1. Les Romains mettaient beaucoup d'ardeur à rechercher Josèphe, pour satisfaire à la fois leur propre rancune et le vif désir de leur général, qui pensait qu'une grande partie de cette guerre dépendait de cette capture. Ils fouillaient donc les cadavres et les recoins les plus cachés de la ville[1]. Cependant Josèphe, au moment même de la prise de Jotapata, aidé sans doute de quelque secours divin, avait réussi à se dérober au travers des ennemis et s'était jeté dans une citerne profonde où s'embranchait par le côté une caverne spacieuse qu'on ne pouvait apercevoir d'en haut. Là, il rencontra quarante des plus nobles Juifs qui s'y étaient cachés avec des provisions suffisantes pour plusieurs jours. Pendant la journée, Josèphe resta dans sa cachette, par crainte des ennemis qui parcouraient toute la ville. La nuit, il sortait pour chercher quelque moyen de fuir et reconnaître les postes. Mais, comme les Romains se gardaient exactement de toutes parts[2], précisément à cause de lui, il ne trouvait aucun espoir de fuite et s'en retournait dans sa caverne. Deux jours se passèrent sans qu'on le découvrit ; le troisième jour, une femme de leur compagnie, qui avait été prise par les Romains, dénonça la cachette. Aussitôt Vespasien s'empressa d'y envoyer deux tribuns, Paulinus[3] et Gallicanus, avec ordre d'engager sa foi envers Josèphe et de l'inviter à sortir.
[1] En suivant le texte des mss. MVRG : τοὺς ἀποκρυφους τῆς πόλρως μυχούς. Les trois derniers mots manquent dans les autres mss., il faudrait alors traduire « et recherchaient ceux qui s'étaient cachés ».
[2] παντάχοθεν πάντων. Au lieu du dernier mot, on trouve aussi τῶν πύργων ou πάντων τῶν πύργων, mais on ne voit pas pourquoi les Romains n'auraient gardé que les tours.
[3] Paulinus est sans doute un parent de Valerius Paulinus, ami de Vespasien (Tacite, Hist., III, 43) et, à cette époque, gouverneur de la Narbonnaise.
2. Dès qu'ils furent sur les lieux, ils se mirent à l'exhorter et à lui promettre la vie sauve, sans réussir a le persuader. Ses soupçons ne venaient pas du caractère des envoyés, qu'il savait humains, mais de la conscience du mal qu'il avait fait et qui devait lui mériter d'être châtié à proportion. Il craignait donc qu'on ne cherchât simplement à s'emparer de lui pour le mener au supplice. Enfin, Vespasien lui envoya un troisième messager, le tribun Nicanor[4], depuis longtemps lié avec Josèphe, et son ami. Celui-ci, s'avançant vers la caverne, représenta à Josèphe quelle était la clémence naturelle des Romains à l'égard des vaincus : il ajouta que son courage lui avait valu, non la haine des généraux, mais leur admiration ; si Vespasien désirait si vivement l'extraire de sa retraite, ce n'était pas pour le châtier — ce qu'il pouvait faire sans que Josèphe se rendit — mais, au contraire, parce qu'il voulait conserver un homme aussi vaillant ; enfin, Si Vespasien avait voulu lui tendre un piège, il ne lui aurait pas envoyé un de ses amis, couvrant ainsi de la plus belle des vertus, l'amitié, le plus hideux des crimes, la perfidie, et lui-même d'ailleurs, s'il avait cru qu'on voulût l'employer à tromper un ami, ne se serait pas prêté à une pareille mission.
[4] Nicanor, que nous retrouverons plus loin parmi les amis de Titus (liv. V, § 261), avait peut-être servi Agrippa, ce qui expliquerait sa liaison avec Josèphe (Kohout).
3. Comme Josèphe balançait encore, même devant les assurances de Nicanor, la soldatesque, furieuse, essaya de mettre le feu à la caverne ; mais leur chef, qui tenait à prendre l'homme vivant, sut les en empêcher. Or, pendant que Nicanor redoublait ses instances et que Josèphe apprenait les menaces de la troupe, soudain il se ressouvint des songes que Dieu lui avait envoyés pendant la nuit pour lui annoncer les futures calamités des Juifs et les destinées des empereurs romains. Il faut dire qu'il était versé dans l'interprétation des songes et habile à deviner la vérité à travers les voiles dont il plaît à Dieu de la couvrir ; car, prêtre lui-même et descendant de prêtres, il n'ignorait pas les prophéties des livres sacrés. Saisi donc à ce moment de l'esprit divin qui en émane, évoquant de nouveau les terrifiantes visions de ces songes récents, il adresse à Dieu une prière muette : « O Créateur du peuple juif, puisqu'il t'a paru bon de briser ton propre ouvrage, puisque la fortune a passé toute du côté des Romains, puisque tu as choisi mon âme pour annoncer l'avenir, je me livre aux Romains de mon plein gré, je consens à vivre, mais je te prends à témoin que je pars, non comme un traître, mais en qualité de ton serviteur ».
4. Sa prière achevée, Josèphe déclara à Nicanor qu'il se rendait. Mais, quand les Juifs qui partageaient sa retraite apprirent qu'il cédait aux invitations de l'ennemi, ils l'entourèrent de tous côtés en criant : « O combien doivent gémir les lois de nos ancêtres, combien Dieu lui-même doit se voiler la face, Dieu, qui fit aux Juifs des âmes pleines de mépris pour la mort ! Quoi, Josèphe ! tu chéris donc à ce point la vie ! tu supportes de voir le jour de la servitude ! Comme tu t'es vite oublié ! Combien d'entre nous as-tu persuadé de mourir pour la liberté ! C'est donc à tort qu'on t'a fait une réputation de courage et une réputation de sagesse : est-ce sagesse d'espérer obtenir la grâce de ceux que tu as tant combattus, et, à supposer qu'ils te l'accordent, est-ce courage de l'accepter de leurs mains ? Mais si la fortune des Romains t'a versé l'oubli de toi-même, c'est à nous de veiller sur la gloire de nos ancêtres. Voici un bras, voici une épée. Si tu acceptes de plein gré la mort, meurs en capitaine des Juifs ; s'il faut t'y contraindre, meurs comme un traître. » Ce disant, ils tirent leurs épées et menacent de l'en percer s'il consent à se livrer aux Romains.
5. Josèphe, redoutant leur violence et pensant que ce serait trahir les commandements de Dieu que de mourir sans les révéler, commença, dans cette extrémité, à leur parler philosophie. « D'où vient donc, dit-il, mes chers compagnons, cette soif de notre propre sang ? Pourquoi vouloir séparer ces deux éléments que la nature a si étroitement unis, le corps et l'âme ? On dit que je ne suis plus le même : les Romains savent bien le contraire. On dit qu'il est beau de mourir dans la guerre : oui, mais suivant la loi de la guerre, c'est-à-dire, par le bras du vainqueur. Si donc je me dérobe au glaive des Romains, je mérite assurément de périr par le mien et par mon bras ; mais si c'est eux qui se décident à épargner un ennemi, à combien plus forte raison dois-je m'épargner moi-même ? n'est-ce pas folie de nous infliger à nous-mêmes le traitement que nous cherchons à éviter en les combattant ? On dit encore : il est beau de mourir pour la liberté, j'en tombe d'accord, mais à condition de mourir en luttant, par les armes de ceux qui veulent nous la ravir : or, à cette heure, ils ne viennent ni pour nous combattre ni pour nous ôter la vie. Il y a pareille lâcheté à ne pas vouloir mourir quand il le faut et à vouloir mourir quand il ne le faut pas.
Quelle crainte peut nous empêcher de nous rendre aux Romains ? Celle de la mort ? eh ! quelle folie de nous infliger une mort certaine pour nous préserver d'une qui ne l'est pas ! Celle de l'esclavage ? mais l'état où nous sommes, est-ce donc la liberté ? On insiste : il y a de la bravoure à se donner la mort. Je réponds : non point, mais de la lâcheté ; c'est un peureux que le pilote qui, par crainte de la tempête, coule lui-même son navire avant que l'orage n'éclate. Le suicide répugne à la commune nature de tous les êtres vivants, il est une impiété envers Dieu, qui nous a créés. Voit-on parmi les animaux un seul qui recherche volontairement la mort ou se la donne ? Une loi inviolable gravée dans tous les cœurs leur commande de vivre : aussi considérons-nous comme ennemis ceux qui ouvertement veulent nous ravir ce bien et nous châtions comme assassins ceux qui cherchent à le faire par ruse.
Et ne croyez-vous pas que Dieu s'indigne quand un homme méprise le présent qu'il en a reçu ? car c'est lui qui nous a donné l'être, et c'est à lui que nous devons laisser le pouvoir de nous en priver. Il est vrai que le corps chez tous les êtres est mortel et formé d'une matière périssable, mais toujours l'âme est immortelle : c'est une parcelle de la divinité qui séjourne dans les corps ; et, de même que celui qui supprime ou détériore un dépôt qu'un homme lui a confié passe pour scélérat ou parjure, ainsi, quand je chasse de mon propre corps le dépôt qu'y a fait la divinité, puis-je espérer échapper à la colère de celui que j'outrage ? On croit juste de punir un esclave fugitif, même quand il s'évade de chez un méchant maître, et nous fuirions le maître souverainement bon, Dieu lui-même, sans passer pour impies ! Ne le savez-vous pas ? ceux qui quittent la vie suivant la loi naturelle et remboursent à Dieu le prêt qu'ils en ont reçu, à l'heure où le créancier le réclame, obtiennent une gloire immortelle, des maisons et des familles bénies ; leurs âmes, restées pures et obéissantes, reçoivent pour séjour le lieu le plus saint du ciel, d'où, après les siècles révolus, ils reviennent habiter des corps exempts de souillures.
Ceux au contraire dont les mains insensées se sont tournées contre eux-mêmes, le plus sombre enfer reçoit leurs âmes, et Dieu, le père commun, venge sur leurs enfants l'offense des parents[5]. Voilà pourquoi ce forfait, détesté de Dieu, est aussi réprimé par le plus sage législateur : nos lois ordonnent que le corps du suicidé reste sans sépulture jusqu'après le coucher du soleil, alors qu'elles permettent d'ensevelir même les ennemis tués à la guerre[6]. Chez d'autres nations, la loi prescrit de trancher aux suicidés la main droite qu'ils ont dirigée contre eux-mêmes, estimant que la main doit être séparée du corps puisque le corps s'est séparé de l'âme[7]. Nous ferons donc bien, mes compagnons, d'écouter la raison et de ne pas ajouter à nos calamités humaines le crime d'impiété envers notre Créateur. Si c'est le salut qui nous est offert, acceptons-le : il n'a rien de déshonorant de la part de ceux qui ont éprouvé tant de témoignages de notre vaillance ; si c'est la mort, il est beau de la subir de la main de nos vainqueurs. Pour moi, je ne passerai pas dans les rangs de mes ennemis, je ne veux pas devenir traître à moi-même : or je serais mille fois plus sot que les déserteurs qui changent de camp pour obtenir la vie alors que moi je le ferais pour me la ravir. Et pourtant je souhaite que les Romains me manquent de foi : si, après m'avoir engagé leur parole, ils me font périr je mourrai avec joie, car j'emporterai avec moi cette consolation plus précieuse qu'une victoire : la certitude que l'ennemi a souillé son triomphe par le parjure ».
[5] Nous traduisons au jugé. Le texte des mss. — τοὺς τῶν πατέρων ou τοὺς θάτερον ὑβριστάς — n'est pas intelligible.
[6] Le Pentateuque ne renferme aucune disposition concernant le suicide. Josèphe a-t-il en vue quelque halakha qui avait, par analogie, étendu au suicide la prohibition du meurtre et certaines marques d'infamie comme celles des blasphémateurs (Ant. IV, 202 et la note) ?
[7] Telle était en effet la disposition de la loi ou de la coutume athénienne Cf. Eschine, C. Ctésiphon, 244. ἐάν τις αὑτον διαχρήσηται, τὴν χείρα τὴν τοῦτο πράξασαν χωρὶς τοῦ σώματος θάπτομεν. Il est surprenant de trouver chez Josèphe une érudition aussi précise, et l’on se demande si tout le développement n’est pas emprunté à quelque rhéteur fortement imprégné de platonisme : dans ce cas le σοφώτατος νομοθέτης du § 376 aurait bien pu être dans l'original. Platon, en effet, prescrit (Lois, IX, 873 D) d’ensevelir le suicidé sans honneur.
6. Par ces raisonnements et beaucoup d'autres Josèphe cherchait à détourner ses compagnons de l'idée du suicide. Mais le désespoir fermait leurs oreilles, comme celles d'hommes qui depuis longtemps s'étaient voués à la mort : ils s'exaspéraient donc contre lui, couraient çà et là l'épée à la main en lui reprochant sa lâcheté, et chacun semblait sur le point de le frapper. Cependant Josèphe appelle l'un par son nom, regarde l'autre d'un air de commandement, prend la main de celui-ci, trouble celui-là par ses prières ; bref, livré dans cette nécessité aux émotions les plus diverses, il réussit cependant à détourner de sa gorge tous ces fers qui le menacent, comme une bête traquée de toutes parts qui fait face successivement à chacun de ses persécuteurs. Ces hommes qui, même dans l'extrémité du malheur, révèrent encore en lui leur chef, laissent mollir leurs bras et glisser leurs épées ; plusieurs, qui déjà levaient contre lui leurs sabres de combat, les jetèrent spontanément.
7. Josèphe, qui dans cet embarras ne perdit pas sa présence d'esprit, met alors sa confiance dans la protection de Dieu : « Puisque, dit-il, nous sommes résolus à mourir, remettons-nous en au sort pour décider l'ordre ou nous devons nous entre-tuer : le premier que le hasard désignera tombera sous le coup du suivant et ainsi le sort marquera successivement les victimes et les meurtriers, nous dispensant d'attenter à notre vie de nos propres mains. Car il serait injuste qu'après que les autres se seraient tués il y en eût quelqu'un qui pût changer de sentiment et vouloir survivre[8] ». Ces paroles inspirent confiance, et après avoir décidé ses compagnons, il tire au sort avec eux. Chaque homme désigné présente sans hésitation la gorge à son voisin dans la pensée que le tour du chef viendra bientôt aussi, car ils préféraient à la vie l'idée de partager avec lui la mort. A la fin, soit que le hasard, soit que la Providence divine l'ait ainsi voulu, Josèphe resta seul avec un autre : alors, également peu soucieux de soumettre sa vie au verdict du sort et, s'il restait le dernier, de souiller sa main du sang d'un compatriote, il sut persuader à cet homme d'accepter lui aussi la vie sauve sous la foi du serment[9].
[8] Destinon supprime cette phrase comme interpolée. D'ailleurs, même avec le procédé suggéré par Josèphe, il y aura toujours un dernier survivant qui devra forcément se tuer lui-même.
[9] Il est permis d'avoir des doutes sur l'authenticité de cette historiette qui a fourni aux mathématiciens, depuis la Renaissance, un piquant sujet de problème.
8. Ayant ainsi échappé aux coups des Romains et à ceux de ses propres concitoyens, Josèphe fut conduit par Nicanor auprès de Vespasien. De toutes parts les Romains accouraient pour le contempler et, autour du prétoire[10], il y eut une presse énorme et un tumulte en sens divers : les uns se félicitaient de la capture du chef, d'autres proféraient des menaces, quelques-uns se poussaient simplement pour le voir de plus près. Les spectateurs les plus éloignés criaient qu'il fallait châtier cet ennemi de Rome, mais ceux qui étaient à côté se rappelaient ses belles actions et ne laissaient pas d'être émus par un si grand changement. Parmi les généraux il n'y en eut pas un qui, si fort qu'il eût d'abord été irrité contre lui, ne se sentit quelque pitié à sa vue : Titus fut touché par la constance que Josèphe montrait dans l'adversité et saisi de compassion en voyant sa jeunesse[11]. En se rappelant avec quelle ardeur il les avait combattus naguère[12] et en le considérant tombé maintenant entre les mains de ses ennemis, il évoquait toute la puissance de la fortune, les rapides vicissitudes de la guerre, l'instabilité générale des choses humaines. Aussi amena-t-il dès lors beaucoup de Romains à partager sa pitié pour Josèphe et fut-il auprès de son père le principal avocat du salut de son captif. Cependant Vespasien commanda de garder celui-ci avec la plus grande exactitude, se proposant de l'envoyer le plus tôt possible à Néron[13].
[10] Nous lisons avec Holwersa : περὶ τὸ στρατήγιον (mss. τῷ στρατηγῷ τοῦ στρατηγοῦ, etc.)
[11] Josèphe avait alors trente ans (Vita, c. 1).
[12] οὐ πάλαι (VRC), mieux que πάλαι (PALM).
[13] La décision définitive sur le sort d'un personnage de cette importance appartenait à l'empereur, qui n'était pas lié par la promesse de Vespasien. Kohout rapproche avec raison Vita, c. 74, où Vespasien veut envoyer à Néron Philippe, fils de Jacime, qui s'est rendu sous capitulation.
9. Quand Josèphe entendit cette décision, il exprima le désir de s'entretenir avec Vespasien seul à seul pendant quelques instants. Le général en chef fit sortir tout le monde excepté son fils Titus et deux de ses amis. Alors Josèphe : « Tu te figures, Vespasien, en prenant Josèphe, n'avoir en ton pouvoir qu'un simple captif, mais je viens vers toi en messager des plus grands événements : si je ne me savais pas envoyé par Dieu, je me serais souvenu de la loi juive et comment un chef doit mourir. Tu veux m'expédier à Néron : t'imagines-tu donc que (Néron lui-même et) ses successeurs vont attendre jusqu'à toi[14] ? Tu seras César, ô Vespasien tu seras empereur, toi et ton fils que voici : charge-moi donc plutôt de chaînes plus sûres encore et garde-moi pour toi-même. Tu n'es pas seulement mon maître, ô César, tu es celui de la terre, de la mer et de toute l'humanité. Quant à moi, je demande pour châtiment une prison plus rigoureuse si j'ai prononcé à la légère le nom de Dieu ». En entendant ces paroles, le premier mouvement de Vespasien fut l'incrédulité : il pensa que Josèphe avait inventé ce stratagème pour sauver sa vie. Peu à peu cependant la confiance le gagna, car déjà Dieu le poussait vers l'Empire et par d'autres signes encore lui présageait le diadème. D'ailleurs, il constata sur d'autres points la véracité de Josèphe. Un des deux amis présents à l'entretien secret avait dit : « Si ces paroles ne sont pas autre chose que le vain babil d'un homme qui cherche à détourner l'orage de sa tête, je m'étonne que Josèphe n'ait point prédit aux habitants de Jotapata la prise de leur ville ni à lui-même sa propre captivité ». Là-dessus Josèphe affirma qu'il avait en effet annoncé aux défenseurs de Jotapata que leur ville serait prise après quarante-sept jours de siège et que lui-même deviendrait captif des Romains. Vespasien se renseigna en particulier auprès des captifs pour vérifier ce dire et, comme ils confirmèrent le récit de Josèphe[15], il commença à croire à la prédiction qui concernait sa propre destinée. S'il ne délivra pas son prisonnier de sa garde et de ses chaînes, il lui donna un vêtement de prix et d'autres présents et continua à lui témoigner sa bienveillance et sa sollicitude, à quoi Titus ne manqua pas de l'encourager[16].
[14] τί γάρ; Οἱ μετὰ Νέρωνας μέχρι σοῦ σιάδοχοι μενοῦσιν : le texte paraît altéré ou mutilé.
[15] Il est singulier que dans le long récit du siège de Jotapata, Josèphe n'ait fait précédemment aucune allusion à cette prédiction. D'autre part, on a vu que les seuls captifs faits par les Romains, à part quelques transfuges, étaient des femmes et des enfants — auxquels il faut ajouter le « compère » à qui Josèphe a persuadé de partager son sort, et dont le témoignage pouvait être un peu suspect.
[16] On a contesté la véracité de tout ce récit et cherché à expliquer de différentes manières le traitement favorable dont Josèphe fut l'objet. Cependant le fait de la prédiction adressée à Vespasien est confirmé (d'après Pline ?) par Suétone (Vesp., 5) : unus ex nobilibus captiuis Iosephus, cum coiceretur in uincula, constantissime asseuerauit fore ut ab eodem breui solueretur, uerum iam imperatore., et par Dion Cassius (Xiphilin, DXVI, 1) qui précise même davantage, prétendant que Josèphe aurait annoncé l'élévation de Vespasien et sa mise en liberté. D'après Zonaras, XI, 16, Appien au livre XXII de son Histoire romaine, mentionnait également cette prédiction. Après la mort de Néron d'autres oracles firent à Vespasien des prédictions analogues (Tac., Hist., I, 10 ; II, 1, 4, 78 ; Suet., Tit., 5). Il est curieux que la tradition rabbinique attribue à Yohanan ben Zaccaï la prophétie de Josèphe. Ayant réussi à sortir de Jérusalem assiégée, le pieux docteur se présente devant Vespasien et le salue des mots (en latin) : Vive domine imperator ! Surprise indignée de Vespasien ; alors le rabbin : « Si tu ne règnes pas encore, tu régneras un jour, car ceci (le Temple) ne sera détruit que par la main d'un roi » (Midrasch Rabba sur Echa cité par Derenbourg, Essai, p. 282). Cf. en dernier lieu Vincenzo Ussani, Questioni Flaviane III, dans Rivista di Filologia ; XXXIX (1911). p. 403.