Il résulte de ce que nous avons démontré dans le chapitre qui précède qu’il ne faut point chercher la vérité autre part que dans l’Église, où il est facile de s’en instruire. C’est dans son sein que les apôtres ont placé le riche dépôt qui contient avec abondance tout ce qui appartient à la vérité du Christianisme ; c’est à cette source de vie que chacun peut venir puiser selon ses besoins ; c’est là la porte par laquelle on entre dans la carrière du chrétien. Chercher à y entrer par un autre côté, ce serait agir à la manière des voleurs ou des larrons ; c’est pourquoi il faut éviter soigneusement tout contact avec les hérésies, et s’instruire avec ardeur de tout ce qui tient à la tradition de la vérité. Eh quoi ! s’il s’élevait un dissentiment de quelque importance entre les chrétiens, ne faudrait-il pas avoir recours aux Églises les plus anciennes, celles qui ont reçu leurs instructions des apôtres eux-mêmes. Et s’en rapporter à ce qu’elles décideraient sur le point en litige ? et enfin, si les apôtres ne nous eussent rien transmis par l’écriture, ne faudrait-il pas suivre la tradition telle qu’elle nous a été communiquée par ceux à qui ces mêmes apôtres ont confié l’administration de ces mêmes Églises ?
C’est sur cette autorité de la tradition que plusieurs nations barbares, qui croient en Jésus-Christ, placent le fondement de leur foi ; elles conservent fidèlement gravés dans leur esprit, sans le secours de l’écriture, qui parle aux yeux, les commandements relatifs au salut et les principes de l’ancienne tradition ; elles croient en un seul Dieu, créateur du ciel et de la terre et de tout ce qui existe, par l’intervention du Christ, fils de Dieu, du Christ qui, par un amour infini pour sa créature, a bien voulu s’incarner dans le sein de la Vierge, unissant ensemble la nature de Dieu et la nature de l’homme, qui a souffert sous Ponce-Pilate, est remonté au ciel après sa résurrection dans l’éclat de sa gloire, qui doit venir dans toute sa puissance à la fin des temps pour récompenser les justes et punir les méchants, livrant au feu éternel ceux qui ont cherché à obscurcir la vérité, ceux qui ont méprisé le pouvoir du Père et la venue du Fils sur la terre. Ceux donc qui, sans le secours des Écritures, ont cru tous ces articles de foi, peuvent bien être pour nous des barbares relativement à la différence de leur langage avec le nôtre ; mais, quant à leur sagesse, quant à leur conduite, quant aux principes qu’ils professent, nous devons les considérer comme très-civilisés, car ils savent faire ce qui est agréable à Dieu, et ils vivent dans la justice, dans la chasteté, dans la sagesse. Si quelqu’un venait, en parlant leur langage, leur proposer les rêveries inventées par les hérétiques, vous les verriez fermer aussitôt leurs oreilles à ces discours, et s’enfuir au loin jusqu’à ce qu’ils n’entendissent plus ces blasphèmes impies. Aussi, dans leur profond attachement à la tradition qu’ils ont reçue des apôtres, ils ne supposent même pas qu’on puisse chercher à y porter atteinte, car il n’y a jamais eu parmi eux ni secte ni hérésie.
Les hérésies sont d’une date plus récente que l’établissement de l’Église. Car ceux, par exemple, qui ont adopté les erreurs de Valentin n’existaient pas avant Valentin ; ni ceux qui se sont attachés à la secte de Marcion n’étaient pas avant Marcion ; pas plus que toutes les sectes perverses, dont nous avons fait l’énumération, n’existaient avant ceux qui en ont été les auteurs et les propagateurs.
Valentin vint à Rome vers le temps de l’épiscopat d’Hyginus ; l’Église de Rome était sous l’administration de l’évêque Pie, lorsqu’il propagea son hérésie ; et il vécut jusqu’à l’avènement d’Anicet à l’épiscopat. Quant à Cerdon, qui était antérieur à Marcion, il vivait à Rome du temps de l’évêque Hyginus, qui fut le huitième depuis les apôtres, il fréquentait l’assemblée des fidèles, et répandait le venin de ses erreurs tantôt en prêchant publiquement, tantôt dans des conférences secrètes ; mais il fut ensuite traduit devant les prêtres pour rendre compte de sa conduite, et fut enfin forcé de se retirer de la société des chrétiens.
Marcion, qui suivit Valentin, fit quelques prosélytes au temps d’Anicet, qui était le dixième évêque depuis les apôtres. Quant aux autres hérétiques, connus sous le nom de gnostiques, ils reconnaissaient pour chef Ménandre, disciple de Simon, comme nous l’avons déjà dit ; du reste, chacun d’eux prenait pour patron l’homme dont il professait plus particulièrement les principes. Mais ce fut plus tard, et vers le second âge de l’Église, que toute cette secte des gnostiques professa ouvertement l’hérésie.