Maintenant poursuyvons les autres argumens dont Satan s’efforce de destruire ou diminuer par ses satellites la justification de la foy. Je pense que cela est desjà osté aux calomnniateurs, qu’ils ne nous puissent imposer que nous soyons ennemis des bonnes œuvres. Car nous nions que les œuvres justifient, non pas afin qu’on ne face nulles bonnes œuvres, ou qu’on ne les ait en nulle estime : mais afin qu’on ne s’y fie, qu’on ne s’en glorifie, qu’on ne leur attribue salut. Car ceste est nostre fiance, nostre gloire, et port unique de nostre salut, que Jésus-Christ le Fils de Dieu est nostre, et qu’en luy nous sommes enfans de Dieu, et héritiers du Royaume céleste, appelez en l’espérance de béatitude éternelle : non point par nostre dignité, mais par la bénignité de Dieu. Toutesfois pource qu’ils nous assaillent encore d’autres bastons, poursuyvons de rabatre leurs coups. Premièrement, ils produisent les promesses légales, que Dieu a faites à ceux qui observeront sa Loy. Ils demandent si nous voulons qu’elles soyent vaines, ou de quelque efficace. Pource que ce seroit chose desraisonnable de les dire vaines, ils prenent pour certain, qu’elles sont de quelque valeur : et de cela infèrent que nous ne sommes pas justifiez par la seule foy : veu que le Seigneur parle en ceste manière. Si tu escoutes mes préceptes, et les retiens pour les faire, le Seigneur te gardera sa promesse laquelle il a jurée à les pères. Il t’aimera, et te multipliera, et te bénira Deut. 7.12-13. Item, Si tu addresses bien tes voyes, sans décliner aux dieux estranges, et fais justice et droicture, et ne te destournes point à mal, j’habiteray avec toy Jér. 7.5, 23. Je n’en veux point réciter mille semblables, lesquelles se pourront despescher par une mesme solution : veu qu’elles ne diffèrent point en sens d’avec celles-ci. La somme est, que Moyse tesmoigne la bénédiction et la malédiction, la vie et la mort nous estre présentée en la Loy Deut. 11.26 ; 30.15. Ou il faut que nous facions ceste bénédiction oisive et infructueuse, ou que nous confessions la justification n’estre point en la seule foy. Pour response, nous avons ci-dessus monstré comment, si nous demeurons en la Loy, estans exclus de toute bénédiction, nous sommes enveloppez en la malédiction qui est dénoncée à tous transgresseurs Deut. 27.26. Car Dieu ne promet rien, sinon à celuy qui est parfait observateur de sa Loy : ce qui n’advient à homme du monde. Cela donc demeure tousjours ferme, que la Loy oblige tout le genre humain à malédiction et ire de Dieu : de laquelle si nous voulons estre délivrez, il nous faut sortir hors la puissance de la Loy, et estre mis comme de servitude en liberté. Non pas en une liberté charnelle, laquelle nous retire de l’obéissance de la Loy, et nous convie à dissolution et licence, et lasche la bride à nos concupiscences, pour se desborder : mais une liberté spirituelle, laquelle console et conferme la conscience troublée et espovantée, luy remonstrant qu’elle est délivrée de la malédiction et condamnation dont la Loy la tenoit enserrée. Nous obtenons ceste délivrance, quand en foy nous appréhendons la miséricorde de Dieu en Christ : par laquelle nous sommes rendus certains et asseurez de la rémission des péchez, du sentiment desquels la Loy nous poignoit et mordoit.
Par ceste raison les promesses mesmes qui nous sont offertes en la Loy, seroyent infructueuses et de nulle vertu, si la honte de Dieu ne nous secouroit par l’Evangile. Car ceste condition, que nous accomplissions la volonté de Dieu, dont elles dépendent, ne sera jamais accomplie. Or ce que le Seigneur nous subvient, n’est pas en nous laissant une partie de justice en nos œuvres, et suppléant ce qui défaut, par sa bénignité : mais en nous assignant son seul Christ pour accomplissement de justice. Car l’Apostre ayant dit, que luy et tous autres Juifs, sçachans que l’homme ne peut estre justifié par les œuvres de la Loy, avoyent creu en Jésus-Christ : adjouste la raison, non pas afin qu’ils fussent aidez par la foy de Christ à obtenir perfection de justice, mais afin d’estre justifiez sans les œuvres de la Loy Gal. 2.16. Si les fidèles se départent de la Loy, et vienent à la foy pour obtenir justice, laquelle ils ne trouvoyent point en la Loy, ils renoncent certes à la justice des œuvres. Qu’on amplifie donc maintenant tant qu’on voudra les rétributions que la Loy dénonce estre préparées à ses observateurs, moyennant qu’on considère aussi que nostre perversité fait que nous n’en recevions aucun fruit, jusques après avoir obtenu une autre justice. En ceste manière David, après avoir parlé de la rétribution que Dieu a préparée à ses serviteurs : incontinent se tourne à la recognoissance des péchez, par lesquels elle est anéantie. Il monstre bien doncques les biens qui nous devroyent venir de la Loy : mais quand il adjouste conséquemment, Qui est-ce qui entendra ses fautes Ps. 19.12 ? en ce il dénote l’empeschement qui fait que la jouissance n’en vient point jusques à nous. Item en un autre lieu, après avoir dit que toutes les voyes du Seigneur sont bonté et vérité à ceux qui le craignent : il adjouste, A cause de ton Nom Seigneur, tu seras propice à mon iniquité : car elle est très-grande Ps. 25.10-11. En telle manière, il nous faut recognoistre la bénévolence de Dieu nous estre mise en avant en la Loy, si nous la pouvions acquérir par nos œuvres : mais que par le mérite d’icelle jamais nous ne l’obtenons.
Quoy donc ? dira quelqu’un : les promesses légales sont-elles données en vain, afin de s’esvanouyr ? J’ay desjà testifié que je ne suis de ceste opinion : mais je di que l’efficace n’en vient point jusques à nous, ce pendant qu’elles sont référées au mérite des œuvres : et pourtant que si on les considère en elles-mesmes, elles sont aucunement abolies. En ceste manière l’Apostre dit, que ceste belle promesse, où Dieu dit qu’il nous a donné de bons préceptes, lesquels vivifieront ceux qui les feront Rom. 10.5 ; Lév. 18.5 ; Ezéch. 20.11 est de nulle importance, si nous nous arrestons à icelle : et qu’elle ne nous proufitera de rien plus que si elle n’avoit point esté donnée. Car ce qu’elle requiert, ne compète point mesmes aux plus saincts serviteurs de Dieu : qui sont tous bien loing de l’accomplissement de la Loy, et sont environnez de plusieurs transgressions. Mais quand les promesses évangéliques sont mises en avant, lesquelles dénoncent la rémission des péchez gratuite : non-seulement elles nous rendent agréables à Dieu, mais aussi font que nos œuvres luy soyent plaisantes. Et non-seulement afin qu’il les accepte : mais aussi qu’il les rémunère des bénédictions lesquelles estoyent deues à l’observation entière de sa Loy, par la convenance qu’il avoit faite. Je confesse doncques, que le loyer qu’avoit promis le Seigneur en sa Loy à tous observateurs de justice et saincteté, est rendu aux œuvres des fidèles : mais en telle rétribution il faut diligemment regarder la cause qui fait les œuvres estre favorables. Or il y a trois causes dont cela procède. La première est, que le Seigneur destournant son regard des œuvres de ses serviteurs, lesquelles méritent tousjours plustost confusion que louange, il reçoit et embrasse iceux en son Christ : et par le moyen de la seule foy, sans aide aucune des œuvres, il les réconcilie avec soy. La seconde est, que de sa bénignité et indulgence paternelle il fait cest honneur à leurs œuvres, sans regarder si elles en sont dignes ou non, de les avoir en quelque pris et estime. Le troisième est qu’il reçoit icelles œuvres en miséricorde, ne mettant point en conte l’imperfection qui y est : de laquelle elles sont toutes tellement pollues, qu’elles mériteroyent plus d’estre mises au nombre des vices que des vertus. Et de là il appert combien se sont trompez les Sophistes de Sorbonne, entant qu’ils ont pensé avoir évité toute absurdité, disans que les œuvres ne sont valables à mériter salut de leur bonté intérieure : mais pource que Dieu par sa bénignité les veut autant estimer. Mais cependant ils n’ont point observé combien les œuvres qu’ils veulent estre méritoires, sont loing de la condition requise és promesses légales, sinon que la justice gratuite, qui est appuyée sur la seule foy, précédast : et la rémission des péchez, par laquelle il faut que les bonnes œuvres mesmes soyent nettoyées de leurs macules. Pourtant des trois causes que nous avons récitées, qui font que les œuvres des fidèles soyent acceptées de Dieu, ils n’en ont noté que l’une, et se sont teus des deux autres, voire des principales.
Quoy donc ? dira quelqu’un : les promesses légales sont-elles données en vain, afin de s’esvanouyr ? J’ay desjà testifié que je ne suis de ceste opinion : mais je di que l’efficace n’en vient point jusques à nous, ce pendant qu’elles sont référées au mérite des œuvres : et pourtant que si on les considère en elles-mesmes, elles sont aucunement abolies. En ceste manière l’Apostre dit, que ceste belle promesse, où Dieu dit qu’il nous a donné de bons préceptes, lesquels vivifieront ceux qui les feront Rom. 10.5 ; Lév. 18.5 ; Ezéch. 20.11 est de nulle importance, si nous nous arrestons à icelle : et qu’elle ne nous proufitera de rien plus que si elle n’avoit point esté donnée. Car ce qu’elle requiert, ne compète point mesmes aux plus saincts serviteurs de Dieu : qui sont tous bien loing de l’accomplissement de la Loy, et sont environnez de plusieurs transgressions. Mais quand les promesses évangéliques sont mises en avant, lesquelles dénoncent la rémission des péchez gratuite : non-seulement elles nous rendent agréables à Dieu, mais aussi font que nos œuvres luy soyent plaisantes. Et non-seulement afin qu’il les accepte : mais aussi qu’il les rémunère des bénédictions lesquelles estoyent deues à l’observation entière de sa Loy, par la convenance qu’il avoit faite. Je confesse doncques, que le loyer qu’avoit promis le Seigneur en sa Loy à tous observateurs de justice et saincteté, est rendu aux œuvres des fidèles : mais en telle rétribution il faut diligemment regarder la cause qui fait les œuvres estre favorables. Or il y a trois causes dont cela procède. La première est, que le Seigneur destournant son regard des œuvres de ses serviteurs, lesquelles méritent tousjours plustost confusion que louange, il reçoit et embrasse iceux en son Christ : et par le moyen de la seule foy, sans aide aucune des œuvres, il les réconcilie avec soy. La seconde est, que de sa bénignité et indulgence paternelle il fait cest honneur à leurs œuvres, sans regarder si elles en sont dignes ou non, de les avoir en quelque pris et estime. Le troisième est qu’il reçoit icelles œuvres en miséricorde, ne mettant point en conte l’imperfection qui y est : de laquelle elles sont toutes tellement pollues, qu’elles mériteroyent plus d’estre mises au nombre des vices que des vertus. Et de là il appert combien se sont trompez les Sophistes de Sorbonne, entant qu’ils ont pensé avoir évité toute absurdité, disans que les œuvres ne sont valables à mériter salut de leur bonté intérieure : mais pource que Dieu par sa bénignité les veut autant estimer. Mais cependant ils n’ont point observé combien les œuvres qu’ils veulent estre méritoires, sont loing de la condition requise és promesses légales, sinon que la justice gratuite, qui est appuyée sur la seule foy, précédast : et la rémission des péchez, par laquelle il faut que les bonnes œuvres mesmes soyent nettoyées de leurs macules. Pourtant des trois causes que nous avons récitées, qui font que les œuvres des fidèles soyent acceptées de Dieu, ils n’en ont noté que l’une, et se sont teus des deux autres, voire des principales.
Or après que Dieu, ayant retiré l’homme d’un tel abysme de perdition, l’a sanctifié par la grâce d’adoption, pource qu’il l’a régénéré et reformé en une nouvelle vie : aussi il le reçoit et embrasse comme nouvelle créature, avec les dons de son Esprit. Et c’est l’acception de laquelle parle sainct Pierre. Car les fidèles après leur vocation sont agréables à Dieu, mesmes au regard de leurs œuvres 1Pi. 2.5 : pource qu’il ne se peut faire que Dieu n’aime les biens qu’il leur a conférez par son Esprit. Néantmoins il nous faut tousjours retenir cela, qu’ils ne sont pas autrement agréables à Dieu à raison de leurs œuvres, sinon pourtant que Dieu, à cause de l’amour gratuite qu’il leur porte, en augmentant de plus en plus sa libéralité, accepte leurs œuvres. Car dont leur vienent les bonnes œuvres, sinon d’autant que le Seigneur comme il les a esleus pour instrumens honorables, aussi les veut orner de vraye pureté Rom. 9.21 ? Et dont est-ce qu’elles sont réputées bonnes, comme s’il n’y avoit rien à redire, sinon pource que ce bon Père pardonne les taches et macules dont elles sont souillées ? En somme, sainct Pierre ne signifie autre chose en ce lieu, sinon que Dieu aime ses enfans, ausquels il voit la similitude de sa face imprimée. Car nous avons enseigné ci-dessus, que nostre régénération est comme une réparation de son image en nous. Puis doncques qu’ainsi est que le Seigneur à bon droict aime et a en honneur son image par tout où il la contemple, non sans cause il est dit que la vie des fidèles estant formée et reiglée à saincteté et justice, luy est plaisante. Mais pource que les fidèles, ce pendant qu’ils sont environnez de leur chair mortelle, sont encores pécheurs, et leurs bonnes œuvres seulement commencées, tellement qu’il y a beaucoup de vices : Dieu ne peut estre propice, ni à ses enfans, ni à leurs œuvres, sinon qu’il les reçoyve en Christ plustost qu’en eux-mesmes. Il nous faut en ce sens prendre les passages qui tesmoignent que Dieu est propice et bénin à ceux qui vivent justement. Moyse disoit aux Israélites, Le Seigneur ton Dieu garde en mille générations son alliance, et sa miséricorde à ceux qui l’aiment et gardent ses commandemens Deut. 7.9. Laquelle sentence estoit usitée entre le peuple, comme un dicton commun : comme nous voyons en la prière solennelle que fait Salomon, Seigneur Dieu d’Israël, qui gardes l’alliance et miséricorde à tes serviteurs, qui cheminent devant toy de ? tout leur cœur 1Rois 8.23. Autant en est-il dit en l’oraison de Néhémiah Néh. 1.5. La raison est : comme le Seigneur faisant alliance de sa grâce, requiert mutuellement de ses serviteurs saincteté et intégrité de vie, afin que sa bonté ne soit en mocquerie et mespris, et que personne ne s’enfle d’une vaine confiance de sa miséricorde, pour estre en seureté cheminant perversement Deut. 29.18 : ainsi après les avoir receus en société de son alliance, il les veut retenir par ce moyen à faire leur devoir. Néantmoins l’alliance ne laisse point de se faire gratuite du commencement, et demeurer tousjours telle. Selon ceste raison David, combien qu’il dise qu’il a receu le loyer de la pureté de ses mains Ps. 18.20-21, toutesfois n’oublie pas ce principe que j’ay noté : c’est que Dieu l’a tiré du ventre de la mère, pource qu’il l’a aimé. Parlant ainsi, il maintient tellement sa cause estre bonne et juste, qu’il ne dérogue en rien à la miséricorde gratuite de Dieu, laquelle prévient tous biens desquels elle est origine.
Il sera bon de noter en passant, quelle différence il y a entre telles locutions et les promesses légales. J’appelle Promesses légales, non pas toutes celles qui sont couchées çà et là en la Loy de Moyse, veu qu’on y en trouvera plusieurs Evangéliques : mais j’enten celles qui appartienent proprement à la doctrine de la Loy. Telles promesses, quelque nom qu’on leur impose, promettent rémunération et loyer, sous condition, si nous faisons ce qui est commandé. Mais quand il est dit que le Seigneur garde la promesse de sa miséricorde à ceux qui l’aiment : c’est plustost pour démonstrer quels sont ses serviteurs qui ont receu de cœur son alliance, que pour exprimer la cause pourquoy Dieu leur est propice. La raison pour démonstrer cela est, comme le Seigneur par sa bénignité nous appelle en espérance de vie éternelle, afin d’estre craint, aimé et honoré de nous : aussi toutes les promesses de sa miséricorde qu’on lit en l’Escriture, à bon droict, sont appliquées à ceste fin, c’est que nous l’ayons en honneur et révérence. Toutes fois et quantes doncques que nous oyons que le Seigneur fait bien à ceux qui observent sa Loy, qu’il nous souviene qu’en ceste manière l’Escriture démonstre qui sont les enfans de Dieu, par la marque qui leur doit estre perpétuelle. Considérons qu’il nous a adoptez pour ses enfans, afin que nous l’honorions comme nostre Père. Afin doncques de ne renoncer au droict de nostre adoption, il nous faut efforcer de tendre où nostre vocation nous meine. D’autre part néantmoins, que nous tenions cela pour asseuré, que l’accomplissement de la miséricorde de Dieu ne dépend point des œuvres des fidèles : mais ce qu’il accomplit la promesse de salut en ceux qui par droicture de vie respondent à leur vocation, que cela est pource qu’il recognoist en eux les vrayes marques et enseignes de ses enfans : asçavoir les grâces de son Esprit. Il nous faut à cela rapporter ce qui est dit au Pseaume XV, des citoyens de Jérusalem : Seigneur, qui habitera en ton tabernacle, et fichera son siège en ta montagne saincte ? Celuy qui est innocent en ses mains, et pur en son cœur Ps. 15.1-2 etc. Item en Isaïe, Qui est-ce qui habitera avec le feu qui consume tout ? Celuy qui fait justice, parle en vérité Esaïe 33.14-15, etc., et autres semblables. Car cela n’est point dit pour descrire le fondement, sur lequel doyvent consister les fidèles devant Dieu : mais seulement la manière par laquelle il les appelle en sa compagnie, et en icelle les entretient et conserve. Pource qu’il déteste le péché, et aime la justice : ceux qu’il veut conjoindre à soy, il les purifie de son Esprit, afin de les rendre conformes à sa nature. Pourtant si ou demande la cause première, par laquelle l’entrée nous est ouverte au Royaume de Dieu, et avons le moyen d’y persévérer : la response est preste, c’est pource que le Seigneur nous a une fois adoptez par sa miséricorde, et nous conserve tousjours. Si on demande de la manière comment cela se fait : lors il faut venir à nostre régénération et aux fruits d’icelle, dont il est parlé en ce Pseaume et autres passages.
Mais il semble advis qu’il y ait beaucoup plus de difficulté à soudre les tesmoignages qui honorent les bonnes œuvres du tiltre de justice, et disent que par icelles l’homme est justifié. Quant est du premier genre, nous voyons que çà et là les commandemens de Dieu sont appelez Justifications et Justices. Du second, nous en avons exemple en Moyse, quand il dit, Ceste sera nostre justice, si nous gardons tous ces commandemens Deut. 6.25. Et si on réplique que c’est une promesse légale, à laquelle est adjoincte une condition impossible : il y en a d’autres dont on ne sçauroit dire le mesme. Comme quand il dit. Cela te sera imputé pour justice, si tu rens au povre le gage qu’il t’aura donné Deut. 24.13. Pareillement le Prophète dit, que le zèle qu’eut Phinées à venger l’opprobre d’Israël, luy a esté imputé à justice Ps. 106.30-31. Parquoy les Pharisiens de nostre temps pensent avoir belle matière de crier contre nous en cest endroict. Car quand nous disons que la justice de foy establie, il faut que la justice des œuvres soit abatue : aussi ils arguent au contraire que si la justice est par les œuvres, qu’il n’est pas vray que nous soyons justifiez par la seule foy. Encores que je leur ottroye que les commandemens de la Loy soyent appelez Justice, ce n’est point merveille : car de faict ils le sont. Combien que les lecteurs doyvent estre advertis que les Grecs ont translaté mal proprement le mot hébrieu, mettans au lieu d’Edits ou Statuts, Justifications. Au reste, je ne débatray point du mot : comme aussi nous n’ostons point cela à la Loy de Dieu, qu’elle ne contiene parfaite justice. Car combien que pource que nous sommes debteurs de tout ce qu’elle requiert, quand bien nous y aurions satisfait, encores sommes-nous serviteurs inutiles : toutesfois puis que le Seigneur a fait cest honneur à l’observation d’icelle, de l’appeler Justice, ce n’est pas à nous de luy oster ce qu’il luy a donné. Nous confessons doncques volontiers que l’obéissance de la Loy est Justice, l’observation d’un chacun commandement est partie de justice : moyennant que nulles des autres parties ne défaillent. Mais nous nions, qu’on puisse monstrer en tout ce monde une telle justice. Et à ceste cause nous abolissons la justice de la Loy ; non pas que de soy elle soit insuffisante : mais pource qu’à cause de la débilité de nostre chair, elle n’apparoist nulle part. Mais quelqu’un pourra dire, que l’Escriture n’appelle pas seulement les préceptes de Dieu, Justice : mais qu’elle attribue ce tiltre aussi aux œuvres des fidèles. Comme quand elle récite que Zacharie et sa femme ont gardé les justices du Seigneur Luc 1.6. Je respon, qu’en parlant ainsi elle estime plus les œuvres de la nature de la Loy, que de leur propre condition. Combien qu’il fale encores yci observer ce que j’ay dit n’aguères, que la translation vicieuse des Grecs ne nous doit point estre pour loy. Mais pource que sainct Luc n’a rien voulu changer en ce qui estoit receu de son temps, je passeray volontiers cela. Bien est vray que le Seigneur, par le contenu de sa Loy, a monstré aux hommes quelle est la justice : mais nous ne mettons point icelle justice en exécution, sinon en observant toute la Loy. Car par chacune transgression elle est corrompue. Puis doncques que la Loy n’enseigne que justice : si nous regardons à icelle, tous ses commandemens sont justice. Si nous considérons les hommes, pour observer un commandement, ils ne mériteront point la louange de justice, estans transgresseurs en plusieurs : et veu mesmes qu’ils ne font œuvre pour obéir à Dieu qui ne soit vicieuse aucunement, à cause de son imperfection. Nostre response doncques est, que quand les œuvres des saincts sont nommées Justice, cela ne vient point de leurs mérites : mais entant qu’elles tendent à la justice que Dieu nous a commandée, laquelle est nulle, si elle n’est parfaite. Or elle ne se trouve parfaite en nul homme du monde : pourtant faut conclurre, qu’une bonne œuvre de soy ne mérite pas le nom de justice.
Je vien maintenant au second genre, où gist la principale difficulté. Sainct Paul n’a nul argument plus ferme pour prouver la justice de la foy, que quand il allègue ce qui est escrit de Moyse, la foy avoir esté imputée à Abraham pour justice Gal. 3.6. Puis doncques que le zèle de Phinées, selon le Prophète, luy a esté imputé à justice Ps. 106.31 : ce que sainct Paul argue de la foy, on le pourra aussi conclurre des œuvres. Pourtant nos adversaires, comme ayans la victoire en main, déterminent que jà soit que nous ne soyons point justifiez sans foy, néantmoins nous ne sommes pas justifiez par icelle seule, mais qu’il faut conjoindre les œuvres avec, pour parfaire la justice. J’adjure yci tous ceux qui craignent Dieu, que comme ils sçavent qu’il faut prendre la reigle de justice de la seule Escriture : aussi ils vueillent diligemment, et en humilité de cœur, considérer avec moy comme l’Escriture se peut accorder à elle-mesme, sans aucune cavillation. Sainct Paul sçachant que la justice de foy est un refuge à ceux qui sont desnuez de leur propre justice, infère hardiment, que quiconque est justifié par la foy, est exclus de la justice des œuvres. Sçachant d’autre part que la justice de foy est commune à tous serviteurs de Dieu, il infère derechef d’une mesme confiance, que nul n’est justifié par les œuvres : mais plustost au contraire, que nous sommes justifiez sans aucune aide de nos œuvres. Mais c’est autre chose de disputer de quelle valeur sont les œuvres en elles-mesmes, et en quelle estime elles sont devant Dieu, après la justice de la foy establie. S’il est question de priser les œuvres selon leur dignité, nous disons qu’elles sont indignes d’estre présentées devant la face de Dieu : ainsi, qu’il n’y a homme du monde qui ait rien en ses œuvres, dont il se puisse glorifier devant Dieu. Ainsi il reste, que tous estans desnuez de toute aide de leurs œuvres, soyent justifiez par la seule foy. Or nous exposons ceste justice estre telle : c’est que le pécheur estant receu en la communion de Christ, est par sa grâce réconcilié à Dieu : d’autant qu’estant purifié par son sang, il obtient rémission de ses péchez : et estant vestu de la justice d’iceluy, comme de la siene propre, il peut consister devant le throne judicial de Dieu. Après que la rémission des péchez est mise, les œuvres qui s’ensuyvent sont estimées d’ailleurs que de leur mérite. Car tout ce qui est imparfait, est couvert par la perfection de Christ ; tout ce qui y est d’ordures et de taches, est nettoyé par sa pureté, pour ne venir point en conte. Après que la coulpe des transgressions est ainsi effacée, laquelle empeschoit les hommes de produire chose qui fust agréable à Dieu : après aussi que les vices d’imperfections sont ensevelis, dont toutes bonnes œuvres sont entachées et maculées, lors les bonnes œuvres que font les fidèles, sont estimées justes : ou bien, qui vaut autant à dire, sont imputées à justice.
Si maintenant quelqu’un m’objecte cela, pour m’impugner la justice de la foy : premièrement je l’interrogueray, si un homme doit estre réputé juste pour deux ou trois bonnes œuvres, estant transgresseur de la Loy en toutes les autres. Cela seroit trop desraisonnable. Puis après je luy demanderay, si mesme pour plusieurs bonnes œuvres il est juste, quand on le pourra trouver coupable en aucune chose. Encore n’osera pas mon adversaire affermer cela, veu que la sentence de Dieu y contredit, laquelle prononce tous ceux qui n’auront accomply tous les préceptes, estre maudits Deut. 27.26. Je passeray encore outre, demandant s’il y a une seule bonne œuvre, en laquelle on ne puisse noter aucune impureté ou imperfection. Or comment cela se pourroit-il faire devant les yeux de Dieu, ausquels les estoilles ne sont point pures ne claires, ne les Anges justes Job 4.18 ? Pourtant il sera contraint de confesser qu’on ne trouvera nulle bonne œuvre, laquelle ne soit pollue et corrompue, tant par les transgressions qu’aura commises l’homme en autre endroit, que par sa propre imperfection : tellement qu’elle ne sera pas digne d’avoir le nom de Justice. Or si c’est chose notoire que cela procède de la justification de la foy, que les œuvres qui autrement estoyent impures, corrompues, indignes de comparoistre devant Dieu (tant s’en faut qu’elles luy fussent plaisantes) soyent imputées à justice: pourquoy alleguerons-nous la justice des œuvres, pour destruire la justice de la foy, de laquelle icelle est produite, et en laquelle elle consiste ? Voudrions-nous faire une lignée serpentine, que les enfans meurtrissent leur mère ? Or le dire de nos adversaires tend là. Ils ne peuvent nier que la justification de la foy ne soit commencement, fondement, cause, matière, substance de la justice des œuvres. Neantmoins ils concluent que l’homme n’est pas justifié de foy : pource que les bonnes œuvres sont imputées à justice. Laissons donc ces fatras : et confessons à la vérité ce qui en est: c’est que si toute la justice qui peut estre en noz œuvres procède et dépend de la justification de foy, non seulement cestecy n’est en rien diminuée par celle-là, mais plus tost confermée: d’autant que sa vertu apparoist plus ample. Davantage, ne pensons pas les œuvres estre tellement prisées après la justification gratuite, qu’elles succèdent au lieu de justifier l’homme, ou bien le justifient à demy avec la foy. Car si la justice de foy ne demeure tousjours en son entier, l’immondicité des œuvres sera descouverte, tellement qu’elles ne mériteront que condemnation. Or il n’y a nulle absurdité en cela, que l’homme soit tellement justifié par foy, que non seulement il soit juste en sa personne, mais aussi que ses œuvres soyent réputées justes, sans ce qu’elles l’ayent mérité.
Par ce moyen nous concéderons non seulement qu’il y a portion de justice aux œuvres, (ce que nos adversaires prétendent) mais qu’elles sont approuvées de Dieu, comme si elles estoyent parfaites : moyennant qu’il nous souvienne sur quoy la justice d’icelles est fondée : qui est pour soudre toute difficulté. Car l’œuvre commence d’estre agréable à Dieu, quand il la reçoit avec pardon. Or dont est-ce que vient ce pardon, sinon que Dieu regarde et nos personnes, et tout ce qui procède de nous en Jésus-Christ ? Tout ainsi donc que nous apparoissons justes devant Dieu après que nous sommes faits membres de Christ, entant que par son innocence nos fautes sont cachées : ainsi nos œuvres sont tenues pour justes, entant que ce qu’il y a de vice en icelles estant couvert par la pureté de Christ, ne nous est point imputé. Parquoy nous pouvons dire à bon droit, que par la seule foy non seulement l’homme, mais aussi ses œuvres sont justifiées. Or si ceste justice des œuvres telle quelle procède de la foy et de la justification gratuite, il ne faut pas qu’on la prenne pour destruire ou obscurcir la grâce dont elle dépend : mais plustost doit estre enclose en icelle, et se rapporter à icelle, comme le fruit à l’arbre. En ceste manière sainct Paul voulant prouver que nostre béatitude consiste en la miséricorde de Dieu, et non pas en nos œuvres, presse fort ce que dit David : Bienheureux sont ceux ausquels les iniquitez sont remises, desquels les péchez sont cachez. Bienheureux est l’homme auquel le Seigneur n’a point imputé ses fautes Rom. 4.7 ; Ps. 32.1-2. Si quelqu’un vouloit alléguer au contraire infinis tesmoignages, lesquels semblent advis constituer la béatitude en nos œuvres : comme quand il est dit, Bien-heureux est l’homme qui craind Dieu Ps. 112.1, qui a pitié du povre affligé Prov. 14.21, qui n’a point cheminé au conseil des meschans Ps. 1.1, qui porte tentation Jacq. 1.12, qui garde justice et jugement Ps. 106.3 ; 119.1 ; Bien-heureux sont les povres d’esprit, etc., tout cela ne fera pas que ce que dit sainct Paul ne demeure vray. Car veu que ces vertus qui sont là récitées ne sont jamais tellement toutes en l’homme, qu’elles puissent estre acceptées de Dieu d’elles-mesmes : il s’ensuit que l’homme est tousjours misérable, jusques à ce qu’il est délivré de misère par la rémission de ses péches. Puis donc qu’ainsi est, que toutes les espèces de béatitude que récite l’Escriture sont anéanties et peries, tellement que le fruit d’une seule n’en revient point à l’homme, sinon que premièrement il obtienne béatitude en la remission de ses péchés, laquelle donne lieu à toutes les autres bénédictions de Dieu: il s’ensuit que ceste béatitude gratuite non seulement est principale et souveraine, mais unique : sinon que nous vueillions qu’elle soit destruite et abolie par les bénédictions qui consistent en icelle seule. Il n’y a pas maintenant grand propos, que cela nous doive troubler, ou engendrer quelque scrupule, que les fidèles sont souvent nommez Justes, en l’Escriture. Je confesse qu’ils ont ce tiltre pour leur saincte vie. Mais connue ainsi soit qu’ils appliquent plus leur estude à suyvre justice, qu’ils ne l’accomplissent: c’est bien raison que ceste justice des œuvres, telle quelle, soit submise a la justice de la foy, en laquelle elle est fondée, et de laquelle elle tient tout ce qu’elle est.
Mais nos adversaires poursuyvent outre, et disent que sainct Jaques nous contrarie si évidemment, qu’il nous est impossible de nous en despescher. Car il enseigne qu’Abraham a esté justifié par les œuvres : et que nous tous aussi sommes justifiez par les œuvres, et non point de la seule loy Jacq. 2.21-24. Mais je demande s’ils veulent tirer en combat sainct Jaques avec sainct Paul. S’ils tiennent sainct Jaques pour ministre de Christ, il faut tellement prendre sa sentence, qu’elle ne désaccorde point d’avec Christ, lequel a parlé par la bouche de sainct Paul. Le sainct Esprit afferme par la bouche de sainct Paul, qu’Abraham a obtenu justice par foy, et non point par ses œuvres, et qu’il faut aussi que nous soyons tous justifiez sans les œuvres de la Loy. Le mesme Esprit dénonce par sainct Jaques, que nostre justice consiste en œuvres, et non seulement en foy. Il est certain que l’Esprit n’est point répugnant à soy : quelle donc sera la concorde ? Il suffist à nos adversaires, s’ils peuvent desraciner la justice de foy, laquelle nous voulons estre plantée au profond du cœur. De donner repos aux consciences, ils ne s’en soucient point beaucoup. Et pourtant on voit comment ils s’efforcent d’esbranler la justice de foy : mais cependant ils ne monstrent nulle certaine reigle de justice, à laquelle les consciences se puissent ranger. Qu’ils triomphent donc tant qu’ils voudront, moyennant qu’ils ne se puissent vanter d’autre victoire, que d’avoir osté toute certitude de justice. Or ils obtiendront ceste maudite victoire, aux lieux où ayans esteinct toute lumière de vérité, ils auront aveuglé le monde de leurs ténèbres. Mais partout où la vérité de Dieu demeurera ferme, ils ne profiteront rien. Je nie donc que la sentence de sainct Jaques (laquelle ils ont tousjours en la bouche, et de laquelle ils font leur grand bouclier) leur favorise aucunement. Pour liquider cela, il nous faut premièrement regarder le but où il tend, puis après observer en quoy c’est qu’ils s’abusent. Pource qu’il y en avoit lors plusieurs (comme ce mal est coustumièrement en l’Eglise) lesquels demonstroyent leur infidélité en mesprisant tout ce qui est propre aux fidèles : et néantmoins ne cessoyent de se glorifier faussement du tiltre de foy, sainct Jaques se moque de ceste folle outrecuidance. Ce n’est pas donc son intention de detracter en rien qui soit de la vraye foy, mais d’éclairer combien estoyent ineptes tels baveurs, de tant attribuer à une vaine apparence de foy, que se contentans d’icelle, ils menoyent cependant une vie dissolue. Cela considéré, il est maintenant facile de juger en quoy se trompent nos adversaires. Car ils faillent doublement : c’est qu’ils prennent mal le mot de Foy, puis aussi de Justifier. Sainct Jaques en nommant la foy, n’entend autre chose qu’une opinion frivole, qui est bien différente de la vérité de la foy. Ce qu’il fait par une manière d’ottroy : comme il monstre dés le commencement par ces paroles, Que profite cela, mes frères, si quelcun dit qu’il a la foy, et qu’il n’ait pas les œuvres Jacq. 2.14 ? Il ne dit pas, Si quelqu’un a la foy sans œuvres : mais, S’il se vante de l’avoir. Puis après encores plus clairement, en faisant par mocquerie ceste foy pire que la cognoissance des diables : finalement en l’appelant Morte. Mais on pourra suffisamment entendre ce qu’il veut dire par la définition qu’il en met : Tu crois, dit-il, qu’il y a un Dieu. Certes si tout le contenu de ceste foy est de simplement croire qu’il y a un Dieu, ce n’est pas de merveille si elle ne peut justifier. Et ne faut pas que nous pensions que cela dérogue rien à la foy Chrestienne, de laquelle la nature est bien autre. Car comment est-ce que la vraye foy justifie, sinon en nous adjoignant à Jésus-Christ, afin qu’estans faits un avec luy, nous jouissions de la participation de sa justice ? Elle ne justifie pas donc pour avoir conceu quelque intelligence de divinité : mais par ce qu’elle fait reposer l’homme en la certitude de la miséricorde de Dieu.
Nous n’avons point encores touché le but, jusques à ce que nous aurons descouvert l’autre erreur. Car il semble advis que sainct Jaques mette une partie de nostre justice aux œuvres. Mais si nous le voulons faire accorder et à toute l’Escriture et à soy-mesme, il est nécessaire de prendre autrement en ce lieu le vocable de Justifier, qu’il ne se prend en sainct Paul. Car sainct Paul appelle Justifier, quand la mémoire de nostre injustice estant effacée, nous sommes réputez justes. Si sainct Jaques eust là regardé, il eust cité mal à propos le tesmoignage de Moyse, qu’Abraham a creu à Dieu, etc. Car il adjouste conséquemment, qu’Abraham a obtenu justice par ses œuvres, entant qu’il n’a point douté d’immoler son fils au commandement de Dieu : et ainsi que l’Escriture a esté accomplie, laquelle dit qu’il a creu à Dieu, et luy a esté imputé à justice. Si c’est chose absurde que l’effect précède sa cause : ou Moyse tesmoiyne faussement en ce lieu-là que la foy a esté imputée pour justice à Abraham, ou il n’a point mérité sa justice par l’obéissance qu’il a rendue à Dieu en voulant sacrifier Isaac. Abraham a esté justifié par sa foy devant qu’Ismael fust conceu, lequel estoit jà grand devant la nativité d’Isaac. Comment dirons-nous donc qu’il s’est acquis justice par l’obéissance qui a esté long temps après ? Pourtant, ou sainct Jaques a renversé tout l’ordre (ce qui n’est licite de penser) ou en disant qu’il a esté justifié, il n’a pas entendu qu’il eust mérité d’estre tenu pour juste. Quoy donc ? Certainement il appert qu’il parle de la déclaration de justice devant les hommes, et non pas de l’imputation de justice quant à Dieu : comme s’il disoit, Ceux qui sont justes de foy, approuvent leur justice par obéissance et bonnes œuvres, et non point par une masque nue et imaginaire de foy. En somme, il ne dispute point par quel moyen nous sommes justifiez, mais il requiert des fidèles une justice qui se déclaire par œuvres. Et comme sainct Paul afferme que l’homme est justifié sans aide de ses œuvres : aussi sainct Jaques ne concède pas que celuy qui se dit juste, soit despourveu de bonnes œuvres. Ceste considération nous délivrera de tout scrupule. Car nos adversaires s’abusent principalement en cela, qu’ils pensent que sainct Jaques détermine quelle est la manière d’estre justifié : comme ainsi soit qu’il ne tache à autre fin, que d’abbattre la vaine confiance de ceux qui pour excuser leur nonchalance de bien faire, prétendent faussement le tiltre de foy. Parquoy comment qu’ils tournent et revirent les paroles de sainct Jaques, ils n’en pourront tirer que ces deux sentences : c’est, qu’une vaine imagination de foy ne nous justifie pas : item, que le fidèle n’estant point content d’une telle imagination, declaire sa justice par bonnes œuvres.
Ce qu’ils allèguent de sainct Paul en un mesme sens, ne les aide en rien : asçavoir que les facteurs de la Loy seront justifiez, non pas les auditeurs Rom. 2.13. Je ne veux point évader par la solution de sainct Ambroise, lequel expose cela estre dit, pource que l’accomplissement de la Loy est la foy en Christ. Car il me semble que c’est un subterfuge, duquel il n’est jà mestier quand la plene voye est ouverte. En ce passage-là sainct Paul rabat l’orgueil des Juifs, qui se glorifioyent en la seule cognoissance de la Loy, combien qu’ils en fussent grans contempteurs. Afin doncques qu’ils ne se pleussent pas tant en une cognoissance nue, il les admoneste que si nous cherchons nostre justice en la Loy, il faut venir à l’observation, et non pas à l’intelligence d’icelle. Certes nous ne révoquons pas cela en doute, que la justice de la Loy ne consiste en bonnes œuvres. Nous ne nions pas non plus qu’en observation entière de saincteté et innocence il n’y ait plene justice : mais il n’est pas encores prouvé que nous soyons justifiez par œuvres, sinon qu’on en produise quelqu’un qui ait accomply la Loy. Or que sainct Paul n’ait voulu autre chose dire, sa procédure en rend tesmoignage. Après avoir condamné d’injustice tant Juifs que Gentils indifféremment, il descend après à particulariser, et dit que ceux qui ont péché sans la Loy, périront sans la Loy : ce qui appartient aux Gentils. D’autre part, que ceux qui ont péché en la Loy, seront jugez par la Loy : ce qui est propre aux Juifs. Or pource qu’iceux fermans les yeux à leurs transgressions se glorifioyent de la seule Loy, il adjouste ce qui estoit bien convenable, que la Loy ne leur estoit pas donnée afin qu’escoutans seulement la voix d’icelle ils fussent rendus justes, mais en obéissant à ses commandemens. Comme s’il disoit, Cherches-tu justice en la Loy ? n’allègue point la seule ouye laquelle a de soy peu d’importance, mais produy les œuvres par lesquelles tu puisses monstrer que la Loy ne t’a pas esté donnée en vain. Puis que tous défailloyent en cela, il s’ensuyvoit qu’ils estoyent despouillez de la gloire qu’ils prétendoyent. Pourtant il faut plustost du sens de sainct Paul former un argument contraire : c’est que si la justice de la Loy est située en perfection de bonnes œuvres, et nul ne se peut vanter d’avoir satisfait à la Loy par ses œuvres : la justice de la Loy est nulle entre les hommes.
Après, nos adversaires nous assaillent des passages où les fidèles offrent hardiment leur justice à Dieu pour estre examinée, et désirent de recevoir sentence selon icelle. Comme quand David dit, Juge-moy, Seigneur, selon ma justice, et selon l’innocence qui est en moy Ps. 7.8. Item, Exauce, Seigneur, ma justice : tu as esprouvé mon cœur, et l’as visité de nuict, et ne s’est point trouvé d’iniquité en moy Ps. 17.1-3. Item, Le Seigneur me rétribuera selon ma justice, et me rendra selon la pureté de mes mains : car j’ay gardé la droicte voye, et n’ay point décliné de mon Dieu Ps. 18.21, etc. Item, Juge moy, Seigneur, car j’ay cheminé en innocence. Je ne me suis point assis au rang des menteurs, et ne me suis point meslé avec les meschans. Ne pers point doncques mon âme avec les iniques Ps. 26.1, 4, 5, 9 etc. J’ay dit ci-dessus de la confiance que les fidèles semblent advis simplement prendre des œuvres. Les passages que nous avons yci amenez ne nous empescheront pas beaucoup, si nous les considérons en leur circonstance, laquelle est double. Car les fidèles en ce faisant ne veulent pas que toute leur vie soit examinée, afin que selon icelle ils soyent absous ou condamnez : mais présentent à Dieu quelque cause particulière pour en juger. Secondement, ils s’attribuent justice, non pas au regard de la perfection de Dieu, mais en comparaison des meschans et iniques. Premièrement, quand il est question de justifier l’homme, il n’est pas seulement requis qu’il ait bonne et juste cause en quelque affaire particulier, mais qu’il ait une justice entière en tout le cours de sa vie : ce qu’il n’a jamais eu et n’aura. Or en ces oraisons où les saincts invoquent le jugement de Dieu pour approuver leur innocence, ils ne se veulent pas vanter d’estre purs et nets de tout péché, et qu’il n’y ait rien à redire en leur vie : mais après avoir mis toute fiance de salut en la bonté de Dieu, se confians néantmoins qu’il est le protecteur des povres, pour venger les injures qu’on leur fait, et pour les défendre quand on les afflige à tort, ils luy recommandent leur cause, en laquelle ils sont affligez estans innocens. D’autre part, en se présentant avec leurs adversaires devant le throne de Dieu, ils n’allèguent point une innocence laquelle puisse respondre à sa pureté, si elle estoit espluchée selon sa rigueur : mais pource qu’ils sçavent bien que leur sincérité, justice et simplicité est plaisante et agréable à Dieu, au pris de la malice, meschanceté et astuces de leurs adversaires : ils ne doutent pas d’invoquer Dieu pour juge entre eux et les iniques. En ceste manière quand David disoit à Saul, Que le Seigneur rende à chacun selon la justice et vérité qu’il trouvera en luy 1Sam. 26.23, il n’entendoit pas que Dieu examinast un chacun par soy, et le remunérast selon ses mérites : mais il protestoit devant Dieu quelle estoit son innocence au pris de l’iniquité de Saül. Sainct Paul aussi, quand il se glorifie au bon tesmoignage de sa conscience, qu’il a fait son office en simplicité et intégrité 2Cor. 1.12 ; Actes 23.1 : il n’entend pas s’appuyer et reposer sur ceste gloire quand il viendra au jugement de Dieu : mais estant contraint par les calomnies des meschans, il maintient contre leur malédicence sa loyauté et preud’hommie, laquelle il sçavoit estre cognue et agréable à Dieu. Car nous voyons ce qu’il dit en un autre lieu : c’est qu’il ne se sent point coulpable, mais qu’en cela il n’est pas justifié 1Cor. 4.4. Certes il réputoit bien que le jugement de Dieu est bien autre que l’estime des hommes. Pourtant, combien que les fidèles allèguent Dieu pour tesmoin et juge de leur innocence contre la mauvaistie des hypocrites, toutesfois quand ils ont affaire à Dieu seul, ils crient tous d’une voix. Seigneur, si tu prens garde aux iniquitez, qui est-ce qui subsistera Ps. 130.3 ? Item, Seigneur, n’entre point en jugement avec tes serviteurs : car nul vivant ne sera justifié devant la face Ps. 143.2. Et se desfians de leurs œuvres confessent volontiers que sa bonté est meilleure que toute vie Ps. 63.3.
Il y a d’autres lieux quasi semblables, ausquels quelqu’un pourroit estre empesché. Solomon dit que celuy qui chemine en intégrité, est juste : item, qu’en la voye de justice on trouvera vie, et qu’il n’y aura point’ de mort Prov. 20.7 ; 12.28. Selon laquelle raison Ezéchiel dénonce, que celuy qui fera justice et jugement, vivra tousjours Ezéch. 18.9 ; 33.15. Je respon que nous ne voulons rien nier ne dissimuler, n’obscurcir de toutes ces choses ; mais qu’il y en vienne un seul en avant avec une telle intégrité. S’il ne se trouve nul homme mortel qui le puisse faire, ou il faut que tous périssent au jugement de Dieu, ou qu’ils ayent leur refuge à sa miséricorde. Cependant encores ne nions-nous pas que l’intégrité qu’ont les fidèles, combien qu’elle soit imparfaite, et qu’il y ait beaucoup à redire, ne leur soit comme un degré à immortalité: mais dont vient cela, sinon que quand le Seigneur a receu un homme en l’alliance de sa grâce, il n’espluche point ses œuvres selon leurs mérites, mais les accepte de bénignité paternelle, sans ce qu’elles eu soyent dignes ? Par lesquelles paroles nous n’entendons pas seulement ce qu’enseignent les Scolastiques, c’est que les œuvres ont leur valeur de la grâce de Dieu qui les accepte : car en cela disant, ils entendent que les œuvres lesquelles seroyent autrement insuffisantes pour acquérir salut, reçoyvent leur suffisance de ce qu’elles sont prisées et acceptées de Dieu, selon la paction de la Loy. Mais je di au contraire : que toutes œuvres, entant qu’elles sont pollues tant par autres transgressions que de leurs propres macules, ne peuvent rien valoir sinon d’autant que nostre Seigneur n’impute point les macules dont elles sont entachées, et pardonne à l’homme toutes ses fautes: ce qui est donner justice gratuite. Et n’y a point de propos d’alléguer icy les prières que fait aucunesfois sainct Paul, où il désire une si grande perfection aux fidèles, qu’ils soyent trouvez irrépréhensibles et sans coulpe au jugement du Seigneur Ephés. 1.4 ; Phil. 2.15 ; 1Thess. 3.13, et autres. Les Célestins anciens hérétiques s’aidoyent de telles sentences, pour prouver que l’homme peut avoir parfaite justice en la vie présente. Nous respondons après sainct Augustin, ce que nous pensons pouvoir suffire : c’est que tous fidèles doyvent bien aspirer à ce but, d’apparoistre une fois devant Dieu purs et sans macule : mais pource que le meilleur estat et le plus parfait que nous puissions avoir en la vie présente, n’est autre chose que de profiter de jour en jour : lors nous parviendons à ce but, quand après estre despouillez de nostre chair pécheresse, nous adhérerons pleinement à nostre Dieu. Combien que je ne voudroye point estre opiniastre pour résister à celuy qui voudroit attribuer aux Saincts le tiltre de perfection, moyennant qu’il la definis avec sainct Augustin, lequel escrit ainsi au troisième livre a Boniface : Quand nous appelions la vertu des saincts Parfaite, à la perfection d’icelle est requise la cognoissance de l’imperfection : c’est que tant en vérité qu’en humilité les saincts recognoissent combien ils sont imparfaits.