1.[1] Les Philistins, ayant capturé l’arche de leurs ennemis, comme nous venons de le dire, l’apportent dans la ville d’Azôt et la placent comme un trophée auprès de leur dieu, qui se nommait Dagon. Mais, le lendemain, comme tous pénétraient au point du jour dans le temple pour se prosterner devant leur dieu, ils le trouvent lui-même précisément dans cette attitude devant l’arche : il gisait, en effet, à bas du piédestal sur lequel il était toujours dressé. Ils le relèvent et le remettent en place, fort troublés de cette aventure. Mais après plusieurs[2] visites à Dagon, qu’ils trouvèrent toujours dans la même posture de prosternation devant l’arche, ils furent plongés dans un extrême embarras et une grande confusion. Finalement, la divinité lança dans la ville des Azôtiens et dans toute la contrée la mortalité et la maladie. Ils périrent, en effet, de dysenterie, mal cruel et qui entraînait très rapidement la décomposition, avant que l’âme eût quitté le corps par une mort normale : ils rejetaient leurs entrailles toutes rongées et complètement détruites par la maladie. De plus, une multitude de souris[3], sorties de terre, ravageaient tout ce qui couvrait le sol, sans épargner ni plantes, ni fruits. Au milieu de pareilles calamités, les Azôtiens, incapables de résister à ces fléaux, comprirent que c’était l’arche qui en était cause et que leur victoire et la capture de cette arche ne leur avaient pas porté bonheur. Ils envoient donc des messagers aux Ascalonites[4] pour leur demander de recevoir l’arche chez eux. Ceux-ci accueillirent sans déplaisir la requête des Azôtiens et leur rendirent volontiers ce service, mais ils n’eurent pas plus tôt reçu l’arche qu’ils se trouvèrent affligés des mêmes calamités : car l’arche apporta avec elle les maladies des Azôtiens chez ceux qui la reçurent de leurs mains. Aussi les Ascalonites s’en débarrassent, en la renvoyant à une autre ville. Mais là non plus elle ne put demeurer : accablés, en effet, par les mêmes maladies, les nouveaux détenteurs l’envoient dans les villes suivantes. Et c’est ainsi que l’arche se promène tour à tour parmi les cinq villes des Philistins, semblant imposer à chacune d’elles comme tribut de sa venue les maux qu’elle leur faisait souffrir.
[1] I Samuel, V, 1.
[2] Dans la Bible le fait ne se reproduit qu’une fois. En revanche, on ajoute des détails sur la mutilation de la statue du dieu.
[3] Conforme aux LXX. L’hébreu ne parte de l’invasion des souris qu’au chapitre VI, 4, 3 ; c’est une addition provenant d’une fausse interprétation des souris d’or offertes en expiation.
[4] Dans la Bible, les gens d’Asdod convoquent les princes des Philistins, qui font transporter l’arche à Gath, puis à Ekron (LXX : Ascalon).
2.[5] Les victimes, découragées par ces malheurs, dont le récit servait de leçon à tous les voisins de ne recevoir jamais chez eux une arche qui contait si cher, cherchèrent dès lors un moyen, un expédient pour s’en débarrasser. Les chefs des cinq villes, Gitta, Akkaron et Ascalon, ainsi que Gaza et Azôtos, se réunirent et délibérèrent sur la conduite à tenir. Au commencement, l’avis prévalait de renvoyer l’arche à ses propriétaires, car Dieu prenait fait et cause pour elle et c’était pourquoi ces fléaux s’y étaient attachés et la suivaient, s’abattant avec elle sur leurs villes. Quelques-uns toutefois soutenaient qu’il n’en fallait rien faire et ne pas commettre la méprise d’attribuer à l’arche l’origine de leurs maux ; il n’y avait pas en elle cette vertu et ce pouvoir ; jamais, en effet, si Dieu en avait tellement souci, il ne l’aurait laissée tomber aux mains des hommes. Ils les exhortaient donc à se tranquilliser et à supporter ces afflictions avec sérénité, ne leur attribuant d’autre cause que la nature elle-même, qui produit périodiquement des changements de ce genre dans les corps, dans la terre, dans les végétaux et enfin, dans tout ce qu’elle engendre[6]. Cependant sur toutes ces propositions l’emporta l’avis d’hommes qui, auparavant déjà, avaient prouvé la supériorité de leur intelligence et de leur sagacité, mais dans l’occurrence surtout parurent dire exactement ce que la situation comportait. Il ne fallait, déclarèrent-ils, ni renvoyer l’arche, ni la retenir, mais vouer à Dieu cinq images[7] d’or, une au nom de chaque ville, en offrande d’actions de grâce[8] à Dieu, parce qu’il avait pris soin de leur salut et leur avait conservé la vie quand ils allaient la perdre par suite de ces maladies auxquelles ils ne pouvaient plus résister[9], et puis autant de souris en or pareilles à celles qui avaient dévasté et ruiné leur pays. Ensuite, après les avoir placées dans un coffret et posées sur l’arche, on préparerait pour celle-ci un chariot neuf, on y attellerait des vaches avant fraîchement vêlé, on enfermerait et on retiendrait les veaux afin qu’ils ne retardassent pas leurs mères en les suivant, et afin que celles-ci, en peine de leurs petits, fissent plus de diligence[10] ; puis, quand on les aurait poussées, traînant l’arche, jusqu’à un carrefour, on les abandonnerait et on les laisserait libres de s’engager dans le chemin qu’elles choisiraient elles-mêmes. Si elles prenaient la route des Hébreux et montaient vers leur pays, il faudrait attribuer à l’arche l’origine de tous ces maux ; que si elles se dirigeaient ailleurs, « nous courrons, disaient-ils, la reprendre, assurés qu’elle ne possède aucun pouvoir de ce genre ».
[5] I Samuel, VI, 1.
[6] Toute cette partie de la délibération est ajoutée au récit biblique. Toutefois elle a pour origine le verset 9 du chap. VI.
[7] Les LXX traduisent l’hébreu par hémorroïdes ou anus d’or. Les statues de Josèphe ne peuvent être que des statuettes, si elles entrent toutes dans une botte. Dans le texte primitif il n’était question que de cinq souris d’or, emblème de la peste.
[8] L’offrande dans la Bible n’est pas destinée à remercier Dieu, mais à l’apaiser.
[9] Explication rationaliste, qui est de la façon de Josèphe.
[10] I Samuel, VI, 10.
3. On jugea que c’était bien parler, et aussitôt l’on conforma les actes aux paroles. Dociles au plan qu’on vient de dire, ils conduisent le chariot au carrefour et, l’avant laissé là, s’en retournent[11]. Puis, voyant les vaches aller tout droit, comme si quelqu’un les guidait, les chefs des Philistins suivirent, curieux de savoir où elles s’arrêteraient et chez qui elles allaient se rendre. Or, il existe un village de la tribu de Juda, du nom de Bethsamé[12] ; c’est là qu’arrivent les vaches ; une vaste et belle plaine s’offrait à leurs pas ; elles n’avancent pas davantage et arrêtent là le chariot[13]. Ce fut pour les habitants du village un spectacle et une joie. Comme on était dans la saison d’été où tout le monde se trouvait aux champs pour la récolte des blés, dès qu’il voient l’arche, saisis d’allégresse, ils laissent là leur travail et accourent incontinent vers le chariot. Puis, s’étant saisis de l’arche et du coffret qui renfermait les images et les souris, ils les placent sur un rocher qui se trouvait dans la campagne et, après avoir offert un magnifique sacrifice à Dieu et célébré un festin, ils brillèrent en holocauste chariot et bœufs. Ce qu’avant vu, les chefs des Philistins s’en retournèrent chez eux[14].
[11] Lapsus de Josèphe, puisque, aussitôt après, il nous montre les chefs des Philistins suivant le chariot.
[12] Hébreu : Beth-Sehémesch ; LXX : Βαιθσυμύς.
[13] La Bible dit : au champ de Josué (LXX. Ώσηέ) de Beth-Schémesch.
[14] A Ekron, selon la Bible (V, 16).
4. Cependant la colère et l’indignation de Dieu frappe soixante-dix hommes[15] du village de Bethsamé qu’il foudroie pour s’être approchés de l’arche, alors qu’ils n’avaient pas le droit d’y porter la main, n’étant pas prêtres[16]. Les habitants du village pleurèrent ces victimes : ils célébrèrent pour eux le deuil que comporte un malheur envoyé par Dieu et chacun en particulier se lamentait sur son mort. Puis, se reconnaissant eux-mêmes indignes de conserver l’arche par devers eux, ils firent savoir à l’assemblée générale des Hébreux que l’arche leur avait été restituée par les Philistins. Les Hébreux, dès qu'ils l’apprirent, la transportèrent à Kariathiarima[17], ville proche des Bethsamites : et comme là vivait un homme de la race des Lévites Aminadab(os)[18], réputé pour sa justice et sa piété, ils amenèrent l’arche dans sa demeure, comme en un endroit digne de Dieu, puisqu’elle était habitée par un juste. Les fils[19] de cet homme gardèrent l’arche et furent commis à ce soin durant vingt ans : elle resta, en effet, tout ce temps à Kariathiarima, après avoir passé quatre mois[20] chez les Philistins.
[15] I Samuel, VI, 19 : 70 hommes (et) 50.000 hommes. Le second chiffre paraît interpolé. Il semble que la Bible de Josèphe ne l’avait pas encore.
[16] Cette explication n’est pas dans l’Écriture (VI, 19), où il est dit seulement qu’ils avaient regardé dans l’arche. Le Talmud (Sofa, 35a et b ; cf. Nombres rabba, V, vers la fin) s’étonne qu’un fait aussi insignifiant ait provoqué le châtiment céleste et rapporte à ce sujet les opinions d’Abbahou et d’Eléazar (fin du IIIe siècle). Selon le premier, les gens de Beth-Schémesch auraient regardé l’arche tout en continuant leur travail, donc (selon le commentaire de Raschi) d’une façon dédaigneuse ; selon Eléazar, ils se seraient même permis des réflexions déplacées touchant l’arche, disant : « Qui t’a irritée au point de te laisser capturer, et qui t’a apaisée et a obtenu ton retour spontané ? »
[17] Hébreux : Kiriath-Yearim.
[18] I Samuel, VII, 1. Hébreux : Abinadab. La bible ne dit pas qu’il était Lévite.
[19] La bible ne parle que d’un fils nommé Éléazar.
[20] Sept mois, selon la Bible (I Samuel, VI, 1).