La rhétorique dit bien comment il faut disposer, de même qu’elle dit comment il faut inventer, ou plutôt de même qu’elle règle nos inventions ; mais on ne peut pas dire, pour cela, qu’elle apprenne à disposer. C’est une erreur trop commune. – En toutes choses, la rhétorique n’apprend guère qu’à bien user des ressources qu’on est supposé avoir d’avance et qu’on trouve ailleurs.
Elle n’offre ses conseils, et elle n’en peut donner d’utiles qu’à celui qui a l’esprit juste, le cœur ouvert, qui a formé sa raison dans l’étude de la logique et qui l’a enrichie dans celle de la philosophiew.
w – [Cicéron recommande la philosophie moins pour ce qu’elle renferme et ce qu’elle donne que parce qu’elle est une gymnastique pour l’esprit] Elle fait davantage.
L’éloquence plonge par une multitude de racines dans la science et dans la vie.
À voir la disposition de la plupart des sermons qu’on entend, disposition à l’ordinaire exacte et légitime, on peut croire que ce n’est pas un grand mystère que la disposition, et que le bon sens et un peu d’usage y suffisent.
Mais tous n’en sont pas quittes pour si peu ; et c’est une chose remarquable que cette aptitude paraît manquer à ceux qui ont à la fois trop et trop peu d’idées ; c’est au-dessus et au-dessous, avec un esprit suffisamment juste, qu’on réussit mieux. Avec très peu ou beaucoup d’idées on a des dispositions claires. Mais cette clarté est profonde chez les uns, superficielle chez les autres ; cet ordre est chez les uns plus extérieur, plus intérieur chez les autres ; il a de la force, il a de la vertu chez les premiers, il n’en a point chez les seconds ; il est éloquent ou il ne l’est pas, car le génie oratoire se déploie dans la disposition.
Or, il ne s’agit pas de bien faire seulement, mais de faire mieux, et l’on ne fait réellement bien que quand on cherche à faire mieux. La disposition peut être plus ou moins philosophique, plus ou moins oratoire ; le discours, plus ou moins compact, fait de pièces de rapport ou coulé en bronze, criant aux articulations ou jouant avec grâce et facilité, interrompu par ce qui devait le joindre ou joint par ce qui semblait le séparer, continu ou tout en reprises.
Pour arriver au mieux possible, il faut plus et mieux que l’exercice et l’usage ; l’exercice doit être accompagné de la méditation et la provoquer ; il faut se rendre compte des procédés qu’on emploie, noter ses fautes, les mettre à profit, interroger sa conscience intellectuelle. Je dirai à ceux qui ont du temps : Ne vous piquez point d’une folle vitesse ; refaites après avoir fait, ne regardez à l’ordinaire une première façon que comme un premier essai de vos forces, et un dégrossissement de la matière donnée. Plus tard, dans la vie active et d’application hâtée, on aura beau vous dire :
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous pressex ;
x – Boileau, L’Art poétique, chant I
car l’ordre qui vous pressera ne comporte pas de loisir, et il vous faudra bien remplacer la durée du travail par son intensité. Mais dans le temps des études et des préparations, et aussi longtemps que vous le pourrez, travaillez en artistes ; le tour de l’homme pratique viendra. Voyez comment vous pourrez, d’un essai à l’autre, arriver à mieux coordonner, à mieux fondre ensemble les différents éléments de votre travail. – Ne vous y trompez pas, quand un premier jet réussit, et si bien qu’on n’y revient pas, c’est qu’un fort travail intérieur avait précédé ; la vigueur de ce labeur intérieur a suppléé à tout, et peut-être plusieurs plans s’étaient, dans le secret de la méditation, remplacés l’un l’autre.
Enfin, étudiez les modèles ; analysez leur méthode ; essayez-vous contre eux ; comparez les modèles aux modèles sur les mêmes sujets. Mais prenez garde que ce soient les mêmes sujets, et non pas, sous les mêmes noms, des sujets différents : ainsi, dans Bourdaloue et dans Saurin, ces mots : la Parole de Dieu, ne désignent pas le même sujet.