse ; manière d'engager les guerres.

41. Telle sera pour vous en temps de paix la constitution légale de votre Etat, et Dieu dans sa bonté fera que l'harmonie n’en sera pas troublée. Qu'aucune époque n'y vienne rien changer en établissant le contraire à sa place. Mais comme nécessairement le genre humain est précipité dans des troubles et des périls soit involontaires, soit prémédités, il faut bien que sur ce sujet j'établisse encore quelques brèves ordonnances, pour que, prévenus de la conduite à observer, vous ayez, quand il le faudra, tous les moyens de vous sauver, et pour éviter, qu'à ces moments, en cherchant quelle conduite suivre, vous ne tombiez désarmés à la merci des circonstances.

Cette contrée que vous avez reçue de Dieu, insoucieux des fatigues et l'âme formée au courage puisse-t-il en rendre l'occupation paisible à ses conquérants, sans que des étrangers marchent contre elle pour la dévaster, et sans que vous soyez aux prises avec les discordes intestines, qui vous entraîneraient à une conduite opposée celle de vos pères et à détruire les institutions qu'ils ont établies. Puissiez-vous observer sans cesse les lois que Dieu vous transmet après en avoir éprouvé la bonté. Mais s'il advient que vous ayez une guerre à entreprendre, soit vous actuellement, soit plus tard vos enfants, puisse cette guerre se faire hors de vos frontières. Quand vous serez sur le point de guerroyer[140], envoyez une ambassade et des hérauts aux ennemis qui prennent l'offensive ; car, avant de prendre les armes, il est bon d'entrer en pourparlers avec eux, de leur représenter que, bien que munis d’une grande armée, de cavaliers et d'armes, et avant tout forts de la bienveillance de Dieu et de son appui, vous aimez mieux cependant ne pas être contraints de leur faire la guerre et, en leur enlevant leurs biens, tirer d'eux encore un profit involontaire. S'ils se laissent convaincre, il convient que vous respectiez la paix ; mais si, confiants de leur supériorité, ils prétendent vous nuire, conduisez une armée contre eux en prenant Dieu pour chef suprême, et en élisant pour commander sous lui l'homme que ses mérites auront distingué ; car la pluralité des chefs, outre qu'elle est un obstacle à ceux qui ont à agir avec promptitude, est de nature à nuire même à ceux qui la pratiquent. Il faut conduire une armée choisie[141], faite de tous ceux qui se distinguent par leur vigueur corporelle et la hardiesse de leur âme, en rejeter l'élément lâche, de peur qu'en pleine affaire il ne se mette à fuir à l'avantage des ennemis. Et tous ceux qui viennent d’inaugurer[142] une maison, et qui n'ont pu en jouir encore pendant la durée d'un an, ceux qui ont planté sans avoir encore recueilli de fruits, il faut les laisser au pays, ainsi que les fiancés et les jeunes mariés[143], de peur que le regret de tout cela, en leur faisant ménager leur vie et se garder eux-mêmes pour en jouir encore, ne les amène à se laisser battre volontairement.

[140] Deutéronome, XX, 10.

[141] Ibid., 3.

[142] Ibid., 5.

[143] Ibid., XXIV, 5.

Sièges et représailles.

42.[144] Quand vous établirez votre camp, veillez à ne rien commettre de trop odieux. Pendant le siège d'une ville, si vous êtes en peine de bois pour la fabrication de vos machines, ne tondez pas le sol en coupant les arbres domestiques ; épargnez-les, au contraire, en songeant que c'est pour rendre service aux hommes qu'ils sont créés et que, s'ils étaient doués de la voix, ils plaideraient leur cause auprès de vous, et diraient qu'ils ne sont point responsables de la guerre, qu’on les maltraite indûment et que, s'ils en avaient le pouvoir, ils émigreraient et passeraient dans un autre pays. Après avoir gagné la bataille, tuez ceux qui vous ont résisté[145] ; les autres, laissez-les en vie pour qu'ils vous payent tribut, excepté le peuple des Chananéens ; ceux-là, il faut les anéantir entièrement[146].

[144] Ibid., XX, 19.

[145] Josèphe laisse de côté les prescriptions relatives aux Ammonites, Moabites, Iduméens ou Égyptiens (Deutéronome, XXIII, 4-10).

[146] Deutéronome, XX, 13.

Décence dans le costume.

43.[147] Prenez garde, surtout pendant la guerre[148], qu'aucune femme ne prenne de vêtement d'homme, et qu'aucun homme ne s'habille en femme.

[147] Ibid., XXII, 5.

[148] Ces mots ne sont pas dans l'Écriture ; mais ils rappellent une opinion rabbinique (Mechilta, p. 115 b ; Nazir, 59 a) : R. Eliezer ben Yakob (Ier siècle de l'ère chrétienne) se demande d'où vient qu'une femme ne doit pas porter d'armes, ni aller à la guerre ; il trouve le fondement de cet usage dans les mots : « Une femme ne portera point d'attirail viril », le mot keli pouvant signifier des armes aussi bien que des vêtements.

Remise par Moïse des lois et des écrits saints ; bénédictions et malédictions.

44. Telle est la constitution que Moïse laissa ; il transmit aussi les lois qu'il avait écrites quarante ans auparavant et dont nous parlerons dans un autre livre[149]. Les jours suivants[150] — car on tenait continuellement assemblée —, il leur adresse des bénédictions et prononce des malédictions contre ceux qui ne vivraient pas selon les lois, mais transgresseraient les prescriptions qu'elles renferment.

[149] Voir Antiquités, Liv. III, VIII, 10, et note.

[150] Deutéronome, XXVIII, 1-68.

Ensuite il leur lut un poème en vers hexamètres[151] qu'il a laissé dans le livre saint, et qui contient une prédiction des événements futurs selon laquelle tout s'est réalisé et se réalise encore, car il n'a rien dit qui ne soit conforme à la vérité. Tous ces livres, il les remet aux prêtres[152] ainsi que l'arche où il avait placé aussi les dix paroles gravées sur deux tables, et le tabernacle. Et il recommande au peuple[153], une fois qu'il se sera emparé du pays et qu'il s'y sera installé, de ne pas oublier l'injure des Amalécites et de diriger une expédition contre eux pour tirer vengeance du mal qu'ils leur avaient fait quand ils se trouvaient dans le désert. Après avoir conquis de vive force le pays des Chananéens[154] et détruit toute sa population comme il convenait, ils érigeront l'autel en le tournant du côté du soleil levant non loin de la ville des Sichémites (Sikimites) entre deux monts[155], le Garizéen à droite et celui qu'on appelle Gibalon à gauche, et l'armée, divisée en deux portions de six tribus chaque, se portera sur ces deux monts et avec eux les Lévites et les prêtres. Et tout d'abord, ceux qui seront sur le mont Garizim feront les souhaits les plus heureux pour ceux qui marqueront du zèle dans le culte de Dieu et l'observation des lois et qui ne rejetteront pas les prescriptions de Moïse ; puis les autres tribus leur répondront par des murmures favorables, et quand celles-là feront des vœux à leur tour, les premières approuveront. Ensuite, dans le même ordre, elles lanceront des malédictions contre ceux qui transgresseront les lois, en s'acclamant mutuellement pour sanctionner leurs paroles. Il mit lui-même par écrit les bénédictions et les malédictions, de manière que jamais le temps n'en abolit l'enseignement, et il finit par les inscrire sur l'autel de chaque côté, et ordonna que le peuple (à cette occasion) s'en approcher pour y offrir des sacrifices et des holocaustes, mais après ce jour-là de ne plus y apporter aucune victime, car ce n'était pas conforme à la loi[156]. Voilà ce que Moïse institua et la nation des Hébreux continue d'agir conformément à ces préceptes.

[151] Ibid., XXXI, 30 - XXXII, 1-42. Cf. Antiquités, II. Il serait téméraire de conclure de cet anachronisme que Josèphe connaissait des traductions en hexamètres grecs de ces passages poétiques.

[152] Deutéronome, XXXI, 9.

[153] Ibid., XXV, 17.

[154] Ibid., XXVII, 1, 4 ; Josué, VIII, 30.

[155] Deutéronome, XXVII, 12.

[156] D'après Josèphe, Moïse inscrit lui-même les bénédictions et malédictions sur l'autel. D'après l'Écriture (Deutéronome, XXVII, 3), c'est le peuple qui doit graver, non ses paroles, mais les lois sur l'autel de l'Ebal. On peut soupçonner que le texte est altéré. Quant aux sacrifices et holocaustes, ils sont bien mentionnés (Josué, VIII, 31 et Deutéronome, XXVII, 7), mais il n'est nullement question d'une interdiction de sacrifices futurs ; cette interdiction n'aurait pas eu de raison d'être, puisque le temple n'était pas encore bâti. Josèphe est ici plus loyaliste que la loi. [T. H.]

Exhortation au peuple.

45.[157] Le lendemain, après avoir convoqué le peuple, y compris les femmes et les enfants, à une assemblée où il voulut même que les esclaves fussent présents, il leur fit jurer d'avoir toujours le respect des lois, et, en se rendant compte exactement de la pensée divine, de ne jamais les transgresser, ni en faisant des concessions illicites en faveur de la parenté, ni en cédant à la crainte, ni en s'imaginant qu'une autre raison quelconque pût être plus impérieuse que le respect des lois ; que si quelqu'un[158] de leur sang ou même une ville tentait de bouleverser et de dissoudre les institutions de leur État, il faudrait les combattre d'un commun accord et chacun pour son compte, et, une fois vainqueurs, les exterminer complètement et ne pas laisser même de vestige de leur égarement, s'il était possible ; mais s'ils n'étaient pas assez forts pour leur infliger une punition, ils témoigneraient par leur résistance même que tout s'était passé sans leur aveu[159].

[157] Deutéronome, XXIX, 1.

[158] Ibid., XIII, 7, 13.

[159] Ces derniers mots, qui ne correspondent à rien dans la Bible, paraissent incompréhensibles [T. R.]

Prédictions de Moïse ; sa fin.

46[160]. Le peuple prêta serment et il leur enseigna comment leurs sacrifices seraient le plus agréables à Dieu et comment les troupes se mettraient en campagne en consultant les pierres, comme je l'ai indiqué précédemment[161]. Et Josué prophétisa aussi en présence de Moïse. Puis énumérant[162] tous les efforts qu'il avait faits pour le salut du peuple dans la guerre et dans la paix, en composant des lois et en donnant une constitution bien ordonnée, Moïse prédit, selon ce que lui inspirait la divinité, que, s'ils violaient son culte, ils éprouveraient des malheurs, comme l'envahissement de leur pays par les armes ennemies et la destruction de leurs villes et l'embrasement du temple ; qu'ils seraient vendus comme esclaves à des gens qui n'auraient nulle pitié de leurs infortunes, et que leur repentir ne leur servirait à rien dans ces souffrances. « Dieu, cependant, dit-il, qui a fondé votre empire, rendra les villes à leurs habitants ainsi que le temple[163]. Mais il arrivera qu'ils les perdront non pas une fois, mais bien souvent ».

[160] Nombres, XXVIII, 1.

[161] Antiquités, liv. III, VIII, 9.

[162] Deutéronome, XXVIII, passim ; XXX, 17.

[163] Josèphe a ajouté la conclusion renfermée dans ce dernier paragraphe, et qui échappait nécessairement au rédacteur du Deutéronome. [T. R.]

Ses dernières paroles.

47.[164] Après avoir exhorté Josué à conduire une expédition contre les Chananéens, Dieu devant l'assister dans ses entreprises, et après avoir adressé de bonnes paroles à tout le peuple : « Comme, dit-il, je m'en vais retrouver nos ancêtres et que c'est aujourd'hui que Dieu a décidé que je les rejoindrai, encore vivant et à vos côtés je déclare[165] que je lui sais gré de la vigilance qu'il vous a témoignée non seulement en vous délivrant de vos maux, mais en vous comblant des plus grands bienfaits, et puis de ce que, dans mes efforts et dans toutes les préoccupations où me jetait le souci d'améliorer votre condition, il m'a prêté assistance, et s'est montré propice à vous tous. Que dis-je ? c'était plutôt lui qui vous prenait sous sa direction et vous donnait le succès ; je ne lui servais que de subalterne et de ministre des bienfaits dont il voulait favoriser notre nation. En retour, j'ai pensé qu'il convenait, en m'en allant, d'exalter la puissance de Dieu qui prendra encore soin de vous dans l'avenir, en lui témoignant moi-même cette reconnaissance qui lui est due, et en laissant dans votre souvenir la pensée qu'il vous appartient de le vénérer et de l'honorer et d'observer les lois, ce don le plus précieux de tout ce qu'il vous a accordé et de ce que, dans sa permanente bonté, il vous accordera encore ; car si c’est déjà un terrible ennemi qu'un législateur humain quand ses lois sont violées et demeurent sans effet, lorsqu'il s'agit de Dieu, prenez garde d'éprouver son indignation pour ses lois négligées, ces lois qu'il a créées et vous a données lui-même. »

[164] Deutéronome, XXXI, 7.

[165] Ibid., XXXII, passim.

Émotion du peuple.

48.[166] Quand Moïse eut ainsi parlé au terme de sa vie et, au milieu de bénédictions, prophétisé l'avenir de chacune des tribus, la foule fondit en larmes, si bien que les femmes même, se frappant la poitrine, manifestaient la douleur que leur causait sa mort prochaine. Et les enfants, plus éplorés encore, car ils étaient trop faibles pour surmonter leur chagrin, témoignaient qu'ils avaient conscience, plus qu'on ne fait à leur âge, de ses vertus et de la grandeur de son œuvre. Quant aux jeunes gens et aux hommes d'un âge avancé, qui réfléchissaient, c'était à qui s'affligerait davantage. Les uns, sachant de quel guide ils étaient privés, se lamentaient, en songeant à l'avenir ; pour les autres, outre ce motif-là, ce qui les affligeait, c'est que, avant d'avoir pu apprécier convenablement ses mérites, ils allaient être abandonnés par lui. Cette extraordinaire explosion de pleurs et de gémissements parmi le peuple, on en trouverait un témoignage dans ce qui advint au législateur. Lui qui, de tout temps, avait eu la conviction qu'il ne fallait pas s'attrister quand approchait la fin, parce qu'on subissait ce sort selon la volonté de Dieu et la loi de la nature, cependant la conduite du peuple lui arracha des larmes. Tandis qu'il s'avançait vers l'endroit d'où il allait disparaître[167], tout le monde le suivait en larmes. Moïse, d'un signe de la main, ordonnait à ceux qui étaient loin de demeurer en repos, et exhortait ceux qui étaient plus près de lui, leur disant de ne pas lui faire un départ plein de larmes en suivant ses pas. Ceux-ci, se décidant à lui céder encore sur ce point, à lui permettre de quitter la vie à sa guise, s'arrêtent en pleurant ensemble. Seuls les Anciens l'accompagnèrent ainsi qu'Éléazar, le grand-prêtre, et Josué, le chef de l'armée. Mais lorsqu'il arriva sur la montagne qu'on appelle Abaris[168] — c'est une hauteur située en face de Jéricho, qui permet d'apercevoir, quand on l'a gravie, la plus belle contrée des Chananéens sur une large étendue —, il congédia les Anciens. Et pendant qu'il embrasse Éléazar et Josué et qu'il s'entretient encore avec eux[169], une nuée soudain s'étant posée sur lui, il disparaît dans un ravin[170]. Mais il a écrit lui-même dans les Livres saints qu'il était mort[171], de crainte que, par excès d'affection pour lui, on n'osât prétendre qu'il était allé rejoindre la divinité.

[166] Deutéronome, XXXIII, 1.

[167] Ibid., XXXIV, 1.

[168] En hébreu : Abarim. Josèphe ne mentionne pas le mont Nebo, qui est donné (Deutéronome, XXXIV, 1) comme l'endroit précis où Moïse mourut.

[169] Deutéronome, XXXIV, 5.

[170] Le verset dit : « Et il l'enterra dans la vallée ». Le mot Gaï est considéré par les LXX comme un nom propre. Josèphe semble ne pas l'avoir traduit comme tel.

[171] La tradition discute la question de savoir si Moïse a écrit ou non le récit de sa mort, alors que tout le reste du Pentateuque est de sa main. Dans le Sifré sur Deutéronome, XXXIV, 5, l'un des opinants (anonyme) dit que les huit derniers versets du Deutéronome ont été écrits par Josué ; H. Méir (Tanna du IIe siècle) pense, au contraire, en se fondant sur Deutéronome, XXXI, 24, que Moïse écrivit toute la Tora sous la dictée de Dieu, y compris le récit de sa mort, comme Baruch écrivit sous la dictée de Jérémie (Jérémie, XXXVI, 4). Dans la célèbre baraïta de Baba Batra, 15 a (Menahot, 30 a), R. Juda ou, selon une autre version, R. Néhémia (fin du IIe siècle) déclare que les huit derniers versets du Deutéronome sont de Josué ; mais R, Siméon ben Yohaï, réplique : « Est-il possible qu'il manquât une lettre à la Tora ? Moïse a tout écrit sous la dictée de Dieu, même le récit de sa mort, qu'il a écrit en pleurant ». L'opinion de Josèphe, abstraction faite de son caractère rationaliste, rappelle, comme on voit, cette tradition, retenue par R. Méir et plus tard par R. Siméon ben Yohaï, à savoir que le Pentateuque était intégralement l’œuvre de Moïse. Philon dit aussi que Moïse a écrit prophétiquement le récit de sa mort (De vita Mos., III, 39).

Éloge de Moïse.

49.[172] Il vécut en tout cent vingt ans ; il fut au pouvoir pendant tout le dernier tiers de sa vie, à un mois près. Il mourut dans le dernier mois de l'année, celui que les Macédoniens appellent Dystros, et nous Adar[173], à la néoménie, après avoir surpassé par son intelligence tout ce qu'il y a jamais eu d'hommes, et fait un usage excellent du fruit de ses méditations. Il sut plaire au peuple dans ses discours et ses entretiens avec lui par bien des qualités, et notamment parce qu'il était si maître de ses passions, qu’il semblait qu'il n'y avait place pour aucune d'elles en son âme, et qu'il n'en connût le nom que parce qu'il les apercevait chez les autres plutôt que chez lui. Ce fut un chef d'armée comme il y en eut peu, et un prophète comme il n'y en eut pas d'autre, et tel que dans tout ce qu'il disait on croyait entendre parler Dieu lui-même. Le peuple le pleura pendant trente jours et aucun deuil n'accabla les Hébreux aussi fortement que celui qui suivit la mort de Moïse. Il ne fut pas seulement regretté de ceux qui l'avait connu à l'épreuve, mais tous ceux qui prenaient connaissance de ses lois ont ressenti de vifs regrets de lui, parce qu'elles leur faisaient concevoir toute l'excellence de ses vertus.

[172] Deutéronome, XXXIV, 7.

[173] La tradition date également la mort de Moïse du mois d'Adar, mais du 7 de ce mois (Kiddouschin, 38 a ; Meguilla, 13 b).

Voilà ce que nous avons cru devoir relater touchant la fin de Moïse.

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