Nous nous tromperions si nous allions croire que l’un de ces mots exprime une antiquité plus reculée que l’autre. Au contraire, cette période plus éloignée est représentée tantôt par l’un, tantôt par l’autre. Ἀρχαῖος, signifiant ce qui était dès le commencement (ἀπ᾽ ἀρχῆς), si nous acceptons ce commencement comme le premier commencement de tout, doit être plus ancien qu’aucune personne, qu’aucune chose qui est simplement παλαιός, c’est à dire ayant existé il y a longtemps (πάλαι) ; mais, d’autre part, il peut y avoir tant de commencements plus récents, qu’il est très possible de concevoir le παλαιός comme étant plus vieux que l’ἀρχαῖος. Donaldson (New Cratylus, p. 19) écrit : « Comme on a déjà approprié le mot Archéologie à la discussion des sujets dont l’antiquité n’est que comparative, ce ne serait pas se départir de la distinction ordinaire qu’on établit entre ἀρχαῖος et παλαιός que de donner le nom de paléologie aux sciences dont l’objet est de reproduire une condition ou un état absolument primitif. » J’avoue que je ne saurais trouver dans les cas où παλαιός est employé un sens aussi fort, ou tout au moins qui exprime aussi constamment un état primitif, que ce langage semble l’impliquer. Comparez Thucydide, 2.15 : ξυμβέβηκε τοῦτο ἀπὸ τοῦ πάνυ ἀρχαῖου, c’est à dire depuis le temps anté-historique de Cécrops, avec 1.18 : Λακεδαίμων ἐκ παλαιτάτου εὐνομήθη, depuis des temps très reculés, mais encore dans la période historique ; ici les mots sont employés dans des sens exactement inverses.
La distinction entre ἀρχαῖος et παλαιός, ne la cherchons pas plus ici que dans bien des endroits. Ces vocables se trouvent souvent ensemble comme de simples synonymes cumulatifs, ou, en tous cas, sans que l’un indique une antiquité plus grande que l’autre (Plato, Leg. 865 d ; Plutarch., Cons. ad Apoll. 27 ; Justin. Mart., Coll. ad. Græc. 5). L’étymologie de ces mots montre que, dans des cas sans nombre, ils peuvent être employés d’une manière parfaitement indifférente ; ce qui a été depuis le commencement aura généralement duré longtemps depuis ce commencement et réciproquement. Ainsi l’ἀρχαία φωνή d’un passage de Platon (Crat. 418.c) est exactement l’équivalent de la παλαία φωνή d’un autre (Ib. 398.d) ; οἱ παλαιοί et οἱ ἀρχαῖοι signifient également les anciens (Plutarch., Cons. ad Apoll. 14 et 33) ; il ne peut y avoir grande différence entre παλαιοὶ χρόνοι, (2 Maccabées 6.21) et ἀρχαίαι ἡμέραι (Psaumes 43.2).
En même temps, il est évident que chaque fois qu’on veut appuyer sur un commencement, quel que soit ce commencement, on préférera ἀρχαῖος. Ainsi Satan est ὁ ὄφις ὁ ἀρχαῖος (Apocalypse 12.9 ; 20.2) ; sa malfaisante opposition à Dieu se perd dans la nuit la plus profonde de l’histoire de l’homme. Le monde ; avant le déluge, (et qui, par conséquent, datait du commencement), est ὁ ἀρχαῖος κόσμος (2 Pierre 2.5). Mnason était ἀρχαῖος μαθητής (Actes 21.16), « un ancien disciple », non dans le sens dans lequel beaucoup de lecteurs prennent le mot, « un disciple âgé », mais un disciple qui l’était depuis le commencement de la prédication évangélique, depuis la Pentecôte ou auparavant ; très probablement il était âgé, mais ce n’est pas de l’âge qu’il s’agit. Les premiers fondateurs de la république d’Israël, qui, comme tels, proclamèrent la Loi avec autorité, sont οἱ ἀρχαίοι (Matthieu 5.21,27,33 ; cf. 1 Samuel 24.14 ; Ésaïe 25.1) ; πίστις ἀρχαία (Eusebius, H. E. 5.28,9) est la foi qui a été dès le commencement, « donnée aux saints ». Le Timée de Platon, 22.b, offre un passage instructif dans lequel les deux mots se trouvent et où il n’est pas difficile de démêler les fines nuances de conception qui ont déterminé leur emploi réciproque. On en trouve un autre dans Sophocle (Trachiniœ, 546), où Déjanire parle de la tunique empoisonnée que Nessus lui avait donnée :
ἦν μοι παλαιὸν δῶρον ἀρχαίου ποτὲ
θηρὸς λέβητι χαλκέῳ κεκρυμμένον
Eschyle (Eumenides, 727, 728) enfin fournit un troisième passage propre à fixer les synonymes des deux, termes.
Ἀρχαῖος, comme le latin « priscus », dénote souvent ce qui est ancien aussi bien que ce qui est vénérable, ce qui mérite les honneurs de l’ancienneté ; ainsi Κῦρος ἀρχαῖος (Xenoph., Anab. 1.9.1). Et c’est ici que nous arrivons à un point d’une différence marquée entre ἀρχαῖος et παλαιός, chacun des vocables déviant vers un sens secondaire qui lui est propre, et qu’il possède à l’exclusion de l’autre mot. Nous venons de faire observer que ἀρχαῖος exprime quelquefois l’hommage rendu à l’ancienneté, ce sens n’est pas tout à fait étranger non plus à παλαιός. Mais il y a d’autres traits qui caractérisent les choses « anciennes. » Elles sont quelquefois usées, semblent mal adaptées au temps présentc, et propres à un monde qui n’est plus. Dans ἀρχαῖος gît souvent, ce sens accessoire d’une mode du vieux temps, non seulement ancienne, mais, tombée en désuétude (Æschyl., Prom. Vinct. 325 ; Aristoph., Plut. 323). Ce sens de suranné est plus accentué encore dans ἀρχαιότης, qui n’en a point d’autre (Plato, Leg. 2.657.b).
c – Comme preuve nous rappelons qu’en anglais antique et antic (bouffon, grotesque) ne sont que le même mot orthographié différemment.
Mais, tandis que ἀρχαῖος suit cette direction (nous n’en avons pas, il est vrai, d’exemple dans le N. T.), παλαιός en suit une autre, dont l’usage du N. T. fournira un bon nombre d’exemples. Ce qui a existé longtemps a été exposé aux maux et aux intempéries du temps et il en aura souffert ; il sera vieux dans le sens d’une chose plus ou moins usée ; cela est toujours παλαιόςd. Ainsi ἱμάτιον παλαιόν (Matthieu 9.16) ; ἀσκοὶ παλαιοί (Matthieu 9.17) ; ἀσκοὶ παλαιοὶ καὶ κατεῤῥωγότες (Josué 9.10) ; παλαιὰ ῥάκη (Jérémie 45.11). De la même manière, tandis que οἱ ἀρχαῖοι ne pourrait jamais signifier les vieux hommes d’une génération vivante, comparés aux jeunes hommes de la même génération, οἱ παλαιοί revêt toujours ce sens ; ainsi νέος ἠὲ παλαιός (Hom., Il. 14.108, et souvent) ; πολυετεῖς καὶ παλαιοί (Philo, De Vit. Cont. 8 ; cf. Job 15.10). Il en est de même des mots formés au moyen de παλαιός : ainsi Hébreux 8.13 : τὸ δὲ παλαιούμενον καὶ γηράσκον ἐγγὺς ἀφανισμοῦ ; cf. Hébreux 1.11 ; Luc 12.33 ; Siracide 14.17 ; Platon joint ensemble παλαιότης et σαπρότης (Rep. 10.609.e ; cf. Aristoph., Plut. 1086 : τρὺξ παλαιὰ καὶ σαπρά). Chaque fois que παλαιός est employé pour ce qui est usé ou ce qui s’use par l’âge, il exige absolument qu’on lui oppose καινός (Josué 9.19 ; Marc 2.21 ; Hébreux 8.13) ; cette autonymie de παλαιός et de καινός se présente d’ailleurs encore dans d’autres cas (Hérod. 9.26 bis). Quand ce sens d’usé n’est pas renfermé dans le mot, rien n’empêche qu’on n’oppose νέος à παλαιός (Lévitique 26.10 ; Hom., Od. 2.293 ; Plato, Cratylus, 418.b ; Æschylus, Eumenides, 778, 808) ; et d’autre part καινός à ἀρχαῖος (2 Corinthiens 5.17 ; Philo, De Vit. Con. 10).
d – La même idée existe ou peut exister dans « vetus », comme dans cette belle antithèse de Tertullien (Adv. Marc, 1.8) : « Deus si est vetus, non erit ; si est novus, non fuit ».