Cette lettre, que l’on a appelée « la plus épistolaire entre les épîtres, » ne traite pas un sujet particulier. Son objet proprement dit est un remerciement auquel l’apôtre joint, comme le ferait un père qui écrirait à sa famille pour la remercier d’une marque d’affection, des nouvelles et des exhortations. Ces deux derniers éléments alternent dans le cours de l’épître ; le remerciement la termine. Quand on écrit à l’occasion d’une circonstance particulière, on peut traiter de cette circonstance soit en commençant, soit en finissant. Il est facile de comprendre que, comme il s’agissait ici d’une affaire d’argent, Paul ait préféré ne pas commencer par là. Comme d’ordinaire, cette lettre comprend trois parties :
- Le préambule, renfermant adresse, action de grâces et prière d’intercession (1.1-11) ;
- Le corps de la lettre (1.12 à 4.9), comprenant des nouvelles entremêlées d’exhortations ;
- La conclusion, consacrée à des communications particulières (4.10-23).
On voit qu’à certains égards et par son contenu très personnel, cette lettre se rapproche du billet envoyé à Philémon ; mais, comme celui-ci, elle n’en présente pas moins le même arrangement logique que toutes les autres épîtres.
L’adresse renferme quelques particularités intéressantes. A son nom l’apôtre associe ici celui de Timothée. Il tient à lui donner cette place d’honneur, car il n’oublie pas qu’il avait été son collaborateur dans la fondation des églises de Macédoine. C’est ainsi qu’il agit également dans l’adresse des deux épîtres aux Corinthiens envers lui et Silas. Les procédés de l’apôtre envers ses compagnons d’œuvre sont toujours empreints de la plus parfaite courtoisie. Cette manière de faire ne l’empêchera pas de parler plus loin de Timothée à la 3e personne et de lui-même à la 1re, comme s’il n’écrivait qu’en son propre nom. — Il ne prend pas dans l’adresse le titre d’apôtre, mais seulement celui plus général de serviteur de Jésus-Christ ; c’est encore un procédé délicat, dont le but est de pouvoir se réunir avec son jeune compagnon d’œuvre sous un titre commun. — Le terme de saints en Jésus, par lequel il désigne les membres de l’église, indique leur consécration à Dieu par la foi en Celui qui a formé le lien entre l’église et ces deux hommes.
Enfin dans l’adresse sont mentionnés pour la première fois, comme personnages spéciaux, deux ordres de fonctionnaires : les évêques, que nous croyons pouvoir identifier avec les presbytres, d’après Actes 20.17, 28. C’est l’office le plus élevé, celui qui était chargé de tous les soins de l’administration temporelle et spirituelle de la communauté (comparez 1 Corinthiens 12.28, κυβερνήσεις), mais non point encore officiellement du ministère d’enseignement, car les dons, et parmi eux celui d’enseignement, s’exerçaient encore à cette époque avec une entière liberté (comparez Romains 12.7). Puis les diacres, appelés à secourir au nom de l’église les personnes qui sont dans la détresse, les veuves et les orphelins, les malades, les frères en passage, etc. ; comparez 1 Corinthiens 12.28 (ἀντιληήψεις). Il est assez naturel que ce soit dans cette église, la plus ancienne d’Europe, qu’apparaissent pour la première fois réunis et constitués ces deux éléments essentiels de l’organisation ecclésiastique. Mais peut-être l’apôtre avait-il une raison plus particulière de les mentionner ici, si c’étaient eux qui avaient provoqué la démarche dont il remercie l’église en terminant.
L’action de grâces exprime avec vivacité la satisfaction que fait éprouver à l’apôtre l’intérêt actif témoigné par les Philippiens, dès le moment de leur conversion jusqu’à cette heure, pour la cause de la prédication évangélique. Paul espère que l’œuvre de Dieu commencée en eux ira se perfectionnant jusqu’au jour de Christ. Il ne saurait penser autrement à leur égard ; cette bonne espérance lui est imposée par l’affection dont il est rempli envers des êtres qui n’ont cessé de sympathiser à ses souffrances et à ses travaux pour la cause du Seigneur. Aussi demande-t-il constamment à Dieu que leur amour se déploie en dons de connaissance chrétienne, en tact spirituel, en pureté, en édification mutuelle, en fruits de justice, à la louange de Dieu (v. 9-11).
L’apôtre passe familièrement dans cet écrit des nouvelles aux exhortations et de celles-ci aux premières. Il n’y a pas d’autre plan marqué.
Premier morceau : Nouvelles relatives à l’apôtre lui-même (1.12-26).
Les Philippiens, qui s’intéressaient vivement à la personne de Paul, pouvaient craindre qu’un si long emprisonnement n’eût complètement paralysé son travail apostolique. Paul leur apprend au contraire que cette captivité subie pour le nom de Christ est devenue notoire dans toute la caserne prétorienne et plus loin encore. — Ce résultat était dû sans doute tout particulièrement à ce que les soldats, qui se relayaient auprès de lui, avaient parlé de ce prisonnier si différent de ceux qu’ils gardaient d’ordinaire, et aux visites que les entretiens de Paul avec eux lui attiraient. — De plus, il rapporte qu’un puissant mouvement missionnaire, s’est déclaré, à l’occasion de son arrivée, parmi les chrétiens de Rome. Tous, sans doute, ne travaillent pas dans le même esprit. Il y en a qui annoncent Christ dans un sentiment de mauvais vouloir pour l’œuvre et la personne de l’apôtre, — c’étaient naturellement des judaïsants, — mais d’autres le font en lui témoignant la sympathie la plus vive et en enseignant d’accord avec lui. Qu’importe ? dit Paul en parlant des premiers. En travaillant, contre moi personnellement, ils contribuent pourtant à la propagation de la connaissance du Christ, et c’est ce dont je me réjouis et me réjouirai toujours (v. 12-18). — On s’est achoppé à cette généreuse parole. On y a vu une contradiction avec l’anathème prononcé par Paul dans les Galates sur ces mêmes judaïsants. Weiss résout cette objection en admettant qu’il ne s’agit point ici de prédicateurs du judéo-christianisme légal, mais des chefs de l’église de Rome, qui, blessés du rôle prépondérant que l’apôtre jouait depuis son arrivée, critiquaient sa personne et dénigraient son œuvre (Einl., § 26). Mais comment un homme, enfermé dans son appartement et empêché de paraître dans les assemblées, aurait-il pu devenir pour d’autres un sujet de jalousie ? Et comment attribuer aux chefs de cette église, des sentiments aussi bas ? Il est plus naturel de penser que le danger annoncé par l’apôtre Romains 16.17-20 s’était réalisé et que, pendant les quatre ans qui s’étaient écoulés depuis l’envoi de l’épître aux Romains, le judéo-christianisme hostile à Paul avait fait son entrée à Rome. Que si l’apôtre se réjouit d’une prédication qu’il avait condamnée si sévèrement en Galatie et ailleurs, il faut se rappeler qu’elle avait une tout autre portée au milieu de la population romaine, totalement étrangère à l’Évangile, que lorsqu’elle venait bouleverser une église déjà fondée et détruire l’œuvre apostolique. Il y avait, tout à perdre, rien à gagner, pour une église, comme celles de Galatie, à retomber sous le joug légal ; mais il y avait tout à gagner, rien à perdre, pour une population païenne, comme celle de Rome, à entendre prêcher le nom du Christ, fût-il enveloppé encore dans les langes mosaïques. Et c’est la gloire de l’apôtre Paul d’avoir possédé assez de grandeur d’âme et de largeur d’esprit pour faire cette différence, en dépit de la haine dont il se voyait l’objet de la part de ceux qui déployaient ce zèle si impur.
Cette propagation de l’Évangile, ajoute-t-il, tournera à sa délivrance, quoi qu’il arrive, soit par sa libération, soit par sa mort, grâce aux prières des Philippiens et à l’assistance de l’Esprit divin, qui continuera à le soutenir de sorte qu’il ne cesse pas de glorifier Christ (v. 19-20). Voici en effet quel est son sentiment à l’égard de sa situation : il est tiré des deux côtés ; Christ est son tout ; par conséquent la mort, qui le réunira à lui, sera pour lui un gain ; mais, d’autre part, vivre, ce sera porter du fruit à sa gloire. Il s’en remet donc au choix de Dieu. Seulement il croit être assuré que ce sera plutôt cette seconde alternative qui se réalisera et qu’il lui sera encore donné de travailler à l’édification de ses lecteurs et à l’accroissement de leur joie, ce qui lui procurera à lui-même un surcroît d’honneur au jour de Christ (v. 21-26).
Second morceau : Exhortations à l’union et à la fidélité dans toute leur conduite (1.27 à 2.18).
1.) 1.27 à 2.11 : Le devoir de l’union. — Il n’y a pas un mot dans ce passage qui conduise à l’idée, adoptée par un grand nombre de critiques, défendue en particulier par Holsten, qu’il s’agit ici du bon accord entre les deux partis pagano et judéo-chrétien. Le développement 2.1-4 montre clairement que l’apôtre pense à des rivalités d’amour-propre ou à des questions d’intérêt personnel, telles qu’elles se rencontrent dans toutes les communautés chrétiennes, parce que le vieil homme y déploie encore sa puissance, mais nullement à des différences dogmatiques. Les versets 1.28-29 rappellent absolument le passage 2 Thessaloniciens 1.4-10 qui n’a certainement aucun rapport à des adversaires judaïsants.
a) L’union est pour l’église la condition de la victoire. — Les adversaires, dont il est parlé v. 28, sont les ennemis naturels de l’Évangile, juifs ou païens. Comme ils se coalisent souvent pour attaquer, les chrétiens doivent serrer leurs rangs pour lutter, s’estimant heureux d’avoir été appelés non seulement à croire en Christ, mais encore à souffrir pour lui, à l’exemple de leur apôtre (v. 27-30).
b) La condition de l’union. — Aucune nouvelle ne pourra consoler et réjouir leur apôtre prisonnier et répondre à son désir intime, comme celle de leur amour mutuel et du bon accord régnant entre eux tous ; seulement il faut pour cela deux choses, l’humilité par laquelle on se met au-dessous des autres et l’abnégation par laquelle on fait de leurs intérêts les siens (2.1-4).
c) L’exemple de Jésus-Christ. — Il n’y a qu’un moyen pour le chrétien de remporter cette double victoire sur son moi égoïste et vain, c’est de substituer à ses sentiments naturels l’esprit d’abnégation dont Christ nous a donné le sublime exemple. Cet exemple, Paul le retrace aux yeux des Philippiens de manière à les entraîner, comme par une impulsion irrésistible, à la même manière de sentir et d’agir. Lui qui jouissait d’un état divin et qui eût pu par conséquent paraître ici-bas dans une gloire semblable à celle de Dieu, il n’a pas jugé que ce fût une chose bonne à faire que de s’approprier spontanément un tel honneur ; il s’est au contraire dépouillé de cet état divin en entrant dans l’état de serviteur, venant ici-bas tel qu’un simple homme et vivant en tout à la manière humaine ; et, comme tel, il s’est abaissé encore, poussant la dépendance volontaire jusqu’à mourir et à mourir même sur une croix. C’est pourquoi aussi, plus il s’était profondément abaissé, plus Dieu l’a souverainement, élevé, lui donnant un titre supérieur à tout autre titre, afin qu’au nom de Jésus, là-haut parmi les glorifiés, ici sur la terre, là-bas dans le séjour des morts, tout genou fléchisse, et que toute langue lui rende hommage comme au Seigneur, à la gloire de Dieu le Père (v. 5-11).
L’idée de ce dépouillement volontaire du Christ suivi de son élévation à la souveraineté universelle a été comprise de plusieurs manières. Luther et d’autres ont cherché à l’expliquer uniquement par le renoncement qu’a exercé Jésus sur lui-même durant sa vie terrestre, en se refusant l’usage des perfections divines qu’il possédait pourtant toujours par devers lui. Cette interprétation, soutenue encore par de Wette et quelques modernes, est à cette heure presque universellement rejetée. Elle ne peut rendre compte de l’expression « être en forme de Dieu, » et il est clair qu’au v. 7 seulement est décrite l’entrée de Jésus dans l’existence humaine. Il s’agit donc bien au v. 6 de Christ dans son état de préexistence ; voir les commentaires récents de Lipsius et de Schnedermann. Le terme de μορφή désigne, non une forme quelconque dont un être peut se revêtir, mais la forme organique dans laquelle l’essence, la vie intime de cet être se manifeste au dehors, en opposition à σχῆμα, qui désigne une tenue extérieure, une manière d’être résultant de circonstances plus ou moins accidentellesa (voir mon Commentaire sur Romains 12.2). L’apôtre veut donc désigner par là un état divin répondant à la nature même de la personne qui le possède. Réduire, comme le fait l’école de Tubingue, le sens de cette expression à l’idée d’un corps éthéré, lumineux, dont Christ, l’homme céleste, aurait été revêtu, n’est pas possible non plus ; c’est ce qu’a reconnu Holsten lui-même, qui tire précisément de cette expression une raison contre l’authenticité de notre épître, puisque l’auteur accorde ici au Christ préexistant un état bien supérieur à celui d’homme céleste que lui attribue le vrai Paul d’après 1 Corinthiens 15.45 ; ce savant pense à l’état d’un être céleste, par exemple d’un archange. Mais ce sens ne répond pas non plus à l’expression μορφὴ θεοῦ. Reste l’interprétation de Beyschlag, Sabatier, etc., qui entendent par ce terme « une vertu divine, » une divinité « en puissance, » « une capacité de recevoir la plénitude de la vie divine, » « une forme vide qui doit être remplie, c’est-à-dire spirituellement réalisée » (expression de M. Sabatier), ou, comme disent d’autres, une idée divine, un principe renfermé en Dieu, etc., en un mot un quelque chose de divin. Mais comment attribuer un ἡγεῖσθαι, juger, estimer, et un ἑαυτὸν κενοῦν, se dépouiller soi-même, à un être dénué de personnalité, de réflexion, de liberté ? Comment donner l’acte d’un être impersonnel en exemple à des êtres pleins de personnalité et de vie ? Comment une « forme vide » pourrait-elle être jugée digne de récompense pour s’être dépouillée, vidée d’elle-même (traduction littérale du mot grec) ! Et quelle idée se faire de l’acte ambitieux auquel cette forme vide aurait renoncé, en s’abstenant de s’emparer d’un état divin plus réel et plus élevé que le sien ! En vérité tout cela n’est qu’un amphigouri qui ne mérite pas même le nom de métaphysique et par lequel l’apôtre aurait difficilement gagné un seul de ses lecteurs à une vie d’abnégation. Cependant il suppose, par son exhortation même, le fait sublime, qu’il leur donne en exemple, parfaitement connu d’eux et de l’Église en général. Comment serait-ce possible si ce passage avait le sens étrange, inouï que nous venons de rapporter ? — Le sens que nous lui avons donné, ressort très distinctement d’un autre passage, 2 Corinthiens 8.9 : « Vous connaissez la grâce du Seigneur Jésus-Christ, qui, étant riche, s’est fait pauvre, afin que par sa pauvreté vous soyez rendus riches. » Il s’accorde avec celui de plusieurs paroles de Jean, telles que celle-ci : « Père, rends-moi la gloire que j’ai eue auprès de toi, avant que le monde fût. » L’affaiblissement arbitraire du sens de l’expression : être en forme de Dieu, a conduit plusieurs interprètes (Holtzmann, Sabatier, etc.) à voir dans le être égal à Dieu un état plus élevé que l’état primitif désigné par la première expression, et qui a fini par être réellement donné au Christ (v. 9-11), en récompense du renoncement par lequel il s’était abstenu de s’en emparer lui-même. On a même trouvé dans le ὑπέρ de ὑπέρύψσε v. 9, l’idée de la supériorité de cet état nouveau sur l’état primitif. Mais comment se représenter la possibilité d’une prétention aussi ambitieuse que celle d’égaler le Père, chez un être qui participerait déjà lui-même en quelque manière à l’état divin ? Et comment concevoir qu’une récompense lui fût attribuée pour ne s’être pas livré à une pensée d’ambition aussi monstrueuse ? On comprend au contraire tout ce qu’il y a eu d’abnégation, de la part de celui qui participait à l’état divin, à s’en être dépouillé pour paraître à nos yeux dans l’état d’abaissement et de dépendance vraiment humaine où Christ a vécu et dont il voulait faire le moyen de notre salut. D’ailleurs la première conception de l’acte du Christ dont parle Paul, ne le rendrait-elle pas impropre à servir d’exemple aux lecteurs, tandis que la seconde en fait réellement le plus sublime modèle de l’abnégation recommandée par l’apôtre ? L’élévation souveraine de Christ (ὑπέρ, au-dessus de tonte créature) est donnée en terminant, non comme motif d’abnégation, ce qui détruirait l’abnégation elle-même, en en faisant un calcul d’intérêt bien entendu, mais simplement comme une raison de ne pas reculer plus que ne l’a fait Christ lui-même, devant le dépouillement le plus complet de tous nos avantages, si ce renoncement peut servir notre prochain.
a – La langue a parfaitement saisi ce contraste ; comparez les expressions amorphe, morphologie, métamorphose, avec les termes schème, schématisme.
L’élévation du Christ fait homme à la dignité de Seigneur universel n’est donc nullement l’élévation du Christ préexistant à un état supérieur à sa forme de Dieu primitive, — on ne saurait plus complètement fausser la pensée de l’apôtre qu’en lui prêtant cette idée, — c’est la rétribution légitime accordée à celui qui, en apparaissant ici-bas, aurait pu le faire de manière à obtenir sans combat l’obéissance et l’adoration des hommes, mais qui, ne consultant que nos intérêts éternels, a préféré venir obéir, adorer lui-même avec nous, et enfin donner pour nous cette vie humaine qu’il n’avait prise que pour nous. Ce n’est pas l’être divin qui a été élevé en lui ; c’est l’être humain, à l’état duquel il s’était réduit, qui a été élevé en sa personne à la dignité de souverain universel, en réalisation de ce mot de Jésus lui-même : « Celui qui donnera sa vie, la retrouvera. » Quant à la subordination du Fils au Père, elle est pleinement réservée dans ces derniers mots : « à la gloire de Dieu le Père, » comme elle était impliquée dans les premiers : « en forme de Dieu. »
2.) 2.12-18. Exhortation générale à la fidélité. — A cette exhortation spéciale à l’union par l’abnégation, l’apôtre ajoute trois recommandations qui se rapportent à la fidélité chrétienne en général. La première en vue du salut des lecteurs eux-mêmes (v. 12-13) ; la seconde en vue de l’influence salutaire qu’ils doivent exercer sur le monde (v. 14-16) ; la troisième en vue de la conduite qu’ils doivent tenir à l’égard de leur apôtre (v. 17-18).
a) Ils doivent travailler incessamment à l’œuvre de leur sanctification, et cela dans un sentiment de crainte sérieuse, se souvenant que la force de Dieu seule peut accomplir en eux cette œuvre et que toute désobéissance à Dieu les séparerait de lui et les priverait de son secours (v. 12-13).
b) Ils doivent bien se garder de murmurer au sujet des obligations et des sacrifices que leur impose leur position au milieu d’une société corrompue pour laquelle leur vie doit être une prédication et un modèle (v. 14-16).
c) Que s’ils apprennent que leur apôtre a succombé dans l’accomplissement de cette même tâche qu’il a fidèlement remplie envers le monde païen, ils doivent, comme lui-même, savoir se réjouir de cette heureuse issue de sa vie (v. 17-18).
Troisième morceau : Nouvelles de Timothée et d’Épaphrodite (2.19-30).
De l’exhortation, Paul revient aux nouvelles ; celles-ci concernent les deux d’entre ses compagnons d’œuvre qui intéressaient spécialement les Philippiens, Timothée, qui avait concouru avec lui à la fondation de leur église et qu’il se proposait de leur envoyer sous peu, et Epaphrodite, qui avait été leur messager auprès de lui. En attendant que Paul vienne lui-même, Timothée travaillera à leur avancement avec un zèle que nul autre n’égale, un empressement dont ils ont été eux-mêmes les témoins. Du jugement assez sévère énoncé par Paul sur ses aides actuels, v. 22, il ne résulte aucun blâme pour Luc et Aristarque qui n’étaient plus auprès de lui ; c’est plutôt Démas et d’autres que Paul a en vue. Il enverra Timothée aussitôt qu’il aura vu la tournure que prendra son procès ; il espère pouvoir le suivre sans retard (v. 19-24).
Mais, quant à Épaphrodite, il ne veut pas larder plus longtemps à le leur renvoyer. Ce frère dévoué est tombé mortellement malade en accomplissant la mission dont l’église l’avait chargé, de sorte que l’apôtre a été dans une grande perplexité à son sujet ; mais Dieu a eu pitié et du malade et de Paul lui-même ; et comme il sait que les Philippiens ont appris cette maladie, et qu’il a discerné chez le malade un vif désir de se retrouver au milieu d’eux, il se hâte de le leur renvoyer en le recommandant à leur accueil empressé ; car de tels hommes sont précieux, et celui-ci a mis sa vie en péril pour remplir leur commission auprès de Paul (v. 25-30).
Quatrième morceau : Le progrès constant dans la vie chrétienne (3.1 à 4.1).
Des nouvelles Paul revient librement aux exhortations. A ceux qui marchent mal, on dit : Arrêtez-vous, repentez-vous, retournez-vous. A ceux qui marchent bien, on dit : Réjouissez-vous et avancez ! C’est ce que fait Paul à l’égard des Philippiens. Il leur recommande de progresser, et d’abord en entretenant en eux la joie qui est le stimulant de tout progrès (3.1-3) ; puis en rejetant, à l’exemple de Paul lui-même, toute autre justice que celle de la foi et toute autre sainteté que celle qui procède de la communion avec Christ et qui est susceptible d’un continuel progrès dont Paul sent pour lui-même l’incessante nécessité (v. 4-14) ; après cela il fait aux Philippiens l’application de son exemple qu’il vient de leur rappeler (v. 15-21).
1.) 3.1-3. La joie. — La locution τὸ λοιπόν, au reste, est celle que Paul emploie volontiers quand il rattache d’une manière un peu lâche, même au milieu de son écrit, un sujet nouveau à celui qu’il vient de traiter ; comparez Éphésiens 6.10 ; 2 Corinthiens 13.11 ; 1 Thessaloniciens 4.1 ; 2 Thessaloniciens 3.4. Cette forme un peu négligée a donné lieu à diverses hypothèses. Heinrichs et Paulus ont pensé qu’ici commençait une toute autre lettre adressée par l’apôtre, soit à ses amis particuliers, soit aux fonctionnaires de l’église. Ewald a supposé que l’apôtre avait ajouté après coup au corps de la lettre deux morceaux supplémentaires, l’un commençant avec 3.2, l’autre avec 4.2. Hausrath a même fait des chapitres 3 et 4 une lettre différente qui aurait précédé celle qui est contenue dans les ch. 1 et 2. Toutes ces hypothèses et d’autres semblables sont incompatibles avec le fait, que Paul n’a point encore remercié les Philippiens de leur envoi d’argent, auquel il a déjà fait allusion (1.5,11, et 2.30). La lettre, dans son intention, ne pouvait donc être terminée ; elle continue par conséquent avec le ch. 3, mais peut-être après une interruption, et sans qu’il soit nécessaire de supposer avec Ewald que l’adjonction suivante a été motivée par quelque mauvais procédé des judaïsants de Rome, dont Paul venait de recevoir connaissance au moment même où il écrivit ce qui suit.
La joie dans le Seigneur, que recommande l’apôtre, c’est l’assurance de son amour, la certitude de sa présence et de son secours, l’espérance de sa gloire ; de là provient la liberté intérieure, qui est l’atmosphère des réels progrès. — La seconde partie du v. 1 pourrait avoir trait à cette recommandation de la joie chrétienne. Cependant l’asyndeton (l’absence de toute particule de liaison) entre le v. 2 et le v. 1 montre que la seconde partie de celui-ci porte directement sur l’idée du verset suivant. : « Je ne me fatigue point. — et cela n’est nullement superflu — de vous répéter : Prenez garde ! » La joie chrétienne a des ennemis sur l’approche desquels il faut veiller avec soin, ceux qui sont mentionnés v. 2. — Quoiqu’en dise Weiss, il me paraît certain que dans ces mots : « Je ne me lasse pas de vous écrire les mêmes choses, » Paul fait allusion à des lettres précédentes dans lesquelles il leur avait déjà donné le même avertissement. Pendant les dix à onze ans qui s’étaient écoulés depuis la fondation de l’église, Paul n’était pas resté sans relation avec les Philippiens auxquels il s’intéressait si vivement, et il avait dû leur écrire quelquefois, ne fût-ce qu’en réponse aux envois d’argent qu’ils lui avaient faits ; car il ne pouvait manquer de les remercier, comme il le fait dans sa lettre actuelle (4.15-16).
S’ils ne veulent pas être troublés dans leur marche en avant, ils doivent avoir les yeux ouverts sur des impudents, des ouvriers de mauvais aloi, des gens prenant pour la circoncision réelle celle de la chair, qui n’est plus qu’une mutilation depuis que Christ a inauguré la vraie. Paul veut-il parler de Juifs proprement dits ou de judéo-chrétiens ? Cela est difficile à dire. Peut-être ces deux genres de personnes n’étaient-elles pas strictement distinctes. Quoiqu’il en soit, ces gens menacent l’église, mais du dehors ; ce sont des ennemis dont il faut surveiller l’approche.
2.) 3.4-14. L’exemple de Paul. — En fait de justice judaïque Paul ne serait en arrière vis-à-vis de personne. Lui, circoncis au jour marqué par la loi, hébreu dès ses ancêtres, malgré sa naissance en pays grec, zélé pour la loi, comme tout pharisien, et même jusqu’à la haine persécutrice contre l’Église, sans reproche à l’égard de l’observation extérieure de la loi, telle qu’elle était exigible d’un Juif sincère, que lui manquait-il, au point de vue hébreu, pour avoir pleine confiance en sa justice propre ? Cependant il a reconnu l’insuffisance de tous ces trésors péniblement acquis et il a jeté tout cela à la mer quand lui est apparue en Christ la vraie justice ; en ce moment même il jette loin de lui, comme ordure, tout ce que les hommes appellent biens, en les comparant au bien suprême de la connaissance de Christ, son Seigneur. Car en lui il a trouvé non seulement la vraie justice, mais en même temps une sainteté nouvelle par l’expérience de l’efficace de sa résurrection et de la communion de sa mort, qu’il cherche à s’assimiler toujours mieux afin de s’assurer sa part dans la résurrection des justes, quand Christ à sa venue tirera les siens de la mort (v. 21 ; 1 Corinthiens 15.23). Certes, il n’est point encore parfait ; il a encore bien des progrès à faire jusqu’à ce qu’il ait saisi complètement celui qui l’a saisi le premier. Aussi tout son passé disparaît pour lui en face de cette unique tâche qui lui reste et au bout de laquelle il voit la couronne destinée à celui qui remporte le prix de la course.
3.) 3.15 à 4.1. L’application de cet exemple aux lecteurs. — Paul vient de dévoiler dans ce morceau unique, qui peut être appelé son histoire vue du côté intérieur, ce qui s’est passé et ce qui se passe encore de plus intime dans sa propre vie. C’est sous ce rapport qu’il se donne maintenant pour exemple à ses lecteurs. Il y en a parmi eux qui prétendent au titre de parfaits ; qu’ils ne cessent, comme lui, de tendre à la perfection. Les points sur lesquels les uns peuvent différer des autres, s’éclairciront si chacun conforme sa vie à la connaissance à laquelle il est parvenu. Que pour cela ils prennent pour modèle l’exemple qu’il leur a donné et celui que leur donnent ceux qui le suivent fidèlement. Il y en a malheureusement — et ceux-là sont pour l’apôtre un sujet de larmes — qui montrent par leur vie que la croix de Christ leur est odieuse, dont le cœur est sensuel, vain, terrestre. Paul parle évidemment ici de membres infidèles de l’église ; car c’est à ce titre seul qu’il peut condamner et déplorer ainsi cette conduite contraire à ce que leur foi donnerait le droit d’attendre. Que les vrais fidèles montrent par une conduite opposée ce qu’ils sont : bourgeois des cieux, et ce qu’ils espèrent : l’arrivée de Jésus du ciel pour les transformer à sa glorieuse image ! Qu’ils tiennent bon dans cette voie qui est celle de Paul et au terme de laquelle ils deviendront sa couronne !
Cinquième morceau : Dernières recommandations particulières (4.2-9).
Pour que la bonne marche de l’église ne soit pas troublée, il faut l’union entre ceux qui sont à sa tête. Paul sait qu’un dissentiment fâcheux a éclaté entre deux femmes qui ont vaillamment concouru à son travail et qui exercent une influence dans l’église. Il les invite à faire cesser ce différend et prie un personnage, en qui il a toute confiance, de les aider dans ce but. Il l’interpelle en l’appelant γνήσιε σύζυγε, vrai collègue. Luther, Ewald, Hilgenfeld, etc., voient en lui le président de l’église, le chef du collège d’Anciens. Grotius, Hofmann, Lightfoot appliquent ce titre à Épaphrodite, porteur de la lettre, qui devait à son arrivée remplir cette mission. Clément d’Al. et Érasme ont pris ce terme au sens féminin et l’on a entendu par là la femme de Paul, qu’ils supposent avoir été marié, malgré 1 Corinthiens 7.7-8. M. Renan a même trouvé un nom pour cette femme de l’apôtre : « La riche Lydie, qu’il appelait sa vraie épouse, ne l’oubliait pas » (L’Antéchrist, p 19). Si même l’on passe sur le vocal masculin γνήσιε, il n’est pas facile de dire ce que signifie dans ce cas l’épithète de vraie. Chrysostome, Bèze, etc., pensent au mari d’une des deux femmes, ce qui ne permet pas non plus d’expliquer le terme de vrai. Le plus simple est de prendre σύζυγος, avec Meyer (et quelques-uns déjà, dont parle Chrysostome), comme nom propre : « Toi qui te nommes Collègue et qui mérites vraiment ton nom » ; comparez Philémon 1.11.
Baur et son école ont vu dans ces deux femmes la personnification fictive des deux partis judéo-chrétien (εὐ–οδία, celle qui suit le bon chemin) et pagano-chrétien (συν–τυχή, celle qui se rencontre avec l’autre). Pour Holsten, c’est l’inverse. On ne réfute pas de pareilles puérilités. Ces deux noms sont connus par les inscriptions anciennes. Paul profite de la mention de ces deux femmes pour témoigner son intérêt à d’autres membres de l’église qui, ainsi qu’elles, avaient collaboré à son travail dans cette ville ; il en mentionne un en particulier, sans doute le plus actif, nommé Clément. A cette invitation est jointe une série de recommandations dont il est aisé de saisir la liaison morale : joie et encore joie en Christ ; confiance, prière et action de grâces ; paix ; cœur largement ouvert à tout ce qui est vrai, juste, aimable et pur, en un mot, à tout ce que les Philippiens ont vu l’apôtre lui-même cultiver avec intérêt, afin que le Dieu de paix puisse continuer à habiter au milieu d’eux.
4.10-23. Après ces nouvelles et ces exhortations, Paul en vient au sujet qui est l’occasion de sa lettre. Trois fois il avait fait allusion aux secours que les Philippiens lui avaient envoyés (1.5-11 ; 2.30) ; mais il ne les avait pas encore expressément remerciés ; il avait réservé pour la fin cette tâche douce à son cœur. Il s’en acquitte maintenant de la manière la plus noble et la plus délicate ; il se réjouit de ce qu’un état des choses plus favorable leur a permis de remplir un devoir qu’ils semblaient avoir perdu de vue, mais que, malgré les apparences contraires, leur cœur n’avait pas oublié. Pour lui-même, il eût bien pu supporter l’état d’indigence où il s’est trouvé ; l’expérience lui a appris à s’accommoder à toutes les situations, mais il se réjouit pour eus de ce qu’ils ont sympathisé à sa position. Un lien tout particulier l’a uni à eux dès le commencement de sa prédication de l’Évangile en Grèce. Au moment où il partait de Macédoine pour le midi, il a reçu des secours de leur part en retour des dons spirituels qu’il leur avait apportés ; ils sont la seule église à l’égard de laquelle il soit ainsi devenu débiteur aussi bien que créancier. Cette relation a même commencé dès son séjour à Thessalonique. S’il leur rappelle ces choses, ce n’est pas qu’il tienne aux présents ; mais il s’en réjouit pour eux qui recueilleront le fruit de cette manière d’agir, et il demande à son Dieu de pourvoir à tous leurs besoins selon sa richesse et à sa gloire (v. 10-20). Suivent, quelques salutations. Il charge l’assemblée de saluer elle-même tous ses membres ; et il la salue de la part des collaborateurs qui l’entourent, ainsi que de la part des membres de l’église de Rome, entre lesquels il mentionne spécialement ceux de la maison de l’empereur. Reuss voit dans ces derniers mots un petit mouvement de vanité satisfaite. Il y a mieux que cela sans doute dans cette parole. Cette première invasion de l’Évangile au sein du palais impérial est à ses yeux le prélude de l’une des plus grandes révolutions de l’histoire ; elle éveille en lui le pressentiment de celle par laquelle, trois siècles plus tard, le christianisme, aujourd’hui emprisonné en sa personne, montera sur le trône des Césars (v. 21-23).