Contre les hérésies

LIVRE SECOND

CHAPITRE XXXII

L’auteur réfute la doctrine impie des hérétiques, d’après laquelle toutes les actions seraient indifférentes en elles-mêmes, et justes ou injustes selon l’idée que s’en feraient les hommes ; il réfute encore une autre prétention de leur part, consistant à dire que leur âme est semblable à celle du Christ, et peut même lui être supérieure sous quelques rapports.

Nos adversaires professent, relativement au mérite des actions, une doctrine impie, qui consiste à dire qu’il n’y a péché que là où il y a un acte commis, et que l’intention n’est pas nécessaire : il suffit de citer les enseignements de notre Seigneur pour réfuter cette impiété. L’Évangile traite d’adultère non-seulement celui qui commet l’adultère, mais encore celui qui désire le commettre ; il condamne à la mort éternelle non-seulement celui qui tue, mais encore celui qui se met en colère sans motif contre son frère. Le Seigneur n’a-t-il pas enseigné aussi qu’il ne suffisait pas de ne pas haïr le prochain, mais qu’il fallait encore aimer ses ennemis ? Il a défendu non-seulement de se parjurer, mais encore de proférer aucun jurement ; non-seulement de parler mal du prochain, mais encore d’appeler son frère racha ou fou. N’est-ce pas lui qui a dit, non-seulement qu’il ne fallait pas frapper son frère, mais qui ordonne, si l’on est frappé, de présenter l’autre joue à ceux qui nous frappent ; qui veut non-seulement qu’on s’abstienne de prendre le bien d’autrui, mais que, si on nous prend notre bien, nous ne cherchions point à le reprendre ; non-seulement, qu’on ne fasse pas de mal à son prochain, qu’on ne lui occasionne aucune blessure, mais encore que l’on pardonne à ceux qui nous font du mal, que l’on soit charitable envers eux, et que l’on prie pour eux afin qu’ils obtiennent leur salut en faisant pénitence ; enfin, qui nous défend d’imiter en quoi que ce soit ceux qui se livrent à l’infamie, à la débauche et à la vanité ? Lors donc que celui que les hérétiques reconnaissent pour leur maître, lui attribuant un génie bien plus élevé et bien plus grand que celui des simples mortels, a recommandé la pratique et le zèle pour certaines choses bonnes et excellentes, et la fuite des mauvaises, non-seulement pour l’acte, mais même pour la pensée, parce que les mauvaises pensées conduisent aux mauvaises actions ; comment, lorsqu’ils reconnaissent ces vérités, pourrait-on sans indignation les entendre prêcher ensuite une doctrine opposée aux enseignements du Christ, qu’ils proclament pour être plus vertueux et plus grand que tous ? Et s’il était vrai que rien ne fût ni bon ni mauvais en soi, et que la justice et l’injustice dépendissent uniquement des opinions des hommes, le Seigneur aurait-il dit, dans ses prédications et ses enseignements : « Que les justes, dans le royaume de son père, brilleront d’un éclat égal à celui du soleil » ; et que ceux qui se livrent à l’injustice « seront plongés dans le feu éternel, où leur ver ne mourra point, et le feu qui les consume ne s’éteindra point. »

Mais, ce qui est encore digne d’étonnement chez nos adversaires, c’est de leur entendre dire qu’ils ont besoin de tout apprendre et de tout savoir, afin que, parvenus à ne rien ignorer dans cette vie, ils arrivent ainsi à la perfection ; et cependant de voir qu’ils ne s’appliquent en réalité à aucun travail, à aucune gloire, à aucun art, ni à rien de ce qui est estimé dans le monde. S’il est vrai de dire qu’il faille tout faire et tout savoir, il faudrait donc qu’eux-mêmes étudiassent tous les arts ; il faudrait qu’ils apprissent tout ce qui s’acquiert par le raisonnement, par la pratique ou par l’usage, par le travail, la réflexion et la persévérance, comme la musique, le calcul, la géométrie, l’astronomie, et tout ce qui est le fruit de l’exercice des facultés intellectuelles : ils devraient apprendre de plus toutes les branches de la médecine, la science des simples et des remèdes qui servent à la guérison des maladies ; la peinture, la statuaire, l’art de modeler l’airain et le marbre, et tous les talents de ce genre : ils devraient connaître encore tous les travaux agricoles, l’art de traiter les animaux, d’élever les troupeaux ; tous les arts manuels, la marine, la gymnastique, la chasse, la guerre, le gouvernement ; enfin tous les arts en général, dont toute leur vie ne suffirait pas à apprendre, non-seulement la dixième, mais même la millième partie. Tout en disant qu’ils doivent tout savoir et tout faire, ils ne font rien et n’apprennent rien ; mais en s’abandonnant au plaisir, à la débauche et à l’infamie, ils font bien voir par leurs actions quelles sont les conséquences de leurs doctrines. Et comme ils ne font aucune des bonnes œuvres qui nous sont recommandées, ils se préparent au feu éternel. En se montrant jaloux d’imiter les épicuriens et les cyniques, ils poussent l’hypocrisie jusqu’à glorifier Jésus et le proclamer leur maître, lui qui nous prêche de nous abstenir, non-seulement des mauvaises actions, mais encore de toute mauvaise parole et de toute mauvaise pensée, comme nous l’avons montré plus haut.

Ils prétendent encore que leur esprit est de la même nature que celui du Christ, qu’ils lui sont semblables, et que même dans certaines circonstances ils lui sont supérieurs en vertu. Mais quand on vient aux preuves, nous voyons qu’ils sont incapables de faire ou d’imiter rien de ce que notre Seigneur a fait pour le bien et pour le salut des hommes, ou de faire quoi que ce soit qui puisse être mis en comparaison. S’ils se livrent à quelque acte de magie, c’est pour tâcher de séduire quelques insensés. Mais, pour produire quelque chose de bon et d’utile, c’est de quoi ils ne s’avisent pas. Font-ils quelque opération, ils ne prennent pour témoins que des enfants, dont ils fascinent la vue par quelque fantasmagorie qu’ils font passer rapidement devant leurs yeux ; ce n’est pas là imiter la conduite de Jésus-Christ, mais bien plutôt celle de Simon le magicien. Nous savons tous, comme une vérité incontestable, que notre Seigneur est ressuscité le troisième jour après sa mort ; qu’il s’est montré alors à ses disciples, et est ensuite monté au ciel à leurs yeux ; une preuve que nos adversaires n’ont aucun rapport avec le Christ, c’est que lorsqu’ils viennent à mourir, ils ne ressuscitent jamais, et ne se montrent jamais à personne après leur mort.

Que s’ils venaient nous dire que notre Seigneur aussi aurait fait usage de l’art magique pour faire des miracles, nous les renverrions aux prophéties, en leur démontrant, par ces prophéties mêmes, que le Christ a fait toutes les choses que les prophéties avaient annoncé à son sujet, et que lui seul est le fils de Dieu. Aussi c’est par le mérite de son nom que ceux qui sont véritablement ses disciples reçoivent les grâces nécessaires, chacun selon sa mesure, pour pouvoir faire ce qui est utile aux hommes. Les uns chassent si réellement les démons des corps des possédés, que ceux qui sont guéris croient en lui et entrent le plus souvent dans le sein de l’Église. Les autres sont doués de l’esprit de vision, voient l’avenir et prophétisent. D’autres guérissent les malades par l’imposition des mains. Des morts aussi ont été ressuscités, ainsi que nous l’avons dit, et ont après vécu de longues années dans notre foi. Quoi enfin ? pourrions-nous dire le nombre infini de bonnes œuvres que chaque jour l’Église, par la grâce de Dieu, opère par tout l’univers, en faveur des gentils, gratuitement et sans chercher à tromper qui que ce soit ? Car, ainsi qu’elle reçoit gratuitement de Dieu, elle donne gratuitement.

Si l’Église opère des miracles, ce n’est point par l’invocation des anges, par la vertu des enchantements, ou par quelque charme propre à tromper la curiosité des hommes ; mais ce qu’elle fait elle le fait de bonne foi, en esprit de pureté, à la vue de tous, par la vertu des prières qu’elle adresse à Dieu, et du nom du Christ qu’elle invoque ; ce qu’elle fait ainsi, elle le fait pour le bien, et non pour séduire. Si donc elle applique aux hommes les mérites du nom du Christ, en guérissant tous ceux qui ont une foi sincère, ses miracles ne ressemblent en rien au charlatanisme de Simon, de Ménandre et de Carpocrate, ou de tout autre ; et il est manifeste dès lors que le Christ s’est véritablement fait homme, qu’il a vécu sur la terre, et que tout ce qu’il a fait a été fait par la vertu de Dieu, et selon la volonté du Père, ainsi que les prophètes l’avaient annoncé ; ce que nous démontrerons plus loin, en rapportant les textes mêmes des prophéties.

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