Contre Marcion

LIVRE III

Chapitre VII

Enlevons maintenant toute excuse à l’hérésie et apprenons-lui en même temps qu’au juif, d’où proviennent les erreurs de celui qu’elle a choisi pour guide, justifiant ainsi à la lettre l’anathème de la loi nouvelle. « Si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tombent tous les deux dans la même fosse. »

Les prophètes ont signalé sous de doubles images le double avènement de Jésus-Christ. Le premier devait se manifester au milieu des abaissements de toute nature. « Il sera conduit à la mort comme un agneau ; il sera muet comme la brebis devant celui qui la tond. Son aspect est méprisable. Il se lèvera en la présence de Dieu comme un arbrisseau, comme un rejeton qui sort d’une terre aride. Il n’a ni éclat, ni beauté : Nous l’avons vu ; il était méconnaissable, méprisé, le dernier des hommes, homme de douleurs, familiarisé avec la misère ; son visage était, obscurci par les opprobres et par les ignominies. Son père l’a établi comme une pierre de chute et de scandale. Il l’a placé pour un peu de temps au-dessous des anges. Pour moi, je suis un ver de terre, et non pas un homme. Je suis le rebut des mortels et le jouet de la populace. » Ces marques d’ignominie appartiennent à son premier avènement, tandis que la grandeur et la majesté appartiennent à son second avènement. Alors il ne sera plus la pierre de chute et de scandale ; il deviendra la principale pierre de l’édifice, « la pierre angulaire réprouvée autrefois, mais servant de couronnement au temple » de l’Église : et cette pierre est celle qui détachée de la montagne dans le prophète Daniel, frappera et brisera la grandeur passagère des empires du monde. Ecoutons encore le même prophète ! « Et voici comme le Fils de l’homme qui venait sur les nuées du ciel. Et il s’avança jusqu’à l’Ancien des jours, et il fut en sa présence, et ceux qui le servaient, l’avaient conduit devant son trône. Et il lui donna la puissance, et l’honneur, et le royaume. Toutes les nations, toutes les langues, toutes les tribus lui seront soumises ; et sa puissance est une puissance éternelle qui ne sera pas transférée, et son règne n’aura pas de déclin. » Alors son visage resplendira. Sa beauté impérissable ne connaîtra point de rivale parmi les enfants des hommes. Car il est dit : « Vous surpasserez en éclat les plus beaux des enfants des hommes. La grâce est répandue sur vos lèvres, parce que le Seigneur vous a béni pour l’éternité. Levez-vous donc ! armez-vous de votre glaive, ô le plus Taillant des rois. Revêtez-vous de votre beauté et de votre splendeur ! Voilà que votre Père, après vous avoir placé un moment au-dessous des anges, vous couronne d’honneur et de majesté. Il vous donne l’empire sur les œuvres de ses mains. » Alors « ils connaîtront celui qu’ils ont percé, et les tribus pleureront amèrement sur lui, en se frappant la poitrine. » Pourquoi ces plaintes ? pourquoi ces lamentations ? Parce qu’ils n’ont pas su le reconnaître dans les humiliations de sa vie humaine. « C’est un homme, s’écrie Jérémie ; qui le connaîtra ? C’est un Dieu, répond Isaïe ; qui racontera son éternelle génération ? » Ainsi encore, Zacharie nous retrace dans les deux transformations du grand-prêtre Jésus, et jusque dans le mystère de ce nom auguste, le double avènement de l’homme-Dieu, véritable et suprême pontife du Père. En premier lieu, il est revêtu de haillons, qu’est-ce à dire ? d’une chair passible et mortelle, lorsqu’il lutte avec le démon qui le tente après son baptême et souffle la trahison au cœur de Judas. En second lieu, il se dépouille de ses premières humiliations, les vêtements immondes, pour revêtir la robe éclatante et la tiare pure, c’est-à-dire la gloire et la majesté du second avènement.

Parlerai-je des deux boucs offerts par la loi mosaïque dans le jeûne public ? Ne représentent-ils pas le double aspect du Christ ? Oui, je trouve sous l’un et l’autre symbole ce même Seigneur qui doit redescendre avec la forme qu’il avait ici-bas, afin de se faire reconnaître de ceux qui l’ont outragé. L’un de ces boucs, environné d’écarlate, chargé de malédictions, couvert d’ignominies, insulté, frappé, maltraité par tout le peuple, était chassé hors de la ville et envoyé à la mort, portant des caractères manifestes de la Passion du Seigneur ! L’autre, sacrifié pour les péchés, et servant de nourriture aux prêtres du temple, me retrace le dernier des jours où, purifiés de toute souillure, les pontifes du temple spirituel, c’est-à-dire de l’Église, jouiront des grâces les plus intimes, tandis que les autres jeûneront loin des sources du salut. Plus de doute ! Le premier avènement devait s’accomplir au milieu des abaissements et des outrages ; les figures qui l’annonçaient étaient obscures. Le second, au contraire, est lumineux et digne de Dieu, Aussi les Juifs n’curent-ils qu’à lever les yeux pour reconnaître cette seconde apparition, à l’éclat et à la dignité don !. elle brille : tandis que les voiles et les infirmités de la première, indignes de la divinité assurément, durent tromper leurs regards. Aussi, de nos jours encore, affirment-ils que leur christ n’est pas descendu, parce qu’il ne s’est pas montré dans sa majesté, eux qui ne savent pas qu’il devait venir d’abord dans l’humiliation.

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