L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

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Comment il faut invoquer Dieu et le bénir aux approches de la tribulation

Tu le veux, ô mon Dieu ! que cette inquiétude,
Ce profond déplaisir, vienne troubler ma paix ;
Après tant de douceurs ta main veut m’être rude,
Et moi, j’en veux bénir ton saint nom à jamais.
Je ne saurais parer ce grand coup de tempête ;
Ses approches déjà me font pâlir d’effroi ;
Et tout ce que je puis, c’est de baisser la tête,
C’est de forcer mon cœur à recourir à toi.
Je ne demande point que tu m’en garantisses ;
Il suffit que ton bras daigne être mon appui,
Et que l’heureux succès de tes bontés propices
Me rende salutaire un si cuisant ennui.
Je le sens qui m’accable : ah ! Seigneur, que j’endure !
Que d’agitations me déchirent le cœur,
Qu’il se trouve au milieu d’une étrange torture !
Et qu’il y soutient mal sa mourante vigueur !
Père doux et bénin, qui connais ma faiblesse,
Que faut-il que je dise en cet accablement ?
Tu vois de toutes parts quelle rigueur me presse ;
Sauve-moi, mon Sauveur, d’un si cruel moment.
Mais il n’est arrivé, ce moment qui me tue,
Qu’à dessein que ta gloire en prenne plus d’éclat,
Lorsque après avoir vu ma constance abattue
On la verra pour toi braver ce qui l’abat.
Étends donc cette main puissante et débonnaire
Qui par notre triomphe achève nos combats ;
Car, chétif que je suis, sans toi que puis-je faire ?
De quel côté sans toi puis-je tourner mes pas ?
Encor pour cette fois donne-moi patience ;
Aide-moi par ta grâce à ne point murmurer ;
Et je ne craindrai point sur cette confiance,
Pour grands que soient les maux qu’il me faille endurer.
Cependant derechef que faut-il que je die ?
Ton saint vouloir soit fait, ton ordre exécuté ;
Perte de biens, disgrâce, opprobre, maladie,
Tout est juste, Seigneur, et j’ai tout mérité.
C’est à moi de souffrir, et plaise à ta clémence
Que ce soit sans chagrin, sans bruit, sans m’échapper,
Jusqu’à ce que l’orage ait moins de véhémence,
Jusqu’à ce que le calme ait pu le dissiper.
Ta main toute-puissante est encore aussi forte
Que l’ont sentie en moi tant d’autres déplaisirs,
Et peut rompre le coup que celui-ci me porte,
Comme elle a mille fois arrêté mes soupirs.
Elle qui, de mes maux domptant la barbarie,
A souvent des abois rappelé ma vertu,
Peut encor de ceux-ci modérer la furie,
De peur que je n’en sois tout à fait abattu.
Oui, ta pitié, mon Dieu, soutenant mon courage,
Peut le rendre vainqueur de leur plus rude assaut ;
Et, plus ce changement m’est un pénible ouvrage,
Plus je le vois facile à la main du Très-Haut.

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