Si l’on excepte les doctrines spéculatives que la controverse les a obligés de traiter, et dont on a parlé jusqu’ici, c’est naturellement aux questions plus pratiques des sacrements et de la discipline qu’est allée l’attention de nos auteurs et en général de leur temps. Il ne sera pas inutile de noter, dans ce qu’ils en ont dit et décidé, certains détails plus dignes d’être retenus.
Leidrade, parlant du baptême et de l’onction de l’huile, a reproduit, en passant, une partie de la définition des sacrements donnée par saint Isidore : « Propter quod et sacramenta dicuntur, quia sub tegumento corporalium rerum virtus divina secretius salutem eorumdem sacramentorum operatur. »
Théodulphe et Leidrade ont laissé chacun un traité, et Alcuin une lettre expliquant les cérémonies de l’initiation chrétienne. Les traités de Théodulphe et de Leidrade n’offrent rien de particulier. Leidrade cependant admet, avec saint Grégoire, qu’il cite, qu’une seule immersion suffit pour la validité du baptême, et attribue à la fois à la chrismation et à l’imposition de la main de l’évêque la venue du Saint-Esprit dans le confirmé. Alcuin nie qu’une seule immersion suffise pour le baptême, et met en doute l’authenticité de la lettre de saint Grégoire sur laquelle s’appuyait l’usage espagnol. La description qu’il donne des cérémonies de la confirmation est aussi spéciale. Après le baptême, le baptisé reçoit l’onction du chrême sur la tête (sacro chrismate caput perungitur), puis il communie, et c’est après la communion seulement que l’évêque lui impose la main pour lui donner le Saint-Esprit : « Novissime per impositionem manus a summo sacerdote septiformis gratiae Spiritum accipit. » A l’imposition de la main Alcuin attribue la collation du Saint-Esprit ; à l’onction du chrême il attribue la collation au confirmé de la dignité royale et sacerdotale.
On retrouve dans Alcuin et dans Leidrade les considérations de saint Augustin sur l’eucharistie corps spirituel de Jésus-Christ, sur l’union de Jésus-Christ avec le fidèle, en quoi consiste la manducation spirituelle du sacrement. Ce n’est pas à dire que ces auteurs fussent des symbolistes. On a d’Alcuin une parole très explicite sur la conversion eucharistique. Se recommandant aux prières de Paulin d’Aquilée, il lui dit de prononcer son nom à la messe, « eo tempore opportuno quo panem et vinum in substantiam corporis et sanguinis Christi consecraveris ».
Avec Théodulphe, nous rencontrons des prescriptions fixes sur le nombre des communions que les fidèles doivent faire chaque année. Les chrétiens non excommuniés communieront tous les dimanches de Carême, et chaque jour depuis le jeudi saint jusqu’à Pâques. Ceux qui sont excommuniés ne le feront que quand on le leur permettra. On ne doit d’ailleurs ni communier indifferenter, c’est-à-dire sans la préparation requise, ni rester trop longtemps sans s’approcher de l’eucharistie.
On a pu lire plus haut les transformations qui s’étaient accomplies depuis le ve jusqu’au viiie siècle dans l’administration de la pénitence, tant sous l’influence des nécessités nouvelles que sous l’influence des pénitentiels importés d’Angleterre et d’Irlande sur le continent : fréquence de plus en plus grande de la pénitence privée ; sa réitération ; administration de la pénitence par de simples prêtres ; admission du clergé aux exercices de la pénitence. Tout cela était acquis au moment où Charlemagne commençait son règne (771) ; et c’est précisément dans la période qui va de 750 à 825 qu’apparaissent nos plus anciens pénitentiels du continent. Tout cela, nous le retrouvons réduit en pratique dans les auteurs que nous examinons ici, mais surtout dans le deuxième capitulaire de Théodulphe à son clergé.
Théodulphe distingue bien entre la pénitence publique qui est due pour les crimes publics, scandaleux, et la pénitence privée. Dans la première, « capitalia et mortalia crimina deflenda sunt secundum canonum et sanctorum Patrum institutionem ». Ce n’est pas que la pénitence privée ne puisse remettre ces péchés, mais il y faut un complet changement de vie : « saeculari iactantia simul deposita, piae religionis confesso studio per vitae correctionem et iugi, imo perpetuo luctu se submittente ». On a un exemple de cette pénitence publique dans la pénitence imposée par Paulin d’Aquilée à Heistulfe. Heistulfe avait tué sa femme accusée d’adultère sur la foi d’un seul témoin. Paulin lui donne le choix entre l’entrée dans un monastère, ou bien l’accomplissement chez lui, et suivant la rigueur des canons, de la pénitence publique, dont il lui rappelle les prescriptions. Il ne lui cache pas d’ailleurs que cette seconde forme d’expiation sera beaucoup plus dure que l’autre.
Mais la pénitence publique n’est pas le cas ordinaire. Voici, suivant Théodulphe, comment les choses se passent communément. Le pénitent s’agenouille d’abord devant Dieu avec le prêtre à qui il doit se confesser. Puis il accuse « quidquid a iuventute recordari potest ex omnibus modis quae gessit » ; non seulement les mauvaises actions, mais encore les paroles et pensées mauvaises qu’il a à se reprocher. Si la mémoire lui manque, ou si la honte l’arrête, le prêtre l’interroge. Cette interrogation, comme l’examen du pénitent, porte principalement sur les huit péchés capitaux, gastrimargia, fornicatio, acedia sive tristitia, avaritia, vana gloria, invidia, ira, superbia. On a des examens tout faits et des listes de péchés toutes dressées dans les pénitentiels, et dans les œuvres liturgiques d’Alcuin. Mais Théodulphe remarque précisément qu’il est des choses sur lesquelles on ne doit pas interroger les pénitents, « quia mulla vitia recitantur in paenitentiali quae non decet hominem scire « , et parce qu’il est à craindre que la curiosité ne pousse le pénitent à les commettre. L’accusation terminée, le pénitent doit promettre de renoncer à ses anciennes fautes et de les expier. Sur quoi, le confesseur lui impose une pénitence proportionnée à ses péchés et à leurs circonstances, récite les sept psaumes de la pénitence, avec les oraisons du sacramentaire, et l’absout immédiatement.
Ceci est pour les laïcs, dont Théodulphe suppose manifestement que plusieurs sont des relaps. S’il s’agit d’un prêtre ou d’un ministre dans les ordres sacrés ayant commis un adultère ou une autre faute grave publique ou devenue publique, le coupable sera déchu de son ordre, et devra faire publiquement pénitence pendant quinze ans ou moins, suivant son ordre et la nature de son péché. Que si la faute est secrète, et si le coupable vient secrètement s’en confesser, on lui imposera une pénitence secrète. Devra-t-il néanmoins s’abstenir d’exercer les fonctions de son ordre ? Théodulphe le laisse à sa discrétion ; mais il ne le croit pas nécessaire, puisque la faute n’est pas connue : « Si occultum est, poterit occulte, in suo permanens gradu, agere paenitentiam. »
C’est ainsi que peu à peu l’ancienne discipline pénitentielle se rapprochait, même par sa forme extérieure, de la discipline actuelle. Notons seulement, avant de quitter ce sujet, qu’à l’époque que nous étudions, c’est-à-dire sous le règne de Charlemagne, on a déjà commencé à admettre sur le continent l’idée et l’usage anglo-saxons de la compensation ou du rachat de certaines pénitences fixées par les pénitentiels. Le Valicellanum I remarque que si quelqu’un ne peut jeûner, il pourra, pour compenser sept semaines de jeûne, donner en aumônes vingt sous s’il est riche, dix sous s’il est dans la médiocrité, trois sous s’il est très pauvre. Et il ajoute ce conseil tout plein de mansuétude évangélique : « Et hoc scitote, fratres, ut dum venerint ad vos servi vel ancille querentes penitentiam, non eos gravetis, neque cogatis tantum ieiunare quantum divites, quia servi vel ancille non sunt in sua potestate. Ideoque medietatem penitentie eis imponite. »
Le même second capitulaire de Théodulphe, qui contient de si précieux détails sur la pénitence, en contient aussi sur l’extrême-onction. On a vu que la mention de ce sacrement apparaît fréquente à partir du vie siècle. Le concile d’Aix-la-Chapelle de 801 rappelle aux prêtres l’obligation d’oindre les malades de l’huile sainte. Théodulphe expose comment se fait la cérémonie. On commence par donner la pénitence au malade. Puis, si son état le permet, on le transporte à l’église, où on l’étend sur un cilice couvert de cendres. Trois prêtres assistent à la cérémonie. On impose d’abord au malade les cendres en forme de croix sur le front et la poitrine. Viennent ensuite les onctions d’huile sur les divers organes des sens. Ici, remarque Théodulphe, les usages varient beaucoup : les onctions sont plus ou moins nombreuses au gré de chacun. La communion en viatique termine le tout. L’extrême-onction est nécessaire aux enfants comme aux adultes, car les enfants aussi ont commis des fautes. Elle peut être administrée à un évêque par un simple prêtre.
Sur le mariage, l’époque de Charlemagne continue de légiférer pour en déterminer les conditions canoniques et en codifier les empêchements. Ces décisions intéressent surtout la discipline. Au point de vue dogmatique, le seul qui nous occupe ici, le principe de l’indissolubilité absolue, même en cas de séparation de corps des époux pour cause d’adultère, reçoit trois confirmations importantes. L’une est de Théodulphe dans son deuxième capitulaire ; la seconde est d’un concile de Nantes du commencement du ixe siècle ; la troisième est du concile de Frioul tenu sous Paulin d’Aquilée en 796 ou 797, dans son canon x. Théodulphe et ces conciles déclarent qu’aucun des époux séparés pour cause d’adultère de l’un d’eux ne peut se remarier. On objectait, il est vrai, le texte de Matth.19.9 qui paraît ambigu. Mais le concile de Frioul a fait examiner avec soin les commentaires de saint Jérôme, et l’on a constaté que le grand docteur rapportait la restriction du nisi ob fornicationem au seul renvoi de l’épouse coupable. Son autorité tranche la question.