Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 3
Depuis la prise du commandement par Vespasien jusqu'à la soumission de la Galilée (67 ap. J.-C.)

CHAPITRE 10
Défaite des Juifs devant Tarichées ; prise de cette ville par Vespasien et Titus. Le lac de Tibériade et le Jourdain. Combat naval sur le lac ; destruction de la flottille juive. Les captifs vendus à l'encan.

Défaite des Juifs devant Tarichées ; prise de cette ville par Vespasien et Titus.

1. Vespasien continuant sa marche, s'arrêta entre Tibériade et Tarichées[1] et y dressa son camp[2], qu'il fortifia plus qu'à l'ordinaire, en prévision d'hostilités prolongées. En effet, tout ce qu'il y avait de factieux s'était jeté dans Tarichées, confiant dans la force de la place et dans le voisinage du lac que les indigènes appellent Gennésar. La ville, bâtie comme Tibériade au pied de la montagne, avait été pourvue par Josèphe, sur tout le pourtour que ne baignait pas le lac, de remparts solides, moins forts cependant que ceux de Tibériade ; car il avait fortifié cette dernière ville au début de la révolte, dans la plénitude de ses ressources et de son autorité, tandis que Tarichées n'obtint que les reliefs de ses largesses[3]. Les habitants tenaient prêtes sur le lac un grand nombre de barques, pour s'y réfugier s'ils étaient battus sur terre ; ils les avaient équipées de manière à livrer au besoin un combat naval. Pendant que les Romains fortifiaient l'enceinte de leur camp, Jésus et ses compagnons, sans se laisser intimider par la multitude et le bel ordre des ennemis, firent une sortie ; ils dispersèrent au premier choc les travailleurs et arrachèrent une partie du retranchement. Cependant, dès qu'ils virent les légionnaires former leurs rangs, ils se dépêchèrent de se retirer auprès des leurs, avant de s'exposer à quelque dommage ; les Romains, s'élançant à leurs trousses, les pourchassèrent jusqu'à leurs barques ; les Juifs y montent et s'éloignent jusqu'à l'extrême portée des traits. Ils jettent alors l'ancre et, serrant leurs vaisseaux les uns contre les autres à la manière d'une phalange, engagent contre l'ennemi resté à terre une sorte de combat naval. Cependant Vespasien, apprenant que la grande masse des Juifs était rassemblée dans la plaine située aux portes de la ville, envoie contre eux son fils avec six cents cavaliers de choix.

[1] Il semble bien résulter de ce texte et de la direction S. N. de l'itinéraire de Vespasien que Tarichées était située au N. de Tibériade à 30 stades, soit moins de 6 kilomètres, suivant Josèphe (Vita, § 157), sur la rive O. du lac, là ou vers Medjdel (Magdala) et non, comme l'affirme Pline (H N., V, 71), sur la rive sud (a meridie Tarichea), où l'on cherche l'emplacement à Kerak, qui est au moins à 8 kilomètres de Tibériade. Rien ne prouve, comme le prétend Schürer (I. 615), que l'emplacement du camp de Vespasien, Ἀμμαθοῦς soit identique au Hammam actuel. De plus, Kerak n'est pas au pied d'une montagne comme l'était Tarichées (cf. plus bas). Voir l'excellente discussion dans Kohout, p. 637.

[2] Au lieu dit Ἀμμαθοῦς, les Thermes (liv. IV, I, 3).

[3] Ceci est en contradiction avec la Vita, où il est dit en propres termes (§ 156) que les gens de Tibériade insistèrent pour la réparation de leurs murailles lorsqu'ils apprirent que les fortifications de Tarichées étaient achevées (Ἠκηκόεισαν δὲ τὰς Ταριχέας ἤδη τετειχίσθαι).

2. Titus, trouvant l'ennemi en force prodigieuse, dépêcha à son père pour demander des troupes plus importantes ; lui-même cependant, voyant que la plupart de ses cavaliers brûlaient de combattre sans attendre l'arrivée des renforts, mais que pourtant quelques-uns trahissaient une émotion secrète à la vue du grand nombre des Juifs, monta sur un lieu d'où tous pouvaient l'entendre et leur dit : « Romains, il est bon de vous rappeler en commençant le nom de votre race, pour que vous sachiez qui nous sommes et contre qui nous avons à combattre. Jusqu'à, cette heure, aucune nation de l'univers n'a pu se soustraire à la force de nos bras ; quant aux Juifs, soit dit à leur éloge, ils ne se lassent jamais d'être vaincus. Eh bien, puisque dans l'adversité ils restent debout, eux, ne serait-il pas honteux de nous décourager, nous, en plein succès ? Je me réjouis de lire sur vos visages une louable ardeur ; je crains pourtant que la multitude des ennemis n'inspire à quelques-uns un secret effroi : qu'ils réfléchissent donc de nouveau qui vous êtes et contre quels adversaires vous allez livrer bataille. Ce sont des Juifs, c'est-à-dire des hommes qui ne sont certes dépourvus ni d'audace ni de mépris pour la mort, mais à qui manquent la discipline et la pratique de la guerre et qui méritent plutôt le nom de cohue que celui d'armée. Au contraire, ai-je besoin de rappeler quelle est notre expérience et notre discipline ? Si, seul de tous les peuples, nous nous exerçons aux armes durant la paix c'est pour ne pas avoir pendant la guerre à nous compter devant l'ennemi. A quoi servirait cette préparation continuelle si nous n'osions aborder qu'à nombre égal les adversaires qui en sont dénués ?
Considérez encore que vous allez lutter, armés de toutes pièces contre des gens presque sans armes, cavaliers contre fantassins, que vous avez des chefs et qu'ils n'en ont pas : ces avantages multiplient infiniment votre effectif, comme ces infériorités réduisent infiniment le leur. Ce qui décide le succès dans la guerre, ce n'est pas le nombre, fût-il illimité[4], c'est le courage, même d'une petite troupe : peu nombreux, de bons soldats sont lestes à la manœuvre et prompts à l'entr'aide ; les armées trop considérables se font plus de dommage à elles-mêmes qu'elles n'en éprouvent de la part de l'ennemi. Ce qui conduit les Juifs, c'est l'audace, la témérité et le désespoir : sentiments qui s'enflamment dans le succès et qui s'éteignent au moindre échec. Nous, c'est la valeur, la discipline et la fermeté, qui sans doute brillent du plus bel éclat dans la bonne fortune, mais qui, dans l'adversité, tiennent bon jusqu'au dernier moment. J'ajoute que vous lutterez pour de plus grands intérêts que les Juifs : car s'ils affrontent la guerre pour la patrie et la liberté, qu'y a- t-il de plus important pour nous que la gloire et le souci, après avoir dompté tout l'univers, de ne pas laisser mettre en balance avec notre pouvoir celui du peuple juif ? Aussi bien nous n'avons rien d'irrémédiable à redouter. Des renforts considérables sont là, à portée de main : mais il dépend de nous de brusquer la victoire et de devancer le secours que doit nous envoyer mon père. Le succès sera plus glorieux s'il n'est pas partagé. J'estime qu'en ce moment, c'est mon père, c'est moi, c'est vous-mêmes qu'on va juger ; on saura s'il est vraiment digne de ses succès passés. Si je suis digne d'être son fils et vous d'être mes soldats. La victoire est pour lui une habitude : de quel front oserais-je donc me présenter à lui, abandonné par vous ? Et vous-mêmes, pourriez-vous souffrir la honte de reculer quand votre chef est le premier au péril ? car je le serai, soyez-en sûr, et à votre tête je m'élancerai contre les ennemis. Ne m'abandonnez donc pas, ayez la ferme confiance qu'un Dieu m'assiste et de son bras soutient mon élan, et tenez aussi pour certain que notre triomphe ne se bornera pas à disperser les ennemis qui sont devant ces murs ».

[4] Nous lisons avec Destinon κἂν ᾗ ἀμήχανον (μάχινον mss.).

3. A ces paroles de Titus une sorte de fureur divine s'empare de ses hommes et lorsque, avant même que le combat s'engage, Trajan vient les rejoindre avec quatre cents cavaliers, ils s'en irritent comme si ce secours venait diminuer le mérite de leur victoire. En même temps Vespasien envoie Antonius Silo avec deux mille archers pour occuper la montagne qui fait face à la ville et battre les remparts : ces archers exécutent leur consigne et leur tir tient en échec ceux qui, du haut des murs, voudraient intervenir dans la lutte. Quant à Titus. il dirige le premier son cheval contre l'ennemi : derrière lui, ses escadrons branlent en poussant des cris et se déploient à travers la plaine dans toute l'étendue qu'occupaient les Juifs, de manière à faire illusion sur leur petit nombre. Les Juifs, quoique frappés par l'impétuosité et le bon ordre de cette attaque, soutiennent leurs charges pendant quelque temps. Mais de toutes parts les pointes des lances les transpercent, la trombe des cavaliers les renverse et les foule aux pieds. Quand la plaine fut partout couverte de cadavres, ils se dispersèrent et chacun, à toute vitesse, s'enfuit comme il put vers la ville. Titus les poursuit : il sabre par derrière les traînards ou massacre ceux qui s'agglomèrent ; parfois il devance les fuyards, se retourne et les charge de face ; là où il voit des grappes humaines s'entasser les unes sur les autres, il fonce sur elles et les taille en pièces. A tous, enfin, il cherche à couper la retraite vers les murailles et à les rejeter vers la plaine, jusqu'à ce qu'enfin leur masse réussisse à se frayer un passage et à s'engouffrer dans la ville[5].

[5] C'est probablement au cours de ce combat de cavalerie qu'eut lieu l'épisode noté par Suétone. Titus, c. 4 : legioni praepositus, Taricheas et Gamalam (erreur, cf. liv. IV I, 1 et la suite) urbes Iudaeae ualidissimas in potestate redegit, equo quadam acie sub feminibus amisso alteroque inscenso, cuius rector circa se dimicans occubuerat — traduction — placé à la tête d'une légion, il se rendit maître de Tarichées et de Gamala, les plus fortes places de Judée. Il eut un cheval tué sous lui dans un combat, et monta celui d'un ennemi qu'il venait de renverser.

4. Mais là une nouvelle et terrible discorde les attendait. La population indigène, préoccupée de ses biens et de la conservation de la ville, avait dès l'origine désapprouvé la guerre ; maintenant la défaite l'en dégoûtait encore davantage. Mais la tourbe venue du dehors, qui était fort nombreuse, n'en était que plus enragée à l'y contraindre. Les deux partis s'exaspèrent l'un contre l'autre ; des cris, un tumulte éclatent : peu s'en faut qu'on en vienne aux mains. De sa position peu éloignée des murailles, Titus entend ce vacarme : « Voici le moment, s'écrie-t-il : pourquoi tarder, camarades, quand Dieu lui-même livre les Juifs entre nos mains ? Accueillez la victoire qui s'offre. N'entendez-vous pas ces clameurs ? Échappés à notre vengeance, voici les Juifs aux prises entre eux : la ville est à nous si nous faisons diligence, mais à la promptitude il faut joindre l'effort et la volonté ; sans risques il n'y a pas de grand succès. N'attendons pas que l'accord se rétablisse entre nos ennemis : la nécessité ne les réconciliera que trop vite. N'attendons pas même le secours des nôtres : après avoir défait avec si peu de monde une si grande multitude, nous aurons encore l'honneur d'être seuls à enlever la place ».

5. Tout en parlant ainsi, il saute à cheval, conduit ses troupes vers le lac, s'y engage lui-même[6] et pénètre le premier dans la ville, suivi du reste de ses soldats. A la vue de son audace, l'effroi s'empare des défenseurs de la muraille& : personne n'ose combattre ni résister ; tous quittent leur poste et s'enfuient, les gens de Jésus à travers la campagne, les autres courant vers le lac. Mais ceux-ci donnent dans l'ennemi qui marchait à leur rencontre ; plusieurs sont tués au moment de monter sur les barques, d'autres le sont, tandis qu'ils cherchent à rejoindre, à la nage[7] leurs compagnons, qui avaient précédemment pris le large[8]. Dans la ville même, on fit un grand carnage, non sans quelque résistance de la part de ceux des étrangers qui n'avaient pu fuir ; quant aux naturels, ils se laissèrent égorger sans combat, l'espoir du pardon et la conscience de n'avoir pas voulu la guerre leur ayant fait jeter les armes. Enfin Titus, après que les plus coupables eurent péri, prit en pitié la population indigène et arrêta le massacre[9]. Quant à ceux qui s'étaient sauvés sur le lac, voyant la ville prise, ils gagnèrent le large et s'éloignèrent des ennemis le plus loin qu'ils purent.

[6] δι' ἧς ἑλάσας : ce n'est pas simplement le long du lac, mais en empruntant la grève et le lit même du lac que Titus accomplit cet exploit. Cf. Saulcy, Voyages, II, 474. On n'oublie pas que du côté du lac la ville n'avait pas de murailles (plus haut, X, 1) ; les défenseurs du rempart qui regardaient vers la plaine se virent tournés et pris à dos par les cavaliers romains.

[7] Nous lisons avec Destinon προσνεῖν (προσπίπτειν ou προσμένειν mss.).

[8] Il s'agit du détachement déjà embarqué dont il a été question en X, 1.

[9] φόνου (Hudson, et non πόνου (mss.).

6. Titus envoya un cavalier annoncer à son père l'heureuse issue du combat. Vespasien, charmé, comme on le pense, de la valeur de son fils et d'un succès qui semblait terminer une grande partie de la guerre, se rendit lui-même sur les lieux et donna l'ordre de faire bonne garde alentour de la ville, de n'en laisser échapper personne et de tuer (quiconque tenterait de s'évader)[10]. Le lendemain il descendit au bord du lac et ordonna de construire des radeaux pour relancer les fugitifs. Comme il y avait abondance de bois et d'ouvriers, les embarcations furent bientôt prêtes.

[10] Le texte présente une lacune. La variante ἐκώλυσεν du Lugd. (ἐκέλευσεν dans les autres mss.) ne donne aucun sens.

Le lac de Tibériade et le Jourdain.

7. Le lac de Gennésar doit son nom[11] au territoire qui l'avoisine. Il mesure quarante stades de large sur cent[12] de long. Ses eaux sont néanmoins d'une saveur douce et très bonnes à boire : plus légères que l'eau des marais, elles sont, en outre, d'une parfaite pureté, le lac étant partout bordé de rivages fermes ou de sable. Cette eau, au moment où on la puise, offre une température agréable, plus tiède que l'eau de rivière ou de source, et cependant plus fraîche que la grande étendue du lac ne le ferait supposer. Elle devient aussi froide que la neige quand on la tient exposée à l'air, comme les habitants ont coutume de le faire en été pendant la nuit[13]. On rencontre dans ce lac plusieurs sortes de poissons qui diffèrent, par le goût et par la forme, de ceux qu'on trouve ailleurs. Le Jourdain le traverse par son milieu. Ce fleuve prend en apparence sa source au Panion en réalité il sort de la fontaine de Phialé, d'où il rejoint le Panion en coulant sous terre. Phialé — la coupe — se trouve en montant vers la Trachonitide, à cent vingt stades de Césarée (de Philippe), à droite et à peu de distance de la route[14] : c'est un étang ainsi nommé à cause de sa forme circulaire ; l'eau le remplit toujours jusqu'au bord sans jamais ni baisser ni déborder. Longtemps on ignora que le Jourdain y prenait sa source, mais la preuve en fut faite par le tétrarque Philippe : il fit jeter dans la Phialé des pailles qu'on trouva transportées dans le Panion, où les anciens plaçaient l'origine du fleuve. Panion[15] est une grotte dont la beauté naturelle à encore été rehaussée par la magnificence royale, Agrippa l'ayant ornée à grands frais. Au sortir de cette grotte, le Jourdain, dont le cours est devenu visible, traverse les marais et les vases du lac Séméchonitis[16], puis parcourt encore cent vingt stades[17] et, au-dessous de la ville de Julias, coule à travers le lac de Gennésar, d'où, après avoir bordé encore un long territoire désert, il vient tomber dans le lac Aspilaltite.

[11] Ce nom apparaît pour la première fois dans I Macc., II, 67. Les dimensions données par Josèphe (7 km sur 18) sont un peu faibles (en réalité 9 sur 21).

[12] Les mots πρὸς τούτοις ἑτέρων semblent interpolés.

[13] Sans doute dans des alcarazas, comme ils le fond encore aujourd'hui.

[14] Probablement le Birket Râm, ancien cratère volcanique ; de nos jours l'eau ne le remplit que très incomplètement. Les géographes modernes assurent que la nature des terrains exclut l'idée d'une communication entre le Birket et le Panion.

[15] Le Panion ou Paneion, c'est-à-dire la grotte de Pan, est mentionné dans le début du IIème siècle av. J.-C. (Polybe, XVI, 18) ; la grotte est reproduite dans l'Atlas du Voyage d'exploration du duc de Luynes, pl. 62-63. Dans son voisinage immédiat s'éleva la ville de Πανεάς, rebâtie par le tétrarque Philippe, et dont le nom officiel était Καισάρεια ὑπὸ Πανείῳ, aujourd’hui Banyâs. Cf. Schürer, II, 204.

[16] Aujourd'hui Houleh.

[17] Ce chiffre correspond à la distance réelle entre les deux lacs (environ 22 kilomètres).

8. Le long du lac (de Tibériade) s'étend une contrée aussi nommée Gennésar[18], d'une nature et d'une beauté admirables. Il n'y a point de plante que son sol fertile refuse de porter et, en effet, les cultivateurs y élèvent toutes les espèces. L'air y est si bien tempéré qu'il convient aux végétaux les plus divers : le noyer, arbre qui se plaît dans les climats les plus froids, y croit en abondance, à côté des palmiers, que nourrit la chaleur, des figuiers et des oliviers, qui aiment un climat modéré. On dirait que la nature met son amour-propre à rassembler au même endroit les choses les plus contraires et que, par une salutaire émulation, chacune des saisons veut réclamer ce pays pour elle. Non seulement, en effet, contre toute apparence, il produit les fruits les plus divers, mais il les conserve : pendant dix mois, sans interruption, on y mange les rois des fruits, le raisin et la figue ; les autres mûrissent sur les arbres pendant toute l'année[19]. A l'excellence de l'air s'ajoute une source très abondante qui arrose la contrée : les habitants lui donnent le nom de Capharnaüm[20] ; quelques-uns prétendent que c'est une branche du Nil, car on y trouve un poisson analogue au coracin du lac d'Alexandrie[21]. Ce canton s'étend au bord du lac sur une longueur de trente stades et sur une profondeur de vingt. Telle est l'image qu'offre cette contrée bénie.

[18] C'est la plaine el Ghuweïr, au N. O. du lac, entre Magdala (Tarichées ?) et Capernaüm. Les rabbins la vantent également comme un paradis, et les voyageurs modernes signalent sa fertilité, quoique la culture y soit presque abandonnée.

[19] περιγηρασκοντας αὐτοις ou ἑαυτοῖς. Texte douteux : Holwerda propose αὐτοις τοῖς δένδρεσίν.

[20] L'emplacement de Capharnaüm est discuté : on se partage entre Tell Houm, célèbre par les ruines de sa belle synagogue, et Han Minye, plus au sud. Une source très abondante, Ain et Tabigha, jaillit au-dessus de cette dernière localité et communique par un canal avec la plaine.

[21] Le lac Marèolis. Le coracin ou poisson-corbeau (clarias macracanthas, clarias anguillaris du Nil) est un poisson d'un brun foncé, sans écailles, semblable à une anguille. Cf. Athenée, III. p. 121 B.

Combat naval sur le lac ; destruction de la flottille juive.

9. Vespasien, dès que ses radeaux furent prêts, les chargea d'autant de troupes qu'il croyait nécessaires pour venir à bout des Juifs réfugiés sur le lac, et gagna le large avec cette flottille. Les ennemis ainsi pourchassés ne pouvaient ni s'enfuir à terre, où la guerre avait tout ravagé, ni soutenir un combat naval à armes égales. Leurs esquifs, petits et propres à pirater, étaient trop faibles pour se mesurer avec les radeaux ; chacun d'eux, d'ailleurs, n'était monté que par une poignée d'hommes qui redoutaient d'affronter les équipages romains bien fournis. Pourtant ils voltigeaient autour des radeaux, parfois même s'en rapprochaient, tantôt lançant de loin des pierres contre les Romains, tantôt frôlant le bord de leurs embarcations et les frappant à bout portant. Mais l'une et l'autre manœuvres tournaient à leur confusion : leurs pierres ne produisaient qu'un fracas inutile en venant se choquer contre des soldats bien protégés par leurs armures, tandis qu'eux mêmes offraient aux traits des Romains une cible sans défense ; d'autre part, quand ils osaient approcher, avant d'avoir pu rien faire ils se voyaient abattus et submergés avec leurs propres esquifs. Essayaient-ils de se frayer un passage, les Romains les transperçaient à coups de lances ou, sautant dans leurs barques, les passaient au fil de l'épée. Quelquefois les radeaux, en se rejoignant, les enfermaient entre eux et écrasaient hommes et bateaux. Quand les naufragés cherchaient à se sauver à la nage[22], un trait avait vite fait de les atteindre ou un radeau de les saisir. Si, dans leur désespoir, ils montaient à l'abordage, les Romains leur coupaient la tête ou les mains. Ainsi ces misérables périssaient par milliers en mille manières ; tant que les survivants, fuyant vers le rivage, y virent refouler et entourer leurs barques. Alors, cernés de tous côtés[23], beaucoup se jettent dans le lac, et y périssent sous les javelots ; d'autres sautent à terre, où les Romains les égorgent. On put voir tout le lac rouge de sang et regorgeant de cadavres, car pas un homme n'échappa. Pendant les jours suivants, tout le pays offrit une odeur et un spectacle également affreux. Sur les rives s'entassaient les débris et les cadavres enflés : ces corps, putréfiés par la chaleur ou par l'humidité, empestaient l'atmosphère, et l'horrible catastrophe qui plongeait dans le deuil les Juifs inspirait du dégoût même aux Romains. Telle fut l'issue de ce combat naval. On compta six mille cinq cents morts[24], y compris ceux qui étaient tombés dans la défense de la ville.

[22] ἀνανέοντας (Cobet) plutôt que ἀνανεύοντας des mss.

[23] ἐκκλειόμενοι (MVRC) plutôt que ἐκχεόμενοι.

[24] 6700 d'après les mss. PA. — C'est peut-être en souvenir de ce « combat naval » que furent frappés plus tard les bronzes de Vespasien et de ses fils avec la légende VICTORIA NAVALIS (Cohen-Feuardent, Vespasien, n°s 632-9 ; Titus, 386-390 ; Domitien, 636-8). Quant à la pièce de la collection Leys avec IVDAEA NAVALIS (Madden, Coins of the Jews, p. 222), elle semble bien n'être qu'une surfrappe d'une pièce au type connu de la Iudoea capta. Au triomphe de Vespasien et de Titus figurèrent « de nombreux navires » (liv. VII, V, 2).

Les captifs vendus à l'encan.

10. Après le combat, Vespasien vint siéger sur son tribunal à Tarichées, pour y faire le triage des indigènes et de la tourbe venue du dehors, car c'étaient ceux-là qui visiblement avaient donné le signal de la guerre. Puis il se demanda, de concert avec ses lieutenants, s'il fallait aussi l'aire grâce à ces derniers. Tous furent unanimes à dire que la mise en liberté de ces hommes sans patrie serait funeste une fois graciés, ils ne se tiendraient pas tranquilles ; ils étaient même capables de forcer à la révolte ceux chez qui ils chercheraient un refuge. Vespasien ne pouvait que reconnaître qu'ils ne méritaient pas le pardon et qu'ils ne feraient qu'abuser de leur liberté contre leurs libérateurs[25] ; mais il se demandait par quel moyen il pourrait s'en défaire : s'il les tuait sur place, il risquait d'exaspérer la colère des indigènes, qui ne supporteraient pas de voir massacrer un si grand nombre de suppliants auxquels ils avaient donné asile ; d'autre part, il lui répugnait de les laisser partir sous la foi de sa parole et de tomber ensuite sur eux. Toutefois ses amis finirent par faire prévaloir leur avis, que, vis-à-vis des Juifs, il n'y avait point d'impiété, et qu'il fallait préférer l'utile à l'honnête quand on ne pouvait les faire marcher ensemble. Vespasien accorda donc la liberté à ces émigrés en termes équivoques et leur permit de sortir de la ville par une seule route, celle de Tibériade. Prompts à croire ce qu'ils souhaitaient, les malheureux s'éloignent en toute confiance dans la direction prescrite, emportant ostensiblement leurs biens. Cependant les Romains avaient occupé toute la route jusqu'à Tibériade, afin que nul ne s'en écartât. Arrivés dans cette ville, ils les y enfermèrent. Vespasien, survenant à son tour, les fit tous transporter dans le stade et donna l'ordre de tuer les vieillards et les infirmes au nombre de douze cents : parmi les jeunes gens, il en choisit six mille des plus vigoureux et les expédia à Néron qui séjournait alors dans l'isthme de Corinthe[26]. Le reste de la multitude, au nombre de trente mille quatre cents têtes, fut vendu à l'encan, hors ceux dont Vespasien fit présent à Agrippa, à savoir les Juifs originaires de son royaume : le général lui permit d'agir avec eux à discrétion et le roi les vendit à son tour. Le gros de cette foule se composait de gens de la Trachonitide, de la Gaulanitide, d'Hippos et de Gadara pour la plupart : tourbe de séditieux et de bannis, qui, méprisés pendant la paix, avaient trouvé dans leur infamie de quoi les exciter à la guerre. Leur capture eut lieu le huit du mois Gorpiéos[27].

[25] Texte altéré.

[26] Évidemment pour être employés au percement du canal de Corinthe, dont Néron venait d'inaugurer les travaux (Suétone, Néron, 19 ; Dion LXIII, 16).

[27] 26 septembre 67 (Niese).

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