Les Stoïciens professent aussi des maximes étranges. À les entendre, l’âme n’est assujettie en rien aux affections corporelles ; les maladies ne la disposent pas plus au vice, que la santé à la vertu ; ces deux états sont indifférents. Mais Job, par l’éclat de sa foi et sa fermeté d’âme, précipité de la richesse dans l’indigence, de l’illustration dans l’obscurité, de la beauté dans la difformité, de la santé dans la maladie, nous est proposé comme un excellent modèle, quand il confond le tentateur, bénit son créateur, supporte l’abaissement comme il avait supporté la gloire ; preuve admirable que le gnostique, au milieu de toutes les vicissitudes humaines, est capable de vertu. L’apôtre nous fait voir que les beaux exemples des anciens justes, sont placés devant nos yeux, comme des images qui nous excitent à réformer notre vie.
« En sorte, dit-il, que mes chaines sont devenues célèbres à la cour de l’empereur, et partout ailleurs pour la gloire de Jésus-Christ ; et que plusieurs de nos frères, encouragés par mes liens, sont devenus plus hardis à annoncer la parole de Dieu, sans aucune crainte. »
L’apôtre avait raison. Les martyrs sont aussi des modèles de conversion, glorieusement sanctifiés.
« Tout ce que dit l’Écriture a été écrit pour notre instruction, afin que, par la patience et la consolation dont les Écritures nous offrent des exemples, nous concevions l’espérance d’être consolés. »
L’âme, toutefois, quand la douleur s’avance, paraît reculer devant elle et attacher un grand prix à être délivrée des angoisses présentes. Il est constant que, durant cette crise, le désir d’apprendre sommeille, et que les autres vertus sont négligées. Nous ne voulons pas dire que la vertu elle-même souffre, la vertu ne peut être malade. Mais l’homme que se disputent la vertu et la maladie est aux prises avec une douleur poignante. S’il n’a point encore acquis la fermeté d’âme qui sait se contenir, et ce haut courage qui domine l’adversité, il est chassé de son poste. N’avoir point su résister au choc, c’est avoir déserté son drapeau.
Il en est de même de la pauvreté. Elle arrache l’âme à sa vie nécessaire, je veux dire, à la contemplation, et au virginal éloignement de tout péché, pour contraindre l’homme qui n’a pas consacré par l’amour toute sa personne au service de Dieu, de gagner par le travail de quoi alimenter le corps. La bonne santé, au contraire, et l’abondance des choses nécessaires au soutien de la vie matérielle, maintiennent libre et indépendante, l’âme qui sait user sagement des biens terrestres.
« Ces personnes-là, dit l’apôtre, souffriront dans leur chair des afflictions et des peines. Je voudrais vous les épargner ; car je veux que vous soyez libres de toute inquiétude, pour vous porter à ce qui est le plus saint, et qui vous donne un moyen plus facile de prier le Seigneur sans obstacle. »
Il faut donc s’occuper de ces besoins matériels, non par rapport à eux-mêmes, mais dans l’intérêt du corps. Et si l’on prend soin du corps, c’est à cause de l’âme, pour laquelle tout s’exécute. Tel est le motif qui oblige le zélateur de la vie gnostique à s’instruire de ce qui convient. Car, de ce qu’il existe des plaisirs illicites, la conclusion naturelle est que le plaisir n’est pas un bien ; sans quoi le bien pourrait paraître un mal, et le mal un bien. De plus, s’il est des plaisirs que nous recherchons et des plaisirs que nous évitons, toute sorte de plaisir n’est donc pas un bien. Ce que je dis des plaisirs, je le dirai des douleurs ; nous supportons les unes, nous fuyons les autres. Qui nous éclaire dans le discernement et le choix ? La science. Par conséquent, le bien véritable ne sera pas le plaisir, mais la science, dans l’intérêt de laquelle nous choisissons certains plaisirs. C’est ainsi que le martyre court, par la douleur présente, à une sainte volupté qu’embrasse son espérance. S’il y a douleur dans la soif ; s’il y a plaisir à étancher sa soif, la souffrance antérieure est la cause de cette jouissance ; mais le mal ne peut jamais être la cause d’un bien ; donc, ni cette douleur, ni cette volupté ne sont un mal.
Ainsi pensaient Simonide et Aristote. Ils ont écrit l’un et l’autre que le premier bien de l’homme est la santé ; le second, la symétrie et la beauté du corps ; le troisième, une fortune acquise par des voies légitimes.
Et Théognis de Mégare :
« Pour échapper à la pauvreté, Cyrnus, précipite-toi dans la mer riche en poissons : précipite-toi du haut des roches aériennes. »
Au contraire, d’après Antiphane le comique.
« Plutus frappe de cécité ceux qui lui arrivent plus clairvoyants que les autres. »
Les poètes s’accordent à reconnaître que ce Dieu est aveugle de naissance.
« Et elle lui donna un fils qui n’a jamais vu la lumière du soleil, »
dit Euphorion de Chalcis.
« La richesse et la vie sensuelle qui l’accompagne sont une mauvaise école pour former les hommes à la vigueur de l’âme, »
dit Euripide, dans Alexandre.
On connaît cet adage :
« La pauvreté a hérité de la sagesse par droit de parenté. »
Mais l’amour des richesses ne subjuguera pas seulement la rigide Lacédémone, il asservira toute autre cité.
C’est que la véritable monnaie des mortels n’est pas l’or ou l’argent ; au-dessus d’eux, il y a la vertu, dit Sophocle.