Tout à l’heure l’hérésie recevait les poisons du judaïsme, à peu près comme l’aspic emprunte le poison de la vipère. Livrée à son propre venin, qu’elle vomisse maintenant le poison de ses propres blasphèmes en soutenant que Jésus-Christ n’était qu’un fantôme. Cette opinion monstrueuse remonte à ces méprisables sectaires, Marcionites avortés que l’apôtre appelait « antéchrists, parce qu’ils niaient que le Christ lut venu dans une chair véritable. » Non pas cependant qu’ils essayassent d’introduire un autre dieu ; l’Evangile n’eût pas manqué de nous révéler cette circonstance ; mais un Dieu fait chair révoltait leur raison. L’antéchrist Marcion s’appropria un héritage auquel il était d’autant mieux préparé que son dieu à lui ne créait, ni ne ressuscitait la chair, dieu merveilleusement bon, il faut l’avouer, et sur ce point bien différent des mensonges et des impostures du Créateur. Voilà pourquoi son christ, afin d’échapper à tout reproche d’imposture et de mensonge, craignant d’ailleurs d’être regardé comme le Christ du Créateur, n’était pas ce qu’il paraissait, et cachait frauduleusement ce qu’il était, chair sans être chair, homme sans être homme, dieu le christ sans être dieu. Mais pourquoi n’aurait-il pas aussi bien revêtu le fantôme d’un Dieu ? Le croirai-je sur le témoignage de sa substance intérieure, quand il me trompe par son extérieur ? Passera-t-il pour véridique dans ce qui m’est voilé, quand les apparences me trompent ? Enfin par quel secret a-t-il associé en lui la réalité de l’esprit à l’illusion de la chair, quand l’apôtre m’apprend que « de communauté possible entre la lumière et les ténèbres, entre la vérité et le mensonge, il n’en est point ? » L’incarnation du Christ une chimère ! Mais il suit de là que les conséquences de son incarnation, sa présence parmi les hommes, ses enseignements, sa parole, ses vertus elles-mêmes, sont autant de mensonges. En effet, qu’il guérisse un malade en le touchant, ou en se laissant toucher par lui, cet acte corporel n’a pu avoir de réalité qu’avec la réalité de la chair. Demanderez-vous au néant la consistance, la vie à une illusion ? Extérieur imaginaire, geste imaginaire ; acteur imaginaire, acte imaginaire ! Plus de foi aux souffrances de l’homme-Dieu ! on n’a rien souffert quand on n’a pas souffert en réalité : or, un fantôme est-il capable de souffrir ? Ainsi tout l’ouvrage de la Divinité s’écroule. Toute la dignité, tout le fruit du Christianisme, et la mort du Christ, mort cependant sur laquelle l’apôtre insiste avec tant d’énergie, mort qu’il nous donne pour si véritable qu’il en fait le fondement et de l’Evangile, et de notre salut, et de sa prédication, sont anéantis ! « Je vous ai principalement enseigné, dit-il, ce que j’avais moi-même reçu, savoir que Jésus-Christ est mort pour nos péchés, qu’il a été mis dans le tombeau, et qu’il est ressuscité le troisième jour. » Vous niez sa chair ! mais comment sa mort subsistera-t-elle, puisque la mort n’est que la dissolution d’une chair qui retourne, à la voix de son auteur, « vers la terre dont elle a été tirée. » Vous niez sa chair et avec elle sa mort ! Mais alors sa résurrection n’est plus qu’une fable. Il n’a pu mourir ; donc il n’a pu ressusciter, puisque la chair lui manquait, Mort illusoire, résurrection illusoire ! Ce n’est pas tout ; ruiner la résurrection de Jésus-Christ, c’est ruiner la nôtre. Comment subsistera une résurrection, objet de la venue du Rédempteur, si le Rédempteur n’est pas ressuscité ? L’apôtre réfutait autrefois les adversaires de la résurrection par celle du Christ ; de même si la résurrection du Christ tombe aujourd’hui, la nôtre tombe avec elle. Qu’est-ce à dire ? « Vaine est notre foi ! vaine est la prédication des apôtres ! Il y a mieux. Ils sont convaincus d’être de faux témoins de Dieu, puisqu’ils ont rendu témoignage contre Dieu lui-même, en affirmant qu’il a ressuscité Jésus-Christ qu’il n’a point ressuscité. Conséquemment nous sommes encore dans les liens du péché, et ceux qui se sont endormis en Jésus-Christ sont morts sans espérance » pour ressusciter, mais en fantômes probablement, comme leur Christ.